• Aucun résultat trouvé

Les class actions d'actionnaires: de la nécessaire évolution du droit français sous l'impulsion du juge américain

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Les class actions d'actionnaires: de la nécessaire évolution du droit français sous l'impulsion du juge américain"

Copied!
135
0
0

Texte intégral

(1)

McGill University – Faculty of Law

AVIA Abra-Dela Laëtitia

___________

CLASS ACTIONS D’ACTIONNAIRES :

de la nécessaire évolution du droit français

sous l’impulsion du juge américain

_______________

August 2012

A thesis submitted to McGill University in partial fulfillment of the requirements of

the degree of Master of laws (LL.M)

(2)

2

TABLE DES MATIERES

RESUME - ABSTRACT ... 4

REMERCIEMENTS ... 8

INTRODUCTION ... 20

CHAPITRE I- L’AFFAIRE VIVENDI : LORSQUE LE JUGE DEVANCE LE DROIT - QUID DE LA RECONNAISSANCE EN FRANCE DES JUGEMENTS AMERICAINS DE CLASS ACTIONS D’ACTIONNAIRES ... 28

I. VIVENDI (I) ou l’incitation du juge américain à la reconnaissance des jugements de class action en France... 29

A. L’affaire : diffusion de fausses informations sur les marchés financiers... 31

B. Certification d’un groupe composé majoritairement de demandeurs français ... 33

1) Le test de probabilité ... 34

2. L’efficacité nécessaire de la class action ... 39

II. VIVENDI (II) ou le silence du juge français ... 43

A. L’absence de Forum Shopping Malus... 44

1) Un supermarché de la justice favorable aux demandeurs ... 45

2) Un abus de la part des demandeurs français? ... 47

B. Portée de l’arrêt du 28 avril 2010 sur le droit du contentieux international ... 51

1) Vers une hégémonie du juge et du droit américains ? ... 51

2) Acceptation des class actions ? la suite au prochain épisode ... 53

CHAPITRE 2 -L’AFFAIRE MORRISON : LORSQUE LE JUGE IMPOSE LE DROIT - SENTENCE DE LA COUR SUPREME SUR LES FOREIGN-CUBED CLASS ACTIONS ... 60

I. Un contentieux étranger devant le juge américain ... 63

A. Une diffusion transfrontalière de fausses informations ... 63

B. La « foreign-cubed class action » ... 64

C. Tests de rattachement au territoire américain ... 66

II. De la fermeté de la Cour suprême ... 68

A. Une présomption de non-extranéité du droit américain ... 69

B. Champ d’application du droit boursier américain ... 71

III. Les class actions d’actionnaires dans un environnement post-Morrison ... 72

A. Fin de l’impérialisme américain en droit boursier ? ... 72

B. Evolution du cadre législatif et réglementaire ... 74

CHAPITRE 3 -INTRODUIRE DES CLASS ACTIONS D’ACTIONNAIRES ? ... 81

I. Sur le fondement des class actions d’actionnaires : exemples américains et québécois... 87

A. Les securities class actions américaines ... 87

B. Les recours collectifs d’investisseurs au Québec : une action en responsabilité classique. ... 90

1) Régime de responsabilité extracontractuelle. ... 91

2. La loi sur les valeurs mobilières. ... 93

II. Les class actions d’actionnaires : une exception parmi les class actions ? ... 95

A. L’exception idéologique ... 95

B. L’exception empirique ... 97

(3)

3

1) La circularité... 99

2) Préjudice et lien de causalité. ... 101

III. Un mécanisme procédural avant tout. ... 103

A. Garantir un meilleur accès à la justice ... 107

B. Assumer un rôle de régulateur ... 110

1) Garantir une régulation ex-ante sur les marchés financiers ... 110

2) Contribuer à la régulation ex-post des marchés financiers ... 114

CONCLUSION ... 121

(4)

4

RESUME - ABSTRACT

L’introduction des class actions en France est un sujet d’actualité, depuis près d’une vingtaine d’années. Alors que ces procédures sont reconnues par de nombreux politiciens et juristes comme indispensables à la défense des droits des consommateurs, les lobbies d’entreprises et conservatismes empêchent l’évolution du droit français. Toute réflexion en vue de l’introduction de cette procédure se heurte tant à une peur de voir le droit français s’imprégner de mécanismes issus de la culture américaine, qu’à une peur de laisser les entreprises aux mains d’un chantage légalisé des consommateurs. Si le débat n’est pas clos, il reste peu probable que les conclusions d’un énième rapport sur l’introduction des class actions en faveur des consommateurs porte enfin ses fruits. C’est en revanche en matière de droit boursier que la situation peut évoluer. La multiplication des class

actions d’actionnaires aux Etats-Unis a montré l’importance de ce mécanisme en

matière de protection des droits des investisseurs sur les marchés financiers. L’affaire Vivendi en particulier a confronté les juges américains et français aux difficultés présentées par l’absence de reconnaissance ou de rejet explicite des

class actions en France. La situation extrême dans laquelle se trouvaient les

demandeurs de la class action américaine, dont 60% étaient français, ne peut qu’alerter le législateur français sur la nécessité imminente de procurer aux justiciables français des mécanismes de protection similaires à ceux dont ils cherchent aujourd’hui à bénéficier aux Etats-Unis. Le 24 juin 2010, avec l’arrêt Morrison, la Cour Suprême des Etats-Unis a sonné le glas des foreign-cubed class

(5)

5

actions, procédures engagées aux Etats-Unis par des demandeurs non-américains

contre des sociétés non-américaines pour des opérations conclues en dehors des Etats-Unis. Le message de la Cour Suprême est clair : les Etats-Unis ne sont pas l’eldorado du droit et les mécanismes protecteurs du droit américain n’ont vocation à s’appliquer qu’aux faits générés sur les marchés américains. Mais les marchés financiers ne connaissent pas de frontières et cette décision du juge américain ne pourra que davantage mettre en exergue les insuffisances des droits étatiques tels que le droit français, et les pousser à s’adapter, afin de garantir le bon fonctionnement des marchés. Il ne faut néanmoins pas se méprendre : introduire des class actions d’actionnaires ne peut être un acte neutre et dissocié d’une introduction des class actions d’une manière plus globale. En effet, les

class actions d’actionnaires ne sont pas un mécanisme de droit boursier, mais bien

un mécanisme procédural, garantissant un meilleur accès à la justice et une meilleure régulation. Et cela quelle que soit la matière en question. Accepter d’introduire des class actions d’actionnaires, c’est donc accepter d’introduire des

class actions, tout court. Il ne serait donc pas improbable que l’évolution du droit

français se réalise finalement, non pas via le droit de la consommation, comme cela est attendu depuis une vingtaine d’années, mais par la petite porte, celle du droit boursier.

