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Partie I : Synthèse bibliographique

3.4. Gestion intégrée des bioagresseurs en production maraîchère

3.4.1. Définitions de quelques concepts (lutte intégrée,

protection intégrée et production intégrée)

3.4.1.1. Lutte intégrée

La lutte intégrée est une approche écosystémique de la production et de la protection des cultures qui combine différentes stratégies et pratiques de gestion pour cultiver des cultures saines et minimiser l'utilisation de pesticides (FAO, 2017). Elle repose sur la prise en considération de toutes les méthodes de protection des plantes disponibles et leur intégration, afin de décourager le développement des populations d’organismes nuisibles. Le recours aux produits phytosanitaires et à d’autres types d’interventions est limité à des niveaux justifiés des points de vue économique et environnemental, afin de réduire au maximum les risques pour la santé humaine et l’environnement. Au sein de l’Union Européenne, la lutte intégrée est définie par la directive communautaire 91/414/CEE comme «l’application rationnelle d’une combinaison de mesures biologiques, biotechnologiques, chimiques, physiques, culturales ou intéressant la sélection des végétaux, dans laquelle l’emploi de produits phytopharmaceutiques est limité au strict nécessaire pour maintenir la présence des organismes nuisibles en dessous de seuil à partir duquel apparaissent des dommages ou une perte économiquement inacceptables» (Lucas, 2007). La lutte intégrée privilégie l’observation et la réflexion agronomiques plutôt que le traitement systématique. Sa boîte à outils comprend notamment la rotation des cultures, l’utilisation de cultivars résistants, le renforcement des organismes utiles, la surveillance des organismes nuisibles par des observations sur le terrain, la définition d’un seuil d’intervention et l'évaluation du taux de réussite des mesures phytopharmaceutiques appliquées. Orr (2003) conçoit l’IPM comme une méthode de rationalisation de l'utilisation des pesticides pour prévenir ou retarder la résurgence des populations de ravageurs, qui sont devenues résistantes aux pesticides et pour protéger les insectes bénéfiques.

Dans son sens restreint, la lutte intégrée s’applique à la gestion d’une seule espèce de ravageur dans des cultures données ou dans des lieux particuliers, mais de façon élargi, elle s’applique à la gestion harmonieuse de toutes les populations d’organismes nuisibles dans leur environnement agricole (Ferron, 1999).

3.4.1.2. Protection intégrée des cultures

Dans la définition donnée par l’Organisation Internationale de Lutte Biologique (OILB), la protection intégrée des cultures est un système de lutte contre les organismes nuisibles qui utilise un ensemble de méthodes permettant de satisfaire à la fois les exigences économiques, écologiques et toxicologiques tout en réservant la priorité à la lutte biologique et en respectant les seuils de tolérance (Ferron, 1999). Pour Lucas (2007), cette définition de l’OILB n’est pas très différente de celle de la lutte intégrée, si ce n’est qu’elle suggère de prendre en compte l’ensemble des organismes nuisibles d’une culture. Selon lui, la protection intégrée des cultures fait appel à un ensemble de leviers qui visent à empêcher l’établissement des

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populations de bioagresseurs au sein des cultures, à rendre ces cultures à la fois moins propices à leur développement et moins vulnérables aux dégâts qu’elles pourraient occasionner. Elles peuvent n’avoir, individuellement, qu’une efficacité partielle et c’est leur combinaison qui par effet complémentaire ou additif rend la stratégie pertinente.

Pour Blocaille (2017), la protection intégrée s’appuie sur des pratiques agissant à différentes étapes des cycles du bioagresseur en empêchant ou ralentissant son développement, à tous les stades afin de baisser la pression qu’il pourrait exercer sur la culture.

3.4.1.3. Production intégrée

La 3ème édition des principes généraux et directives techniques de production intégrée définit la production intégrée comme une production économique de produits de haute qualité, donnant la priorité à des méthodes écologiquement plus sûres, minimisant l’utilisation et les effets indésirables des produits agrochimiques et visant à l’amélioration de la sécurité environnementale et de la santé humaine (Boller et al., 2004). Elle se donne pour objectifs de promouvoir les systèmes de production respectueux de l’environnement, économiquement viables et soutenant les fonctions multiples de l’environnement, à savoir ses aspects sociaux, culturels et récréatifs, d’assurer une production durable de produits sains de haute qualité contenant moins de résidus de pesticides, de protéger la santé des agriculteurs lorsqu’ils manipulent des produits agrochimiques, de promouvoir et maintenir une haute diversité biologique des agro-écosystèmes concernés et des aires périphériques, de donner la priorité à des mécanismes de régulation naturelle, de préserver et promouvoir à long terme la fertilité des sols, de minimiser la pollution de l’eau, du sol et de l’air (Lucas, 2007).

3.4.2. Processus de mise en œuvre de la protection intégrée

La mise en œuvre de la protection intégrée des cultures nécessite d’une part, une connaissance du ou des bioagresseur(s) à combattre et de la culture à mettre en place dans la zone et d’autre part, la mise en œuvre des mesures (indirectes et directes) de protection.

