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Garantir une régulation ex-ante sur les marchés financiers

CHAPITRE I- L’AFFAIRE VIVENDI : LORSQUE LE JUGE DEVANCE LE DROIT

CHAPITRE 3 -INTRODUIRE DES CLASS ACTIONS D’ACTIONNAIRES ?

B. Assumer un rôle de régulateur

1) Garantir une régulation ex-ante sur les marchés financiers

La régulation ex-ante désigne des mécanismes assurant un bon fonctionnement de l’objet régulé en effectuant un contrôle à priori des intervenants, de manière à prévenir la violation des règles. En droit financier et boursier, cette régulation est notamment assurée par les autorités de régulation des marchés financiers qui contrôlent les émetteurs, approuvent leurs opérations sur les marchés financiers et mettent à leur charge des obligations de déclaration pour garantir une meilleure transparence du marché. Mais la régulation ex-ante peut aussi s’opérer par d’autres voies, dont la voie judiciaire. Lorsqu’un juge sanctionne lourdement une société ayant commis un manquement boursier, la peine vaut punition pour la société en cause mais également exemple pour celles qui pourraient être tentées de commettre les mêmes actes frauduleux. Mettre à la charge des sociétés des sanctions lourdes les conduit ainsi à davantage contrôler leurs actes : c’est une régulation ex-ante par la dissuasion.

Or, la class action est un mécanisme de dissuasion par excellence : le coût de la procédure et l’exposition médiatique sont autant d’éléments qui justifient la crainte des sociétés de voir cette procédure engagée à leur encontre. Cela explique ainsi la hâte des sociétés poursuivies une fois que la certification du groupe a été prononcée, pour transiger dans les plus brefs délais et dans le secret. Le chantage légalisé des demandeurs est poussé à son paroxysme lorsque la class action oppose des actionnaires à une société cotée. L’effet dissuasif en est d’autant plus

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renforcé, faisant de la class action d’actionnaire un véritable véhicule de régulation ex-ante :

La fonction sociale des litiges traditionnels est si commune qu’elle est sous-théorisée : l’adjudication transparente à travers les class actions d’actionnaires tient tant le gouvernement que les sociétés cotées responsables auprès du public. Mais les class actions d’actionnaires sont plus que cela. Elles ont un effet d'entraînement – des externalités positives – tels que l'innovation, la dissuasion, le partage d'informations, la responsabilisation et la transparence. Ces retombées ne profitent pas qu’aux parties à l’instance, ils profitent à la société [notre traduction]164.

Si l’effet dissuasif des class actions d’actionnaires ne peut pas être quantifié165, une analyse empirique permet toutefois de relever suffisamment d’éléments confortant le fort potentiel dissuasif de ces procédures. En premier lieu, le montant des transactions : comme indiqué précédemment, le montant des indemnités perçues par chaque actionnaire à l’issue d’une class actions est très faible. Toutefois, cela ne signifie pas que le montant global de la transaction n’est pas important. Au contraire, au vu du nombre de demandeurs dans de telles procédures et des honoraires considérables des avocats spécialisés dans la niche qui constitue le droit boursier, transiger dans le cadre d’une class action d’actionnaire peut s’avérer très onéreux pour une société.

164 Burch, supra note 160, à la p. 67.

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Montant des transactions des securities class actions les plus importantes166

Rank Issuer Maximum Asserted Valuation

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Enron WorldCom Cendant

AOL Time Warner Nortel Networks Royal Ahold

IPO Allocation Litigation McKesson HBOC Lucent Technologies Bristol-Myers Squibb $7,160.5 Million $6,156.3 Million $3,528.0 Million $2,500.0 Million $2,473.6 Million $1,091.0 Million $1,000.0 Million $960.0 Million $673.4 Million $574.0 Million

Fait particulier des class actions d’actionnaires : il semble que la commission ou non d’une faute devienne in fine indifférente à l’issue de procédure, les sociétés préférant transiger plutôt que de s’exposer à un procès public167 susceptible d’affecter leur cotation. L’effet dissuasif est à son comble. C’est que le préjudice d’image peut sonner le glas d’une société cotée. La confiance est un élément essentiel au bon fonctionnement des marchés : à défaut de confiance en la santé financière d’une société ainsi qu’en la qualité et la sincérité des informations qu’elle diffuse, les actionnaires quittent son capital, et mettent en danger sa valorisation sur les marchés financiers. Dans son analyse de l’aspect régulateur des class actions, Elisabeth C. Burch indique que les class actions d’actionnaires peuvent être conçues comme une forme de responsabilité au regard de la société civile168. Le jugement de class action serait ainsi une punition infligée par la société civile à l’entreprise cotée, mais aussi à ses dirigeants. Elle constate à cet

166 Coffee, supra note 133 à la p. 1555.

167 James D. Cox, « Making securities fraud class actions virtuous » (1997) 39 Ariz. L. Rev. 497, à la p. 503 [Cox].

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égard que les sociétés à l’encontre desquelles une class action d’actionnaires a été engagée enregistrent un fort taux de renouvellement de leur direction suite à l’action – ce taux étant significativement plus élevé que celui des sociétés enregistrant des pertes financières mais non poursuivies en justice. Pour redorer leur image, les sociétés n’hésitent pas à se séparer de leurs dirigeants, et cela que leur faute soit avérée ou non. L’effet dissuasif pour les dirigeants de sociétés cotées est ici encore manifeste, tout comportement susceptible de fonder un class

action étant sanctionné quasi-automatiquement par les sociétés. Mais cet effet

dissuasif n’est pas un malus des class actions : il participe au respect du droit boursier, et est un élément de régulation ex-ante.

Les class actions d’actionnaires ont ainsi un effet bénéfique en ce qu’elles favorisent le bon fonctionnement des marchés financiers. Dès 1972, Mordecai Rosenfeld avait déjà constaté leur effet dynamique sur le droit des sociétés cotées, effet qu’il jugeait bien plus important que toute loi adoptée en la matière169. Il constatait déjà à l’époque que les comptes annuels et communiqués de presse des sociétés cotées avaient gagné en sincérité depuis l’introduction des securities

class actions, et cela par peur de ces procédures. L’effet dissuasif est, selon lui, le

« plus bel effet des class actions »170. Aux Etats-Unis en particulier, où il a été fait

le choix de limiter le contrôle préventif de la SEC pour maintenir l’attractivité du marché américain, les class actions jouent d’autant plus ce rôle essentiel de régulateur ex-ante.

169 Mordecai Rosenfeld, « The impact of class actions on corporate and securities law » (1972) Duke L.J 1167, à la p. 1168.

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