(6)

6

In France, the introduction of class actions has been a topical issue for about twenty years. Although many politicians and lawyers consider these procedures as essential, company lobbies and conservatism have prevented the evolution of French law. Any thoughts on the introduction of this procedure in France collided, on the one hand, with a fear to see French law being permeated by mechanisms coming from the American culture, and, on the other hand, a fear to leave companies under the power of a “legalised bribery”. Even though the debate has not ended yet, it is unlikely that an umpteenth report on the introduction of class actions in favour of consumers will show any results. It is, however, on the subject of securities law that the situation might be changing. The Vivendi case in particular has confronted French and American judges with difficulties regarding the absence of recognition or explicit rejection of class actions in France. The extreme situation in which the complainants – 60 % of them being French – found themselves for the class action in the United States, can only be an alert for the French legislator regarding the urgency to give French complainants a protection mechanism similar to the one they are trying to benefit of in the United States. On June 24th, in Morrison v. NAB, the Supreme Court of the United States has spelled the end for foreign-cubed class actions, i.e. procedures initiated in the United States by non-American complainants against non-American companies regarding operations taking place outside of the United States’ territory. The Court’s message is clear : the United States won’t be an Eldorado for all the plaintiffs around the world and the protective mechanisms of American law should only be enforced for situations that took place on the American market. However,

(7)

7

financial markets don’t know any borders and this decision by the American judge will only emphasis the insufficiencies of laws such as the French law, pushing those systems to adapt themselves in order to guarantee a better functioning of the markets. Nevertheless, implementing securities class actions can’t be a neutral act and can’t be dissociated from the introduction of class actions generally speaking. Indeed, securities class actions are not a securities law mechanism, but a procedural mechanism that is able to guarantee a better access to justice and a better regulation. This applies to any field. Implementing shareholder class actions therefore means implementing class actions as a whole. It is thus possible that French law’s evolution will eventually take place via securities law rather than via consumer law, as awaited for about twenty years.

(8)

8

REMERCIEMENTS

Mon intérêt pour la class action est né de la rencontre d’éminents juristes, professeurs et avocats, qui m’ont fait découvrir les class actions et les enjeux qu’elle soulève. Mes remerciements leur sont donc en premier lieu adressés, en particulier à Me Hervé Pisani, avocat de la société Vivendi dans les contentieux dont je traite dans cette thèse. Il me faut également remercier mes amis juristes et collègues qui ont bien voulu s'intéresser à ce sujet, m'accompagner dans l'approfondissement de mes réflexions et faire preuve de patience dans l’accomplissement de ce travail. Je tiens également à remercier mon superviseur, le Professeur Geneviève Saumier, pour son soutien, ses encouragements et son encadrement, sans lesquels je n'aurais pu poursuivre cette entreprise.

(9)

9

AVANT PROPOS

Regards croisés sur la class action

Perspective française

La class action, en droit français, est encore bien loin d’être une réalité. Qualifiée de rêve américain par un auteur1, elle est surtout, pour les avocats français, assimilable au supplice de Sisyphe décrit par Albert Camus dans Le Cycle de l’Absurde2 : une situation absurde et répétitive dont on ne voit jamais la fin ou l’aboutissement.

Les débats, réflexions et rapports sur l’introduction d’une class action en France ne cessent de fleurir depuis une vingtaine d’années, sans pour autant qu’une décision, qu’elle soit pour ou contre l’instauration de cette procédure, ne s’en dégage. La doctrine même renonce à étudier plus en avant la question : les éléments du débat restent inchangés et ont été suffisamment analysés. Depuis 2005, dernière grande vague de réflexion sur le sujet3, aucun auteur n’a entrepris de décrypter les class actions avec précision. Pourtant, le sujet n’en est pas pour autant clos et reste l’objet de colloques et journées d’études organisés par les lobbys de consommateurs, d’entreprises ou d’avocats.

1 Laurent Martinet, « Du retour de l’action de groupe et du mythe de Sisyphe », (2009) 49 PA.6.

2 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1942.

3 En 2005, le Président Chirac appelait de ses vœux l’engagement d’une réflexion sur l’instauration d’une « class action à la Française ». Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, nommé en 2012, a également soulevé la question, toutefois sans grande conviction, si bien que le débat n’a été que très peu repris par les médias et la doctrine juridique.

(10)

10

Si la question est encore ouverte, c’est que le sujet est sensible, d’autant plus que l’intérêt d’une telle procédure pour la protection des consommateurs a été reconnu. Fermer définitivement la porte du droit français aux class actions serait admettre le rejet d’une mesure qui apparaît être dans l’intérêt du grand nombre : nul législateur ne prendra un tel risque.

Les vertus de la class action ne sont plus à démontrer : dans une économie de consommation de masse, le préjudice subi par un consommateur isolé est peu considéré et difficilement réparé. Les coûts et la lenteur de la justice n’incitent pas les consommateurs à faire valoir leurs droits et à réclamer une réparation souvent dérisoire à l’échelle individuelle. Les entreprises ne se sentant pas suffisamment menacées par l’engagement d’une procédure judiciaire à leur encontre, elles sont moins disposées à fournir des produits et service de qualités. La class action représente l’efficacité de l’adage « l’union fait la force » pour une meilleure protection des victimes de préjudices collectifs4. Action judiciaire à coûts réduits, elle pourrait se substituer aux procédures individuelles de consommateurs disposant de peu de moyens financiers et qui demandent l'aide juridictionnelle pour faire valoir leurs droits aux frais de l'Etat5.

4 Dimitri Houtcieff, « Les class actions devant le juge français : rêve ou cauchemar ? » (2005) 155 PA. 42, ¶2.

5 Luc Evrard, « Faut-il ou non une classe action à la française ? » (2005) 182 PA. 3 à la p.7 [Evrard].

(11)

11

Pourtant, certains se demandent si la protection des consommateurs justifie une telle mesure6. Il existe en droit français divers moyens de procédure permettant aux consommateurs de faire valoir leurs droits, soit individuellement, soit via des associations dument agréées pour agir en cas de manquement au droit de la consommation et de la concurrence.

En effet, depuis la loi Royer de 19737, les associations agréées se sont vu reconnaître le droit d'engager trois procédures judiciaires dans l'intérêt des consommateurs :

- elles peuvent engager une action civile en réparation du préjudice collectif des consommateurs8 - dans cette hypothèse, l'association représente l'intérêt collectif des consommateurs et reçoit directement les (éventuellement) dommages et intérêts alloués par le juge ;

- elles peuvent engager une action en suppression d’agissements ou de clauses illicites9 - à noter qu'il ne s'agit pas d'une action en responsabilité, aucune réparation n'étant demandée ;

6 Evrard, ibid. à la p.1.

7 Loi n°73-1193 d'orientation du commerce et de l'artisanat, J.O., 27 septembre 1973.

8 Art. L. 421-1 C. conso. « Les associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la défense des intérêts des consommateurs peuvent, si elles ont été agréées à cette fin, exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs ».

9 Art. L. 421-6 C. conso. « Les associations mentionnées à l'article L. 421-1 et les organismes justifiant de leur inscription sur la liste publiée au Journal officiel des Communautés européennes en application de l'article 4 de la directive 2009/22/ CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs peuvent agir devant la juridiction civile pour faire cesser ou interdire tout agissement illicite au regard des dispositions transposant les directives mentionnées à l'article 1er de la directive précitée. Le juge peut à ce titre ordonner, le cas échéant sous astreinte, la suppression d'une clause illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur ».

(12)

12

- elles peuvent intervenir devant une juridiction civile au soutien d’une demande en réparation d’un préjudice subi par des consommateurs déterminés10 - ici la demande appartient aux consommateurs ayant ouvert une procédure individuellement, l'association n'intervenant que pour donner davantage de poids aux demande du consommateur.

