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Hakim : « C’est la Suisse qui me demande de changer mon permis »

Le « cas » d‘Asante 

9.  Le rapport à l’Etat

9.2  Hakim : « C’est la Suisse qui me demande de changer mon permis »

 

Hakim,  originaire  d’Afghanistan,  m’explique  qu’il  va  déposer  une  demande  de  permis  B  « cas  de  rigueur » pour remplacer son permis F provisoire. Il est néanmoins important de rappeler qu’Hakim  suit deux formations de travaux manuels en parallèle. Par ailleurs, il est « famille d’accueil » pour son  plus jeune frère.   « Oui, parce que comme je suis tellement motivé, grâce à ça. La Suisse a vu que j’étais très motivé par  rapport à toutes les formations, et les deux apparts, c’est moi‐même que j’ai trouvé (après c’est les gens  qui m’a donné d’aide ça c’est clair), la plupart des gens, c’est la Suisse [ici l’aide sociale, soit l’Hospice  général  pour  le  canton  de  Genève]  qui  va  trouver  pour  eux  et  ils  sont  pas  vraiment  motivés.  Moi  j’ai  trouvé parce que j’ai un contact avec tout le monde. Après il y a plein de choses que j’ai trouvées sans  problème  et  la  Suisse,  ils  sont  super  contents  donc  c’est  eux‐mêmes  qu’ils  demandent  que  l’année  prochaine je vais changer mon permis. Donc dans 5 ans, parce que t’es obligé de rester cinq ans, donc  c’est en novembre 2020 qu’il va commander mon permis B. Là, permis F, c’est pour ça que je n’ai pas le  droit de sortir de Suisse. » (Hakim, 20 ans, en lien avec la famille Pareys) 

 

Comme  on  peut  le  lire,  Hakim  dispose  d’une  bonne  connaissance  des  conditions  requises  pour  déposer une telle demande, et on peut imaginer que des personnes attentionnées ou son avocat.e y  sont  peut‐être  pour  quelque  chose.  Les  propos  de  Hakim  montrent  aussi  une  fierté  certaine  de  ce  qu’il fait et qui témoigne de son pouvoir d’agir, de ses capacités en tant qu’acteur, de son agencéité  même si du fait du contexte juridique et de la structure sociale il devrait plutôt être considéré un être  passif ou dominé (Lems, Oester et Strasser, 2019). Le fait qu’il insiste sur sa motivation laisse aussi  entrevoir qu’il se plie à ce qu’il imagine être des critères d’intégration qui reposeraient aussi sur le  mérite, soit sur des régimes migratoires qui s’inscrivent dans une dynamique oscillante entre droit et  faveur (Fassin, 2016).     

9.3 Tesfay et la famille Cuénod : « Un avant et après la décision négative d’asile »   

  Célestin, Claudine et Pascal Cuénod me confient de manière univoque que leur engagement et leur  relation  avec  Tesfay  se  sont  établies  en  deux  temps.  Dans  un  premier  temps,  les  membres  de  l’entité‐relais  se  sentaient  animé.e.s.  par  des  objectifs  d’intégration  et  avaient  pour  objectif  d’accueillir Tesfay au sein de leur famille, apprendre à le connaître et réciproquement, partager des  repas,  jouer  ensemble,  etc.  Tesfay  avait  déjà  reçu  une  première  réponse  négative  concernant  sa  demande  d’asile  auprès  du  SEM,  néanmoins  sur  conseil  de  son  avocate,  il  avait  alors  entrepris  un  recours  auprès  du  Tribunal  administratif  fédéral  (TAF).  Lorsqu’il  a  rencontré  la  famille  Cuénod,  son  recours  au  TAF  était  pendant.  Lorsque  Tesfay  a  reçu  une  seconde  réponse  négative,  le  faisant  basculer dans la catégorie des déboutés du droit à l’asile (NEM), la position de la Famille Cuénod a  changé.  S’il  s’agissait  toujours  de  passer  du  bon  temps  avec  Tesfay,  il  devenait  aussi  urgent  de  se  donner d’autres missions pour réagir à cette décision juridique très négative.   

