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Chapitre 7 : Discussion générale

7.1 Identification et compréhension des limites de la LA

7.1.1 Limitations opérationnelles

L'une des hypothèses émise pour expliquer l'absence d'efficacité supplémentaire de la couverture universelle de MI et des combinaisons était un trop faible taux d'utilisation de ces MI. Durant l'essai clinique, pour aucune des interventions, le taux moyen d'utilisation des MI n'a dépassé le seuil critique des 60%, seuil dont nous avons montré qu'il doit être atteint pour permettre une réduction de l'incidence palustre (Article 5). Nous savons également que le taux d'utilisation des MI peut varier considérablement en suivant un cycle saisonnier. Damien et al.

(2011) ont en effet montré une diminution du taux d'utilisation des MI de 80 à 30% chez les enfants de moins de 6 ans en saison sèche dans les villages ayant reçu la couverture sélective de MI. Nous avons montré que cette réduction spectaculaire pouvait être expliquée par la hausse des températures et la diminution des nuisances dues aux piqûres de culicidae (Article 5) confirmant plusieurs études qualitatives (Ahorlu et al. 1997, Binka and Adongo 1997, Frey

et al. 2006, Korenromp et al. 2003). Lorsque la nuisance est principalement due aux

anophèles, la baisse de cette nuisance est associée à une baisse du contact hôte-vecteur et donc du risque de transmission (Thomson et al. 1994). Ainsi, dans de telles situations, la baisse d'utilisation des moustiquaires induite par la baisse de la nuisance, ne se traduit pas forcement par une augmentation du risque de transmission. Dans la zone OKT, la nuisance n'était pas due aux vecteurs de Plasmodium et la transmission était maintenue en saison sèche via An. funestus (Article 5) dont (i) les densités étaient fortes durant cette saison (Chapitre 4 et Article 8) et (ii) la distribution variait peu d'une saison à l'autre (Article 7). Il y a donc un réel risque à l'abandon des moustiquaires en saison sèche qui pourrait jouer un rôle dans l'efficacité préventive des interventions.

Bien que la couverture ait été élevée, l'usage des carbamates en aspersion intra- domiciliaire ou en imprégnation de bâches murales n'a pas eu les effets attendus (Djenontin et

al. 2009). Les facteurs opérationnels qui ont été mis en cause sont la faible activité résiduelle

des carbamates lors de leur pulvérisation sur les murs poreux des maisons en terre et l'insuffisante surface de mur couverte (1/3) par les BMI n’ayant probablement pas permis un impact suffisant sur la densité et la longévité des populations de vecteurs.

7.1.2 Diversité des vecteurs

Le rôle joué par An. funestus dans la transmission en saison sèche met en évidence l'importance de l'étude de la diversité et du rôle vectoriel des anophèles pour mieux comprendre l'impact des interventions de LAV.

Trois vecteurs majeurs de Plasmodium ont été capturés dans notre zone d'étude : An.

funestus, An. gambiae s.s. forme moléculaire M et forme moléculaire S (Article 4). Ces

vecteurs se caractérisaient par des niches comportementales différentes et notamment des taux d'exophagie différents (§ 4.2) : les deux formes moléculaires de An. gambiae s.s. n'étaient pas majoritairement endophages. Cette caractéristique comportementale intrinsèque des vecteurs est particulièrement problématique puisque les méthodes de LAV qui ont été déployée et

évaluées durant l'essai clinique (MI seules ou en combinaison avec BMI ou AI) sont basées sur d'anciennes descriptions de comportements majoritairement endophages des populations de vecteurs en Afrique sub-saharienne (Gillies and De Meillon 1968). Ces stratégies "résiduelles" placées dans les habitations ciblent donc les vecteurs endophages et/ou endophiles (The malERA Consultative Group on Vector Control 2011). Le comportement exophage observé à OKT chez An. gambiae s.s. pourrait donc considérablement limiter l'efficacité de telles méthodes de lutte et constituait un frein à l'utilisation des stratégies combinées dans les habitations (Govella and Ferguson 2012).

