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Le delta du Rhin à l’époque romaine, le delta du Rhin chez les Romains

Les deltas se caractérisent par la division d’un cours d’eau, à l’approche de la mer, en plusieurs bras aux parcours souvent instables. Cette multiplication des branches fluviales est formée par l’accumulation de masses d’alluvions à l’embouchure d’un fleuve suffisamment puissant pour charrier une forte charge sédimentaire. Ce phénomène se produit principalement à la bouche des cours d’eau se jetant dans les mers sans marées – par exemple la Méditerranée – où l’absence de mouvements de flux et de reflux permet l’amoncellement des sédiments. De façon générale, les fleuves coulant vers les océans se déversent plutôt par une seule bouche sous la forme d’un estuaire. Toutefois, certains grands fleuves charriant d’énormes quantités d’alluvions – c’est le cas du Rhin – entraînent la création d’un delta malgré l’effet des marées123. Les Anciens savaient que les fleuves

transportaient des sédiments et ils connaissaient le phénomène d’alluvionnement, notamment à l’origine de la création des deltas.

ἅπαντες γὰρ μιμοῦνται τὸν Νεῖλον ἐξηπειροῦντες τὸν πρὸ αὐτῶν πόρον, οἱ μὲν μᾶλλον οἱ δὲ ἧττον· ἧττον μὲν οἱ μὴ πολλὴν καταφέροντες τὴν ἰλύν, μᾶλλον δὲ οἱ πολλήν τε καὶ μαλακόγειον χώραν ἐπιόντες καὶ χειμάρρους δεχόμενοι πολλούς […]124.

Bien que les textes anciens ne fassent pas directement allusion aux alluvions du Rhin, ces propos de Strabon confirment la connaissance gréco-romaine du phénomène d’accumulation sédimentaire à l’embouchure des fleuves qui, à l’instar du Nil, entraînaient dans leur course de nombreux débris alluvionnaires pouvant donner forme à une structure deltaïque.

Le mot moderne « delta », utilisé aujourd’hui pour décrire une embouchure fluviale se divisant en plusieurs bras, vient du grec, vient de la quatrième lettre de l’alphabet grec – δέλτα – qui sous sa forme majuscule – Δ – représente un triangle rappelant la configuration deltaïque. Cette représentation figurative du delta au moyen d’une lettre fut employée par Hérodote au 5e siècle avant notre ère pour illustrer le delta du Nil125. Par la suite, les auteurs

123 Cf. P. Leveau (2005), 104, P. Leveau (2004a), 13.

124 « en effet, tous [les fleuves] sans exception imitent le Nil, unissant au continent la mer devant eux, les uns plus vivement, les autres moins; moins ceux ne charriant pas beaucoup d’alluvions, plus ceux qui en charrient beaucoup, traversant des contrées dont le sol est mou et recevant de nombreux torrents […] » – Strabon 1.3.7.

125 Hérodote Hist. 2.13-19, Hist. 2.41, Hist. 2.59, Hist. 2.97 et Hist. 2.179. Cette dénomination imagée n’était sans doute pas une invention d’Hérodote lui-même; l’historien grec précise d’ailleurs qu’elle était répandue chez les Ioniens, cf. Hérodote Hist. 2.15. À ce sujet, voir également F. Celoria (1966).

anciens appliquèrent essentiellement le terme « delta », dans son sens géographique, à l’embouchure du Nil. Bien plus qu’une simple configuration hydrographique, le Delta de l’Égypte – τὸ Δέλτα τοῦ Αἰγυπτίου – devint un toponyme régional. Quatre siècles après Hérodote, Diodore de Sicile explique ainsi l’origine du nom de cette région nilote : « ὁ δ’ οὖν Νεῖλος κατὰ τὴν Αἴγυπτον εἰς πλείω μέρη σχιζόμενος ποιεῖ τὸ καλούμενον ἀπὸ τοῦ σχήματος Δέλτα »126. Très rares sont en réalité les occurrences du terme « delta » ne se

référant ni au Nil, ni à la lettre grecque. Strabon et l’historien Arrien mentionnent certes la forme triangulaire – évoquant la lettre Δ – de l’embouchure de l’Indus, mais ces allusions se présentent explicitement comme des comparaisons directes avec le Nil et la région égyptienne nommée Delta127.En latin, bien que rarement utilisé, le mot « delta », lorsqu’il

