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Une promotion dans l’« urgence »

7.  Le point de vue des entités‐relais

7.1  Trajectoire de vie, décisions et moments clés

7.1.3  Au‐delà du bénévolat

 

Aucune entité‐relais n’a voulu comparer l’accueil d’un jeune migrant à du bénévolat, bien qu’elles ne  soient  pas  rémunérées,  ni  même  défrayées,  sauf  dans  le  cas  des  deux  familles  d’accueil  avec  hébergement. Ce n’est pas du bénévolat ni du travail gratuit, mais un engagement familial comme on  le ferait pour ses propres enfants et que l’on fait avec ses propres enfants, sans presque changer ses  habitudes. C’est ce que disent Isabelle et Yann, chacun.e. à leur manière :   « Oui, mais c’est au‐delà d’un bénévolat parce que cela ne commence pas à une heure, ni ne se termine à  une autre heure. Tu fais l’action et puis elle est finie. Là, c’est quelque chose de mille fois plus engagé que  ça, quoi. » (Isabelle, 47 ans, membre de la famille Tinguely)    « Non car je n’ai pas l’impression de faire un travail. Ce n’est pas un travail rémunéré, car cela n’est pas  un  travail.  C’est  plus  un  accueil,  c’est  normal. C’est  comme  je  suis  normalement  avec  simplement  quelqu’un d’autre dans la famille. Ce n’est pas un travail, on ne me demande pas d’être là de telle heure  à telle heure pour travailler gratuitement. C’est plus, il vient dans la famille et on fait des trucs ensemble.  Je ne fais rien que je ne ferais pas de base. » (Yann, 21 ans, membre de la famille Sandoz)    Célestin ajoute que ce type d’engagement n’est pas identifié ou vécu comme contraignant :   « Donc ce n’est vraiment pas un engagement que je trouve contraignant ou qui demande un quelconque  effort ou quoi. C’est juste devenu quelqu’un, c’est un ami avec qui je passe du temps quelques fois dans  la semaine. » (Célestin, 24 ans, membre de la famille Cuénod)    

Et  Célestin  de  comparer  cet  engagement  à  d’autres  qu’il  endosse  dans  le  cadre  de  l’Université  ou  d’une association :  

« Par rapport à d’autres engagements plus institutionnalisés ou au contraire, plus délimités. Je n’ai pas 

l’impression que ce soit assez important comme engagement. Surtout pour moi, il n’y a vraiment pas, ou  il n’y a jamais d’efforts. Je n’ai pas l’impression de devoir donner quelque chose, c’est juste par plaisir et  de  partage.  Ce  n’est  pas  quelque  chose  que  je  revendiquerai  comme  quelque  chose  que  je  fais  activement. Ce n’est pas que je donne de mes heures à la bonne cause, c’est juste que je passe du temps  avec lui quoi. » (Célestin, 24 ans, membre de la famille Cuénod)  

 

Cet  accueil  crée  un  lien  qu’il  est  facile  d’honorer  d’après  les  personnes  interviewées  et  selon   Bérangère, professionnelle du SPMI : « Je trouve que les familles‐relais, elles ont ça aussi de facilité,  c’est que ce n’est pas très très contraignant. ». Pour Elsa, en comparaison avec des cours de français  qu’elle a donnés dans un foyer du canton, elle trouve cette action plus humaine, elle considère que  la création de ces liens en font une forme d’aide plus impliquée : « Mais, non, je ne le considère pas  comme du bénévolat. Je le considère plus comme créer des liens ou comme un relais. »    

Dans  la  même  veine,  Ariane  donne  l’exemple  de  sa  fille  qui  donnait  des  cours  de  français  bénévolement à la Croix‐Rouge :  

« Par contre, il y a des cours de français et autres que font les bénévoles, mais aussi ça tourne, Estelle elle  a  fait  un  peu  de  bénévolat  avec  la  Croix‐Rouge  mais  on  ne  rencontre  pas  forcément  les  mêmes  personnes, il n’y a pas de liens qui se créent. Et moi je trouvais vachement intéressant l’histoire du lien,  de  l’habitude,  de  la  répétition,  du  même  endroit  et  du  lien. »  (Ariane,  55  ans,  membre  de  la  famille 

Sandoz)    

En fait, comme le met en exergue Ariane, l’entité‐relais c’est un engagement qui crée du lien, mais  du  lien  routinier,  permettant  que  l’attention  soit  toujours  posée  sur  la  même  personne  dans  un  contexte familial, lui aussi peu changeant.  

