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Faire relais n’est pas un long fleuve tranquille

Une promotion dans l’« urgence »

7.  Le point de vue des entités‐relais

7.1  Trajectoire de vie, décisions et moments clés

7.2.6  Faire relais n’est pas un long fleuve tranquille

Si  la  plupart  des  entités‐relais  se  plaignent  très  peu  des  jeunes  qu’elles  accueillent,  certaines  ressentent  tout  de  même  des  difficultés  et  de  la  tristesse  à  ne  pas  arriver  à  une  bonne  relation  comme dans d’autres familles‐relais. C’est le cas d’Alexandre qui se rend d’ailleurs en partie compte  de ce qui pourrait expliquer les résistances du jeune accueilli31 tout en étant conscient qu’il n’arrive  pas à trouver le « bon » lien pour initier la relation :  

« Non, je ne pense pas. Je pense qu’on est à la… ça va un peu mieux maintenant mais à une époque, il était assez 

absent.  Donc  certaines  fois,  t’avais  l’impression  qu’il  n’était  pas  là.  Donc  c’est  un  peu  difficile,  donc  t’essayes  de  trouver des combines pour l’intéresser, l’intégrer… mais ça va mieux maintenant. Mais je pense qu’il y a un moment  où il a un peu dévissé. Il n’allait plus trop à l’école. On a essayé pas mal de faire un appui scolaire, tu vois. Alma a  même cherché des bouquins pour … ou lui a dit : « viens avec tes devoirs » mais il n’a jamais croché. Ouais, mais  physiquement il n’est jamais venu avec ses devoirs. Et puis il a fait une résistance passive parce que ce n’était pas un  truc qu’il attendait de nous. Visiblement il n’a pas envie d’être dans une relation où on l’appuie dans le cadre de sa  scolarité. [Il voulait] Une relation familiale plus que de répétiteur. Enfin, c’est lui qui sait et toi qui ne sais pas. C’est  peut‐être aussi la personne. Mais je me serais dit plutôt tout ce qui est bricolage, j’étais assez partant pour… mais ce  n’est pas du tout son profil. Et puis tout ce qui est artistique non plus. Je pense que lui il n’est pas très manuel. Il est  toujours  super  bien  saqué.  La  cuisine  on  a  essayé  de  l’intégrer  pour  faire  la  cuisine  ensemble  au  début  mais  c’est  compliqué. On lui a demandé de couper les oignons et puis il pleurait. Lui, il ne montre pas beaucoup d’intérêt… Ce  qui est assez frappant c’est qu’il est très cash : il dit « ouais j’aime pas ».  (Alexandre, 64 ans, membre de la famille  Torre, 6 juin 2019)   

31  Il semblerait aussi que le jeune homme se sente particulièrement mal au foyer de l’Etoile et que ce soit une des raisons  (oublier et bien dormir) qui lui fasse consommer du canabis. En fin de recherche, Alexandre m’a expliqué que l’entité‐relais  avait en accord avec l’éducatrice décidé « faire un break », donc d’interrompre au moins momentanément l’accueil.  

 

Alexandre m’avait alors confié en référence à ses absences qu’à plusieurs reprises Dawit n’avait pas  répondu  présent  à  certaines  invitations,  et  ne  les  avait  pas  prévenus,  comme  l’illustre  l’image  ci‐ dessus. En fait, la « résistance passive » évoquée par Alexandre renvoie, comme il le met en exergue  lui‐même, à l’idée qu’il existe une forme de pouvoir entre lui et ce jeune, notamment lorsque cela   avait trait au savoir (« [Il voulait] Une relation familiale plus que de répétiteur »). Ainsi la difficulté de  cette entité‐relais tient probablement aussi à ce que « leur » jeune refuse de se conformer et d’être  un « ado » modèle avec ses spécificités de façon à pouvoir continuer à se développer une identité.  M. Foucault l’a expliqué « Il n’y a  pas  de relation de pouvoir  sans résistance, sans échappatoire ou 

