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CHAPITRE III LA GOUVERNANCE DANS LE TOURISME AUTOCHTONE :

3.1 Gouvernance : concepts et théories

Le terme « gouvernance » apparaît il y a plus d'un demi-siècle chez les économistes qui développent l'idée de la gouvernance d'entreprise (de l'anglais corporate

governance) comme les dispositifs mis en œuvre par la firme pour mener des

coordinations efficaces entre les différents partenaires (Leloup et collab., 2005 : 324). Depuis le début des années 1980, l'action publique s'est considérablement transformée en raison des injonctions du développement durable et de la décentralisation du pouvoir, surtout avec la montée des intercommunalités et la profonde réforme de l'État qui est devenu moins interventionniste et plus régulateur (Maurel et collab., 2014 : 60). Durant les deux dernières décennies, le concept de gouvernance a émergé dans le débat en sciences politiques et sociales en se concentrant en particulier sur le passage du gouvernement à la gouvernance (Davoudi et collab., 2008 : 33).

Il existe une différence entre « gouvernement » et « gouvernance », car le gouvernement renvoie aux institutions et aux actions de l'État, alors que la gouvernance permet aux acteurs non gouvernementaux, comme les organisations non

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gouvernementales, les entrepreneurs et les résidents locaux, d'être introduits dans le processus du développement (Adger et Jordan, 2009 : 11). L'imbrication de divers types d'acteurs et de divers niveaux de coopération et de décision a amené à transformer le concept de gouvernement en gouvernance, de sorte que les institutions du gouvernement ne possèdent plus le monopole d'une action publique qui relève aujourd'hui d'une multiplicité d'acteurs (Leloup et collab., 2005 : 323). Le gouvernement souligne donc la domination du pouvoir d'État représenté par des agences du secteur public et des procédures bureaucratiques, tandis que la gouvernance renvoie à l'émergence des relations complexes qui se chevauchent en faisant participer de nouveaux acteurs externes à l'arène politique (Davoudi et collab., 2008 : 33).

À ce sujet, Eagles (2009 : 231) définit la gouvernance comme un processus par lequel les sociétés ou les organisations prennent leurs décisions importantes, déterminent quels acteurs seront concernés dans ce processus et la façon dont ils participent à la prise de décision. Selon Eagles (2009 : 231), la gouvernance touche l'État, mais transcende l'État pour engager d'autres acteurs, comme les organisations non gouvernementales et les individus. Pour leur part, Dodson et Smith (2003 : 1) définissent la gouvernance comme « l'ensemble des structures, des institutions formelles et informelles et des processus par lesquels un groupe, une communauté ou la société prend des décisions, distribue et exerce le pouvoir, détermine les objectifs stratégiques, organise le comportement individuel, communautaire et entrepreneurial, développe les réglementations et attribue la responsabilité ».

En outre, Stoker (1998 : 24) estime que le processus de la gouvernance exige la reconnaissance de la diversité et de l'ampleur des solutions créatives que le secteur associatif peut apporter aux problèmes collectifs. Cette gouvernance, selon Stoker (1998 : 25), nécessite également la reconnaissance de la diversité des groupes qui « essaient d'influencer le gouvernement, mais aussi la diversité de ceux remplissant aujourd'hui des fonctions qui lui étaient traditionnellement réservées ». Par ailleurs,

Stoker (1998 : 20) souligne que la gouvernance fournit des cadres conceptuels qui aident les théoriciens à « poser des questions qui autrement ne leur viendraient peut- être pas à l'esprit » et que lorsqu'ils sont efficaces, ces cadres conceptuels « font naître des idées neuves, originales, que d'autres cadres ou d'autres analyses n'auraient peut- être pas produites ».

À ce sujet, Stoker (1998) note que la gouvernance n'est pas seulement un espace d'innovation, mais également un instrument du développement économique. Il se réfère à « l'économie sociale », qui est un secteur entre l'économie du marché et le secteur public (Stoker, 1998 : 24). Cette économie sociale concerne la société civile représentée par les organisations non gouvernementales, les organisations collectives autochtones, les organismes à base communautaire qui travaillent sur des questions socio-économiques comme la justice sociale et la lutte contre la pauvreté (Stoker, 1998 : 24). En parlant de l'économie sociale, Stoker (1998) ajoute un aspect social au développement économique. Selon lui, un développement économique doit s'intéresser, à part augmenter le PIB et les autres chiffres macroéconomiques, aux questions de la justice sociale et de la lutte contre la pauvreté (Stoker, 1998).

Dans le même contexte, Leloup et collab. (2005 : 322) soulignent que la gouvernance est une notion économique, car elle rentre dans le processus de coordination entre les acteurs afin d'organiser une activité économique. En revanche, de Alcántara (1998 : 109 cité dans Lequin, 2001 : 75-76) estime que la gouvernance est un processus politique « pour dégager un consensus ou obtenir le consentement ou l'assentiment nécessaire à l'exécution d'un programme dans une enceinte où de nombreux intérêts divergents entrent en jeu ».

En outre, Dodson et Smith (2003 : 1) notent qu'une « bonne gouvernance » doit comporter quatre critères. Le premier critère est la légitimité du processus selon lequel les structures de gouvernance ont été créées, les dirigeants ont été choisis ainsi que le

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degré de confiance entre les électeurs et les élus (Dodson et Smith, 2003 : 2). Le deuxième critère est le pouvoir juridique et culturel reconnu pour promulguer les lois, les appliquer et pour régler les conflits (Dodson et Smith, 2003 : 2). Le troisième critère de la bonne gouvernance comprend les ressources économiques, culturelles, sociales, naturelles et technologiques nécessaires pour l'établissement et la mise en œuvre des dispositifs de la gouvernance (Dodson et Smith, 2003 : 2). Quant au quatrième critère, il concerne la responsabilité des personnes au pouvoir de se justifier et de faire connaître au public leurs actions et leurs décisions (Dodson et Smith, 2003 : 2). Par contre, Beaumont et Dredge (2010 : 8) estiment qu'une « bonne gouvernance » est un concept dialectique qui ne peut pas être parfaitement défini et qui dépend des acteurs et des groupes concernés dans le processus de la gouvernance, de leurs aspirations, de leurs valeurs et des décisions qu'ils prennent sur des questions telles que la transparence, la participation, le partage des connaissances et l'équité.