ne se rapporte pas à l’alphabet, se réfère exclusivement au Nil. Tout comme dans les sources grecques, le terme ne correspondait donc pas à un environnement hydrographique particulier, mais plutôt à une région spécifique de forme triangulaire, à savoir l’embouchure du grand fleuve égyptien : « ita se findente Nilo ut triquetram terrae figuram efficiat,

ideoque mutli Graecae litterae uocabulo Delta appellauere Aegyptum »128. L’appellation

« delta » ne fut donc jamais utilisée dans les textes anciens pour référer aux bouches rhénanes. Ce terme étant en fait pratiquement réservé au Nil, les auteurs gréco-romains choisirent d’autres mots, d’autres expressions pour traduire la réalité environnementale du delta du Rhin. Sans avoir de vocables spécifiques leur permettant de définir et de signaler objectivement l’existence d’une zone deltaïque, les Anciens ont néanmoins su décrire la

126 « Mais en fait, le Nil, dans le bas de l’Égypte, en se séparant en de nombreuses parties, fait naître [une région] nommée Delta d’après sa forme » – Diodore 1.33. De même, Strabon 17.1.4 explique à son tour que la région située entre la mer et les deux bras extérieurs du Nil était appelée Delta en raison de sa ressemblance avec la forme de la lettre de ce nom : « γέγονε δὴ νῆσος ἔκ τε τῆς θαλάττης καὶ τῶν ῥευμάτων ἀμφοῖν τοῦ ποταμοῦ, καὶ καλεῖται Δέλτα διὰ τὴν ὁμοιότητα τοῦ σχήματος ». La dénomination de Δέλτα pour référer à l’embouchure du Nil se trouve également chez Arrien Anab. 6.17, Ptolémée Géo. 4.5, Pausanias Per. 6.26 et Polybe Hist. 3.49. En outre, voir Diodore 1.34 et 1.50 ainsi que Strabon 1.2.23- 25, 16.4.3, 17.1.3-6, 17.1.15, 17.1.18, 17.1.22-31 et 17.1.51.

127 Arrien Anab. 5.4 et 6.14, Strabon 15.1.13 et 15.1.33. La seule autre mention du mot « delta », dans son sens géographique, qui a pu être répertoriée dans les sources grecques est faite par Xénophon Anab. 7.1 et

Anab. 7.5; ce dernier signale une région de Thrace nommée Delta.

128 « le Nil, en se divisant, donne une forme triangulaire à la région et, pour cette raison, de nombreux Grecs appellent l’Égypte du nom de la lettre Delta » – Pline NH 5.9.48. Pour la mention du delta nilote dans les sources latines, voir également Pseudo-César Bell. Alex. 27, Pomponius Mela 1.9.49-53 et, plus tardivement, Ammien Marcellin 22.15.12. Par ailleurs, Pline NH 3.20.121 indique que le Pô avait une zone triangulaire à son embouchure tout comme la région appelée Delta en Égypte.

multiplication des bras du fleuve pour ainsi offrir l’opportunité à l’historien moderne de confronter les témoignages antiques avec les données des sciences paléoenvironnementales.

a. Configurations anciennes : l’apport des sciences paléoenvironnementales

Le caractère mobile et dynamique intrinsèque des milieux deltaïques entraîne une évolution environnementale constante qui complique la connaissance des deltas antiques et oblige une véritable reconstitution de leur configuration ancienne129. De nos jours, le cours

du Rhin, à son entrée dans les Pays-Bas, se divise entre trois défluents, soit le Waal – qui assume près de 67 % de la décharge fluviale totale, – le Nederrijn-Lek130 – qui en reçoit

environ 22 % – et l’IJssel – qui hérite des derniers 11 %131. Le Waal et le Nederrijn-Lek

poursuivent leur course vers l’ouest pour se joindre à la Meuse avant de pénétrer dans la mer du Nord alors que le cours de l’IJssel, plus petit, coule vers le nord dans l’IJsselmeer132. La configuration actuelle du delta s’articule donc autour des trois bras

principaux du Rhin – le Waal, le Nederrijn-Lek et l’IJssel – auquel s’ajoute la Meuse qui, par son embouchure commune avec le Waal, participe à la structure hydrographique de ce que les géographes modernes nomment, en toute cohérence, le « delta du Rhin et de la Meuse ». De plus, entre ces chenaux majeurs se dessine une multitude de branches fluviales secondaires découpant le territoire hollandais et contribuant à la configuration complexe du delta. Cette organisation deltaïque est relativement récente – aux yeux d’un antiquisant, – en témoigne par exemple l’évolution du cours du Lek qui n’est devenu un défluent

