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De quelques dictionnaires

1. ANALYSE DU MOT VOLONTE

1.1. LE MOT ET SA POLYSEMIE

1.1.3. De quelques dictionnaires

Le dictionnaire n'accède pas au ciel des idées. Il réfléchit son époque et reprend ses prédécesseurs. Il cartographie sens et emplois. Ainsi Furetière évoquera-t-il les débats de Port-Royal et l’exercice du pouvoir royal ; Richelet renverra à Malebranche et à l’honnête homme ; l’Encyclopédie cherchera la place de la liberté, mais parlera beaucoup de théologie, alors que Littré en dresse une carte apaisée où surabondent les citations et que Larousse hésite entre les matérialistes, Schopenhauer et le spiritualisme.

FURETIÈRE

La volonté se définit dans le Dictionnaire universel contenant généralement tous les

mots français, tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts69 d’Antoine Furetière comme une faculté, une puissance de l'âme. Elle a pour

opération de se déterminer, de poursuivre le bien ou de se détourner du mal vers lequel les passions l’entraînent. La liberté de la volonté est reconnue. Mais, surgit en filigrane le débat entre les volontés : l’homme ne peut s’affirmer contre Dieu, la volonté humaine obéira, Calvin le disait déjà. L’homme courra le risque de l’« indolence » et de l’« inaction ». En quelques mots, sont posés pas moins de quatre sujets de dispute: statut de la volonté, sa liberté, ses rapports avec l'entendement et les passions, le mal comme son objet possible.

Puis, l'article traitera de la volonté divine, qui est aussi « faculté de vouloir », actes de volonté, commandement, le monde divin reflétant presque celui des hommes. Il se

termine par le rappel de la querelle du monothélisme70 où s’associeront intériorité et

68 On se reportera aux propos d’Alain Kerlan : « L’étymologie n’est ni une explication avérée, ni un brevet de véra-cité herméneutique, et l’on n’a pas tout dit d’une idée quand on en a exhibé les racines étymologiques, ou retracé l’histoire sémantique et lexicale. Sans élever l’étymologie et l’histoire de la langue à une métaphysique, on ne peut toutefois méconnaître ce qui, de la pensée des choses, s’inscrit dans le vocabulaire, dans la langue et les mots. » in KERLAN Alain, Philosophie pour l’éducation, Collection pratiques et enjeux pédagogiques, ESF Editeur, 2003

69FURETIÈRE Antoine, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois, tant vieux que

mo-dernes, et les termes de toutes les sciences et des arts, Seconde Edition, Tome 2, p.1098 http://gal-lica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5795138h/f1116.image

70 On peut lire FORTHOMME Bernard, Les Aventures de la volonté perverse, Coll. Domaine Raison, Ed.Lessius, 2010 qui développe cet aspect et l’histoire de la volonté.

volonté.

La volonté, c’est aussi le « Bon plaisir » du Roi. Il faut s’y soumettre. Elle atteindra son absolu lorsque volonté et pouvoir s’équivaudront. La puissance royale traduira sans résidu ce qu’elle veut. Autre chose est la réalité du pouvoir ou son efficace.

Au début de l’article, rien ne pouvait contraindre la volonté, puis l’obéissance l’asservit et elle tombait sous le commandement divin et le bon plaisir royal. Et les dettes ne sont pas en mon pouvoir, mais dépendent de ma bonne volonté. Le droit réduisait d’un cran le peu de liberté subsistant. Bref, et dernière acception, la libre volonté ne pouvait que s’en remettre à la discrétion d’autrui.

Furetière développe ainsi l’histoire de l’asservissement de la volonté. D’une sommaire caractérisation empruntée à la psychologie philosophique courante, puis à une éthique générale, il la confronte à la théologie, à la politique et au droit.

RICHELET

Richelet ira plus vite et sera plus précis. Certes, la volonté est une faculté, mais elle n’agit qu’à propos de ce que l’intellect a déterminé. D’abord comprendre, ensuite vouloir. Aristote n’est pas loin. Richelet ajoute que la volonté est « un mouvement naturel vers le bien». La morale et l’inclination au bien ne sont pas affaire d’inculcation. Peut-être d’éducation négative. Et le lecteur est renvoyé à Malebranche, Recherche

de la Vérité, livre 1, chapitre 171 où il est question de la volonté qui ne peut se soustraire au bien. Richelet ajoute que certains lient volonté et désir, comme si elle n’était pas une faculté.

