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D ES HOMMES AUX FRONTIÈRES DU MONDE ROMAIN , DES HOMMES AUX EXTRÉMITÉS DU R HIN :

B. Bêtes sauvages, animaux imaginaires : la faune germanique

1. D ES HOMMES AUX FRONTIÈRES DU MONDE ROMAIN , DES HOMMES AUX EXTRÉMITÉS DU R HIN :

RHIN : LES REPRÉSENTATIONS D’UN ESPACE FRONTALIER EN MUTATION

L’occupation d’un territoire dans la longue durée – quatre siècles dans le cas qui nous concerne – n’est évidemment pas un phénomène statique qui figerait les communautés dans le temps et l’espace, qui les immobiliserait dans une réalité intemporelle, voire anhistorique, et les condamnerait à ne jamais prospérer. L’occupation d’un territoire est dynamique, en évolution constante, influencée par les différents agents politiques, économiques, sociaux et environnementaux qui animent les sociétés. Alternant les périodes de stabilité et d’instabilité, multipliant les spécificités locales, l’occupation d’un territoire

484 Sur l’occupation néolithique, voir surtout les travaux récents du préhistorien néerlandais L. P. Louwe Kooijmans (2010, 2007) ainsi que L. P. Louwe Kooijmans et L. B. M. Verhart (2007), L. P. Louwe Kooijmans et P. F. B. Jongste (2006) et L. P. Louwe Kooijmans et al. (2005).

est modelée par les continuités et les changements qui permettent aux communautés de croître, de se transformer, de progresser et parfois de déchoir. Le delta du Rhin de César à Julien ne fait pas exception; la présence humaine y connut des périodes d’expansion et de déclin qui traduisent les conjonctures militaires, sociopolitiques et environnementales ayant agité la région. Bien sûr, proposer un portrait – certes imparfait, mais néanmoins juste – de l’implantation humaine dans le delta rhénan à l’époque romaine implique un effort heuristique qui entraînera nécessairement la présentation d’un tableau général discriminant les particularités locales. Malgré ses faiblesses, un tel portrait permettra d’appréhender l’évolution de la place de l’homme dans la région pour ensuite mieux comprendre, au chapitre suivant, les interactions entre les communautés et leur environnement.

Se pencher sur la présence de l’homme dans le delta rhénan depuis les campagnes gauloises de César jusqu’aux ultimes efforts militaires de Julien485 signifie parcourir un

horizon temporel s’étendant sur plus de quatre siècles. La période à couvrir est importante et elle correspond à l’entrée de la région dans la sphère romaine et son histoire. Or, l’établissement humain dans le delta du Rhin n’a évidemment pas débuté avec l’arrivée des Romains. Tel que je l’ai déjà mentionné à quelques reprises, l’occupation permanente de la zone deltaïque rhénane, marquée par les premiers défrichements et les premières installations agricoles, remonterait selon les préhistoriens et les archéologues à la période néolithique, soit à plus de 4 000 ans avant notre ère486. Ce fut toutefois à partir de l’Âge du

bronze que la densité démographique régionale augmenta de façon significative, principalement sur le littoral frison au nord de l’Oude-Rijn487. R. van Heeringen a ainsi

485 Tel qu’il a été expliqué en introduction, cf. supra, p. 8-9, les données archéologiques montrent le maintien d’une présence romaine dans la région deltaïque rhénane après le règne de Julien, notamment sous Valentinien 1er; or, ces activités militaires ne sont jamais mentionnées dans les sources littéraires anciennes et ne peuvent ainsi participer à la reconstruction historienne des représentations littéraires romaines de la région.

486 Voir notamment la culture archéologique de Vlaardingen qui se développa surtout au cours de la seconde moitié du troisième millénaire avant notre ère, cf. H. van Londen et al. (2008), 12, H. J. A. Berendsen (2005a), 26, H. J. A. Berendsen (2005b), H. J. A. Berendsen et E. Stouthamer (2002), 110, H. J. A. Berendsen et E. Stouthamer (2000), 329-330, J. F. van Regteren Altena et al. (1962). Sur l’occupation néolithique du delta du Rhin, voir également L. P. Louwe Kooijmans (2010, 2007) ainsi que L. P. Louwe Kooijmans et L. B. M. Verhart (2007), L. P. Louwe Kooijmans et P. F. B. Jongste (2006) et L. P. Louwe Kooijmans et al. (2005).