129 L’archéologue néerlandais H. T. Waterbolk (1981) considère d’ailleurs que le patrimoine environnemental et géologique des Pays-Bas impose une méthode archéologique spécifique – l’archéologie du delta – caractérisée par une étroite collaboration avec la géologie de l’Holocène.

130 Le Nederrijn – littéralement le « Rhin inférieur » – et le Lek sont aujourd’hui deux portions distinctes d’un même bras fluvial suivant une seule trajectoire et successivement nommées Nederrijn puis Lek à partir de la ville de Wijk bij Duurstede. Cette distinction hydronymique, en plus de refléter les spécificités hydrographiques des deux cours d’eau, trouve son origine dans la configuration passée du delta alors que – tel qu’il sera expliqué infra – la plus grande partie des eaux du Nederrijn ne s’écoulait pas vers le faible défluent que formait le Lek.

131 Cf. F. Preusser (2008), 13, H. J. A. Berendsen (2005a), 7, H. J. A. Berendsen (2005b), H. J. A. Berendsen et E. Stouthamer (2000), 312.

132 L’IJsselmeer – littéralement « lac de l’IJssel » – correspond en fait à l’ancien Zuiderzee, un golfe de la mer du Nord qui, en 1932, a été transformé en lac d’eau douce avec la construction de l’Afsluitdijk, une digue de 32 km séparant le nouvel IJsselmeer de la Waddenzee. Au sujet de la Waddenzee, cf. infra, note 173.

important du Rhin qu’à partir du Moyen Âge133. Au cours des derniers siècles, la montée du

niveau de la mer134, l’activité fluviale – principalement le phénomène d’avulsions135 – et

l’action humaine – canalisations, endiguements, drainage, etc. – ont sensiblement modifié la géographie du territoire et façonné de nouvelles structures fluviales. Cette versatilité du delta, marquée par une activité anthropique soutenue, rend de toute évidence impossible une reconstitution historienne du paysage deltaïque rhénan calquée sur la géographie actuelle de la région; l’apport des paléogéographes et des paléoenvironnementalistes est donc essentiel.

Cela s’entend, l’étude des environnements anciens profite sans cesse d’une interdisciplinarité fructueuse juxtaposant les efforts des géologues, géographes, archéologues, géomorphologues et autres spécialistes des paléoenvironnements. Toutefois, dans le contexte d’un milieu mouvant comme peut l’être un delta, le néophyte sera souvent confronté à des études scientifiques divulguant des résultats divergents ou des interprétations multiples. Chaque chercheur défendra inévitablement ses données, défendra

133 Les paléogéographes situent la formation du Lek au tournant de notre ère, entre 2000 et 1950 ans 14C BP (environ 25 avant notre ère et 45 de notre ère en années calendaires, après calibration). Toutefois, ce ne serait qu’à partir du début de l’époque médiévale, entre 300 et 700, que le Lek aurait accueilli un volume d’eau de plus en plus important lui permettant d’éventuellement devenir l’un des principaux défluents du Rhin. Pour la datation du Lek, cf. H. J. A. Berendsen et E. Stouthamer (2002), 107-108, H. J. A. Berendsen et E. Stouthamer (2001), annexe 3, 35, et annexe 4, 2, H. J. A. Berendsen et E. Stouthamer (2000), 329, H. J. A. Berendsen (1990), 244, A. G. Lange (1990), 16, P. A. Henderikx (1986), 455, H. J. A. Berendsen (1982), 184-185.

