• Aucun résultat trouvé

Du « gré » au « vouloir vouloir »

2. ANALYSE CONCEPTUELLE

2.1.1. Du « gré » au « vouloir vouloir »

La volonté se dit d'un être humain. D'un animal la question est controversée. Un col-lectif humain peut en être prédiqué.

D'autre part, elle est interne, mais distinguée de soi puisqu'elle peut être possédée. Elle s'épuise en son énonciation: ai-je à dire plus que : « J'ai la volonté de ... » pour être compris comme voulant ceci? C'est bien ce qui la distingue de: « J'ai une Chevro-let ou un zona », voire de « J'ai la crainte que ... » où des indices corporels signale-raient l'état mental, ce qui est aussi le cas de la volonté, mais moins fréquemment. Par ailleurs, si : « Je n'ai pas peur de partir. » ramène à un état zéro, « Je ne veux pas

partir !» indique, non une absence volonté, mais une volonté négative.1

117On se reportera à l'œuvre d'Israel Scheffler et en particulier à ces deux ouvrages: SCHEFFLER Israel, Les

Condi-tions de la connaissance Une Introduction à l'épistémologie et à l'éducation, (1965), Coll. Philosophie de

l'Educa-tion, Librairie philosophique J. Vrin, 2011 et à : SCHEFFLER Israel, Le Langage de l'éducal'Educa-tion, Coll. Philosophie de l’Education, (1960), Ed. Klincksieck, 1989

118 L’objet nommé est le même, une fois nommé du point de vue de la langue : « sens », une autre fois par réfé-rence à l’esprit : « idée » avec la complexité étymologique de ce terme. L’indépendance ontologique du « sens » par rapport à l’ « idée » avec cet être intermédiaire qu’est le « signifié » est une chimère.

119 Le « concept » est un artefact, le « sens » une donnée ou objet d’observation.

120 Se reporter à : WITTGENSTEIN Ludwig, Leçons sur la liberté : de la volonté, Epiméthée, PUF, 2002 et CAMBRELIN

Elle tient de la matière puisqu'elle peut être précédée d'un partitif: « Il a de la volonté », et elle peut être distribuée en quantité discrète: « Ses dernières volontés ». Dans l'un et l'autre cas, une force est supposée.

Des verbes d'action la spécifient:« La volonté de gagner le Grand prix de Monaco ». Encore faut-il que l'action soit à la portée de l'être humain: la volonté de rougir de honte paraît impossible, celle de mourir possible: du suicide au laisser aller. On ne peut vou-loir que ce qui est à la portée de notre action.

Enfin, l'on peut avoir la volonté de vouloir. Autrement dit, se mettre en état de tendre vers un but ou redoubler la torsion du premier vouloir tant le but est éloigné de soi. En somme, la volonté est du ressort de l'homme ; elle lui est interne ; elle est perfor-mative ; elle se signale parfois par des états corporels ; elle est positive et aussi bien négative ; elle peut être prise comme un abstrait et comme des singularités ; elle est

une disposition121 ou elle est orientée vers une action dont l'homme peut être l'agent,

elle apparaît dans la clarté de sa conscience ; et elle peut se redoubler. Autant de traits distinctifs : humain/non humain, interne/externe ou esprit/corps, performatif/non per-formatif, avec des états corporels affectifs/sans états corporels affectifs, affirmation et négation/absence, discret/continu, conscient/inconscient, réflexivité/ non réflexivité. Nous y ajoutons les traits suivants issus de l’étude lexicale : obstacle/pas d’obstacle et calculable/non calculable.

Par ailleurs, selon l’analyse synchronique, la « volonté » est un alliage de quatre éléments qui s’opposent et se réunissent.

Les traits distinctifs, qui rêvent d’être au sens ce que les éléments sont aux corps dans le tableau de Mendeleïev, permettent de spécifier chacune des dimensions de la volonté ou chacune des entités que dénomme par commodité le terme de volonté. L’intention : forcément humaine et mentale, active sur une durée : elle mûrit, elle est souvent de « derrière la tête » ; c’est un désir transformé en jugement ressassé et à chaque instant reconduit ; elle est l’intention « de », donc orientée ; elle agit dès qu’elle

121 La notion de disposition renvoie à l'ἐξις d'Aristote, notion qui se relie à celles du possible, des capacités. Ques-tion on ne peut plus délicate du point de vue ontologique.

se forme : de rien elle n’a besoin pour être la visée de…, même pas d’états corporels qu’elle peut avoir cependant.

