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Chapitre 7 : Discussion générale

7.2 Propositions pour une lutte plus efficace

7.2.2 Des méthodes complémentaires pour une lutte intégrée

La caractérisation comportementale des populations de vecteurs avant la mise en place des interventions, et les effets observés des méthodes de luttes sur leurs comportements pointent clairement la nécessité de cibler les vecteurs piquant à l'extérieur des habitations et aux horaires pendant lesquels les populations ne sont pas protégées par les moustiquaires.

L' approche la plus simple consiste à cibler l'ensemble de la population de vecteur sans distinction de comportement, c'est ce que font les méthodes anti-larvaires qui en tuant les insectes à leurs stades aquatiques sont théoriquement aussi efficaces contre les vecteurs endophages et exophages (Govella and Ferguson 2012, Killeen et al. 2002). L'application de la lutte anti-larvaire devrait, selon l'OMS (2011), être strictement limitée aux zones où les

gîtes larvaires sont peu nombreux, stables et facilement identifiables. Ce sont, en effet, dans ces conditions que les méthodes anti-larvaires ont montré le meilleur rapport coût-efficacité en Afrique (Worrall and Fillinger 2011). Des études récentes en Afrique de l'Est (Fillinger et

al. 2008, Fillinger and Lindsay 2006, Fillinger et al. 2009, Geissbuhler et al. 2009, Shililu et al. 2003) et au Bénin en zone urbaine (Kinde-Gazard and Baglo 2012) ont montré des

réductions importantes des densités de vecteurs et/ou de l'incidence palustre suivant l'implémentation d'une lutte larvaire adaptée et ciblée. Les biolarvicides en particulier offrent d'intéressantes perspectives pour l'avenir en raison notamment de la diversité des micro- organismes susceptibles d'être utilisés (Abdul-Ghani et al. 2012) et donc du faible risque de développement de résistances chez les vecteurs. Dans la zone OKT, la diversité des vecteurs présents dont l'écologie, comme semblent le confirmer nos travaux, permet l'exploitation d'une large diversité de gîtes larvaires n'apparait pas très favorable au déploiement d'une lutte anti-larvaire. En effet, les gîtes larvaires à An. funestus, qui assure une part importante de la transmission, sont difficiles à identifier et donc à traiter (Hamon 1955). En revanche, nous avons observé que les gîtes péri-domestiques favorisaient la présence des deux formes moléculaires de An. gambiae s.s. laissant supposer qu'une part non négligeable de la population de ces vecteurs pourrait être atteinte relativement facilement par une lutte larvaire sélective et complémentaire.

Parmi les techniques ciblant l'ensemble de la population de vecteurs (sans distinction de comportement), les méthodes de lutte génétique pourraient dans le futur constituer des outils intéressants pour le contrôle des vecteurs de Plasmodium (Benedict and Robinson 2003, Raghavendra et al. 2011). Cependant, au-delà des risques que comporte l'introduction de moustiques génétiquement modifiés dans l'environnement (Benedict et al. 2011, Knols et al. 2007), les lâchers de moustiques génétiquement modifiés (mâles stériles inclus) ne sont pour l'instant envisageables que dans des zones relativement isolées et où une seule espèce de vecteur est prédominante (Helinski et al. 2008, Munhenga et al. 2011, Raghavendra et al. 2011, Takken and Knols 2009).

D'autres outils ont fait l'objet de publications ces dernières années et pourraient constituer dans le futur des approches intéressantes pour cibler spécifiquement les vecteurs exophages ou présentant un comportement de piqûre "original". Parmi les méthodes pouvant être utilisées à de larges échelles, citons les répulsifs cutanés qui permettent de limiter le contact hôte-vecteur aux heures où les populations sont directement exposées à la piqûre. Si la

protection individuelle que confèrent les répulsifs corporels a été démontrée (Rowland et al. 2004, Rowland et al. 2004), il n'y a pas encore de preuves de leur efficacité à l'échelle communautaire19 (voir Carnevale et al. (2009) pour une revue sur le sujet). L'utilisation de "répulsifs spatiaux" à l'échelle communautaire qui vise à maintenir de larges espaces sans vecteurs (village), prévenant ainsi le contact hôte-vecteur, pourrait également être envisagée (Achee et al. 2012). Cette méthode contraindrait les vecteurs à se détourner vers des hôtes alternatifs (comme le bétail) à l'extérieur des villages et pourrait donc être associée avec l'application d'insecticides sur les hôtes alternatifs qui vise des vecteurs exophages, opportunistes ou soumis à une faible disponibilité en hôtes humains et qui peut montrer une certaine efficacité (Rowland et al. 2001).