Plusieurs éléments ont créé l'émergence du concept de gouvernance, dont la crise budgétaire dans les démocraties occidentales, la définition de nouvelles stratégies pour la production et la distribution des services, le besoin de coordination entre les secteurs public et privé, la mondialisation économique, l'importante croissante des institutions politiques transnationales, la restructuration profonde de l'État et le changement de son rôle pour être modérateur entre les différents acteurs (Davoudi et collab., 2008 : 33- 34). Dans ce contexte, des relations négociées et non hiérarchiques ont été créées entre les institutions sur le plan transnational, national, régional et local (Grammond, 2009 : 939). Cela a mené à une perte continue des fonctions sur le plan national tandis que le plan local semble être plus en mesure de développer des trajectoires du développement économique au sein du système mondial (Davoudi et collab., 2008 : 33-34).

Par ailleurs, l'émergence de la gouvernance est due au fait que, pendant longtemps, les politiques verticales conçues du haut vers le bas n'avaient pas réussi à réaliser les objectifs du développement (Jean et Bisson, 2008 : 539). Ces politiques étaient souvent

refusées par les citoyens parce qu'elles ne répondent pas à leurs besoins (Giband et Siino, 2013). Cela a donné naissance à la théorie moderne de la gouvernance, selon laquelle « la démocratie représentative tente d'introduire des éléments d'une démocratie participative en mettant en place des mécanismes institutionnels de consultation pour prendre en compte les points de vue des citoyens, des acteurs sociaux, des usagers et des bénéficiaires dans l'élaboration même des politiques publiques et l'offre de services gouvernementaux » (Jean et Bisson, 2008 : 541). Les politiques du développement du haut vers le bas sont ainsi remplacées par d'autres, conçues du bas vers le haut (Jean et Bisson, 2008 : 539). Très décentralisées, ces politiques visent à maximiser la participation des citoyens dans la gestion de leur territoire (Jean et Bisson, 2008 : 539). Il s'agit ainsi d'un modèle néolibéral de gouvernance, ou comme le nomment Giband et Siino (2013 : 156), une « gouvernance à distance » caractérisée par un « retrait de l'État qui s'extrait des territoires pour mieux les gouverner ». Conformément à ce modèle, le citoyen, qu'il soit habitant ou usager, est l'acteur principal du changement (Giband et Siino, 2013 : 159). Le pouvoir devient décentralisé et la décision se déplace de l'État au citoyen local (Lequin, 2001 : 85-86). Dans le cadre de cet agenda décentralisé, l'approche du développement communautaire préconise que le changement doit être de l'intérieur des communautés et non de l'extérieur (Wearing et collab., 2005 : 432). Ainsi, le pouvoir de prise de décision associé à ce changement devrait être dirigé et contrôlé par la communauté (Wearing et collab., 2005 : 432). Comme cette négociation exige un équilibre du pouvoir entre l'État et les acteurs du territoire, le rétablissement des positions devient nécessaire dans la gouvernance territoriale participative.

La gouvernance territoriale participative est un processus d'action collective basé sur le dialogue entre les différents acteurs, qui prend en compte la divergence d'intérêts afin de parvenir à un accord entre eux, c'est-à-dire démocratiser la gestion (Plante et collab., 2009 : 176-177). La gouvernance territoriale participative se repose donc sur une conduite collective responsable de tous les acteurs territoriaux selon un modèle de

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partenariat dans le but d'une gestion intégrée des ressources qui prend en compte les conséquences environnementales et sociales du développement touristique (Gagnon, 2006 : 331).

Selon la perspective de la gouvernance territoriale participative, les territoires ne sont pas seulement des espaces de localisation des affaires, mais également des ressources et des identités locales qui pourraient constituer des avantages concurrentiels qu'on doit valoriser et enrichir (Davoudi et collab., 2008 : 34). La gouvernance territoriale participative renvoie donc à l'implication croissante des acteurs locaux – privés, publics et associatifs – dans le processus du développement (Leloup et collab., 2005 : 322). Dans ce contexte, elle est considérée comme la capacité de fusionner les différents intérêts territoriaux afin de les présenter aux acteurs externes sous forme de stratégies plus unifiées (Davoudi et collab., 2008 : 35). La gouvernance territoriale participative doit donc se reposer sur un réseau de connexions entre les différents acteurs territoriaux et un flux d'informations qui circulent dans ces réseaux afin d'élaborer une stratégie commune (Leloup et collab., 2005 : 328). Ceci implique des négociations, des compromis et des alliances entre les groupes et les acteurs divers qui possèdent des responsabilités et des compétences partagées, quand même disputées (Leloup et collab., 2005 : 329). En analysant les différents écrits sur la gouvernance, on peut identifier trois types de décentralisation du pouvoir, qui sont : la déconcentration, la délégation et la dévolution.

3.2 Types de décentralisation du pouvoir dans la gouvernance

Le premier type de décentralisation du pouvoir dans la gouvernance est la déconcentration, où « l'État central garde ses pouvoirs et responsabilités pour une fonction spécifique, mais fait exercer/exécuter cette fonction en dehors de la capitale » (Boulenger et collab., 2012). Les responsabilités de l'État sont ainsi transférées vers