3.4.2.1. Connaissance du ou des ravageur(s) et de la culture à mettre en place

La connaissance au sens large du ravageur (sa biologie, historique de sa manifestation, spécificité pour la culture ou d’autres plantes hôtes, sa distribution, ses mouvements, existence d’auxiliaires capables d’en atténuer l’agressivité,…) constitue la base du système de protection mis en place (Ehi-Eromosele et al., 2013; Blocaille, 2017). Une bonne identification du ravageur permet d’une part d’évaluer l’efficacité des méthodes préventives à mettre en œuvre et, d’autre part, de faire un choix éclairé quant aux méthodes de lutte à appliquer ; et lorsque l'identité de l’organisme nuisible n'est pas connue, une stratégie conçue pour son contrôle peut être vouée à l’échec et les cas d'identité erronée peuvent entraîner des actions inefficaces (Ehi-Eromosele et al., 2013; Blocaille, 2017). Aussi, la connaissance et la compréhension de la croissance et du développement des cultures est également

Production et gestion des pesticides au Burkina Faso

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un principe sous-jacent de l'IPM, car les interactions entre cultures (périodes sensibles) et nuisibles (ainsi que l'environnement) sont très importantes.

3.4.2.2. Mesures indirectes de protection

Les mesures indirectes de protection regroupent les actions à mener avant que le ou les bioagresseurs ne constituent une menace pour la culture. Elles portent sur l’espèce cultivée et à son environnement pour favoriser sa défense et rendre son accès plus difficile, et les mesures réalisées pour nuire au ravageur en dehors de sa période d’action sur la culture (Schiffers, 2011; Ehi-Eromosele et al., 2013; Blocaille, 2017). Ces mesures portent sur :

- La connaissance de l’historique de la parcelle : avant toute implantation, il est nécessaire de connaître l’historique de la parcelle (climat, précédent cultural, culture voisine, …) afin d’évaluer les risques des bioagresseurs (Schiffers, 2011; Ehi-Eromosele et al., 2013; Blocaille, 2017).

- La rotation et le travail du sol : la monoculture favorise le développement des bioagresseurs, qui pourraient proliférer au point de devenir ingérables et la rotation des cultures peut donc contribuer à la diminution des formes de conservation, réduisant ainsi l’attaque des plantes hôtes. Quant au travail du sol (déchaumage, labour, etc.), il permet d’exposer les chrysalides, les larves et les populations d’insectes du sol à leurs ennemis naturels ou au soleil (Schiffers, 2011; Ehi-Eromosele et al., 2013; Blocaille, 2017).

- Le choix variétal : la connaissance des caractéristiques de la variété à utiliser permet d’évaluer sa sensibilité par rapport aux bioagresseurs présents dans la zone (Schiffers, 2011; Ehi-Eromosele et al., 2013; Blocaille, 2017).

- La protection des pépinières : une protection des pépinières avec des filets anti-insecte, permet de protéger les plants des attaques directes des insectes (Bemisia tabaci, Helicoverpa, Liriomyza, Thrips…) et des infections précoces par les virus transmis (mouche blanche vecteur de TYLCV) (Schiffers, 2011; Ehi-Eromosele et al., 2013; Blocaille, 2017).

- L’implantation de la culture : plusieurs bioagresseurs se développent mieux lorsque les températures sont élevées. Par conséquent un choix judicieux de la date de semis ou de repiquage en fonction du cycle biologique du bioagresseur permettra d’éviter la coïncidence de la période de sensibilité de la plante avec sa forte pullulation. Il faut tenir compte également de la densité de plantation, car une faible densité de semis ou de repiquage permet d’avoir des plantes plus vigoureuses. Par contre, une densité trop forte produit des plantes filées et étiolées, plus sensibles aux maladies fongiques et aux ravageurs (Schiffers, 2011; Ehi-Eromosele et al., 2013; Blocaille, 2017).

- La fertilisation: une fertilisation équilibrée rend les plantes plus vigoureuses et moins sensible aux bioagresseurs. Par contre, trop d’azote les fragilise et les rend plus attractives aux ravageurs et favorise un développement végétatif important favorable au développement des maladies et au déplacement des ravageurs d’une plante à l’autre (Schiffers, 2011; Ehi-Eromosele et al., 2013; Blocaille, 2017).

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- L’irrigation : il faut éviter des sur-irrigations, car une humidité persistante en excès accentue l’action des champignons et des bactéries qui ont souvent besoin d’une longue période d’humidité pour pénétrer dans la feuille. Par contre un stress hydrique (insuffisance d’irrigation) rend sensibles les plantes aux ravageurs dont le développement optimum est conditionné par des climats chauds et secs (acariens, tétranyques, thrips) (Schiffers, 2011; Ehi-Eromosele et al., 2013; Blocaille, 2017).