Surtout, les associations agréées peuvent engager une action en représentation conjointe. Introduite en 1992, cette procédure permet la représentation en justice d’au moins deux consommateurs par une association agréée, ainsi que la réparation du préjudice individuel des consommateurs, contrairement aux trois précédentes procédures qui ne réparaient que le préjudice collectif – aucune somme n’étant donc reversée aux consommateurs. Toutefois, l’action en représentation conjointe n’a été utilisée que cinq fois, et ce en raison de la complexité de sa mise en œuvre : cette procédure nécessite l'obtention d'un mandat exprès pour l'association aux fins de représenter des personnes identifiées11. La phase pré-contentieuse est donc particulièrement importante et lourde pour des associations qui ne disposent que de peu de moyens pour solliciter l’intérêt des consommateurs à rejoindre la procédure. En effet, et cela a été

10 Art. L. 421-7. C conso. « Les associations mentionnées à l'article L. 421-1 peuvent intervenir devant les juridictions civiles et demander notamment l'application des mesures prévues à l'article L. 421-2, lorsque la demande initiale a pour objet la réparation d'un préjudice subi par un ou plusieurs consommateurs à raison de faits non constitutifs d'une infraction pénale ».

11 Frédéric Hasting, « La class action et ses conséquences sur le cours des affaires » (2007) 249 PA. 7 à la page 6 [Hasting]. Voir aussi Evrard, supra note 5 à la page 9.

(13)

13

rappelé à l'encontre de l'association UFC-Que-Choisir12, le démarchage est interdit en matière contentieuse en France.

Il semblerait que seule la class action soit à même de fournir aux consommateurs une protection efficace. Ce fut la conclusion du Rapport de la commission présidée par Jean Calais-Auboy en 199013 qui proposait d’introduire, dans le Code de la consommation, une « action de groupe » inspirée de la class action américaine. Quinze ans plus tard, la commission réunie autour de Marc Guillaume14 fit une proposition similaire : une action de groupe, menée par une association agréée au bénéfice des seuls consommateurs qui auraient manifesté leur désir d’intégrer le groupe. Un système dit « opt-in », par opposition du système généralement utilisé d'« opt-out » qui inclut à priori toutes les personnes qui entrent dans le champ défini du groupe, à charge pour les justiciables non désireux de rejoindre la procédure de manifester leur envie d'être exclus du groupe. Le 25 avril 2006, un groupe de sénateurs se saisissait également de la question et déposait une proposition de loi sur le recours collectif15, pour la plus grande satisfaction des associations de consommateurs. La proposition ne fut toutefois jamais examinée par les députés de l’Assemblée Nationale – on notera que le MEDEF, organisation patronale représentant les chefs d'entreprise, s’y était

12 Cass.civ.1ère 30 septembre 2008, D. 2009.2704.

13 France, Commission pour la codification du droit de la consommation, Propositions pour un

code de la consommation, La Documentation Française, 1990 (Président : Jean Calais-Auloy).

14 France, Rapport sur l’action de groupe, La Documentation Française, 2005 (groupe de travail présidé par G. Cerruti et M. Guillaume ; rapport remis le 16 décembre 2005 à Thierry BRETON, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et Pascal CLEMENT, ministre de la justice, garde des sceaux).

15 France, Sénat, « Proposition de loi sur le recours collectif », n°322 (2005-2006) (25 avril 2006).

(14)

14

vivement opposé. Enfin, le rapport Coulon sur la dépénalisation du droit des affaires16 a réaffirmé en 2008 la nécessité d’introduire les class actions en France – aucune suite n'a toutefois été donnée aux conclusions du Premier président honoraire de la cour d'appel de Paris sur ce point. Si de toutes ces propositions, aucune, même la moins révolutionnaire17, n’a abouti, c’est parce que la class

action reste un rêve, un fantasme pour certains, mais aussi un cauchemar pour

d’autres. En toutes hypothèses, elle reste de l’ordre du mythe, et cela pour deux principales raisons.

D’une part, on relève une vive résistance de la tradition française à l’introduction d’un mécanisme issu du droit anglo-américain. Tout débat sur l’introduction de la

class action en France évoque, à tort ou à raison, le risque d’une américanisation

des procédures judiciaires. Les juristes français imposent comme rempart contre la class action une décision du Conseil Constitutionnel de 198918 qui renforce la maxime « nul ne plaide par procureur » laquelle empêcherait l’introduction de procédures judiciaires pour le compte d’un tiers, sans que celui-ci n’ai donné un mandat exprès à son représentant. A cette barrière constitutionnelle, on ajoute volontiers d’autres éléments de résistance intrinsèque du droit français au

16 France, La dépénalisation de la vie des affaires, La Documentation Française, 2008 (groupe de travail préside par Jean-Marie Coulon ; rapport remis au garde des Sceaux en janvier 2008).

17 La proposition de Calais s’apparente beaucoup à celle de représentation des créanciers durant une procédure collective.

18 Cons. constitutionnel, 25 juillet 1989, loi modifiant le code du travail et relative à la

prévention du licenciement économique et au droit à la conversion, 89-257 DC. La loi en question prévoyait la possibilité pour un syndicat d’agir en justice pour le compte d’un salarié. Le Conseil Constitutionnel a considéré qu’elle ne pouvait être conforme à la constitution que dans la mesure où le salarié aurait la possibilité (i) de donner son assentiment à la procédure, (ii) d’assurer lui-même la défense de ses intérêts et (iii) de mettre fin à la procédure.

(15)

15

mécanisme de la class action : (i) la prohibition des arrêts de règlement, c'est à dire l'obligation pour le juge de juger chaque cas d'espèce et de ne pas appliquer un jugement général à tous les cas ; (ii) l’inexistence des dommages-intérêts punitifs qui font l'attrait des class actions en augmentant le montant des transactions et jugements au delà de la simple réparation du préjudice subi, à titre de punition ; (iii) ou encore l'absence de procédure de discovery, qui facilite l'établissement des éléments de preuve pour les demandeurs. Ces éléments sont-ils de véritables barrières procédurales empêchant l'introduction des class actions en France ? Il est permis d'en douter. Ils manifestent en revanche d'un fort traditionalisme français, qui tend vers l'immobilisme lorsqu'il est question de class

action.

D’autre part, les entreprises françaises ont mis en exergue les risques liés à l’introduction des class actions, procédures qu’elles considèrent comme dangereuses pour l’économie, l’emploi et les consommateurs. Il est vrai que les

class actions font peser des risques financiers importants sur les entreprises et

donc sur l’économie générale du pays. De plus, l’introduction de ces procédures pourrait nuire à la compétitivité de la France, les entreprises préférant s’installer dans un environnement juridique plus favorable, où elles n'auraient pas de class

action pour épée de Damoclès. Surtout, les entreprises déplorent un « chantage

légalisé des avocats »19 sur les entreprises à travers les procédures de class actions les poussant à transiger : elles estiment ainsi que la classe action est un vecteur d’injustice, au détriment des grandes entreprises. Ces arguments sont autant de

(16)

16

raisons de ne pas introduire les class actions en France, mais il ne faut pas se leurrer : ils ne sont pas insurmontables et pourront être contournés si telle est la volonté du législateur – « au droit, rien d'impossible » 20 elles pèsent peu à côté de la crainte palpable de voir le système juridique français perdre de sa spécificité au profit de mécanismes américains.

Perspective américaine (ou Etats-unienne)

Une chose est certaine : au regard des dérives connues aux Etats-Unis en matière de class action, la frilosité française quant à l'introduction des class actions n'est pas irrationnelle. Introduites en 1938 lors de l’adoption des Federal rules of civil

procedure (FRCP), les class actions américaines, prévues par l’article 23 du

FRCP21, ne sont devenues véritablement efficaces qu’à compter de 1966, date à laquelle l’article 23 a été modifié afin d’y introduire le fameux mécanisme d’opt-out. Le texte a depuis lors connu peu d’évolutions, si ce n’est, en 1998, l’ajout de la possibilité de faire appel de la décision de certification du groupe sous certaines circonstances.