Célestin souligne ce  changement dans leur rapport et sur l’accompagnement et les échanges qu’ils  partageaient avec Tesfay.  

Il  explique  notamment  la  tournure  plus  pratique  et  plus  juridique  (les  papiers,  l’avocate)  des  démarches. Ce faisant, il remarque qu’aucun d’entre elles et eux ne se trouvaient très bien armé.e.s  pour aider efficacement Tesfay.  :  

« C’est vrai que nous, avec l’approche qu’on a eue avec Tesfay, il y a vraiment eu un avant et un après la décision  négative d’asile. Même, sur notre accompagnement et sur ce que nous on lui apportait concrètement en termes de  temps ou de ce qu’on fait quand on passe des moments ensemble ...ça a vraiment changé avec la décision négative.  Là  l’accompagnement  il  a  vraiment  complètement  changé  car  il  avait  vraiment  besoin  de  nous  pour  des  trucs  beaucoup  plus  pratiques.  Ou  par  exemple,  moi  j’étais  allé  avec  lui  au  CSP  pour  des  entretiens  avec  son  avocate.  Claudine, elle l’a aussi beaucoup suivi pour les démarches, pour les papiers. Tout ça c’est vrai que là y avait plus du  tout le même rapport. » Et il ajoute : « Bah tout le monde a eu ce même changement de rôle et c’est vrai que c’est  non seulement un rôle pour lequel  t’as  pas déjà signé47 de base. Ce n’est pas ce que t’as fait depuis le début du  projet et ce n’est pas forcément un rôle pour lequel t’es vraiment armé. » (Célestin, 24 ans, membre de la famille  Cuénod)   

Claudine  fait  état  de  la  même  constatation  sur  le  plan  administratif,  même  si  du  fait  de  son  statut  social  et  même  de  son  métier  d’avocate  elle  a  quelques  moyens  pour  comprendre  quoi  faire.  Aux  propos de Célestin, elle ajoute un aspect émotionnel : remonter le moral d’une personne quand on  est soi‐même très affecté :   « C’est ce que je disais aussi à d’autres familles‐relais, c’est qu’au début, quand on avait que le côté intégration, faire  des jeux de société, manger ensemble, c’était une partie de notre mission qui était très légère et très agréable. Mais  quand a commencé les ennuis pour lui, c’est vrai que cela est devenu plus lourd pour lui sur le plan administratif. Et  puis aussi je trouve sur le plan psychologique. Parce qu’il fallait aussi lui remonter le moral et en même temps nous  on était aussi très affectés. Puis, effectivement, après se dépatouiller dans ce magma judiciaire et administratif, je  veux dire et puis encore, nous on a encore un peu les contacts, on comprend bien ce qu’il se passe, on a les moyens  quand  même  de  compréhension  que  les  jeunes  forcément  migrants  n’ont  pas,  et  même  pour  nous,  c’était  quand  même vachement compliqué de savoir ce qu’il fallait faire. » (Claudine, 60 ans, membre de la famille Cuénod)    

Ainsi, les propos de Claudine et de Célestin se ressemblent. Lorsqu’elle et il se sont engagés dans ce  projet,  l’une  et  l’autre  considéraient  avant  tout  que  leur  « mission »  reposait  d’abord  sur  une  approche  plutôt  axée  sur  le  fait  de  « passer  du  temps  ensemble ».  On  peut  ainsi  imaginer  que  les  missions  auxquelles  elle  et  il  réfèrent,  relevaient  plutôt  du  registre  « humanitaire »  ou  de  l’« attestation » (Pette 2015). Leur action ne visait pas nécessairement à « transformer radicalement 

le système » (Vertongen, 2018 : 131), mais plutôt à encourager une adaptation à celui‐ci en offrant à 

Tesfay des moments « en famille ».    