 

L’idée  que  ce  n’est  pas  assimilable  à  du  bénévolat  est  également  partagée  par  Carole  qui  sait  très  bien  faire  la  différence  entre  les  activités  de  bénévolat  auxquelles  elle  a  participé  et  le  lien  qu’elle  développe avec Semere :   « Colos, monitrices, j’ai aussi été engagée dans les écoles de mes gamins, j’étais au comité des parents, au comité de  la crèche, j’ai beaucoup fait ces trucs‐là. Plus un effort, faire fonctionner une structure, soulager la direction, créer  des projets d’école. Là, je ne suis pas dans un bénévolat, d’abord tu reçois beaucoup. Mais tu offres quand même de  ton temps pour une cause. Là, je n’ai pas l’impression que j’offre du temps. C’est : il est entré dans ma vie, et puis  moi dans la sienne, chacun à son échelle et ça ne me coûte pas. Des fois, ça me coûte, on ne va pas se mentir. Des  fois, le lundi, je sors du boulot, je suis naze et d’un coup, je sais qu’à 7h, il va débarquer. Alors que je pourrais me  faire la baleine sur mon canapé, . En tout cas, ce n’est pas du bénévolat, je trouve que cela n’a rien à voir. J’en ai  beaucoup  fait  donc  je  me  dis  que  ce  n’est  pas  du  tout  la  même  posture. »  (Carole,  48  ans,  membre  de  la  famille 

Moretti) 

 

Cela n’est donc pas un effort parce que cela ne coûte pas (sauf lorsque l’on est fatigué). En quelque  sorte, les personnes impliquées n’estiment pas donner quelque chose même si elles le font ou alors,  pour le dire autrement et de façon très crue, le retour sur investissement est immédiat dans les liens  qui  se  développent  avec  la  personne  migrante  accueillie  et  tous  les  membres  de  la  famille  accueillante.    Si ce n’est pas du bénévolat ni une tâche contraignante, c’est en revanche une activité qui s’étale sur  le long terme et implique une responsabilité pleine et entière :    « Je leur conseillerai de ne pas faire ça à la légère (même si personne ne fait cela à la légère) mais de  prendre conscience qu’effectivement ce n’est pas rien sur le plan affectif, ce n’est pas juste du bénévolat,  ce n’est pas juste donner du temps, et peut être qu’on croit au début que c’est juste ça : « je vais donner  un peu de temps et puis ça va passer, puis ce sera bien comme ça parce qu’au départ, c’est un peu ça »  mais c’est vrai que aussi l’aspect vraiment engagement sur long terme parce que c’est une personne. »  (Claudine, 60 ans, membre de la famille Cuénod)    

Cette  responsabilisation  se  retrouve  également  chez  Violette  qui  la  différencie  nettement  du  bénévolat auquel elle attribue une responsabilité moindre :  

« En fait, on a d’abord pris une décision ensemble à deux. Et aussi sur la responsabilité, parce que par  rapport au bénévolat où j’ai l’impression que l’on peut se retirer beaucoup plus facilement. Mais là, du  coup  on  a  vraiment  discuté,  on  s’est  demandé  si  on  avait  l’énergie,  les  ressources  en  temps,  en  motivation.  Justement  dans  l’idée  que  c’était  un  vrai  engagement. »    (Violette,  40  ans,  membre  de  la  famille Andra) 

 

D’ailleurs, Mélina (professionnelle du SSI) ne le cache pas, bien qu’une durée minimum soit formulée  au sein des documents du projet, celle‐ci s’avère être uniquement indicative :  

« C’est surtout bien sûr du moyen long terme, parce que nous si tu veux, comme condition, on demande  aux  familles  de  s’impliquer  9  mois,  mais  bien  évidemment  que  l’objectif  caché  (mais  qui  n’est  pas  vraiment caché, enfin que tout le monde sait, même les familles quand elles s’impliquent) c’est que cela  dure, enfin si ça prend et qu’il y a une relation qui se crée, forcément que cela va durer plus que 9 mois. A  moins, qu’il y ait un événement qui fait que… » (Mélina, professionnelle du SSI)  

C.  Sellenet  en  prenant  l’exemple  du  parrainage  de  proximité  pour  enfants,  montre  aussi  que  la  création de liens affectifs prolonge et cimente généralement un engagement d’abord pensé comme  limité :  