Si la législation est restée stable, il n’en est pas de même quand à l’usage de ces procédures par les demandeurs américains. Les années 90 marquent une prolifération des contentieux collectifs avec 922 class actions engagées en 1990

20 Marie-Anne Frison-Roche, « Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action, obstacles et compatibilités » (2005) 115 PA. 22 ¶4 [MAFR]. 21 Fed. R. Civ. P. 23 (a)-(h).

(17)

17

contre plus de 3000 pour l’année 200122. Cette décennie est également marquée par des abus dans l’engagement des procédures de class actions, manifestés par la multiplication de procès relatifs à l’amiante ou aux implants mammaires23. Les affaires étant introduites le plus souvent devant les diverses juridictions des Etats fédéraux, les avocats se sont livrés à un Forum Shopping, engageant une ou plusieurs class actions devant les juridictions les plus conciliantes.

Par ailleurs, on ne saurait taire le problème des honoraires extraordinairement élevés que les avocats américains perçoivent à l’issue du règlement d’une class

action – somme qu’il faut mettre en contraste avec les montants faibles des

compensations réellement perçues par les demandeurs24. Aussi, près de 90%25 des

class actions aboutissent à une transaction négociée entre les parties. Bien que la

transaction soit souvent à l’avantage des demandeurs26, elle n’en reste pas moins un mécanisme privé qui s’éloigne de la conception sociale de la class action et ne confère aucun jugement. On est in fine loin de l’idéalisme porté par la class

action.

Explosion des contentieux et des honoraires : tels sont les dérives des class

actions américaines et contre lesquelles le législateur américain a tenté de lutter en

adoptant, en 1995, le Private Securities Litigation Reform Act (PSLRA)27 puis le

22 Rachael Mulheron, The Class Action in Common Law Legal Systems: A Comparative

Perspective, Oxford, Hart Publishing, 2004.

23 Hasting, supra note 11 à la p.3. 24 Ibid. à la p. 2.

25 Evrard, supra note 5 à la p.9. 26 Hasting, supra note 11 à la p. 8.

(18)

18

Securities Litigation Uniform Standards Act (SLUSA)28 afin de décourager le recours abusif aux class actions en matière de contentieux boursier particulièrement. Plus récemment, le class action Fairness act (CAFA)29 a permis de transférer aux juridictions fédérales les class actions ouvertes dans divers Etat et imposé de nouvelles restrictions en matière de règlements transactionnels.

Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ! Bien que les abus aient conduits le législateur à faire quelques pas en arrière, les class actions restent des procédures essentielles aux Etats-Unis. Elles permettent d’obtenir la réparation du préjudice individuel à moindre coût et favorisent tant le développement de produits plus sûrs par les entreprises qu’une utilisation efficace des tribunaux. Plus encore, la class action est une illustration de la conception américaine de la justice, qui s'illustre par la saisine quasi-systématique de l’appareil judiciaire par les individus pour faire valoir leurs droits30. Alors qu’en France l’interventionnisme étatique est fort et le citoyen attend de l’Etat qu’il soit le premier garant de ses droits, aux Etats-Unis chaque individu peut se substituer à l’Etat pour assurer le bon fonctionnement de la justice et de la police. Ce rapport entre l’individu et l’Etat est le socle de procédures telles que les class actions31. A cet égard, le professeur américain Oscar Chase a montré le lien entre la justice américaine, marquée par un fort interventionnisme des individus et « la culture américaine, qui est individualiste égalitariste au sens d’être égaux en opportunités,

28 Securities Litigation Uniform Standards Act, 15 U.S.C. §78 (1998) [SLUSA]. 29 Class Action Fairness Act, Pub L. No. 109-2, 119 Stat. 4 (2005) [CAFA].

30 Lamy Assurances 2010, « Responsabilité civile du fait des produits aux Etats-Unis d’Amérique du Nord et son assurance », par Jérôme Kullmann, dir, au n°2386.

(19)

19

libérale, populiste, au sens non péjoratif d’une société faisant reposer son fonctionnement sur le peuple, quelque peu sans élite et laissez-faire »32. C'est ainsi que les class actions apparaissent aux Etats-Unis comme le compensateur par excellence de la faiblesse de l’Etat dans la mise en œuvre des droits de chaque individu. C’est cette image plus que celle véhiculée par les abus qui définit la class action et doit être recherchée par tout Etat réfléchissant à l’opportunité d’introduire les class actions en son sein.

32 Emmanuel Jeuland, « Expérience nationale : La France » dans Association du Barreau Canadien, Colloque sur les Recours Collectifs 2007, Montréal, Division Québec, 2007, à la p. 75.

(20)

20

INTRODUCTION

Le 5 octobre 2010, Jérôme Kerviel faisait la une des journaux : le tribunal correctionnel de Paris venait de reconnaître l'ancien trader ayant provoqué l'ébranlement du système bancaire français en 2008 coupable des délits d'abus de confiance, d'introduction frauduleuse de données dans un système automatisé et d'usage de faux. Pour l'ensemble de ces délits, Jérôme Kerviel écopait d'une peine d'emprisonnement de cinq ans, dont trois ans fermes. Mais ce qui marquait les nombreux commentaires des journalistes n'était pas la reconnaissance de cette culpabilité, qui ne faisait pas l'ombre d'un doute, ni la durée de l'emprisonnement infligé par le tribunal correctionnel, mais le montant particulièrement élevé des dommages et intérêts auxquels Jérôme Kerviel était condamné en remboursement des pertes infligées à la banque Société Générale : 4,9 milliards d'euros. Sur la base de son salaire de l'époque, qu'il avait bien entendu perdu suite à l'affaire et récupérera difficilement après sa peine de prison, il aurait fallu plusieurs milliers d'années à l'ancien trader pour payer sa dette. Peu de peine ou de compassion toutefois pour celui dont les actions frauduleuses avaient révélées les failles du système bancaire français en pleine crise des subprimes. Qui, en lisant les articles de presse, ne s'est pas réjoui de cette punition exemplaire, indiquant aux banquiers et financiers qu’ils ne peuvent manipuler l'argent des épargnants indument sans en assumer les conséquences ? Surtout, quel épargnant ayant déposé ses fonds auprès de la Société Générale ne s'est pas posé la simple question : et moi, que vais-je

(21)

21

récupérer ? Car les pertes subies par la banque sont avant tout celles subies par ceux lui ayant confiée la gestion de leur patrimoine financier. Et le jugement rendu par le tribunal correctionnel ne vient malheureusement pas apporter de soulagement à la frustration légitimement ressentie par les épargnants : quand bien même Jérôme Kerviel disposerait des fonds pour indemniser la Société Générale, les milliers d'individus ayant personnellement subi un préjudice, matériel et/ou moral, du fait de ses actes frauduleux seront en reste.

Que faire ? Bougonner devant un article de presse ou devant son poste de télévision n'a jamais été une solution efficace. L’épargnant ayant connaissance de ses droits voudra éventuellement s'en prévaloir en justice. Il se heurtera toutefois aux lacunes du système juridique français qui regorge de mécanismes en matière pénale, devant le tribunal correctionnel, et administrative, auprès des autorités de régulation, pour sanctionner les comportements frauduleux mais qui ne dispose pas de moyens appropriés pour réparer un préjudice individuel sur le fondement du droit bancaire et financier. L'action en justice classique, c'est à dire la responsabilité délictuelle sur le fondement de l'article 1382 du Code civil français33, reste possible, mais elle suppose que le justiciable soit en mesure de déterminer une faute à son encontre, et non pas uniquement à l'encontre de la banque, ainsi qu’un préjudice, qu'il évaluera seul depuis son salon et un lien de causalité entre les deux. Ce n'est qu'une première étape : il lui faudra aussi trouver et payer un avocat et, d'une manière générale, trouver l'énergie et la motivation

33 Art. 1382 C. civ. : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

(22)

22

nécessaire à l'engagement d'une procédure judiciaire. Après un court temps de réflexion, l'épargnant choisira certainement de fermer son journal ou éteindre son poste de télévision et de rejoindre des amis auprès de qui il pourra continuer de se plaindre à moindre coût.