Un autre vecteur potentiel, An. pharoensis, a également été capturé dans les villages de l'étude et présentait des densités non négligeables (18% de la faune vectorielle ; Article 4). Le rôle de cet anophèle dans la transmission du Plasmodium a été montré ou soupçonné en Egypte, au Sénégal et au Cameroun (Antonio-Nkondjio et al. 2006, Carrara et al. 1990, Dia et

al. 2008, Morsy et al. 1995). Il est cependant considéré comme un vecteur secondaire puisque

rarement majoritaire et présentant un comportement relativement opportuniste. Les espèces de vecteurs considérées comme secondaires sont néanmoins susceptibles de maintenir des niveaux résiduels de transmission en raison notamment de particularités écologiques et comportementales. La faible fraction de transmission qu'elles assurent peut maintenir les

Plasmodium dans la population humaine (Beier et al. 1999). De plus, cette transmission

initialement résiduelle peut prendre de l'ampleur à la suite de l'implémentation de mesure de LAV efficaces contre des vecteurs prioritaires qui laissent alors des niches écologiques libres pour des vecteurs initialement minoritaires (Bayoh et al. 2010, Gillies and Furlong 1964, Gillies and Smith 1960, Trung et al. 2005). Les vecteurs secondaires méritent donc une attention particulière (Ferguson et al. 2010) et le rôle vectoriel de An. pharoensis, ses niches écologiques et comportementales devront faire l'objet d'études plus poussées afin de comprendre son implication dans la transmission de Plasmodium dans la zone d'intervention.

La distribution géographique et la composition spécifique des populations des vecteurs confirmés (An. funestus, An. gambiae s.s. forme M et S) étaient complexes et présentaient une forte hétérogénéité locale (§ 4.2). L'analyse de la distribution spatiale de ces vecteurs majeurs a mis en évidence un assemblage d'espèces qui pourrait être capable d'exploiter une grande diversité de gîtes larvaires, de permanents à temporaires et des plus naturels (lacs, prairie aquatiques ou marécageuses) aux plus anthropiques (stockage d'eau de boisson) (Article 7 et § 5.4.2). L'affinité de An. funestus pour les milieux aquatiques permanents mise en évidence par

nos modèles et confirmant la littérature (Gillies and De Meillon 1968, Hamon 1955) explique pourquoi celui-ci est capable d'assurer la transmission pendant la saison sèche, période pendant laquelle les densités de An. gambiae s.s. diminuent. Son aire de distribution variait d'ailleurs peu d'une saison à l'autre tandis que celles des deux formes moléculaires d'An.

gambiae s.s. étaient clairement dépendantes de la saison, particulièrement pour la forme S,

inféodée aux milieux temporaires et donc dépendante des précipitations. Notons que nous avons observé une forte relation entre la présence des deux formes de An. gambiae s.s. et la présence ou la densité de gîtes larvaires domestiques (jarres...) faisant office de stockage d'eau dans le voisinage (où parfois à l'intérieur) des maisons. Ces gîtes que Hamon (1955) et Holstein (1954) décrivaient comme exceptionnels pourraient pourtant maintenir les populations de An. gambiae s.s. tout au long de l'année favorisant ainsi la continuité de la transmission. De plus, cette fraction « domestique » de la population de vecteur pourrait avoir un rôle majeur dans la transmission car étant situé à proximité des habitations (temps de vol plus courts, accès facilité aux hôtes, etc.). Des investigations doivent clairement être menées pour (i) étudier la composition spécifique des populations larvaires dans ce type de gîtes et (ii) mesurer l'intensité de cette production domestique et évaluer sa part dans la transmission.