La prééminence de l’acte d’intellection est bien marquée et la volonté n’est pas libre puisque habitée par le bien seul, et une autre instance pourrait évincer l’intellection : le désir. La définition par Richelet de la volonté est économe en mots, mais souligne que la volonté est élan, qu’elle intervient après le bien qu’on ne choisit pas puisqu’il appartient par nature à l’homme, et après la raison. Il ajoute que l’honnête homme est doté d’une volonté « soumise à la raison. »

L’ENCYCLOPÉDIE

Quelques années plus tard, l’Encyclopédie72 traitait de la volonté en général et de la

volonté en Dieu, la première rangée dans la catégorie de Grammaire et Philosophie

morale, la seconde relevant de la Théologie, la première rédigée par Diderot, la

seconde d’auteur inconnu.

L’explication est d’abord philosophique. La volonté est sollicitée par un objet qui impressionne le sujet ou qui interpelle la raison. Le mouvement premier vient de l’objet. Suit la connaissance qui dit si cet objet est bon ou mauvais. La volonté, ainsi interpellée et instruite, en tirera les conséquences nécessaires: accéder au bien ou se détourner du mal. Elle est une puissance qui ratifie. Diderot insiste sur ce que l’on appellera plus tard l’intentionnalité de la volonté : l’objet est nécessaire et indique le moment de l’attention, entre l’impression et l’excitation de la crainte ou du désir. Pas de délibération, mais une reconnaissance.

L’article se poursuit dans le champ moral. La volonté agit pareillement pour chacun parce que la morale est une, pour peu que les conditions soient les mêmes. Et si l’on change d’avis, « c’est qu’il est tombé un atome sur le bras de la balance, qui l’a fait pencher du côté opposé. » Il se pourrait que la balance soit en équilibre, et, alors, la volonté est liberté. Autant dire jamais, puisque causes et effets s’enchevêtrent indéfiniment.

La définition de la volonté reste classique. La teneur éthique des objets est fixée de toute nécessité, la raison l’identifie, et la volonté obéit à la raison. Le sujet ne joue aucun rôle : tout se passe entre l’objet et les effets de l’action permise : crainte et plaisir. Le traitement théologique, long et à la fois sommaire, renvoie aux querelles vivaces du jansénisme. On y retrouve les termes des Provinciales. L’enjeu est de savoir si Dieu sauve les seuls élus ou tous les hommes, si la grâce suffisante au salut est conférée à tout le monde, enfants compris, ou aux prédestinés. Et il faut respecter une certaine logique : si Dieu n’a de volonté qu’efficace et qu’il est de fait que tous les hommes ne seront pas sauvés, la volonté divine est de signe, c’est-à-dire qu’elle est avertissement ou conseil. Pélagiens, Hugues de Saint-Victor, Duns Scot, Suarez et des théologiens

72 p. 454-455 in Encyclopédie, Volume 17, selon l’édition en ligne de l’Université de Chicago: http://artflsrv02.uchi-cago.edu/cgi-bin/philologic/getobject.pl?c.16:854.encyclopedie0513

modernes alimentent le débat, qui se conclut sur une position janséniste, voire calviniste : ne seront sauvés que les élus ! Dit en d’autres termes, la nature est déterministe.

En cet article, l’Encyclopédie n’aura guère innové. L’atmosphère a cependant changé. Le sujet a été relégué, la nature occupe la première place et les lois exercent leur empire. Les sciences tendent à devenir le référent dernier.

LITTRÉ

Avec Littré73, qui compose son dictionnaire entre 1847 et 1865, la volonté ne pose plus

problème. L'époque est au déterminisme.

Cinq angles de définition: la volonté comme puissance intérieure, les volontés posées par la volonté même, puis celles de Dieu, pour en arriver aux dernières volontés et aux caprices. Clôt l'article la volonté comme disposition. La volonté est force qui émane de soi, elle est inconnue en son fond. Sinon, elle est acte verbal puisqu'elle se résout en ordres, ou encore disposition: la bonne volonté, la mauvaise volonté.