« Bien  des  couples  ou  des  personnes  sont  en  mesure  de  s’engager  mais  peut‐être  pour  une  seule 

année, dans un premier temps. L’attachement et la création de liens affectifs feront peut‐être le reste  pour que cela dure au‐delà de la durée initiale ». (Sellenet, 2006 : 150)       

 

De surcroît, le bénévolat se situe souvent dans un espace associatif extérieur tandis que le‐la jeune  migrant.e  pénètre  dans  l’espace  familial,  dans  la  sphère  privée  des  personnes  qui  l’accueillent.   Célestin le confirme :  

« Nous  dans  notre  expérience  à  nous,  il  y  avait  vraiment  l’aspect  famille.  Même  le  lieu  et  l’espace       « maison  »,  ça  s’est  vraiment  développé  en  partant  de  cette  condition  de  base.  Vraiment  le  rapport 

familial, à l’intégrer dans la famille et dans la vie de famille. Après ce n’est pas qu’il n’y a pas d’autres  moyens,  mais  pour  les  familles‐relais,  je  pense  que  cela  est  comme  ça  que  cela  marche  le  mieux. » 

(Célestin, 24 ans, membre de la famille Cuénod)    

Une sphère considérée par certaines et certains comme une zone relevant de l’intimité :  

« Et puis c’est quand même quelque chose de plus fort d’accueillir quelqu’un chez soi, que de … Chez soi,  bah  c’est  l’intimité,  il  n’y  a  pas  tout  le  monde  qui  vient  chez  nous.»  (Térence,  55  ans,  membre  de  la 

famille Sandoz)   

Comme le met en lumière L. Genini (2016) en s’appuyant sur Dorvil & Guèvremont (2013) : « L’usage 

de plus en plus courant de l’expression chez‐soi pour parler du lieu où l’on habite vient certainement  consacrer les dimensions proprement privées et intimes de l’habitation [… ]» (Dorvil & Guèvremont, 

2013 :  25  in  Genini,  2016 :  10)  Ce  lieu  est  mis  en  exergue  par  Célestin  (ci‐dessus)  qui  insiste  sur  l’espace  « maison »,  essence  même  de  l’accueil  à  ses  yeux.  Quant  à  Térence,  il  considère  l’intimité  comme un espace privé qu’il oppose à un lieu public accessible à « tout le monde ».  

 

Cette  intimité  est  aussi  identifiée  par  Elsa qui  avait  imaginé  faire  plus  de  sorties  culturelles  à  l’extérieur avec Senaït mais il s’est avéré que la jeune fille avait exprimé sa préférence pour leur lieu  de vie : « Et là, c’était vraiment chouette parce qu’il y avait ce truc où c’était vachement plus détendu 

et elle a très vite dit qu’en fait, elle préférait venir chez nous que d’être en extérieur. » (Elsa, 28 ans, 

membre de l’entité‐relais des copines)

 

 

Par  ailleurs,  l’espace  de  la  maison  donne  lieu  à  des  démonstrations  de  confiance  auprès  du  jeune,  comme le souligne Claudine qui a donné une clé de leur appartement à Tesfay pour qu’il puisse venir  nourrir leur chat durant leur période de vacances cet été. Une démarche qui inspire également une  occasion pour le jeune de témoigner d’une forme de contre‐don :   « Donc, maintenant j’ai décidé que j’allais lui donner une clé parce que cet été, il va venir habiter chez  nous quand on ne sera pas là. Donc, voilà, après je lui laisserai la clé et je lui fais totalement confiance  donc il pourra venir en sortant de l’école. Et prendre le wifi, ça c’est une bonne motivation ahah (rire)  mais  il  sera  mieux  dedans.  (Claudine,  60  ans,  membre  de  la  Famille  Cuénod)  Elle  surenchérit :  « Il  est  chez lui, chez nous. »  

 

Néanmoins,  ces  espaces  et  le  partage  de  ceux‐ci  peut  aussi  parfois  amener  à  de  légères  tensions comme me l’a confié Valentin :  

