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CHAPITRE I PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE

1.2 Droit des autochtones à leurs terres ancestrales

En fait, le droit des autochtones à leurs territoires ancestraux faisait toujours l'objet de négociation et parfois de conflit entre les populations autochtones et les gouvernements. Considéré par les peuples autochtones comme un moyen de survie physique et culturelle, le respect de leur droit à la terre est une préoccupation fondamentale qu'ils apportent constamment à des forums internationaux (Stamatopoulou, 1994 : 73; Davis, 2008 : 439). À ce sujet, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones souligne que « les peuples autochtones ne peuvent être enlevés de force à leurs terres ou territoires. Aucune réinstallation ne peut avoir lieu sans le consentement préalable – donné librement et en connaissance de cause – des peuples autochtones concernés et un accord sur une indemnisation juste et équitable et, lorsque cela est possible, la faculté de retour » (ONU, 2007 : Article 10). De plus, l'article 26 de cette déclaration annonce que : « Les peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu'ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu'ils ont utilisés ou acquis. Ils ont le droit de posséder, d'utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu'ils possèdent parce qu'ils leur appartiennent ou qu'ils les occupent ou les utilisent traditionnellement ainsi que ceux qu'ils ont acquis. Les États accordent reconnaissance et protection juridiques à ces terres, territoires et ressources. Cette reconnaissance se fait en

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respectant dûment les coutumes, traditions et régimes fonciers des peuples autochtones concernés » (ONU, 2007 : Article 26).

Dans le même contexte, la Convention (no 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, adoptée en 1989 par l'Organisation internationale du Travail, prévoit que : « Les droits de propriété et de possession sur les terres qu'ils occupent

traditionnellement doivent être reconnus aux peuples intéressés. En outre, des mesures doivent être prises dans les cas appropriés pour sauvegarder le droit des peuples intéressés d'utiliser les terres non exclusivement occupées par eux, mais auxquelles ils ont traditionnellement accès pour leurs activités traditionnelles et de subsistance. Les gouvernements doivent en tant que de besoin prendre des mesures pour identifier les terres que les peuples intéressés occupent traditionnellement et pour garantir la protection effective de leurs droits de propriété et de possession » (OIT, 1996-2017 : Article 14).

L'article 14 de la Convention (no 169) règle deux situations différentes. Dans la première, les autochtones occupent exclusivement leur territoire. Dans ce cas, ils ont le droit de détenir leurs terres ancestrales. Dans la deuxième situation, les autochtones partagent leur territoire avec des non-autochtones. Dans ce cas, le droit d’avoir accès à leurs terres ancestrales pour exercer leurs activités traditionnelles doit leur être assuré. Par ailleurs, l'article 15 de la Convention (no 169) règle les systèmes de gouvernance et les modes de gestion des ressources naturelles dans les territoires autochtones. Il souligne que :

« Les droits des peuples intéressés sur les ressources naturelles dont sont dotées leurs terres doivent être spécialement sauvegardés. Ces droits comprennent celui, pour ces peuples, de participer à l'utilisation, à la gestion et à la conservation de ces ressources. Dans les cas où l'État conserve la propriété des minéraux ou des ressources du sous-sol ou des droits à d'autres ressources dont sont dotées les terres, les gouvernements doivent établir ou maintenir des

procédures pour consulter les peuples intéressés dans le but de déterminer si et dans quelle mesure les intérêts de ces peuples sont menacés avant d'entreprendre ou d'autoriser tout programme de prospection ou d'exploitation des ressources dont sont dotées leurs terres. Les peuples intéressés doivent, chaque fois que c'est possible, participer aux avantages découlant de ces activités et doivent recevoir une indemnisation équitable pour tout dommage qu'ils pourraient subir en raison de telles activités » (OIT, 1996-2017 : Article 15).

En revanche, alors que les terres et les ressources naturelles sont pour les peuples autochtones une question fondamentale, tant sur le plan physique que sur le plan culturel, ils sont au même moment au centre des intérêts économiques, politiques et même militaires perçus par les États (Stamatopoulou, 1994 : 74). Par conséquent, les États, sous pression internationale, accepteraient plus facilement de respecter les langues ou les religions autochtones. Par contre, les terres et les ressources naturelles continueraient d'être les champs de bataille et même des guerres sales et non déclarées contre les peuples autochtones (Stamatopoulou, 1994 : 74).

Ainsi, loin d'être de l'histoire passée, la saisie des terres autochtones par les États continue ainsi que leur saisie par des acteurs privés (Stamatopoulou, 1994 : 74; Mollett, 2016 : 412, 416). Dans plusieurs territoires, les autochtones estiment qu'ils perdent progressivement le contrôle de leurs terres ancestrales (Narayan et collab., 2000 : 50). Dans certaines régions, les allochtones obtiennent un titre sur les terres des peuples autochtones en connivence avec des représentants gouvernementaux peu scrupuleux (Narayan et collab., 2000 : 50). Des centaines de milliers de peuples autochtones du monde entier sont obligés de fuir leurs territoires et de mourir ou de se retrouver en tant que réfugiés démunis ou habitants de bidonvilles aux abords des villes (Stamatopoulou, 1994 : 74). La désignation des plus de 30 000 aires protégées couvrant près de 9 % de la surface terrestre mondiale a créé une nouvelle pauvreté dans plusieurs territoires

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autochtones (Sofield et collab., 2004 : 1), ceci en raison des restrictions imposées aux systèmes traditionnels d'utilisation des terres – souvent des minorités autochtones – sans autres possibilités de développement classiques, car les zones qui leur étaient déjà ouvertes sont fermées ou protégées (Sofield et collab., 2004 : 1).