Aux Etats-Unis, la même information peut avoir un écho différent car si l'épargnant américain réalisera probablement le même calcul d'opportunité l'incitant à renoncer à toute action judiciaire, une annonce à la radio, un prospectus glissé sans sa boite aux lettres ou même un appel téléphonique pourront renverser la situation : un avocat, saisissant l'opportunité d'une affaire frappant économiquement et moralement des milliers d'épargnants sera allé à la quête d'une personne à même de créer et représenter une class action. C'est là ce qui fait la caractéristique principale des class actions : elles viennent au justiciable, qu'il le désire ou non. Et c'est bien ce qui dérange certains juristes français : la class action s'impose d'elle-même, il semble impossible d’y échapper, si bien qu'elle peut être considérée comme inévitable.

Pourtant, à en lire la définition du Professeur Cornu, référence du dictionnaire juridique en France, qui a habitué ses lecteurs à rigueur et précision dans ses définitions, la class action est encore bien loin d'être une réalité en droit français. Dans son Vocabulaire Juridique, il hasarde une esquisse de définition de l'« action collective » :

Expression parfois proposée pour désigner l'action qui pourrait être ouverte à l'un quelconque des cointéressés (ex : un consommateur) pour faire juger, même à l'égard des autres (par exception à la

(23)

23

relativité de la chose jugée) un type de litige caractérisé par la similitude de ses multiples applications potentielles. Ex : la nocivité d'un produit de consommation (parfois nommé action de groupe ou de classe, action populaire)34.

Voilà une définition des moins claires d'une procédure aux contours obscures, potentielle, exceptionnelle et, à noter, définie au conditionnel. Autre élément marquant de la définition de Cornu : elle désigne les actions collectives et non les

class actions. « Class action », « action de groupe », « action collective »,

« recours collectif », « action populaire » sont autant de termes utilisés par les juristes français pour désigner la procédure qui sera plus simplement appelée class

action dans les prochains développements. Cette difficulté des français pour

nommer cette procédure n'est pas neutre. Nommer, identifier, c'est donner corps à une chose et marquer son existence. Lorsqu'un enfant nait, la première démarche des parents est ainsi de lui donner un nom. Lorsqu'un acte n'est pas assumé, on le qualifie d'innommable. Or, l'incapacité des juristes français à ne serait-ce que nommer les class actions n'est-elle pas manifeste du rejet prima facie pour cette procédure ?

Dans les pays de droit anglo-saxon, où cette procédure est née, l'expression class

action ne revêt aucune ambiguïté et le dictionnaire de référence fait preuve de

précision quand il s'agit de définir cette procédure et d'en souligner l'intérêt :

Un procès dans lequel le tribunal autorise une personne seule ou un petit groupe de personnes à représenter les intérêts d'un plus grand groupe. Plus précisément : un procès dans lequel l'intérêt général ou des parties intéressées nécessite que l'affaire soit réglée par un contentieux, mené par ou contre une partie seulement d'un groupe

34 Gérard Cornu, dir., Vocabulaire juridique, 7ème éd., Paris, Universitaires de France, 2006, s.v. « action collective ».

(24)

24

de personnes étant dans une situation similaire, et dans lequel une personne dont les droits auraient été lésés n'aurait pas eu l'opportunité de protéger ses intérêts en engageant une action individuelle ou en donnant mandat à une personne sélectionnée, ou à une personne désignée pour le représenter en qualité de trustee ou gardien [notre traduction]35.

La définition est claire car écrite par un auteur qui n'a pas peur des mots et qui évolue dans le système juridique anglo-saxon, où la class action est parfaitement assumée. C’est là que se trouve d'une des premières difficultés quand il s'agit d'aborder les class actions : elles ne relèvent pas uniquement de mécanismes procéduraux, mais d'une approche culturelle du droit. Les difficultés rencontrées aujourd'hui en France pour nommer puis introduire ces procédures relèvent de barrières fortes dressées contre l'imprégnation du droit civil français par le droit américain de Common Law.

Il ne faut pour autant inverser l’analyse : les class actions sont un aspect, au mieux une illustration de la justice américaine, et non son cœur, si bien que les craintes d'une transformation radicale du système juridique français par l'introduction des class actions semblent quelque peu démesurées. Surtout, ne pas introduire cette procédure en droit français peut porter davantage préjudice aux justiciables, personnes physiques comme morales, qu'une adaptation mesurée du droit. En matière de class actions d'actionnaires, les conséquences néfastes de l'immobilisme législatif français se manifestent de plus en plus. Le droit boursier tend à évoluer aussi rapidement que l'innovation financière et le développement de nouveaux produits et méthodes sur les marchés financiers. Pour être

(25)

25

pleinement effectif, ce droit se doit d'être harmonisé. C'est ainsi qu'on a pu constater, au lendemain de l'éclatement de la bulle boursière liée aux scandales Enron et Worldcom, une inflation législative et mondiale en matière boursière : aux Etats-Unis la loi Sabarnes-Oxley (SOX)36 a été adoptée, tandis qu'en France la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques (NRE)37 était votée en application du Livre Vert publié par la Commission Européenne sur le Gouvernance d'entreprise38. Les produits financiers ne se soucient guère des frontières étatiques, c'est pourquoi la protection des épargnants sur les marchés financiers ne peut être limitée par ces barrières. La récente crise financière l'a encore démontré : dans un système globalisé, personne n'est à l'abri des pertes causées par des manœuvres sur les marchés financiers – et cela quel que soit le lieu de réalisation de l'acte en question.

Les lobbys français luttant contre l'introduction des class actions en France sont puissants et ont, jusqu'alors, montré leur efficacité. Mais alors que la protection des épargnants sur les marchés financiers prend une importance grandissante, des contentieux de droit boursier se multiplient et mettent à nouveau en exergue les difficultés présentées par l'absence de discours clair en France sur la reconnaissance ou non des class actions. Ainsi, alors que le sujet n'a encore jamais été réellement débattu au sein de l'assemblée nationale, la class action devient l'objet d'un débat au sein des tribunaux. Et il se peut que ce soit grâce à l'impulsion des juges qu'une solution pourra éventuellement se dégager. Rien de

36 Sarbanes-Oxley Act, Pub. L. No. 107-204, 116 Stat. 745 (2002).

37 Loi n°2001-420 relative aux nouvelles régulations économiques, J.O., 15 mai 2001.

38 CE, Livre vert : le cadre de la gouvernance d’entreprise dans l’Union Européenne, Bruxelles, CE, 2001.

(26)

26

très surprenant et innovateur à cela : le juge est une source de droit, dans les pays de Common Law tout comme dans ceux de droit civil, qui peinent à admettre ce pouvoir du juge. Toujours est-il que si la France ne reconnaît pas officiellement les arrêts de règlements, ses codes regorgent de jurisprudence venant illustrer les articles, qui sont tout autant utiles, voire plus, que les textes votés par l'Assemblée Nationale lorsqu'il s'agit de trancher un contentieux.