Dans  le  cas  de  l’engagement  de  Pascal,  Claudine  et  Célestin,  ce  « choc  moral »  (Jasper  &  Poulsen,  1995 in Masson Diez, 2018 : 178) ou ce point de rupture est associé à la décision négative rendue à  Tesfay dans le cadre de sa procédure d’asile, en faisant de lui une personne déboutée (NEM) et de ce  fait une personne « expulsable » et sur la sellette. En effet, en raison de la nationalité érythréenne de  Tesfay,  un  gouvernement  avec  lequel  la  Suisse  ne  connaît  pas  (pour  le  moment)  d’accords  de  réadmission en cas de renvoi, Tesfay ne peut être renvoyé dans son pays d’origine.   

47  Aux prémices du projet, les premières entités‐relais auraient dû signer un contrat d’engagement, mais cette prérogative a  été abandonnée par l’équipe du SSI, car jugée finalement dérisoire.    

Les membres de l’entité‐relais changent donc de positionnement ce qu’elles et ils ne devraient pas  faire  puisque  « normalement »  les  entités‐relais  ne  devraient  en  principe  pas  s’impliquer  politiquement ou juridiquement comme le souligne Mélina (SSI) :     « On a mis un cadre au début assez rigide parce qu’on voulait voir comment ça évoluait et surtout à la demande de  l’Hospice [l’institution en charge du foyer de l’Etoile] et du SPMI parce qu’ils avaient peur que ça leur prenne  plus de  travail qu’autre chose. Qu’ils doivent à la fois gérer les jeunes, les encadrer, mais aussi les familles. Donc c’est pour  ça qu’il y avait pas mal au début, de règles ou des restrictions. Pour les trucs politiques, après de nouveau, on n’a pas  la main mise sur ce que les gens veulent ou ne veulent pas faire, on ne peut pas leur interdire de s’impliquer dans  une manif, ou dans une pétition ou autres pour des sujets qui leur tiennent à cœur, tu vois c’est.. Après c’était plutôt  le côté, tout ce qui concerne strictement la procédure d’asile, donc que ce soit une question de recours ou de prendre  des décisions et que là de  les informer qu’il existe quand même des services et un fonctionnement dans le système  d’asile genevois quoi. Avant qu’ils commencent à appeler plein d’avocats privés pour faire des trucs alors qu’il y a  déjà le réseau qui est là. » (Mélina, professionnelle du SSI)    

Cette  « règle »  est  par  ailleurs  inscrite  de  manière  formelle  dans  le  document  « FAQ,  famille‐relais  projet un set de plus à table Genève »:  

 

 

Source : FAQ famille‐relais, document transmis par Mélina (SSI) 

 

Ce  guide  de  réponse  a  été  édité  par  le  SSI,  sur  demande  du  SPMI.  Il  renvoie  donc  avant  tout  à  la  situation  des  mineur.e.s  qui  sont  de  facto  encore  protégé.e.s  et  pour  lesquel.le.s  les  entités‐relais  n’auraient en effet pas intérêt à agir directement au risque de plutôt prétériter le jeune. Comme on  le voit, le SPMI est dépendant du DIP s’occupant des mineur.e.s et ne veut agir que dans le cadre de  l’avocat  du  SSI  qu’il  délègue.  La  crainte  du  SPMI  c’est  de  compliquer  les  choses  en  multipliant  les  actrices et les acteurs ainsi que les démarches autour de chaque cas :  

« Mais  moi  justement  mon souci  au  début,  c’était  beaucoup  de  gens  se  mêlent,  veulent aider pour  les  papiers et en fait ça il ne faut surtout pas, ça ce n’est pas quelque chose pour laquelle il faut aider pour  les papiers. » (Bérangère, professionnelle du SPMI)  

 

Pourtant  pour  Claudine,  ces  prérogatives  du  SPMI  peuvent  s’avérer  parfois  contradictoires,  raison  pour laquelle elle semble presque ennuyée de s’y opposer :  