- Favoriser le développement des auxiliaires : les organismes auxiliaires (prédateurs et parasitoïdes) jouent un rôle important dans le contexte de la protection intégrée des cultures, car ils peuvent permettre de réduire la fréquence d'apparition de pics de populations de ravageurs impliquant des dégâts économiquement dommageables (Schiffers, 2011; Ehi-Eromosele et al., 2013; Blocaille, 2017). D'après Hawkins (1999) cité par (Lozano et al., 2012), un tiers du contrôle naturel des ravageurs serait dû aux insectes prédateurs et parasitoïdes. Pour les USA, le service rendu par ces ennemis naturels a été estimé à 4,49 milliards de dollars par an (Losey et Vaughan, 2006). Il est donc primordial de connaître leur critère d’identification et de favoriser leur installation.

- Attraction et piégeage par des plantes : l’intérêt des plantes-pièges est d’empêcher un bioagresseur de se conserver et donc de poursuivre son cycle ou d’empêcher l’attaque de cet ennemi. On peut alors distinguer deux types de plantes-pièges dont le facteur principal d’efficacité est l’attractivité :

 Plantes sensibles qui seront détruites après, ce qui conduira également à la destruction de l’ennemi ;

 Plantes résistantes qui auront un effet direct néfaste sur l’ennemi par émission de toxines, par réaction hypersensible (autodestruction) ou par reprise du cycle sans possibilité d’alimentation pour l’ennemi concerné. - Surveillance et évaluation des risques : une fois que l'organisme nuisible a été correctement identifié, la surveillance doit être de mise, car elle permet de faire un état sanitaire des cultures (observation des ravageurs, présence de symptômes) et une évaluation du risque phytosanitaire de la parcelle en fonction des seuils de nuisibilité des ravageurs (Ehi-Eromosele et al., 2013; Blocaille, 2017). L’estimation des populations de ravageurs peut se faire grâce à la pose de pièges (pièges jaunes à eau, pièges lumineux, pièges à phéromones, pièges collants, etc.) au sein des parcelles.

- Établir un seuil d'action (économique, sanitaire) : la question est de savoir à quel seuil, faut-il intervenir ? Dans certains cas, il existe un nombre normalisé d'organismes nuisibles qui peuvent être tolérés. En absence d’un seuil établi pour le ravageur, le seuil d’intervention doit être défini en fonction du seuil économique. Par exemple, le producteur peut contrôler le coût au moment où le coût des dommages causés par le bioagresseur est supérieur au coût du contrôle.

Production et gestion des pesticides au Burkina Faso

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3.4.2.3. Mesures directes une fois les ravageurs observés dans la culture Les mesures directes concernent les techniques qui visent à éloigner ou à combattre les ravageurs en situation de nuire de façon significative aux productions. On peut les classer en trois catégories : les mesures physiques, biologiques et chimiques. Ces dernières ne doivent être appliquées qu’en dernier recours et après avoir examiné les autres possibilités et lorsque le seuil de nuisibilité est atteint ou dépassé (Schiffers, 2011; Ehi-Eromosele et al., 2013; Blocaille, 2017).

- Les procédés physiques portent sur les dispositifs physiques, comme l’utilisation des filets anti-insectes, les captures en masse par piégeage (pièges à phéromone, pièges à eaux, …), ou l’utilisation des techniques faisant intervenir des hautes températures comme par exemple les traitements à l’eau chaude qui peuvent être utilisées pour assainir les semences, les plants ou le sol contre les champignons et les nématodes (Ehi-Eromosele et al., 2013; Blocaille, 2017).

- Les procédés biologiques peuvent consister à favoriser le développement d’auxiliaires indigènes ou acclimatés (introduit sur le territoire) ou à des lâchers inondatifs de macro-organismes auxiliaires dans la culture dans le but de maîtriser rapidement les populations d’organismes nuisibles comme le ferait un traitement chimique. Leurs voies d’actions sont la prédation ou le parasitisme. Par exemple le Macrolophus pygmaeus est un prédateur déjà largement utilisé dans les stratégies contre les aleurodes, et qui se montre efficace sur les œufs et les larves de Tuta absoluta, surtout sur les jeunes larves de 1er et 2ème stades (Blocaille, 2017). Ces procédés biologiques portent également sur les substances naturelles, car certaines d’entre elles, peuvent être utilisées comme produits de biocontrôle. Il est cependant souvent conseillé de les utiliser en combinaison avec d’autres méthodes alternatives (préventives ou curatives) (Blocaille, 2017).

- Les procédés chimiques marqués par l’utilisation des produits phytosanitaires interviennent en derniers recours et lorsque le seuil économique est atteint ou dépassé. Le producteur intervient en choisissant, parmi les spécialités autorisées, celles qui sont le plus spécifiques au problème et qui présentent les moindres risques par rapport à la santé humaine, aux organismes non cibles et à l’environnement. Lors de la prise de décision d’effectuer un traitement chimique, il faut aussi avoir en tête la gestion des résistances qui entraîneraient une baisse de l’efficacité des produits voire leur inefficacité. Pour cela, il est conseillé d’alterner les familles chimiques pour éviter les phénomènes d’accoutumance ou de résistance des insectes et des maladies dans la mesure du possible (Ehi-Eromosele et al., 2013; Blocaille, 2017).

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Partie II : Entomofaune de la tomate