L'accroissement de l'intérêt porté aux mécanismes de l'olfaction chez les vecteurs et l'accroissement des connaissances dans ce domaine pourrait permettre d'améliorer l'efficacité de pièges à odeur ou le développement de techniques de confusion (Okumu et al. 2010, Ramirez et al. 2009, Takken and Knols 1999) qui, placés à l'extérieur pourraient également être envisagées pour cibler les vecteurs exophages. Il peut également être envisagé d'utiliser des appâts à odeur en extérieur pour infecter les vecteurs avec un agent entomo-pathogène (virus, champignons) pouvant tuer le vecteur ou sa descendance par transport passif jusqu'au gîtes larvaires (Abdul-Ghani et al. 2012, Thomas and Read 2007).

Les champignons entomo-pathogènes représentent une méthode alternative intéressante basée sur un le concept "evolution proof", c'est-à-dire limitant la sélection et l'évolution de mécanismes de résistance (Koella et al. 2009). En effet, l'effet pathogène de ces champignons est lent et ne tue les vecteurs qu'au-delà d'un certain âge, les vecteurs sensibles ont donc le temps de pondre leurs œufs et d'assurer une descendance sensible (Michalakis and Renaud 2009). En théorie, les techniques basées sur le principe "evolution proof" pourraient constituer des outils efficaces pour réduire la transmission des Plasmodium puisque l'effet létal du champignon interviendrait avant que les femelles adultes soient infectieuses (par exemple avant la réalisation du cycle extrinsèque du Plasmodium). Read et al. (2009) ont proposé d'exporter ce principe aux insecticides (Late Acting Insecticides) en développant des méthodes basées sur la diminution des dosages ou sur de nouvelles formulations qui ne seraient létales qu'au-delà d'un certain âge, en exploitant par exemple la diminution avec l'âge

19 Un essai contrôlé randomisé sur l’efficacité des répulsifs contre le paludisme est en cours au Cambodge

de la résistance et de la capacité de détoxification des vecteurs (Chen et al. 2008, Hodjati and Curtis 1999, Lines and Nassor 1991, Rowland and Hemingway 1987). L'utilisation de virus recombinants comme agents « synergisant » permettant d'augmenter la sensibilité des récepteurs cibles aux insecticides a également été proposée (Lapied et al. 2009). Cette technique pourrait permette d'augmenter l'efficacité des insecticides existants et de limiter les risques de résistances chez les populations de vecteurs. Cette technique offre également la possibilité de réduire drastiquement les doses d'insecticides utilisées.

Les méthodes alternatives sont nombreuses (Abdul-Ghani et al. 2012, Raghavendra et

al. 2011, Ramirez et al. 2009, Takken and Knols 2009). Cependant, plusieurs aspects de la

bio-écologie des vecteurs restent mal connus et peu étudiés pour la plupart des espèces vectrices : gîtes larvaires, essaimage et accouplement, sites de repos, comportement d'oviposition (Ferguson et al. 2010, The malERA Consultative Group on Vector Control 2011). Ces aspects de la bio-écologie des vecteurs pourraient constituer des cibles pour de nouvelles méthodes de LAV à développer.

La diminution de la probabilité de présence d’un vecteur et la diminution de ses densités sont potentiellement deux objectifs distincts de la LAV (éradication versus contrôle). L'étude séparée des déterminants de la présence et de la densité telle que nous l'avons réalisée (Article 6 et § 5.4.2) devrait être encouragée puisqu'elle pourrait permettre d’identifier des cibles distinctes pour la LAV (en lien avec l’écologie des vecteurs) répondant à chacun des objectifs d'éradication et de contrôle. Ces efforts de recherche sur la biologie et l’écologie des vecteurs devront certainement être réalisés si l'on souhaite atteindre les objectifs de l'OMS sur la réduction de la morbidité d’ici 2015 et d'éradication du paludisme en Afrique (WHO 2011).