Il est à noter que les calibrations des datations radiocarbones en années calendaires – lorsqu’elles n’avaient pas déjà été faites par les auteurs – ont été effectuées grâce au programme de calibration radiocarbone CalPal conçu par l’institut de préhistoire et protohistoire de l’Université de Cologne, cf.

Cologne Radiodcarbon Calibration & Paleoclimate Research Package (CalPal). Universität zu Köln,

Institut für Ur- und Frühgeschichte, Radiocarbon Laboratory, http://www.calpal-online.de/, consulté en mars 2014.

134 Depuis la période romaine, le niveau de la mer s’est élevé d’environ deux mètres, entraînant un phénomène d’érosion du littoral. On estime que la côte a ainsi reculé de près de 400 m entraînant la disparition du paysage côtier d’époque romaine. Cf. M. van Dinter (2013), D. J. Beets et A. J. F. van der Spek (2000).

135 E. Stouthamer et H. J. A. Berendsen (2001) identifient pas moins de 34 avulsions – abandon naturel d’un chenal par un bras fluvial qui se déplace et forme un nouveau chenal – dans le delta du Rhin entre 3200 et 1400 cal BP (environ - 1250 à + 550). De même, E. Stouthamer (2001) a analysé la séquence des avulsions du delta rhénan et a pu en établir les causes, soit la montée du niveau de la mer, les mouvements néotectoniques, les changements dans la charge sédimentaire et la décharge fluviale ainsi que l’interférence humaine. Au sujet des avulsions, voir également M. van Dinter (2013), 19, E. Stouthamer, K. M. Cohen et M. J. P. Gouw (2011), B. Makaske, G. J. Maas et D. G. van Smeerdijk (2008), 333-334, H. J. A. Berendsen (2007), 172-173, B. Makaske, H. J. A. Berendsen et M. H. M. van Ree (2007), H. J. A. Berendsen (2005a), 20-22, H. J. A. Berendsen (2005b), H. J. A. Berendsen et E. Stouthamer (2002).

sa méthode, défendra ses résultats. Or, il reste que les démonstrations peuvent diverger, que les conclusions peuvent varier et que, en définitive, le non-spécialiste se retrouve naturellement dans l’impossibilité de trancher. Il est bien sûr complètement hors de mes compétences d’historienne de juger la valeur scientifique d’une étude paléoenvironnementale sur une autre; jamais je ne me risquerais à pareille présomption. Je laisse donc ces débats – voire ces querelles – aux spécialistes des sciences de la Terre et de l’Univers et me limiterai ici aux interprétations qui, peut-être conservatrices, semblent éviter l’écueil conjectural. Il est d’ailleurs difficile d’arrimer les reconstructions géomorphologiques du delta du Rhin avec le temps historique des sociétés. De telles reconstructions s’articulent souvent sur des échelles temporelles de plusieurs milliers d’années, ce qui limite – sans évidemment la rendre impossible ou inintéressante – la possibilité d’une confrontation systématique entre les études paléogéographiques et les données historiques. La confrontation est profitable à l’historien, mais il apparaît essentiel de demeurer réaliste quant aux limites qu’elle présente pour l’histoire des sociétés deltaïques antiques.

Consciente du décalage entre temps géologique et temps historique, je peux néanmoins suggérer une cartographie indicative – et plausible – du système hydrographique du delta romain au 1er siècle de notre ère dessinée à partir des données et des cartes

géomorphologiques produites par le département de géographie physique de l’Université d’Utrecht. Le travail de paléogéographie n’est donc pas le mien, mais bien celui des spécialiste de l’école d’Utrecht; mon apport cartographique s’est en réalité limité à un effort de synthèse des données géomorphologiques. Les cartes produites par les chercheurs de l’Université d’Utrecht superposent à la fois l’ensemble des structures géologiques du delta et l’ensemble des variations hydrographiques observées pour les différentes périodes géologiques. Leurs contenus s’avèrent souvent chargés et confus pour qui n’est pas familier avec les études géomorphologiques et paléogéographiques. Il m’a donc semblé pertinent et souhaitable de dessiner la carte suivante, épurée des données antérieures et postérieures à l’époque romaine, restreinte aux structures hydrographiques et adaptée aux besoins d’une analyse historique.