La décision tombe comme le dit en sous-main l’étymologie, - performativité, action et caractère discret; elle est le fruit obligé face à une résistance et calculé en ses raisons; elle est dite, du moins à ceux qui en sont concernés puisqu’on ne saurait indéfiniment la cacher sous peine d’entraver son objet ou de l’annihiler.

L’effort en effet appartient à l’homme : Cet effort est conscient et se marque souvent par des états corporels. C’est une action ou suite d’actions qui s’inscrivent dans une durée. Il est corporel, même s’il est mental, puisqu’il provoque de la fatigue. Il se justifie par l’opposition d’un obstacle : Souvent, il se calcule. Il est aussi bien un état : « Son effort a été louable ! » que discret : « Ses efforts lui ont valu le succès. ».

La force, enfin, elle sourd, elle est magmatique, - non consciente ni calculable, mais continue comme un champ de tension ou l’impetus ; humaine, elle échappe à l’homme et parfois s’impose à lui : « de gré ou de force » ; elle emporte tout obstacle.

TABLEAU 4: ANALYSE EN TRAITS SEMANTIQUES DU MOT VOLONTE

EFFORT INTENTION DECISION FORCE

Humain/Non-humain + + + +

Esprit/Corps _ + + +/-

Performatif/Non performatif _ +/- + _

Etat corporel affectif/Sans… + +/- _ +/-

Positif et négatif/Non réalisé _ + + _

Durée /Evénement + + - + Discret/Continu +/- _ + _ Action/ Contemplation + + + + Conscient/Non-conscient + +/- + _ Calcul/Non-calcul +/- + + _ Obstacle/Pas d’obstacle + _ + +

La volonté est spécifique à l’homme et à son action. Elle dure et souvent elle se sert du corps ou se signale par lui. Il lui suffit de se dire pour agir. Elle suppose un obstacle. Elle est souvent calculable parce qu’explicite, et réciproquement, donc consciente. Elle mêle acte : décision, peut-être effort s’il est acte répété, et état : force et intention. Ici, c’est la volonté aristotélicienne, non augustinienne. C’est l’action et non la disposition

acquise par l’entraînement.

Ces éléments ainsi distingués se réunissent cependant parce qu’ils concernent

l’homme et qu’ils ressortissent du domaine de l’action.122 Qui dit volonté, dit vie

pratique, ici réduite à la vie éducative. Entre la philosophie de l’esprit et l’éthique. La question reste de savoir s’ils sont distincts par raison ou en réalité. Des idées ou des mots discrets par nature, on ne peut conclure à la distinction réelle de ce qu’ils dénotent.

A ce champ de la volonté correspondent presque point par point des antonymes dont

certains désignaient, à lire Les Maladies de la volonté de Théodule Ribot123, autant

d’atteintes portées à la volonté. Ainsi l’effort dépend-il des humeurs lorsqu’il est inconstant et devient-il velléités. Il peut être renvoyé aux affres délicieuses de la procrastination ou s’abandonner à la paresse. La volonté peut aussi ne jamais émerger : l’idée n’aboutit pas à une intention et reste les bras ballants, esquissant une action possible, à moins que le moment de l’intention n’ait été emporté par la furie de l’action. A supposer l’effort possible et l’intention ferme, l’acte volontaire échouerait parce que la décision tournoierait de toquades en fantaisies ou elle s’enliserait dans les pour et les contre. Dernier antonyme : la faiblesse de la volonté qui est soit celle du sujet dont la force s’étiole au point de n’envisager aucune action : asthénie paralysante, soit parce qu’elle sait ce qu’elle doit faire, mais agit à rebours : acrasie coupable d’une action inverse. Dans chacun des cas, il s’en faut de peu que l’acte volontaire ne soit réalisé : des volontés contraires se heurtent à des volontés inabouties, entravées ou affaiblies. Mais, la volonté ne s’exerce pas à tout coup. Le sujet peut ne pas vouloir, soit au sens où rien ne lui importe, soit au sens où il refuse,

