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Géomatique, environnement et épidémiologie

4. Exemples d’applications de la géomatique à l’épidémiologie

4.2. Illustration de la démarche

Pour illustrer cette démarche, trois exemples ont été choisis pour leurs différences en termes de question posée, d’échelle d’étude et d’images utilisées.

4.2.1. Exemple 1 : analyse temporelle des liens entre choléra et climat

Afin d’étudier le déterminisme climatique des épidémies de choléra, Constantin de Magny

et al. (2007a) ont mis en relation des séries épidémiologiques de cas de choléra au Ghana

avec des séries temporelles d'indices climatiques et physiques obtenus par télédétection. Les phyto- et zoo-planctons peuvent constituer des réservoirs de Vibrio cholerae, l’agent pathogène responsable du choléra. Le climat pouvant influer sur l’abondance et la survie du

plancton en mer, des paramètres environnementaux relatifs à la température de l’océan ont été ciblés. Ces paramètres devaient en outre être disponibles avec une fréquence temporelle élevée. Les images prises avec le capteur AVHRR (permettant d’acquérir des informations relatives à la température) embarqué à bord des satellites de la NOAA (permettant une acquisition d’images avec une fréquence temporelle élevée) ont donc été choisies. À partir de ces images, l’indice d'oscillation australe (SOI : South oscillation index, valeur de la différence de pression atmosphérique entre Tahiti et Darwin en Australie), l’indice de l’océan Indien (IOI, différence de pression atmosphérique entre les Seychelles et Darwin), et la température de surface de la terre et de la mer ont pu être extraits. Par ailleurs, la pluviométrie a été relevée.

Les résultats montrent qu’il y a une forte cohérence (paramètre proche de la corrélation, mais adapté au phénomènes périodiques oscillants) entre l’incidence du choléra et l’IOI, la pluviométrie et la température de surface de la terre (Constantin de Magny et al., 2007a). Les facteurs climatiques semblent donc être fortement associés à l’incidence du choléra, parfois avec une période de latence. Mieux caractériser ces liens permettrait à terme de prédire quelles sont les périodes à risque de survenue d’épidémies et de mettre en place des mesures de prévention adéquates.

Dans cet exemple, la périodicité des épidémies de choléra est mise en évidence et peut être expliquée par des paramètres climatiques, en zone maritime. Cette étude a été menée à l’échelle nationale (Ghana), mais la large résolution spatiale des données satellitaires permet également de travailler à une échelle supranationale (plusieurs pays). La même équipe a d’ailleurs également révélé la cohérence entre la survenue de cas de choléra et l’IOI et la pluviométrie sur une zone incluant cinq pays d’Afrique de l’Ouest la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo, le Bénin et le Nigeria (Constantin de Magny et al., 2007b).

4.2.2. Exemple 2 : prédiction de la répartition spatiale du paludisme dans le monde en 2050 sous l’effet du changement climatique

Dans un contexte où le lien entre climat et maladies vectorielles est largement débattu (Rogers & Randolph, 2006), Rogers & Randolph (2000) proposent de modéliser la distribution future (en 2050) du paludisme à l’échelle mondiale, sous l’effet de différents scénarios de changement climatique. La distribution actuelle du paludisme, obtenue auprès de l’OMS, est modélisée en fonction de variables climatiques mensuelles relatives à la température, à la précipitation et au déficit de pression de vapeur (VPD), obtenues à partir de satellites météorologiques à basse résolution spatiale (0,5 °) pour une période de 30 ans. Le

modèle ainsi obtenu est appliqué avec des scénarios de changement climatique réalisés par UK Hadley Center for Climatic Prediction and Research (s’appuyant eux-mêmes sur les scénarios du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, GIEC) pour produire des cartes de distribution du paludisme en 2050. Les résultats montrent que la distribution du paludisme n’est pas profondément modifiée, même avec le scénario le plus pessimiste (prévoyant un changement important du climat), (cf. figure 3 ci dessous) (Rogers & Randolph, 2000). Les régions du monde subissant les modifications les plus importantes sont celles situées aux limites de l’aire de répartition actuelle de la maladie.