Figure 1 : Le delta du Rhin sous Auguste

Cette représentation géographique du delta rhénan au 1er siècle de notre ère – sans bien sûr

constituer un portrait indubitable – peut faciliter la compréhension des données diffusées par les études paléoenvironnementales. Elle permet également d’illustrer les certitudes, les théories et les hypothèses présentées par les spécialistes de l’hydrographie fluviale. Partant de la prémisse que le delta antique comportait forcément plusieurs branches – sans quoi il

ne s’agirait pas d’un delta, – l’existence, spécifiquement à l’époque romaine, des différents bras rhénans identifiés par les paléogéographes n’est ainsi pas toujours assurée.

Quelques certitudes hydrographiques : l’Oude Rijn et le Waal

Les sources paléogéographiques et historiques concordent : à l’époque romaine, tout comme aujourd’hui, le Rhin amorçait sa scission deltaïque – ce que les géographes appellent l’apex – légèrement en aval de la ville moderne de Lobith par la division de son cours en deux bras fluviaux, le Nederrijn vers la droite et le Waal vers la gauche. Or, les similitudes s’arrêtent ici puisque, contrairement à la configuration deltaïque actuelle, le Nederrijn ne s’écoulait pas dans le Lek et le Waal n’était pas encore le premier des défluents rhénans. En fait, pendant toute la période romaine, la principale embouchure du Rhin fut celle de l’Oude Rijn – littéralement le « Vieux-Rhin » – qui coulait dans la mer du Nord à la hauteur de la ville actuelle de Katwijk, près de Leiden136. Selon l’hydronymie

moderne, la trajectoire de ce bras rhénan était alors formée successivement du Nederrijn, du Kromme Rijn – littéralement le « Rhin courbé » – et de l’Oude Rijn. Ce système fluvial – Nederrijn-Kromme Rijn-Oude Rijn – prit naissance au 6e siècle avant notre ère et occupa

vraisemblablement une place prédominante dans la configuration du delta jusqu’à l’époque médiévale137. À la fin de l’Antiquité, le Nederrijn subit une bifurcation progressive de son

cours vers le sud-ouest qui entraîna la concentration de l’écoulement de ses eaux vers le Lek et lui permit de demeurer un défluent important du delta. À l’inverse, le Kromme Rijn – entre Wijk bij Duurstede et Utrecht – et l’Oude Rijn – en aval d’Utrecht – devinrent quant à eux des cours d’eau chétifs sans véritable effet sur la structure deltaïque. Leur décharge fluviale est encore aujourd’hui pratiquement nulle et présente donc une situation fort contrastante avec l’hydrographie antique. Bien que le couloir Kromme Rijn-Oude Rijn

136 H. van Londen et al. (2008), 13, H. J. A. Berendsen et E. Stouthamer (2002), 105-106, H. J. A. Berendsen et E. Stouthamer (2000), 324.

137 Selon les datations présentées par H. J. A. Berendsen et E. Stouthamer (2001), annexes 3 et 4, et généralement reprises par la majorité des auteurs, l’Oude Rijn serait devenu l’une des principales bouches du Rhin à partir du 5e millénaire avant notre ère (~ 5600 ans 14C BP), le Kromme Rijn aurait débuté sa sédimentation à la toute fin du 2e millénaire avant notre ère (~ 3000 ans 14C BP) et le Nederrijn se serait formé au milieu du 7e siècle avant notre ère (~ 2500 ans 14C BP).

demeurât toujours navigable en 780 selon le poète Alcuin138, sa prééminence fut

graduellement menacée au cours du Moyen Âge par l’émergence des bras méridionaux du delta, principalement par le Lek qui gagnait en importance. Les paléogéographes estiment ainsi que l’envasement de l’Oude Rijn commença au 8e siècle de notre ère pour devenir

relativement important à partir du 11e siècle. Par la suite, l’obturation du Kromme Rijn en

1122 à proximité de Wijk bij Duurstede dévia définitivement la décharge du Nederrijn vers le Lek, condamnant le Kromme Rijn et l’Oude Rijn à un flot dérisoire qui ne rend aucunement justice à leur prestige passé139.