« Alors, en même temps on n’est pas censé le faire (je sais bien) puisque c’est ... voilà ils ont des avocats. Dans les  missions  des  familles‐relais,  il  n’y  a  pas  vraiment  cet  aspect‐là.  C’est  plutôt  l’intégration  dans  les  familles  et  tout.  Mais n’empêche que quand on a un jeune et puis qu’il vit ça, voilà il est chamboulé, il a des questions et on a de la  peine  à  y  répondre.  Au  moins  le  rassurer  ou  répondre  à  ses  questions.  Bien  sûr,  on  ne va  pas  faire  les  procédures  nous‐mêmes, mais disons de lui dire un petit peu qu’est‐ ce qu’il pourrait éventuellement se passer, alors je sais que  ces domaines qui sont très compliqués où il n’y a pas de réponses sûres et certaines, mais là j’ai trouvé qu’on était  démunis. Et en même temps, on nous dit qu’on doit faire des choses mais pas se mêler de certaines choses puis au 

final quand les liens se nouent, bah tout vient quand même sur la table. On ne peut pas tellement séparer comme ça,  et puis nous on est juste là pour...enfin je veux dire et puis si on est une famille, bah forcément que les problèmes on  les  partage.  Donc,  et  puis  ça  comme  problème  bah  cela  en  est  un  plutôt  monstrueux  donc  on  ne  peut  pas  faire  comme si cela n’existait pas.   Donc, là, cela devient un petit peu plus compliqué de trouver sa place, et de pouvoir donner des bonnes réponses et  on ne peut pas non plus rassurer le jeune en lui disant « tout va bien », on ne peut pas non plus vivre dans l’angoisse  avec lui. Donc, c’est vrai que c’est difficile de trouver la bonne attitude. » (Claudine, 61 ans, membre de la Famille  Cuénod)   

Cette  assignation  juridique  engendre  de  nombreuses  consequences  à  l’échelle  de  Tesfay.  Premièrement, comme le souligne G. De Coulon, les personnes frappées de cette catégorisation de  NEM sont « directement considérées comme clandestines et sont exclues de l’aide sociale : ce sont les 

prémices de l’aide d’urgence. » (De Coulon, 2019 : 36)  L’aide d’urgence est octroyée par les cantons 

à  la  demande  de  la  personne  déboutée  (LAsi  art.81).  Dans  le  canton  de  Genève,  c’est  l’Hospice  général qui en est la garante. Néanmoins, comme le stipule cette institution : « Pour obtenir une aide 

sociale  et/ou  financière  exceptionnelle,  les  personnes  doivent  s'annoncer  à  l'Office  cantonal  de  la  population et des migrations (OCPM) […]. L'aide éventuelle est accordée jusqu'à la décision définitive  de  l'autorité  compétente  en  matière  d'autorisation  de  séjour. »48  L’OCPM  délivre  alors  un  « papier 

blanc »49  aux  personnes  déboutées,  ce  « papier  blanc »  fait  office  de  pièce  d’identité  et  permet  de  justifier un accès à l’aide  d’urgence. Ce « papier »  se renouvelle une fois par jour, par semaine, ou  une  fois  par  mois.  Par  ce  biais,  ces  personnes  s’inscrivent  dès  lors  dans  une  forme  « d’illégalité  régulière » comme en témoigne l’ouvrage éponyme de G. De Coulon (2019), car elles sont connues  des  services  cantonaux  à  travers  leur  « papier  blanc »  leur  permettant  de  bénéficier  de  l’aide  d’urgence,  néanmoins,  elles  restent  illégales  au  sens  qu’elles  ne  bénéficient  pas  d’une  véritable  autorisation de séjour ni à l’échelle fédérale ni à l’échelle cantonale. Par ailleurs, comme le met en  lumière G. De Coulon, l’aide d’urgence est teintée d’ambivalence : « […] d’un droit constitutionnel au 

minimum  vital  à  un  instrument  de  dissuasion  qui  repose  principalement  sur  la  péjoration  des  conditions  de  vie  des  requérants  d’asile  déboutés.  Cet  instrument  est  aujourd’hui  principalement  utilisé comme encouragement pour les personnes illégalisées à quitter la Suisse ou à disparaître des  registres et budgets officiels. » (De Coulon, 2019 : 14). Il n’est toutefois pas sûr que dans le cas ex‐