C'est dans ce contexte que le tourisme a été utilisé par les communautés autochtones comme un moyen d'assurer leurs droits de propriété de leurs terres ancestrales et d'établir un « sentiment d'intendance » (de l'anglais a sense of stewardship) parmi les résidents locaux (Coria et Calfucura, 2012 : 52). L'objectif des communautés autochtones était de « sécuriser » les ressources naturelles et le développement local dans les limites des lois et des procédures nationales (Coria et Calfucura, 2012 : 52). Le tourisme écologique lié aux revendications territoriales a également empêché et limité l'incursion d'activités perturbatrices dans les aires protégées, comme dans le cas des activités minières et du forage pétrolier rapportées dans le refuge faunique national Arctic, en Alaska (de l'anglais Arctic National Wildlife Refuge in Alaska) et dans le parc national de Kakadu en Australie (Coria et Calfucura, 2012 : 52). Il a également provoqué l'occupation des zones montagneuses au Népal, au Pérou ainsi que des régions de la vallée au Zimbabwe par les migrants agricoles autochtones (Coria et Calfucura, 2012 : 52). C'est pourquoi Fletcher et collab. (2016 : 1107) estiment que le contrôle des autochtones sur leurs terres ancestrales est influencé par la nécessité de renforcer l'identité culturelle et l'autosuffisance économique avec une cogestion étroitement liée à leurs droits fonciers, à leur autodétermination, à la préservation de leur culture et à l'acquisition de compétences et de connaissances.

Ainsi, les autochtones, en s'engageant dans le secteur du tourisme, ne cherchent pas seulement les profits économiques, mais visent aussi des bénéfices socioculturels (Notzke, 2006 : 115). Selon l'OMT (2002 : 22), le tourisme pourrait réduire la vulnérabilité des peuples autochtones en les aidant à développer leurs capacités et leurs compétences et du coup, leur redonner leur fierté, fortement écorchée par le

colonialisme. C'est pourquoi Antomarchi (2009 : 59) estime que le tourisme peut jouer un rôle dans « l'affirmation identitaire » et dans la conservation des patrimoines naturel et culturel des peuples autochtones.

C'est ainsi que dans plusieurs destinations autochtones, le tourisme est devenu une thématique indispensable à la réflexion de la gouvernance, car il constitue un outil important du développement local (Antomarchi, 2009 : 58). À ce sujet, Dodson et Smith (2003 : 20) estiment que la gouvernance du tourisme permettra d'améliorer les conditions politiques et économiques d'une communauté autochtone. Ils expliquent que l'engagement des autochtones dans le processus de prise de décision leur permettra de résoudre plus efficacement les conflits relatifs aux activités de développement, de planifier les futurs changements et de créer un environnement propice au développement socio-économique dans leur communauté (Dodson et Smith, 2003 : 20).

En revanche, les autochtones sont souvent vus comme des objets à visiter et à photographier plutôt que des partenaires importants (Goodwin, 2007 : 87). Leur participation est souvent limitée dans le processus du développement touristique (Schellhorn, 2010 : 116). Le taux de participation des communautés locales dans le processus du développement touristique se détermine en fonction du taux du pouvoir et d'autorité qui leur est attribué (Koutra, 2013 : 16). Il dépend aussi de leur degré d'accès aux ressources et aux connaissances nécessaires à la prise de décisions (Wall, 1996 : 134). Jusqu'à présent, la planification du tourisme autochtone, surtout dans les pays politiquement centralisés, est souvent descendante (dite top-down) et la plupart des décisions sont prises par l'intervention du gouvernement plutôt que par le dialogue entre les différents acteurs touristiques, notamment les autochtones.

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1.3 Inégalités et autochtonie

Le tourisme pourrait être la panacée économique pour les communautés autochtones (Bunten, 2010 : 285), qui se caractérisent par un taux élevé du chômage et un niveau bas de scolarisation et de revenus (Notzke, 2006 : 36). Par contre, le tourisme autochtone accentue parfois les inégalités économiques et sociales en raison de l'absence de mécanismes de distribution équitable des recettes entre les investisseurs allochtones et leurs homologues autochtones (Bunten, 2010 : 286; Coria et Calfucura, 2012 : 47, 50). Bien que le tourisme autochtone soit en croissance à l'échelle mondiale, beaucoup de peuples autochtones n'en profitent pas équitablement (Bunten, 2010 : 286). Il existe souvent une disproportion dans la distribution des recettes touristiques entre les voyagistes étrangers, qui en reçoivent la majorité, et les autochtones, ce qui crée des inégalités économiques (Blake et collab., 2008; Barton et Leonard, 2010).

Dans plusieurs pays sous-développés comme les Fidji, les gouvernements encouragent l'investissement étranger alors que les entreprises autochtones reçoivent moins de soutien financier (Spenceley et Meyer, 2012 : 307). Le tourisme augmente ainsi la disparité de richesse entre les entreprises étrangères et celles autochtones au lieu de la diminuer (Trau, 2012 : 153). D'ailleurs, plusieurs entreprises autochtones ne restent pas longtemps sur le marché, car elles ne parviennent pas à atteindre le succès et la rentabilité permanente, et finissent par fermer leurs portes (Butler et Hinch, 2007c : 324). De nombreux exemples, en Afrique, montrent que les entrepreneurs locaux ont de la difficulté à exploiter leurs entreprises, car ils souffrent d'un manque de ressources financières, d'un manque d'outils d'accès au marché, d'un manque de publicité, de l'absence de réseaux de communication et de distribution (Spenceley et Meyer, 2012 : 298).

De plus, il existe souvent des inégalités entre les employés autochtones et expatriés relativement aux salaires et aux conditions du travail (Dyer et collab., 2003 : 84;