Ainsi la liberté allait-elle d’emblée s’affirmer. La volonté, si elle reste une « puissance intérieure », détermine l’homme « à faire ou à ne pas faire ». Rotrou disait que « rien n’est tant à nous que notre volonté. » Mais, les citations hésitent encore. Parfois la raison l’emporte sur la volonté. L’extrait de Voltaire le dit avec la discrétion d’une négation : « Le sage Locke n’ose prononcer le nom de liberté ; une volonté libre ne lui paraît qu’une chimère ; il ne connaît d’autre liberté que la puissance de faire ce que l’on veut. »

Deuxième acception : la volonté comme acte, les volontés, imparfaites ou dernières, les demi-volontés. En somme, toutes ces volontés qui font la vie de l’homme, les romans et les pièces de théâtre. Elles ont la légèreté de la vie, rien d’empesé comme la volonté du théologien ou du philosophe et elles s’expriment ainsi : toucher la volonté, avoir de la volonté, …

La troisième subdivision concerne les décrets de Dieu. Et Tartuffe ouvre le ban ! Mais Pascal, Bossuet qui en appelle à Saint Augustin y mettront de l’ordre. Soumission à la volonté divine.

La liberté de la volonté est oubliée ici. Mais quel lecteur aura la patience d’aller jusqu’au milieu de la deuxième colonne ? On s’arrêtera à la première définition. L’essentiel est sauf. Le sujet est reconnu dans son intériorité : « puissance intérieure » ; l’homme n’occupe plus la première place : « … l’homme et aussi les animaux… »; la volonté est libre puisque Littré ne dit pas à quel critère elle obéit, s’il en existe.

LAROUSSE

Peu après, Pierre Larousse entreprenait dès 1864 son Grand dictionnaire universel du

XIXe siècle qui prit des allures d’encyclopédie. De la volonté, il en donnera deux

définitions et il adjoindra un long développement dont il retrace la philosophie.

La volonté est une « faculté de se porter librement vers certains objets, de se

déterminer à certains actes. »74 Parfois, par raccourci, elle est dite une « énergie »,

une « fermeté ». Ne pas avoir l’énergie de se battre, ne pas exercer sa faculté pour décider de se battre.

On peut envisager le résultat de l’exercice de la disposition : des actes de volonté ou, plus simplement, des volontés, qui iront jusqu’au caprice, jusqu’à la fantaisie.

Puis Larousse, ou l’un de ses 89 collaborateurs, examine expressions et proverbes, locutions et emplois spécialisés, de la jurisprudence au manège. Il fonde ses analyses sur de nombreuses citations, dont celle-ci: « La volonté nous détermine, Non l’objet ni l’instinct ; je parle et je chemine, Je sens en moi certain agent.» où La Fontaine pose avec justesse la question des rapports entre la volonté et le sujet.

La partie encyclopédique débute avec un recours abrupt à un matérialisme franc. Mais très vite, de peur que le lecteur ne soit rebuté, le spiritualisme imposera ses analyses. La volition appartient à la faculté de volonté qui n’est ni intellect ni sensibilité ni pouvoir d’agir et elle se résout en effort pour agir. Le moi, synonyme d’âme ou d’homme moral, en est la cause efficiente, mais limitée puisque le vouloir est souverain : rien ni personne ne dicte ce qu’il doit faire. Elle est libre, donc responsable. En elle prend naissance la moralité. Mais Larousse se dérobe à dire d’où elle tient sa validité et réaffirme l’identité entre le moi et la volonté. Il finit par poser la prééminence de

74 p.1177 in ibidem

l’intelligence puisqu’il faut savoir ce que l’on veut. Et il réintègre le corps : « La personne humaine, individuelle, concrète, résulte d’un certain rapport entre cette volonté idéale et les puissances organiques qui déterminent, qui circonscrivent, qui mesurent son être. »75

La volonté est donc décrite dans les étapes de son processus, l’attention définie comme « l’intervention de la volonté dans l’intelligence », Schopenhauer et sa volonté nouménale évoquée.

Travail lexical et exposé encyclopédique admirables. L’un épaule l’autre. La doctrine est classique, donc dérivée peu ou prou d’Aristote. Gravitent autour de la volonté l’effort et l’attention. Le kantisme n’est pas encore d’actualité et une perspective expérimentale trop audacieuse.