fuite,  sans  retournement  éventuel;  toute  relation  implique  donc,  au  moins  de  façon  virtuelle,  une  stratégie  de  lutte,  sans  que  pour  cela  elles  en  viennent  à  se  superposer,  à  perdre  leur  spécificité  et  finalement  à  se  confondre.  »  (Foucault,  1982,  n°306  cité  par  Bert  2014  :  7).  Certain.e.s.  jeunes 

migrant.e.s  (tout  comme  les  jeunes  « ordinaires »  d’ailleurs)  développent  leur  identité,  leur  subjectivation, en se conformant ce qui leur permet d’être bienvenu.e.s sinon admiré.e.s tandis que  d’autres ont besoin de résister.  

 

Isabelle qui a aussi à faire à un jeune migrant un peu résistant dans sa famille d’accueil et à d’autres  jeunes  migrant.e.s  dans  son  activité  professionnelle,  convient  aussi  que  se  conformer  n’est  pas  toujours  aisé :  « Je  sais  bien  que  c’est  extrêmement  astreignant  pour  eux  de  venir,  de  se  lever  à 

l’heure, de venir à l’école à l’heure, de respecter ces horaires donc toi quand tu leur donnes un rendez‐ vous avec  ou avec la famille‐relais ou finalement avec n’importe qui, tu leur poses une exigence  en plus qui les squeeze un peu, qui les contient et suivant comment, cela ne joue pas. (Isabelle, 47 ans,  membre de la famille Tinguely)     A propos de Mewael, elle précise encore :   « Il y a eu toute une phase assez au début quand on est passé en accueil, entre relais et accueil, au début  de l’accueil. C’était très très dur. Le fait qu’on lui mette nos règles familiales. Alors là, aussi on parlait de  l’argent  avant,  mais  par  rapport  aux  règles,  c’était  impensable  de  mettre  les  mêmes  règles  que  pour  Valentin.  Donc  jusqu’à  la  fin,  jusqu’à  sa  majorité,  on  n’a  jamais  su  –  en  tout  cas  pas  à  l’avance  mais  même après – où il sortait, avec qui et puis à peu près quand est‐ce qu’il rentrait. Pour lui, c’était une  notion  de  contrôle  et  de  perte  de  liberté  qui  lui  était  insupportable. »  (Isabelle,  47  ans,  membre  de  la 

famille Tinguely)    

Si les jeunes accueilli.e.s peuvent parfois résister aux injonctions des entités‐relais qui les reçoivent,  les  membres  de  la  famille  accueillante  peuvent  aussi  parfois  vouloir  se  rebeller  contre  la  place  qu’occupe  la  personne  accueillie :  Ariane  et  Yann  me  racontent  que  parfois  la  présence  d’Isaias  a  rendu jaloux Nelson (15 ans), car il pensait recevoir moins d’attention :   « Ouais, il a eu des phases de jalousie quand même. Les classiques de quand il y a un nouveau membre  dans la famille « genre j’ai peur qu’il me remplace. Flavio était un peu jaloux parce qu’on faisait un peu  plus attention [au nouveau venu]. » (Ariane, 55 ans, membre de la famille Sandoz)      Et Yann imagine que cela est aussi dû à son histoire : « Nelson, il est aussi dans une autre situation, il  a besoin de beaucoup d’attention. » (Yann, 21 ans, membre de la famille Sandoz)     Matis me confie que parfois il a été jaloux car il ne pouvait plus autant parler à table :  

