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III. L’IMPACT DE LA GAR SUR LES ENSEIGNANTS : UNE PERSPECTIVE

3.1 Perspective macrosociologique : la GAR, mécanisme de rationalisation

3.1.1 GAR et raison instrumentale : des liens étroits

Désormais qu’ont été éclairées les notions de GAR en éducation au Québec et de raison instrumentale, le lecteur attentif aura certainement remarqué les similitudes existant entre les deux notions. Néanmoins, il sera pertinent d’expliciter et d’établir clairement ici les motifs expliquant que nous considérions la logique interne de la GAR comme analogue à celle de la raison instrumentale.

D’abord, l’émergence d’un champ mondial de la politique éducative, au sein duquel les États s’influencent sur une base transnationale, joue un rôle clé dans le phénomène de rationalisation des systèmes éducatifs (Lingard et Rawolle, 2011, p.499). En effet, la tendance mondiale, en concordance avec les discours prosélytiques de plusieurs organisations internationales (notamment l’OCDÉ, la Banque Mondiale, l’Organisation Mondiale du Commerce et la Commission Européenne), est à la fixation d’objectifs homogénéisés et prescrits dans une visée d’efficacité sur une base de comparaison intra et inter systémique (Laval et Weber, 2001, p.3-4). La marchandisation de l’école devient affaire extrêmement compétitive sur le plan international et les réformes éducatives vécues par nombre de pays sont mises en œuvre pour se positionner le mieux possible sur cet échiquier mondial : ce positionnement est d’autant plus crucial à l’ère de l’économie de la connaissance (Lingard et Rawolle, 2011, p.493).

Cette importante intensification de la compétition sur le plan international se traduit évidemment par des transformations mises en place par les gouvernements quant à leurs structures d’organisation en matière d’éducation. Les systèmes éducatifs

occidentaux se transmuent en acceptant pour « indiscutables » ou « incontournables » des « impératifs » ou des « évidences » (Laval et Weber, 2001, p.4)

imposés par la tendance internationale de la « nouvelle orthodoxie » dont il a été question au premier chapitre. Or, cette approche rationnelle nous apparaît s’inscrire dans le champ de la raison instrumentale où, rappelons-le, les « calculs rationnels [ne sont justifiés] qu’en référence à des règles, des lois ou des formes de régulation appliquées de façon universelle » (Kalberg, 2010, p. 132). La réflexion sous-jacente aux choix d’actions politiques et d’appartenance idéologique se limite à sélectionner l’instrument le plus efficace pour atteindre ses buts en se fondant sur la connaissance empirique disponible : nous sommes donc bel et bien dans le domaine de la raison instrumentale telle que définie par Weber, puis critiquée par Horkheimer et Adorno.

C’est cette logique instrumentale, promue par les tenants de la NGP, qui sous-tend la tendance internationale des politiques de régulation par les résultats. En bref, en instituant des étalons de comparaison et un marché concurrentiel sur une base internationale, mais également entre les écoles d’un même système sur les bases d’outils d’évaluation devenus centraux tels que les tests standardisés12 et en orientant les politiques éducatives et les décisions à tous les paliers décisionnels influents pour la chose scolaire autour de ces standards chiffrés et instrumentaux, la GAR appartient au champ de la raison formelle-instrumentale. En effet, réduite à son essence, la GAR n’est- elle pas un calcul moyens-fins cherchant à optimiser l’efficacité du système éducatif québécois en acceptant des standards préétablis de performance comme visées prioritaires. Tardif circonscrit d’ailleurs l’appartenance de l’obligation de résultats en éducation au champ de la rationalisation instrumentale :

« la question de l’obligation des résultats en éducation (…) s’inscrit dans une tendance lourde et de longue durée caractéristique des sociétés modernes (…), [

celle de] la rationalisation générale des différentes sphères de l’activité sociale. Rationaliser veut dire ici : agir conformément à des buts évaluables afin de pouvoir déterminer, par la pensée calculatrice, un ensemble de moyens efficaces pour les atteindre. Autrement dit, selon Weber et pour les autres théoriciens de l’action (Habermas, 1987 ; Giddens, 1987; Reynaud, 1997), agir de manière rationnelle par rapport à un but, c’est faire quelque chose qui a été calculé pour atteindre ces buts avec une efficacité optimale » (Tardif, 2004, p.189-190)

et

« on peut affirmer que la question de l’obligation de résultats en éducation n’est rien d’autre qu’un effort pour faire entrer les organisations scolaires dans la logique de l’action instrumentale propre à la modernité, logique basée sur des critères d’efficacité et de succès » (ibid., p.191)

Or, les francfortois soutiennent la thèse selon laquelle les processus de rationalisation instrumentale occasionnent une perte de sens dans l’action de l’individu soumis à la domination du système érigé sur les bases du pragmatisme : « La formalisation de la raison transforme la théorie elle-même – dans la mesure où elle prétend être plus qu’un signe dans des opérations neutres – en concept incompréhensible, et le penser n’est considéré comme sensé que lorsqu’il a sacrifié le sens » (Horkheimer et Adorno, 1974, p.103). Mu par des objectifs dogmatiquement édictés et un penser focalisé sur ceux-ci, l’individu est contraint à œuvrer dans la voie tracée par la règle : « less and less is anything done for its own sake. (…) In the view of formalized reason, an activity is reasonable only if it serves another purpose (…). In other words, the activity is merely a tool, for it derives its meaning only through its connection with other ends » (Horkheimer, 1947, p.37), donc l’activité n’est porteuse de sens qu’à travers ses objectifs, elle est dépossédée de son sens autonome. Dès lors qu’elle est instrumentalement rationalisée, l’activité éducative perdrait donc son sens intrinsèque aux yeux des enseignants. Mais quel est donc ce sens que porte son travail aux yeux de l’enseignant? Et comment la rationalisation instrumentale inhérente à la GAR provoque-t-elle, ultimement, une perte de sens dans l’exercice des fonctions enseignantes?

3.1.2 Le sens attribué à leur travail par les enseignants : leurs valeurs, les finalités