De son côté, sans ravir à l’Oude Rijn son statut de principale bouche du delta rhénan à l’époque romaine, le Waal commença également à jouer à cette période un rôle majeur dans la structure hydrographique du delta. En fait, le cours actuel du Waal supérieur – en amont de la ville moderne de Tiel – daterait de l’Âge du fer, les spécialistes signalant une sédimentation fluviale dès la fin du 3e siècle avant notre ère140; la course actuelle de cette

portion du fleuve suivrait donc approximativement la même trajectoire qu’à l’époque romaine. Une telle adéquation entre itinéraire fluvial antique et moderne ne s’applique toutefois pas pour le Waal inférieur, situé en aval de Tiel, puisque la sédimentation du lit actuel débuta beaucoup plus tard, autour du 5e siècle de notre ère selon les paléogéographes

de l’Université d’Utrecht141. En fait, il semble que le cours inférieur du Waal suivît plutôt à

l’époque romaine une trajectoire parallèle à son parcours actuel, une trajectoire plus septentrionale correspondant approximativement au cours de la Linge dont la sédimentation

138 Alcuin Carmina IV (Poetae Latini Aeui Carolini, 1, 220-221). Dans ce poème, Alcuin relate le périple d’un navire depuis l’embouchure du Rhin (ostia Rheni) jusqu’à Utrecht (Traiect), puis Dorestad (Dorstada) et finalement Cologne (Agripina), un trajet nécessitant donc une navigation sur l’Oude Rijn et le Kromme Rijn.

139 Cf. H. J. A. Berendsen et E. Stouthamer (2002), 110, H. J. A. Berendsen et E. Stouthamer (2001), annexes 3 et 4, H. J. A. Berendsen et E. Stouthamer (2000), 324-330, P. A. Henderikx (1986), 455-456, 503-505, W. H. TeBrake (1985), 211.

140 2160 ± 60 ans 14C BP, soit ~ 230 avant notre ère en année calendaire, après calibration. Cf. W. J. H. Willems et H. van Enckevort (2009), 16, et surtout H. J. A. Berendsen et E. Stouthamer (2001), 240 et annexe 3, qui précisent également que l’histoire hydrographique du Waal est relativement complexe puisque la portion supérieure du fleuve suit ou croise une multitude d’anciens chenaux fluviaux rendant difficile la datation des échantillonnages.

141 Autour de 1625 ans 14C BP, cf. H. J. A. Berendsen et E. Stouthamer (2001), annexes 3 et 4, H. J. T. Weerts et H. J. A. Berendsen (1995), 207-209, T. E. Törnqvist (1993), 140-141. En fait, les différents échantillonnages réalisés dans le lit du Waal inférieur pour déterminer le début de sa sédimentation ont donné des datations variant entre 1815 et 1600 ans 14C BP. Selon Berendsen et Stouthamer, une datation entre 1655 ± 50 et 1600 ± 50 ans 14C BP – soit entre ~ 397 et 465 de notre ère, après calibration – semble la plus plausible en raison de la fiabilité des échantillonnages y étant associés.

débuta justement à la fin du 3e siècle avant notre ère à l’instar de la portion supérieure du

Waal142. Ainsi, si l’on accepte les résultats diffusés par les chercheurs d’Utrecht, il est tout

à fait possible de dresser un portrait de ce bras du delta à l’époque romaine : empruntant d’abord jusqu’à Tiel une trajectoire semblable à celle de son cours actuel, le Waal romain adoptait ensuite un itinéraire assimilable à celui de la Linge, puis confluait avec la Meuse avant d’atteindre la mer du Nord143. Ce ne fut donc qu’à la fin de la période romaine que le

cours inférieur de ce bras fluvial, grâce à un phénomène d’avulsion, s’aligna sur sa trajectoire actuelle.

Peu de débats majeurs entourent la localisation des deux principales embouchures du Rhin romain. Rares sont les polémiques portant sur la position centrale de l’Oude Rijn et du Waal dans la configuration deltaïque antique. Aucune étude ne semble contester l’importance du Waal et du couloir Nederrijn-Kromme Rijn-Oude Rijn dans le paysage du delta rhénan à l’époque romaine. Bien sûr, l’équipe de l’Université d’Utrecht continue d’étudier les chenaux anciens, d’identifier les nombreuses avulsions, de débattre sur la