122Théodule Ribot parlait de « consensus » entre ces éléments : « Dans l’état normal, un but est choisi, affirmé, réalisé ; c’est-à-dire que les éléments du moi, en totalité ou en majorité, y concourent : les états de conscience (sentiments, idées, avec leurs tendances motrices), les mouvements de nos membres forment un consensus qui converge vers le but avec plus ou moins d’effort, par un mécanisme complexe, composé à la fois d’impulsions et d’arrêts. » p.82 in RIBOT Théodule, Les Maladies de la volonté, (1882), Bibliothèque de philosophie contempo-raine, Cinquième édition, Félix Alcan, 1888 ftp.bnf.fr/020/N0200995_PDF_1_-1DM.pdf

123 On aurait pu se reporter à cet ouvrage de DALLEMAGNE Jules : Pathologie de la volonté Encyclopédie scienti-fique des aide-mémoire, Masson et Gauthier Villars, 1898 et le contenu n’en aurait été guère différent.

et dans les deux cas on l’appellera nolonté124. TABLEAU 5: PATHOLOGIE DE LA VOLONTE SELON THEODULE RIBOT

VOLONTE Nolonté

EFFORT Inconstance, humeur, velléité, paresse, procrastination

Fatigue excessive 125 , attention troublée (Coleridge)126

INTENTION Aboulie

Impulsion incontrôlée 127 , extase et somnambulisme 128 , attention troublée (Coleridge)129.

DECISION Caprice, toquade, versatilité, indécision,

indétermination, fantaisie, hésitation. Irrésolution

130, folie du doute131, caprices132.

FORCE Faiblesse, impuissance. Aboulie (Thomas de Quincey).133

A ce tachisme conceptuel où les mots peignent, pris ensemble, la scène de la volonté, il manque le sujet. Et pourtant, certaines expressions et quelques verbes le désignent. On agit en effet « de gré à gré », ou « bon gré mal gré », ou encore « contre son gré »

124p. 682 in LALANDE André, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 1902-1923, Quadrige PUF, 3ème

édition, 2010, et article « Nolonté » et « Nolition » in Trésor de la langue française http://atilf.atilf.fr/den-dien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?92;s=3258827325;

125p.64 à 70 in LALANDE André, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 1902-1923, Quadrige, PUF, 3ème édition, 2010

126 p.104 pour une définition de l’attention in ibidem

127 p.75 : « Les actes sont inconscients (non délibérés au moins) immédiats, irrésistibles, … » in ibidem

128 p.124 à 146 Chapitre V L’Anéantissement de la volonté in ibidem

129 p.104 pour une définition de l’attention in ibidem.

130 p.35-36 in ibidem

131 p.59 in ibidem

132 Le chapitre 4 s’intitule en effet : « Le Règne des caprices ». p.111 -121 in ibidem

quand ce n’est pas « à contre-gré », voire « à contre-bon-gré »134. « De gré ou de force » le sujet pliera sa volonté. « Nolens volens ! » Et rien ne lui sera agréable. Fini d’agir « à sa guise », à sa façon, selon ses volontés. Toutes ces expressions visent la relation du sujet à l’action : la veut-il ? est-il indifférent ? peut-il agir comme il l’entend ? Et l’action de « vouloir » se dit de plusieurs manières : refus, effort, intention et décision. Les quatre dimensions sont retrouvées, à l’exception de la force. Mais la nolonté se dit par le refus. Cette diversité lexicale répond à la multiplicité des situations concrètes que la phénoménologie décrirait.

Il veut apprendre les identités remarquables Il refuse, il rechigne, il dédaigne.

Il apprend du bout des lèvres, il s’efforce, il essaie, il tente, il s’obstine à, il s’entête, il s’acharne.

Il rêve, il espère, il désire, il souhaite, il aspire, il brûle, il ambitionne. Il incline à, il consent à, il daigne, il décide, il ose.