Notons que les densités de vecteurs mesurées dans la zone d'étude (environ 1 piqûre de vecteur par homme et par nuit) étaient relativement faibles. Plusieurs études ont montré que le développement larvaire, la fécondité, le taux de survie et de croissance des vecteurs étaient inversement corrélés à la densité (Briegel 1990, Lyimo et al. 1992, Yang et al. 2008). Il est donc raisonnable de penser que les populations de vecteurs de la zone d'étude, malgré leur faible densité, étaient hautement compétitives comme l'attestent par ailleurs les taux de parturité élevés chez les anophèles femelles capturées (> 85%).

Cette diversité de vecteurs s'est traduite également par une diversité des réponses de ces populations face aux interventions. En premier lieu, les populations de An. gambiae s.s. ont fait l'objet d'un accroissement spectaculaire de la fréquence allélique de la mutation kdr. En 18 mois, cette fréquence est passée de 30% environ à plus de 80% dans l'ensemble des villages, quelle que soit l'intervention déployée. Ceci traduit la grande capacité d'adaptation de ces vecteurs et marque l'échec des combinaisons associant un carbamate en aspersion sur bâches ou sur des murs pour gérer la résistance au pyréthrinoïdes. La résistance a été précédemment mise en cause dans l'échec des interventions impliquant des MI ou des AI (Asidi et al. 2012, N'Guessan et al. 2007, Trape et al. 2011). De plus, plusieurs changements

dans le comportement des vecteurs sont également susceptibles de concourir à cet échec. Chez An. funestus, nous avons montré un changement drastique du comportement de piqûre qui s'est traduit dans les deux villages étudiés par un décalage des horaires d'activité après la mise en place des moustiquaires en couverture universelle (Article 8). Un an après l'implémentation de l'intervention, ces vecteurs ont présenté un pic d'activité à l'aube, horaire auquel les populations de ces régions rurales ont déjà commencé leur travail. Ils piquent également majoritairement à l'extérieur où les habitants ne bénéficient d'aucune protection. Par ailleurs, dans un des deux villages (Lokohouè), nous avons mis en évidence une activité diurne importante durant les premières heures du jour. Cette observation est inquiétante puisque les vecteurs ayant adopté ce comportement échappent totalement aux méthodes de LAV déployées. Notons que des investigations récentes réalisées dans ce village semblent montré que ce comportement diurne est également présent chez An. gambiae s.s. (Duarte et

al. 2012). Nous avons également observé que dans le second village (Tokoli), où le

comportement diurne était marginal, le taux d'exophagie s'était considérablement accru (jusqu'à 68%) tandis qu'il restait stable (environ 45%) à Lokohouè. Au regard des observations faites par Lochouarn (1998) au Sénégal et Costantini (1999) au Burkina Faso où différentes formes chromosomiques d'An. funestus étaient associées à des comportements différents, nous pensons que la LAV a pu jouer un rôle dans la sélection de deux stratégies distinctes d'évitement chez An. funestus. Des études de cytogénétique devront être proposées pour vérifier cette hypothèse. Des investigations doivent également être menées pour mieux comprendre les mécanismes induisant les résistances comportementales et les processus de sélection de ces caractères.

Nos travaux ont visé également à préciser l'évaluation entomologique des méthodes de LAV mise en place dans le cadre de l'essai clinique. Nous avons pour cela intégré la LAV dans notre analyse de la distribution et de l'abondance des vecteurs avec une approche spécifique. Nous avons ainsi pu mettre en évidence une probable efficacité de la combinaison de MI en couverture universelle et de BMI de carbamate sur les populations de An. funestus sans pour autant déceler d'impact épidémiologique. La probabilité de présence et l'abondance des populations de An. funestus étaient en effet plus faibles dans les villages ayant reçu cette intervention par rapport aux villages ayant reçu les MI en couverture sélective. Pour les autres vecteurs, aucun effet réducteur des interventions n'a été mis en évidence. Ceci montre que l'effet des interventions a pu être différent en fonction des espèces de vecteur.