Le contentieux de masse d'actionnaires présente une particularité qui le rend d'autant plus intéressant : alors que le juge français est resté silencieux, à l'image de ses députés, quant au sort des class actions en France, c'est le juge américain, saisi de la question en deux espèces significatives, qui a apporté une réponse claire et tranchée, applicable au droit français et porteuse d'une nécessaire évolution de la procédure française. Dans un premier temps, dans l'affaire Vivendi (chapitre 1), où le juge américain va analyser la compatibilité entre le droit français et le mécanisme de class action pour déclarer celui-ci apte à être reconnu par un juge français – analyse que les juristes français ont jusqu'alors été incapables de produire efficacement.

Après avoir montré au système français comment s'ouvrir à cette nouvelle voie, le juge américain a, dans l'affaire Morrison (chapitre 2) fermé les portes de ses tribunaux aux affaires présentant un triple caractère d’extranéité. La protection des épargnants et investisseurs sur les marchés financiers ne pourra pas attendre plus longtemps : une réflexion sur l'introduction de class actions, à minima réservées aux actionnaires doit être engagée.

(27)

27

Mais reste à déterminer si un tel mécanisme serait opportun et s'il serait légitime de n'ouvrir les class actions qu'au droit boursier, distinguant ainsi les class actions d'actionnaires de tout autre type de class action (chapitre 3).

(28)

28 CHAPITRE I

L’affaire Vivendi : lorsque le juge devance le droit

Quid de la reconnaissance en France des jugements américains de class actions d’actionnaires

Au lendemain de l'éclatement de la bulle boursière, provoquée et cristallisée par les scandales financiers Enron et Worldcom, un recours collectif engagé à l'encontre du groupe Vivendi Universal mettait de nouveau sur le devant de la scène les dérives pratiquées sur les marchés financiers et rappelait la nécessité pour les investisseurs, en particulier les actionnaires minoritaires, de pouvoir lutter contre les actes des sociétés et de leurs dirigeants portant atteinte au bon fonctionnement du marché. Portée devant les juridictions américaines puis françaises, la class action Vivendi a mis les juges dans une situation quelque peu délicate : alors que gouvernements et doctrine n’ont pu s’accorder sur l’opportunité ou non d’introduire des class actions en France, c’est au juge qu’il est revenu la lourde tâche de se prononcer sur la question de la compatibilité entre les principes essentiels du droit français et la procédure de class action tant décriée. A l’occasion de la certification du groupe, le juge américain n’a pas hésité à se prononcer sur la reconnaissance des class actions en France (I), le juge français n’a toutefois pas voulu saisir l’occasion pour trancher cette question essentielle (II).

(29)

29

I. VIVENDI (I) ou l’incitation du juge américain à la reconnaissance des jugements de class action en France

L' « Affaire Vivendi » est un cas classique de class action d’actionnaires : des actionnaires de la société Vivendi Universal SA se sont réunis afin de faire valoir leurs droits auprès du juge après avoir subi une perte financière, qu’ils incombent à la diffusion de fausses informations aux marchés par la société. Nous reviendrons sur ce point plus en avant.

Surtout, l’Affaire Vivendi est une class action au sens populaire de la procédure : c’est un procès public opposant David et Goliath, hautement médiatisée. Pendant huit ans, chaque rebondissement de l’affaire a été relayé par la presse. On est bien loin d’une justice entre quatre murs où s’opposent, devant un juge, une société et ses dirigeants d'une part, ses investisseurs d'autre part. C’est au contraire une affaire publique qui soulève l'indignation générale et manifeste de la crise financière des années 2000 ainsi que de la perte de confiance dans les informations divulguées par les sociétés sur les marchés financiers. Ainsi, il faut garder à l’esprit que la procédure engagée contre Jean-Marie Messier, Président-Directeur Général de Vivendi et son groupe était aussi, d’une certaine manière, adressée à toute une caste professionnelle qui, par fourberie ou imprudence, a causé une crise financière et économique considérable.

L'affaire va donc au-delà de la simple réparation d'un préjudice : elle a une portée bien plus large et une finalité publique, tant dans le message porté par le recours –

(30)

30

la révolte de minoritaires auparavant silencieux – que dans la sanction qui pouvait en résulter – on pense notamment à des dommages-intérêts punitifs exemplaires. Aussi, l'affaire Vivendi est une véritable manifestation de l'évolution des class

actions, dépassant le cadre des requêtes locales de consommateurs pour atteindre

le marché transnational des valeurs mobilières. Le principal outil de promotion du recours, son site Internet39, en est caractéristique : dès la page d'accueil, quatre drapeaux (américain, français, néerlandais et britannique) rappellent au visiteur la dimension transnationale de l'affaire ; un formulaire en ligne, très succinct, permet de s'inscrire afin de recevoir toute information relative à la progression du recours ; les divers documents juridiques (demande introductive d'instance, ordonnances, réponse des défendeurs) sont mis à la disposition de tous. Tout est ici mis en œuvre pour qu'une majorité de personnes puisse souscrire à l'action et être tenue informée.

Surtout, l'affaire Vivendi est importante en ce qu’elle a donné au juge l’opportunité d'orienter le développement des class actions. Alors que juristes et politiciens, en France comme aux États-Unis, multiplient les débats et rapports sur, d'un côté de l'Atlantique, l’acceptation des demandeurs étrangers dans les

class actions américaines et, de l'autre côté de l'Atlantique, à la reconnaissance de

ces procédures sur le territoire national, les juges américains et français ont été confrontés à un cas d’espèce qui les a menés à prendre position sur le développement des class actions d’actionnaires. C’est ainsi qu’une affaire classique de diffusion d’informations trompeuses sur les marchés financiers (A) a

(31)

31

conduit le juge américain à se prononcer sur l’acceptation de demandeurs étrangers, et notamment français, dans une class action d’actionnaires (B).

A. L’affaire : diffusion de fausses informations sur les marchés financiers

L’affaire est simple : il était reproché à Vivendi d'avoir communiqué des informations erronées et trompeuses sur la situation financière de la société, en vue de dissimuler au marché et aux investisseurs l'importance de la dette contractée par la société.

Les faits allégués remontent à la période située entre le 30 octobre 2000 et le 14 août 2002, période durant laquelle les déclarations du Président-Directeur Général Jean-Marie Messier se voulaient rassurantes et niaient toute rumeur faisant état d’un bilan négatif de la société Vivendi. La documentation transmise auprès de l'autorité de régulation américaine, la Security and Exchange Commission, se voulait également positive. Jean-Marie Messier avait par ailleurs mené une campagne d'acquisition et d'expansion sur le territoire américain du groupe portant sa société parmi les plus valorisées du marché40. Ce n'est qu'en juin 2002 que, suite à la démission de Jean-Marie Messier du Conseil d'administration, le scandale éclata et l’existence de fausses informations financières fut révélée. En suivi un effondrement des cours et une perte financière considérable pour les actionnaires du groupe, évaluée à deux milliards d'euros par l'Association de Défense des Actionnaires Minoritaires. En août 2002, l'agence de notation

40 Horatia Muir Watt, « Régulation de l'économie globale et l'émergence de compétences déléguées : sur le droit international privé des actions de groupe » (2008) RCDIP 581 ¶2 [Horatia Muir Watt].