« Ça c’était avec les parents quand il y a eu des tensions, c’était pendant l’été il y a deux ans. Et des fois  aussi un peu pendant les repas, pour les temps de parole… J’ai l’impression qu’il parle plus que moi et  moi aussi je veux parler. » (Matis, 12 ans, membre de la famille Tinguely)   Et sa mère note :   « Mais parfois j’avais un peu des remords à me dire « ah mais j’accorde pas assez d’attention à celui qui  va bien » et puis qui file droit. Et que je rétablisse aussi l’équilibre. (Isabelle, 47 ans, membre de la famille  Tinguely)    Cette concurrence ou cette jalousie entre les pairs a aussi été évoquée par Pascal à propos de l’une  de ses filles :   « Alors après t’as toujours les dynamiques de famille qui peuvent ressortir, ça pose aussi des problèmes.  Parce qu’à l’intérieur de la famille, on a aussi certains problèmes qui sont présents depuis un moment  avec notre fille aînée, qui a toujours ressenti difficilement le fait de devoir partager l’attention, l’affection  des  parents.  Donc,  elle  a  pu  exprimer  de  temps  en  temps  qu’elle  ressentait  Tesfay  un  peu  comme  un  concurrent.  Donc,  c’est  vrai  que  ça  change  quand  même  un  peu,  enfin  ça  a  une  influence.  Donc,  dans  l’équilibre  de  la  famille.  Oui,  ça  peut  faire  quelque  chose.  Et  elle  disait  ‘Donc,  oui  vous  avez  du  temps  pour Tesfay, mais vous n’avez pas de temps pour moi’. Point sur lequel on la rassurait. »  (Pascal, 61 ans, 

membre de la famille Cuénod)    

Ces  différents  énoncés  permettent  de  mettre  en  lumière  quelques‐uns  des  champs  de  tensions  auxquels  font  parfois  face  les  différents  membres  des  entités‐relais  dans  leur  relation  avec  le  jeune accueilli. 

 

 

7.2.7 Un jeune migrant pour un temps, des liens pour la vie  

 

Malgré  cette  autonomie  signe  de  leur  agencéité  et  comme  le  veut  la  formule  employée  par  l’Association  des  familles  d’accueil  avec  hébergement  s’occupant  d’enfants  placé.e.s  (voir  supra)  même  majeur.e.s,  les  jeunes  migrant.e.s  restent  en  lien  avec  leur  entité  d’accueil  et  celle‐ci  se  considère comme responsable presque à tout jamais de la personne accueillie y compris et peut‐être  surtout quand les choses vont mal et que leur statut se fragilise à l’instar de Tesfay qui a été débouté  dès sa majorité comme le déplore Claudine, qui l’a accueilli au sein de sa famille.  

 

Ce chapitre rappelle l’idée de se situer au‐delà du bénévolat car il s’agit d’une vraie rencontre où des  liens  sont  tissés.  Il  s’agit  donc  de  quelque  chose  de  plus  humain  où  l’on  s’engage  en  tant  que  personne et ce sur le « long terme », bien que les entités‐relais s’engagent officiellement au début  pour une durée de neuf mois.  

Une posture qui est soulignée par Claudine qu’elle entoure de la notion de famille :  

« Parce  que  ce  n’est  pas  un  engagement  que  tu  prends  à  la  légère.  Parce  que  je  trouverais  horrible,  enfin  affreusement, et même nocif et violent de faire croire à un jeune qu’il a une famille et puis de le laisser tomber. Avec  ce qu’ils ont vécu quoi. Et puis lui, il nous dit régulièrement : « maintenant j’ai une famille ». Mais je n’imaginais pas  que sur le plan affectif, ce serait aussi important. Mais peut‐être que cela ne l’aurait pas été avec un autre jeune ou  dans  d’autres  circonstances,  là  ça  se  trouve  que  je  me  sens  vraiment  maintenant  responsable.  Moi  je  me  rends  compte à quel point cela nous lie. Et il y a des engagements, c’est quelque chose d’extrêmement important que l’on  s’engage, et quand on s’engage, on s’engage jusqu’au bout. Et cela peut être quelque chose de très long et ce n’est  pas un problème, je veux dire, mais c’est important de le savoir. » (Claudine, 60 ans, membre de la famille Cuénod)