487 Voir par exemple la culture archéologique de Hoogkarspel dans la province de Noord-Holland, cf. J. Buurman (1996), 9-34, J. Buurman (1993), 69-70, G. F. IJzereef et J. F. van Regteren Altena (1991). Par ailleurs, au sujet des sites d’occupation dans le delta du Rhin à l’Âge du bronze, se référer en premier lieu à la synthèse de S. Arnoldussen (2007).

dénombré près de 400 sites d’occupation sur la côte néerlandaise pour les siècles s’étendant du Bronze récent jusqu’à la fin de l’Âge du fer488. À cette période correspond aussi une

augmentation progressive de la densité démographique dans la portion orientale du delta, c’est-à-dire dans la zone deltaïque située à l’intérieur des terres, près de l’apex du delta et de ses nombreux défluents; de 250 à 300 sites d’occupation dans ce secteur dateraient de la fin de l’Âge du fer489. Dans cette périphérie nord de l’aire de diffusion de La Tène, les

populations protohistoriques connurent une occupation inégalement influencée par le contact avec les communautés de la Gaule. Alors que des épées, des fibules et des monnaies laténiennes ont été retrouvées dans l’est de la zone deltaïque, de tels objets n’ont pas atteint le littoral et la Frise septentrionale490. L’histoire préromaine du delta du Rhin ne

se synchronisa donc pas avec celle des civilisations de La Tène, mais elle n’en fut toutefois pas totalement coupée. En fait, tout au long de l’Âge du fer, l’occupation autochtone de la région ne connut pas une progression civilisationnelle constante et stable qui aurait permis aux communautés de se complexifier et d’évoluer vers la formation de villages de type

oppidum comme ce fut le cas en Gaule491. À l’arrivée des Romains, le delta du Rhin était

jonché d’établissements ruraux épars généralement concentrés à l’entrée du delta, le long de la branche fluviale du Nederrijn-Kromme Rijn-Oude Rijn et sur le littoral, c’est-à-dire dans les zones alluviales du delta qui, grâce aux dépôts sédimentaires argileux des fleuves et de la mer, formaient des terres fertiles propices à l’occupation humaine492.

488 R. van Heeringen (2005), 581-583.

489 W. J. H. Willems (1986a), 223, W. J. H. Willems (1984), 63 et 66. Étudiant spécifiquement le site d’Oss, dans le Noord-Brabant au sud-ouest de Nijmegen, K. Schinkel (2005), 524-530, a montré que la densité démographique du secteur était passée de 3 à 6 personnes / km2 au début de l’Âge du fer à 9 personnes / km2 au milieu de l’Âge du fer puis à 18 personnes / km2 à la fin de l’Âge du fer. Voir également P. van den Broeke (2005c), 684.

490 Cf. N. Roymans et J. Aarts (2009), N. Roymans (2004) 11 et 104-127, N. Roymans (1996), 15, W. J. H. Willems (1984), 201-204, N. Roymans et W. van der Sanden (1980), L. P. Louwe Kooijmans (1974), 44. 491 On note l’absence d’établissements fortifiés préromains dans le delta, cf. K. Schinkel (2005), 519. Par

ailleurs, de nombreux sites du delta rhénan ont connu une occupation discontinue au cours de l’Âge du fer, alternant les périodes d’abandon des établissements puis de recolonisation des terres. On constate une telle fluctuation de l’occupation dans certains secteurs côtiers affectés cycliquement par la montée des eaux et la transformation des terres fertiles en tourbières, cf. J. Buurman (1993), 69-70. Voir également le cas du site de Tiel-Passewaaij, dans la portion est de l’île des Bataves, qui fut abandonné de 175 à 60 avant notre ère pour être ensuite réoccupé de façon continue jusqu’à la fin de l’Antiquité, cf. M. Groot (2008).