(32)

32

Standard & Poors cristallisait la crise, évaluant le titre Vivendi comme étant un titre « à haut risque », celui-ci ayant perdu près de 90% de sa valeur41. Selon les actionnaires lésés, Vivendi était insolvable depuis la fin 2001 et a volontairement dissimulé cette situation, ainsi qu'une dette de 77 milliards d'euros engendrée par sa politique d'expansion42.

L'affaire résulta en une multiplication des requêtes en vue de l'ouverture de class

actions d’actionnaires. Pas moins de seize groupes furent constitués devant les

tribunaux américains en 200243. Ils furent rassemblés en un unique groupe devant le Tribunal Fédéral du District du Sud de New-York sous l'appellation In re

Vivendi Universal S.A. Securities Litigation et obtinrent, le 21 mai 2007, la

certification nécessaire pour mener un recours collectif contre Vivendi et deux de ses dirigeants, Jean-Marie Messier et Guillaume Hannezo, l'ancien directeur financier du groupe, sur le fondement de la violation de l'article 10 b-5 de la Loi sur les marchés financiers44.

41 Michel Rose, « US class action could cost $1 bln » (29 avril 2010), en ligne : Reuters <http://www.reuters.com/article/2010/04/29/vivendi-idUSLDE63S1SS20100429> [Rose]. 42 Matthew Campbell et Heather Smith, « Vivendi Can’t Block French Investors from US Suit»

(28 avril 2010), en ligne : Bloomberg < http://www.bloomberg.com/news/2010-04-28/vivendi-loses-bid-to-exclude-french-investors-from-u-s-class-action-suit.html>.

43 Cette information apparait dans l’assignation devant le Tribunal de Grande Instance de Paris délivrée en 2009 par Vivendi à l’encontre des deux actionnaires à l’origine de la class action américaine aux côtés de l’ADAM. L’assignation a été diffusée sur Internet : Yann le Galès, « Vivendi attaque en justice deux petits actionnaires et l'Adam » (9 octobre 2009), en ligne : Blog Le Figaro < http://blog.lefigaro.fr/legales/2009/10/vivendi-attaque-en-justice-deux-actionnaires-et-ladam.html>[Assignation].

44 Securities Exchange Act, P.L. 73-291, 48 Stat. 881 (1934) [Securities Exchange Act]: “Rule 10b-5: Employment of Manipulative and Deceptive Practices: It shall be unlawful for any person, directly or indirectly, by the use of any means or instrumentality of interstate commerce, or of the mails or of any facility of any national securities exchange,

(33)

33

Le 29 janvier 2010, le jury de la Cour Fédérale de Manhattan reconnaissait Vivendi coupable des faits allégués et leva toute responsabilité des dirigeants désignés. S'il venait à être définitif, le jugement pourrait couter près de 800 millions d'euros à Vivendi45. Mais rien n’est moins sûr car cette décision ne marque que la première étape d’un feuilleton judiciaire complexe.

En effet, le groupe ayant introduit la class action devant le tribunal de New York était majoritairement composé d’actionnaires étrangers, dont 60% d’actionnaires français. La décision de certification du groupe du 21 mai 2007 a confronté le juge américain à la délicate question de l'introduction de justiciables étrangers au sein du groupe présenté. En acceptant la présence d'actionnaires français dans ce groupe, alors que les class actions ne sont pas admises en France, le juge américain a privilégié l'efficacité du recours introduit sur son territoire et apporté une nouvelle pierre, néanmoins tangente, à l'édifice de son droit international privé.

B. Certification d’un groupe composé majoritairement de demandeurs français

La particularité de la requête en introduction du recours contre Vivendi et ses dirigeants tient à la diversité de l'actionnariat qui souhaitait être représenté au sein

(b) To make any untrue statement of a material fact or to omit to state a material fact necessary in order to make the statements made, in the light of the circumstances under which they were made, not misleading, or

(c) To engage in any act, practice, or course of business which operates or would operate as a fraud or deceit upon any person, in connection with the purchase or sale of any security”. 45 Rose, supra note 41.

(34)

34

d’une même procédure : 75% des membres du groupe présenté devant le Tribunal Fédéral du District du Sud de New-York n'était pas américains46. Ne pas être citoyen américain n'est pas un obstacle en soit à l'introduction d'un recours collectif. Cela devient néanmoins un obstacle lorsque les justiciables sont de nationalités différentes ou issus de systèmes juridiques étrangers ou lorsqu’ils sont en proportion si imposante qu'ils menacent l'uniformité du groupe. La phase de certification du groupe a pour objet d'établir que les conditions de l'article 23(a) du FCPR :

(1) le nombre de membres est trop important pour qu'une action conjointe soit praticable ;

(2) une question commune unit les membres du groupe ;

(3) la demande du représentant du groupe est caractéristique des demandes des autres membres ;

(4) les représentants sont à même de protéger de manière adéquate et équitable les intérêts de tous les membres.

1) Le test de probabilité

La première condition, la supériorité de la procédure, est particulièrement en danger lorsque des justiciables étrangers sont membres d'un groupe. Ce critère exige que la voie collective soit la plus appropriée pour réaliser les effets escomptés de la procédure, en comparaison avec les autres voies d'accès à la justice disponible. Horatia Muir Watt a relevé parmi les éléments à considérer pour apprécier la supériorité de la procédure les aspects suivants :

(35)

35

L'intérêt des membres du groupe à exercer ou non des actions individuellement [cet élément est aisément établi en matière de valeurs mobilières, où les pertes individuelles souvent trop faibles pour justifier la sollicitation du juge], l'existence de procédures déjà engagées par certains membres, l'opportunité d'une concentration de l'ensemble du contentieux devant le seul for de l'action collective, et les difficultés de gestion [du groupe]47.

Au delà de la commodité procédurale que peut constituer une class action pour ses membres, celle-ci doit également, pour être qualifiée de supérieur, contribuer à la bonne administration de la justice, c'est-à-dire favoriser des économies d’échelle et faciliter la gestion des contentieux. Sans cela, le juge est moins disposé à certifier le groupe.

Lorsque des justiciables étrangers entrent en jeu, l'évaluation de la supériorité complique la tâche du juge de la certification. Il doit, par un test de probabilité, apprécier si les conditions de l’article 23(a) sont réunies dans le pays concerné. Ce test reste toutefois à la discrétion du juge, selon sa volonté ou non de conférer à son jugement un rayonnement débordant de sa juridiction. Ainsi, certains juges, réfractaires à l'idée de se prononcer sur une question aussi sensible que celle de l'intégration d'étrangers dans leurs class actions, préfèrent exclure de facto les demandeurs étrangers du groupe désigné dans leur décision de certification48.

Le test de probabilité a pour objet d'anticiper la réaction des autorités lorsque, une fois le jugement américain rendu, le justiciable étranger voudra s'en prévaloir auprès de la juridiction. Cette évaluation des « chances de circulation

47 Horatia Muir Watt, supra note 40, ¶4.

48 Ilana Buschkin, «The viability of class action lawsuits in a globalized economy – permitting foreign claimants to be members of class actions lawsuits in the U.S. Federal courts » (2005) 90 Cornell L. Rev. 1563 à la p.1567 [Buschkin].

(36)

36

internationale du jugement »49 impose au juge américain de se plonger dans le droit international privé du pays en question, afin de déterminer si son jugement y sera reconnu et sera res judicata, c'est à dire s'il sera pleinement effectif et aura autorité de la chose jugée.