Figure 3 : Régions du monde pour lesquelles Rogers et al. prédisent un changement de la distribution du paludisme en 2050 sous l’effet d’un scénario d’important changement climatique. (La probabilité de survenue du paludisme diminue de > 0,5 à < 0,5 en rouge ou augmente de < 0,5 à > 0,5 en vert. La zone hachurée correspond à la distribution actuelle du paludisme.) Source : Rogers D.J. & Randolph S.E., 2000, Science, 289 (5485): 1763-1766.

Dans cet exemple, la distribution mondiale du paludisme est liée à des paramètres climatiques, cette fois terrestres, avec pour objectif de décrire son éventuelle modification en fonction de scénarios de changement climatique.

4.2.3. Exemple 3 : comprendre et identifier les espaces à risque de trypanosomose animale

Pour caractériser les espaces à risque de transmission de trypanosomose animale dans la zone agro-pastorale de Sidéradougou (Burkina Faso), de La Rocque et al. (2001b, 2001c) intègrent dans un SIG des informations relatives aux glossines vectrices et aux hôtes bovins D’abord, les biotopes favorables à deux espèces de glossines vectrices sont caractérisés en

fonction des paysages de bas-fonds. Pour cela, une image à haute résolution spatiale, acquise par le satellite SPOT (Satellite pour l’observation de la Terre) est classée (classification supervisée par maximum de vraisemblance) en 13 unités. En intégrant des informations sur les structures végétales, hydrologiques, géomorphologiques et anthropiques, 8 unités de paysages de bas-fonds sont définies. Les densités des glossines observées au sein de ces unités permettent d’identifier celles qui leur sont les plus favorables. En parallèle, les zones d’usage (probabilités de présence) de chaque troupeau de la zone d’étude sont modélisée en fonction de la taille du troupeaux et de la localisation des parcs de nuits et des points d’eau fréquentés. En projetant les zones d’usage de tous les troupeaux sur un maillage géographique et en sommant les effectifs, une carte de densité de fréquentation de l’espace par les bovins est établie. Les zones à risque de transmission de trypanosomose sont définies comme l’intersection de l’espace des glossines et de l’espace des bovins en appliquant la grille de décision présentée dans la figure 4.

Figure 4 : Grille de décision pour l’identification des zones à risque de trypanosomose. Sources : de La Rocque et al., 2001c, Med Trop, 61 : 365-371

Les résultats révèlent que 12 % du réseau hydrographique étudié appartiennent à la classe de risque maximale, 6 % à la classe de risque moyen, 13 % à la classe de risque faible et 69 % présentent un risque négligeable. Les résultats sont validés en mesurant le taux d’infection des glossines et la prévalence* des trypanosomes dans les cheptels dans les différentes catégories de zones à risque. La démarche permet donc de cibler les mesures de lutte et de prévention dans les points épidémiologiques les plus dangereux (de La Rocque et al., 2001b ; de La Rocque et al., 2001c).

Dans cet exemple, la transmission de la maladie est liée à divers paramètres environnementaux terrestres. L’image satellitaire à haute résolution spatiale permet de décrire la végétation. En combinant ces informations à d’autres sources d’information (hydrologie, géomorphologie et anthropisation du milieu), des unités de paysages de bas-fonds sont définies puis reliées aux densités de glossines. Le SIG permet d’identifier l’intersection des

zones de présence des vecteurs et des hôtes et ainsi d’identifier et de comprendre les variations spatiales du risque de transmission à une échelle fine.

4.2.4. Bilan des illustrations

Comme l’illustrent ces exemples, le terrain et les problématiques épidémiologiques déterminent l’image satellitaire à utiliser. Le choix des variables environnementales est d’autant plus aisé que la maladie ou le vecteur sont bien connus. Néanmoins, l’application de telles démarches n’est possible que si ces variables environnementales peuvent être mesurées par télédétection. Malgré l’augmentation de la résolution spatiale des capteurs, certains objets, trop petits ou situés sous le couvert végétal, ne peuvent pas être détectés. D’autres indicateurs, indirects, doivent alors être choisis. Enfin, ces exemples illustrent aussi l’éventail important des échelles spatiales et temporelles couvertes par de telles approches.