RMNA,  cela  ne  soit  pas  tout  de  même  un  papier  et  ce  d’autant  plus  que  leur  entité‐relais  les  découragent  généralement  de  quitter  la  Suisse,  les  assurant  que  la  situation  ne  sera  pas  nécessairement  plus  facile  ailleurs  en  Europe.    Le  statut  de  NEM,  cet  instrument  de  dissuasion  fait  partie des démarches juridiques que l’on peut associer au registre de la répression (Fassin, 2016).  À  l’échelle de la Suisse, la dissuasion s’illustre également à travers des menaces de renvois, voire des  arrestations de police, du fait de l’illégalité de ces personnes (De Coulon, 2019).     Des menaces évoquées par Claudine :      « Et puis, si on n’avait pas eu des contacts avec ces familles‐relais qui étaient passées par là ... et elle  m’avait dit que quand ils sont convoqués pour aller à l’OCPM après le refus, il ne faut pas les laisser aller  tout  seul,  parce  qu’ils  leur  font  peur,  ils  leur  disent  qu’ils  vont  les  mettre  en  prison,  ou  en  détention 

48

 https://www.hospicegeneral.ch/fr/aide‐durgence‐etrangers‐sans‐permis‐hospice‐general, consulté le 22 octobre 2019   49

  Depuis  le  1er  mars  2018  à  Genève,  pour  recevoir  de  l’Hospice  général  le  montant  de  survie  que  constitue  l’aide  d’urgence, les personnes déboutées de leur demande d’asile doivent désormais passer par le Service asile et rapatriement  de l’aéroport (SARA) (situé en périphérie de la ville) avant d’aller faire tamponner leur papier blanc à l’Office cantonal de la  population et des migrations (OCPM). https://asile.ch/2018/06/30/geneve‐laide‐durgence‐un‐droit/, consulté le 22 octobre  2019  

administrative  en  vue  d’un  renvoi,  enfin  cela  dépend  du  fonctionnaire  devant  lequel  il  se  trouve,  pour  leur faire peur. [Cette autre famille‐relais dans le même cas] avait pu rassurer son jeune. S’il y va tout  seul et qu’il se voit en train de finir en prison, il risque de s’en aller. Il y a des fonctionnaires qui jouent ce  jeu‐là. On pourrait imaginer un peu une brochure ou une séance pour les gens qui se retrouvent face à  cela. » (Claudine, 60 ans, membre de la famille Cuénod)     En fait, d’après le bien connu ouvrage sur le pouvoir discrétionnaire des « street level bureaucrats »  (Lypski 1980), on s’aperçoit que, sans s’écarter des règles et du droit, les fonctionnaires bénéficient  de certaines marges de manœuvre qui peuvent néanmoins agir en poussant un.e jeune à disparaître  dans  la  nature  par  peur  d’être  mis.e  en  prison.    C’est  ce  que  Claudine  et  d’autres  membres  de  « famille‐relais »  ont  bien  compris  et  c’est  pour  cette  raison  qu’ils  ou  elles  sont  généralement  accompagné.e.s pour ne pas céder à la peur selon la manière qu’on les accueille. 

