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L’horloger de Nîmes

Deux heures suffirent à Louis pour atteindre les faubourgs de Nîmes. Il avait marché d’un bon pas, plongé dans ses rêves d’aventures. L’idée de prendre aux riches pour redistribuer aux pauvres le taraudait, mais les solutions pour y parvenir n’étaient pas évidentes. Il faudrait que l’argent soit donné, volontairement, sans attente de retour pour le donateur. Mais un riche ne donne rien pour rien. Il lui faut une contrepartie bien concrète. Les sentiments de générosité, de partage, de justice ne lui sont pas naturels. Les curés et les pasteurs offrent le paradis en échange, ou du moins, un contrepoids à la cupidité et à l’usure dans la balance céleste. Louis lui, ne pouvait pas se prévaloir d’une quelconque influence sur l’au-delà et de toute façon, le procédé était bien usé et les Eglises recevaient de moins en moins de fonds pour les pauvres. Il fallait un autre moteur que la vie éternelle, quelque chose de matériel et d’immédiat.

Il en était là de ses pensées quand il arriva aux abords des antiques arènes. En passant devant le porche de l’hospice d’humanité, il tomba sur Jean-Louis Vieljeux. Ce garnement avait dix huit ans mais son visage poupin et jovial lui donnait deux ans de moins. Il en jouait fort bien pour amadouer ceux qu’il voulait escroquer. Louis l’avait connu lors de la dernière vogue de Beau-voisin. Vieljeux avait réussi à boire et à manger sans sortir un sou de sa poche, ce qui avait bien fait rire louis.

Vieljeux ne travaillait qu’en cas d’extrême urgence. Il se contentait de peu pour vivre, n’ayant connu dans son enfance que misères et privations. Depuis que ses parents étaient morts, il avait quitté son village pour traîner dans les rues de Nîmes. La grande ville offre plus de possibilités que la campagne où l’on est connu de tous. L’anonymat convenait parfaitement à ses petits larcins et à ses filouteries.

- Hé Louis, t’as quitté ton village ? Où vas-tu comme ça, la tête dans les nuages ?

- Le plus gros du travail est terminé et j’avais du temps. J’ai fait la route pour réfléchir…

- Encore ! Tu penses trop Louis. C’est quoi tes projets du jour ? - Prendre l’argent des riches en s’arrangeant pour qu’ils soient con-tents de l’avoir perdu.

Vieljeux arrêta sa marche et partit d’un grand éclat de rire. C’était bien du Louis Roque, ça. Tout en descendant la petite rue de l’Aspic, il se demandait comment on pouvait avoir des idées pa-reilles.

- Je crois bien que tu demandes l’impossible, Louis. Je n’ai jamais rien volé qui rende mes fournisseurs heureux ! Je vole quand j’en ai besoin et c’est tout. La seule question qui se pose, c’est comment ne pas se faire prendre. Mais ça, c’est facile.

Louis pensait qu’il y avait toujours un risque à voler, même avec la tête d’ange et les mains agiles de Vieljeux. Les deux jeunes gens arrivèrent devant l’échoppe de l’horloger à l’angle de la rue Régale. Une belle horloge était exposée sur l’étal, cerclée de bronze ciselé et surmontée de deux petits angelots.

- Demande le prix, Louis. Dis-lui que c’est pour ta sœur qui va se marier.

Cette curiosité soudaine étonna Louis mais sans trop réflé-chir il s’approcha de l’horloger et engagea la conversation. Il ra-conta que ses parents voulaient doter sa jeune sœur et qu’ils l’avaient chargé de trouver un bel objet, digne de l’évènement. L’horloger vanta sa marchandise et tenta de démontrer à Louis que

le prix exorbitant était largement justifié par la précision de la mé-canique, la finesse de la ciselure et la beauté des deux amours tout à fait de circonstance pour un mariage.

- Je vais en parler au père, dit Louis, et je reviendrai.

Louis s’éloignait tranquillement vers la place du marché tout en se demandant qui pouvait s’offrir de telles pendules. Un an de travail de laboureur n’y aurait pas suffi. C’est alors que Vieljeux sortit de sa poche trois belles montres à gousset toutes neuves, en arborant un sourire qui lui fendait le visage.

- T’as rien vu, hein, Louis ? Merci pour ton baratin.

- Jean-Louis, t’es fou ! L’horloger a déjà dû s’en apercevoir. Il va nous rattraper et on va avoir toute la ville sur le dos. Il a eu le temps de bien nous regarder et saura bien nous décrire aux gen-darmes.

- T’inquiète pas, Louis. Il était trop occupé à te vanter sa marchan-dise. Il suffit de s’éloigner un peu. On va aller à Lasalle, chez mon cousin et personne ne nous trouvera. Il travaille dans une ferme isolée et son patron est brave. Au pire, on peut passer en Lozère pendant quelque temps et y revendre les montres un bon prix. - Lasalle ? Ça fait au moins soixante kilomètres, ça !

- C’est mieux que Beauvoisin pour s’amuser. Et puis, si l’horloger a donné notre signalement, ce n’est pas là qu’on viendra nous cher-cher.

- Après tout, pourquoi pas. Je n’ai jamais été dans ces coins là. Le soir même, les deux garçons étaient en vue de Quissac. Ils trouvèrent une vieille bergerie en bordure de la forêt de Coutach apparemment inoccupée depuis longtemps. Un bon feu leur per-mettrait de se restaurer et de se réchauffer sans éveiller la curiosité des gens du coin. Vieljeux était visiblement un habitué de ce genre de bivouac. En un rien de temps, il avait coupé du bois et ramassé un plein chapeau de châtaignes. Le feu crépitait dans l’angle de la pièce et les fruits charnus, disposés sur une pierre plate dégageaient une agréable odeur.

- On ne meurt jamais de faim dans ma forêt. Avec juste un peu plus de temps, on aurait pu trouver quelques champignons et même vo-ler quelques œufs dans un poulailvo-ler du coin.

- Tu ne crois pas que tu en as assez fait pour aujourd’hui, Jean-Louis. Estime-toi heureux d’avoir un toit et un arbre à pain à portée de la main.

Aux premières lueurs du matin, ils se levèrent, effacèrent les traces de leur passage et reprirent la route vers Lasalle. Louis tenait à éviter tout village d’un peu d’importance et ils firent des détours pour contourner Sauve, Saint-Hippolyte et Monoblet. Ces précautions ne plaisaient pas à Vieljeux qui se moquait des craintes de Louis. Il est vrai que Louis était parti sans aucun papier prou-vant son identité et qu’au moindre contrôle, il pouvait être arrêté. Les sentiers étaient donc plus sûrs que les routes et de fait, ils ne rencontrèrent dans toute la journée, qu’un bûcheron peu bavard et un berger trop jeune pour être inquiétant. En outre, aucun poulailler ne tenta Jean-Louis et ses mains baladeuses…