Dans l’affaire Vivendi, le juge de la certification a donc momentanément revêtu la robe française, et, au regard des principes de droit international privé français, établit qu'il était « plus probable que non »50 que le jugement rendu à l'issue de la procédure soit reconnu en France. Malgré les hésitations que peut soulever la formule, il faut noter que le juge fait ici preuve de davantage de rigueur que ses prédécesseurs dans l'affaire Bersch v. Drexel Firestone de 197051. Les juges avaient alors considéré qu'un refus de certification ne pouvait être prononcé à l'égard de demandeurs étrangers que si la non-reconnaissance du jugement auprès de la juridiction était quasi-certaine. La logique est maintenant inversée : il ne s'agit donc plus de prouver l’impossibilité de reconnaissance du jugement, mais de peser les éléments allant pour et contre cette reconnaissance pour établir son degré de probabilité.

Ici, la Cour a fait reposer son test de probabilité sur deux piliers. D'une part, la justification de sa compétence au cas d'espèce. Celle-ci tient à divers éléments, nous en relèverons deux. Premièrement, une nouvelle lecture de l'article 15 du Code civil français, insufflée par la jurisprudence issue de l'arrêt Prieur52 du 23

49 Horatia Muir Watt, supra note 40 ¶1. 50 “More likely than not”.

51 Bersch v. Drexel Firestone Inc., 519 F.2d 974 (2d Cir.), cert. denied, 423 U.S. 1018 (1975). 52 Cass. civ.1e, 23 mai 2006, Prieur c. de Montenach, D. 2006. Chron. 1846 (note B. Audit).

(37)

37

mai 2006. Conformément à l’article 15 du Code civil, « un Français pourra être traduit devant un tribunal de France, pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger ». Cette disposition avait jusqu'alors été considérée par la jurisprudence comme le fondement d'une compétence exclusive du juge français sur ses nationaux, permettant ainsi aux demandeurs de l'invoquer afin d'empêcher l'exécution d'un jugement étranger en France. L'arrêt Prieur renverse cette tendance : « [l]’article 15 du Code civil ne consacre qu’une compétence facultative de la juridiction française, impropre à exclure la compétence indirecte d’un tribunal étranger, dès lors que le litige se rattache de manière caractérisée à l’Etat dont la juridiction est saisie et que le choix de la juridiction n’est pas frauduleux »53. Il sonne ainsi le glas de la compétence exclusive du juge français sur ses nationaux et ôte un obstacle considérable à la reconnaissance des jugements étrangers en France. Deuxièmement, le juge américain s'est intéressé à la condition posée par l'arrêt Prieur, à savoir l'existence d'un lien caractérisé entre la juridiction saisie et le litige. En l'espèce, les faits allégués ayant été supposément commis en infraction du droit américain, il a considéré que le juge américain était compétent.

Le second pilier de la démonstration du juge de la certification est en revanche plus surprenant car moins juridique. Pour compléter son test de probabilité, celui-ci s'est attaché à étudier les divers avis qui lui ont été portés concernant l'acceptation des class actions en France. Il en a apporté une appréciation qui, il faut le souligner, n'engage que lui. Il a ainsi soulevé les divers arguments relevés

(38)

38

par doctrine, universitaires, experts et gouvernements contre l’introduction des

class actions en France, pour en modérer la portée et justifier sa décision.

L'obstacle du mécanisme d'opt-out par exemple, si souvent présenté comme une barrière à l'introduction des class actions, perd de sa force bloquante devant le juge de la certification, qui ne considère pas cet obstacle comme insurmontable. Il rappelle également que la maxime Nul ne plaide par procureur n’est pas absolue car le juge français a déjà refusé de l’appliquer au nom de l'ordre public54. Enfin, il déduit de l'abondance des écrits en la matière, et de la multiplication des groupes de travail composés sous l'impulsion de politiques, qu'il existe une volonté en France de voir les class action reconnues. Ce faisceau d'indices permit ainsi au juge de la certification de constater qu'il existerait plus de raisons de reconnaître un jugement de class action que de le rejeter. Fort de cette déduction, il décida donc d'inclure les actionnaires français dans le groupe constitué face à Vivendi.

La solution ne choque pas, particulièrement au vu du scandale créé par l’Affaire Vivendi : l’opinion publique voulait une class action suffisamment forte. Mais la justification juridique reste faible, et cela d'autant plus qu'une décision inverse avait été rendue quelques mois auparavant, par la même juridiction, autrement composée toutefois, dans le cadre de l'affaire Alstom. Les faits allégués étaient similaires : actionnaires américains et étrangers, dont français, demandaient l'introduction d'un recours collectif contre une société française, pour diffusion

54 Horatia Muir Watt, supra note 40 ¶9. La décision est rapide et imprécise sur ce point, ce qui ne permet pas d’identifier la jurisprudence dont le juge américain fait mention au soutien de ses propos.

(39)

39

d'informations financières inexactes. Ici également, afin de déterminer si le groupe présenté répondait aux critères de la règle 23 du FCPR, le juge de la certification avait pratiqué un test de probabilité évaluant l'efficacité d'un jugement américain pour les membres français du groupe. Mais la conclusion de ce test fut bien différente : le Tribunal Fédéral du District du Sud de New-York avait retenu en l’espèce qu'une décision issue d'une procédure de class action ne serait pas reconnue en France, car la class action porte atteinte aux principes essentiels du droit français55. Comme énoncé précédemment, le test de probabilité est à la discrétion du juge qui décide de le pratiquer et n'a pas de portée autre que celle de motiver sa décision de certification du groupe. C'est pourquoi deux résultats diamétralement opposés peuvent apparaître lors d'affaires similaires.

2. L’efficacité nécessaire de la class action

Le défaut d'exequatur d'un jugement n'est pas un obstacle mineur. Au contraire, il priverait le recours collectif de toute efficacité si le jugement ne constitue pas

res judicata pour les membres du groupe comme pour le défendeur. Si un groupe

est certifié sans que tous les membres puissent se prévaloir de la décision dans leur juridiction, cela implique que ces derniers puissent à nouveau poursuivre la société, pour les mêmes faits allégués, auprès de leur juge national pour obtenir indemnisation. Plus dangereux, des individus non satisfaits de l'issue du recours collectif pourraient ouvrir de nouvelles procédures individuelles afin d'obtenir gain de cause, engendrant ainsi un coût supplémentaire pour l'appareil judiciaire

55 Daniel Cohen, « Contentieux des affaires et abus de forum shopping » (2010) 16 D. 975 ¶17 [Cohen].

Références

Documents relatifs

Afrique, op.. que soient intimement liés un aspect contractuel rattaché à l’intérêt commun des associés, et un aspect institutionnel exaltant l’intérêt de la personne morale

This participatory and adaptive approach is ideally undertaken in an iterative six-stage process: 1) build- ing a hypothetical first impact narrative, 2) mapping the desired

Suivi-évaluation participatif et apprentissage • Hypothèse des impacts initiale • Identifier les problèmes/les opportunités et les solutions • Périmètre spatial •

Le code de commerce français est muet concernant les obligations des administrateurs, notamment quant à la manière dont ces derniers doivent prendre leur

Cette pratique informelle n’a cepen- dant pas évolué, et la protection de l’impartialité du juge constitutionnel est restée inachevée dans le cadre du contrôle a priori (B)A.

L’objet de ce travail est de faire un état des lieux des pratiques de rémunération en actions des entreprises françaises en s’interrogeant sur le processus

La littérature existante recense des outils et techniques de contrôle de gestion qui correspondent à six enjeux classiques pour les activités de services : le

Deuxième point dans la jurisprudence constitutionnelle relative au droit au juge sous l’état d’urgence : le Conseil constitutionnel a défini l’étendu du