 

Conseillés par d’autres entités‐relais et ce à l’écart du SSI qui était censé les épauler, Claudine, Pascal,  Célestin  et  Tesfay  ont  alors  décidé  d’entreprendre  plusieurs  démarches.  Claudine  a  par  exemple  essayé de déposer une demande spéciale auprès du Comité des nations unies contre la torture (CAT),  sous la houlette du Haut‐commissariat des nations unies pour les droits de l’Homme50 pour dénoncer  et déclarer que la décision de renvoi prise par la Suisse envers Tesfay violait la Convention de l’ONU  contre la torture. Ce, car le renvoi est considéré comme illicite lorsqu’un individu est renvoyé dans  un  «  État  dans  lequel  il  risque  la  torture  ou  tout  autre  traitement  ou  peine  cruels  et  inhumains  »  (Constitution art.25 al.3) ou dans un contexte de « violence généralisée » (LAsi art.5 al.1).   

 

Une  autre  démarche  a  été  entreprise  au  niveau  collectif  car  nombreuses  et  nombreux  sont  les  Erythréens et les Erythréennes frappé.e.s de la même mesure, notamment liée au durcissement de la  procédure  d’asile  pour  les  Erythréen.ne.s  considéré.e.s  en  raison  d’une  décision  de  R.  Metzler  (Conseillère  fédérale  de  1999  à  2003)  et  C.  Blocher  (Conseiller  fédéral  de  2004  à  2007)  non  pas  comme une démarche d’asile mais comme un acte de désertion51. Un rapport52 a aussi été rédigé par  l’Observatoire  romand  du  droit  d’asile  et  des  étrangers  (ODAE)  faisant  état  de  ce  durcissement  à  l’égard  de  personnes  gravement  menacées en  raison  de  la  torture  que  ces  personnes  risquent  d’encourir en rentrant dans leur pays.  

 

Ainsi,  plusieurs  entités‐relais  et  également  des  personnes  civiles  ainsi  que  les  principales  et  principaux concerné.e.s se sont mobilisé.e.s afin de déposer une pétition pour le « Droit de rester des 

Erythréens  et  Erythréennes »53  adressée  au  Grand  Conseil  et  au  Conseil  d’État  genevois.  En  effet,  s’agissant d’une pétition, les signatures de celles‐ci ne sont pas soumises aux mêmes exigences qu’un  référendum  fédéral.  La  pétition  peut  donc  être  signée  sans  distinction  d’âge,  de  nationalité  et  de  statut. Cette pétition faisait effet de trois demandes principales54 :    

50  https://www.ohchr.org/FR/HRBodies/CAT/pages/catindex.aspx, consulté le 19 septembre 2019   51

  https://www.osar.ch/assets/herkunftslaender/afrika/eritrea/erythree‐service‐militaire‐et‐desertion.pdf,  consulté  le  12  septembre 2019  52  https://odae‐romand.ch/wp/wp‐content/uploads/2018/11/RT_erythree_web.pdf, consulté le 6 novembre 2019   53 https://asile.ch/wp/wp‐content/uploads/2018/12/DROIT‐DE‐RESTER‐POUR‐LES‐ERYTHREENNES‐ET‐ ERYTHREENS_14.12.18.pdf, consulté le 7 septembre 2019   54  Ibid.  

I. « De  ne  pas  exclure  de  l’aide  sociale  cette  population  jeune  et  pleine  de  perspectives.  L’aide  d’urgence les précarisera, quelle que soit l’issue de leur procédure.  

II. D’autoriser les Érythréennes et Érythréens déboutés à poursuivre leur formation dans le canton.   III. De  permettre  aux  Érythréennes  et  Érythréens  déboutés  de  pouvoir  exercer  un  travail  rémunéré  à 

Genève. »     La pétition fut signée par près de 4'000 personnes et a été déposée lors d’une manifestation qui s’est  tenue le 10 avril 2019 devant le siège des Nations unies à Genève, non loin du bâtiment de l’Union  Internationale de Télécommunication (UIT), où se réunit périodiquement le Conseil d’État genevois.  Cette pétition a par ailleurs été votée de manière favorable55 par le Conseil d’Etat au 13 septembre  2019. Les personnes concernées sont donc dans l’attente prochaine de voir ce qui sera mis en place  ou non à ce titre de la part des politicien.ne.s.