« Après, au niveau du temps et de l’espace, au début cela a pris beaucoup de temps et d’espace, après au bout d’un  moment, c’est aussi parce que moi j’ai demandé,  Avant, il venait par défaut dans ma chambre, il venait, il posait  sa  veste  et  ses  chaussures  dans  ma  chambre  et  puis  c’était  la  pièce  de  la  transition  pour  aller  dans  le  reste  de  la  maison, c’était ma chambre. Au niveau de l’espace, moi j’avais besoin de quand même pouvoir être tranquille dans  ma chambre même s’il était là,  bon parfois,  il discute avec les parents,  il  reste à table un peu plus longtemps, les  soirs où il est là, et du coup nous on va dans notre chambre, mais il vient nous dire salut, enfin quand il part. Ou alors  on reste tous ensemble à table. Donc, oui il y a eu quelques problèmes, enfin c’est un grand mot, mais après on en a  parlé et ça s’est réglé. Et ça va très bien finalement. » (Valentin, 17 ans, membre de la famille Tinguely)  

 

En  somme,  à  la  lecture  de  ces  propos,  on  peut  dès  lors  entrevoir  que  les  personnes  rencontrées  n’associent pas leur action à une forme de bénévolat, premièrement car celle‐ci se tient dans leurs  espaces privées (« maison »), soit dans leur intimité et sur un temps qui n’est de loin pas considéré  comme astreignant ; mais surtout elles évoquent la création d’un lien affectif important ; mais alors  quelle place les entités‐relais donnent‐elles aux personnes accueilli.e.s ?    

7.2 Faire famille ou ne pas faire famille 

   

Ce  chapitre  s’intéresse  à  comprendre  pourquoi  ces  personnes  ont  émis  un  plus  grand  intérêt  à  accueillir  un  adolescent  et  non  une  personne  adulte.  Découlant  de  cette  dynamique,  la  notion  de  « famille » et comment chaque entité‐relais lui donne du sens est explorée, notamment à travers les  différents  termes  de  référence  et  d’adresse  employés  au  sein  de  ces  différentes  relations.  Les  champs  de  tensions  sont  ensuite  mis  en  exergue.  Enfin,  l’avenir  certain  ou  incertain  de  ces  différentes liaisons est mis en lumière.  

 

7.2.1 Accueillir un « ado »  

 

Les  jeunes  migrant.e.s  considéré.e.s  sont  généralement  des  adolescent.e.s  bénéficiant  de  la  protection qui leur est due, comme mineur.e.s, dans le cadre de la protection des droits de l’enfant.  A  Genève,  un  projet  tel  que  « un  set  de  plus  à  table »  imaginé  par  le  SSI  concerne  donc  des  adolescent.e.s    et  jeunes  adultes  de  15  à  25  ans  qui  ont  été  placé.e.s  en  foyer  ou  disposent  d’un  logement de l’Hospice général ou parfois de leur propre appartement ou colocation. Dans d’autres  cantons, le même projet chapeauté par le SSI en collaboration avec d’autres associations concerne  aussi des adultes. De facto et comme nous l’avons vu dans l’historique du projet, ce sont souvent de  jeunes adultes qui sont accueilli.e.s par les entités‐relais.     Bien que les accueilli.e.s soient formellement des adultes si ils et elles ont plus que 18 ans, elles et ils  sont encore considéré.e.s comme des « ados », c’est‐à‐dire ni des enfants, ni de « vrai.e.s » adultes.  En conséquence, elles et ils sont accueilli.e.s comme des mineur.e.s même si ce sont des personnes  majeures sur le plan juridique comme on peut le constater dans l’énoncé de Claudine :   Oui, je pense parce que je pense qu’à cet âge‐là on a vraiment besoin encore (même si il était déjà un  tout  jeune  adulte),  on  a  encore  besoin  d’une  famille.  Enfin,  on  en  a  peut‐être  besoin  à  tout  âge.  Mais  quand  même, on  voit  bien  avec  les  jeunes d’ici,  à  18  ans,  t’as besoin  de  tes  parents,  t’as  besoin  de  ta  famille,  t’es  pas  ...  voilà  c’est  cette  période  qui  sépare  l’adolescence  vraiment  de  l’âge  adulte,  moi  je  pense qu’il y a quand même un âge, t’as beau être adulte sur le plan de la loi, t’es encore bien adolescent  quoi. Ouais, cela aurait été très différent si il avait eu 25 ou 28 ans mais je pense que cela aurait aussi été  très  différent  si  il  avait  eu  14‐15  ans  parce  que  y  aurait  eu  aussi  d’autres  besoins  en  termes  éducatif,  scolaire, et tout. (Claudine, membre de la famille Cuénod)