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I. LA GESTION AXÉE SUR LES RÉSULTATS EN ÉDUCATION AU QUÉBEC

1.2 La Gestion Axée sur les Résultats en éducation au Québec

1.2.2 Construction du modèle québécois

Plus concrètement, le système éducatif québécois fonctionne selon un arrimage entre trois niveaux : au sommet, le ministère de l’Éducation du Québec (qui portera successivement les titres de Ministère de l’Éducation du Québec (MEQ), Ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport (MELS), et, actuellement, celui de Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement Supérieur (MEES)) (macro), les commissions scolaires agissant comme intermédiaire (méso) et, enfin, recevant les prescriptions et leur répondant, l’école (micro). Ces trois paliers interagissent en matière de planification scolaire depuis 1979 et l’adoption du projet de loi 71 modifiant la Loi sur l’instruction publique (LIP) par l’entremise du « projet éducatif » propre à chaque établissement, mais influencé par les objectifs visés par les instances supérieures (Dembélé et al., 2013). Le

5 Le néolibéralisme, concept fourre-tout s’il en est un, est défini différemment et décliné à toutes les sauces selon les auteurs. Pour notre part, nous retenons la définition de Shamir (2008), malgré le fait qu’on pourrait la considérer connotée, puisqu’elle prend en considération sa complexité et son aspect confus en plus de ramener le concept à son essence : « I treat neoliberalism as a complex, often incoherent, unstable and even contradictory set of practices that are organized around a certain imagination of the ‘market’ as a basis for ‘the universalization of market-based social relations, with the corresponding penetration in almost every single aspect of our lives of the discourse and/or the practice of commodification, capital accumulation, and profit making » (p.3) .

projet éducatif sera défini en 1982 par le MEQ comme « une démarche dynamique par laquelle une école, grâce à la volonté concertée des parents, des élèves, de la direction et du personnel, entreprend la mise en œuvre d’un plan général d’action » (Ambroise et Ouellet, 1981, p.40) Bien que cette définition omette de mentionner la conformité aux exigences du MEQ, et que le palier intermédiaire perd certaines de ses fonctions et de ses pouvoirs avec le virage majeur de la fin des années 1990, il ne faut pas s’y méprendre : « les orientations du projet éducatif et les mesures qui en assurent la réalisation visent l’application, l’adaptation et l’enrichissement du cadre national défini par la loi, le régime pédagogique et les programmes d’études établis par le ministre » (LIP, 1998, art.37, 2e alinéa). En d’autres termes, le projet éducatif ne fait qu’ « inciter les acteurs de l’établissement à s’approprier le projet national et à le mettre en œuvre d’une manière qui convienne tant aux attentes de sa clientèle et de son personnel qu’aux besoins et aux caractéristiques de cette clientèle. Le tout à l’intérieur de la marge de manœuvre que leur laissent le projet national d’éducation et les autres encadrements arrêtés aux échelons national et intermédiaire » (Brassard, 2009, p.12). On sent donc déjà, avant même le tournant de l’an 2000, se mettre en place certaines des assises de la GAR en tant que politique de régulation par les résultats de type néo-bureaucratique : l’établissement jouit, à cette époque, d’une certaine latitude dans le développement de projet éducatif, mais ce dernier doit respecter les orientations édictées par le pouvoir central.

Le nouveau millénaire s’accompagne de l’instauration d’un nouveau document officialisant la relation de reddition de comptes unissant l’école au MELS : le plan de réussite, qui contient « des objectifs de réussite clairs et mesurables relativement aux apprentissages » qui définit « les moyens concrets qu[e l’établissement] compte mettre en place pour (…)atteindre [ces objectifs] » (MELS, 2007). Ce nouveau plan, dont l’adoption est officialisée et rendue obligatoire par l’adoption du projet de loi 124 en décembre 2002 (Dembélé et al., 2013, p.97), marque l’entrée formelle du système éducatif québécois dans l’univers de la régulation par les résultats. Le projet de loi 88, adopté quant à lui en 2008, est « venu formaliser davantage et articuler la gestion axée sur les résultats en éducation. Il exige, en plus des plans stratégiques, projets éducatifs et plans de réussite, la mise en place de conventions de partenariat entre les commissions

scolaires et le MELS ainsi que des conventions de gestion et de réussite éducative (CGRÉ) entre les commissions scolaires et chacune de leurs directions d’écoles » (ibid., p. 97). Tout cet appareillage légal et les documents y étant associés (voir la figure 1 ci- dessous) officialise donc une GAR respectant une élaboration top-down, alors que l’école répond aux exigences de sa commission scolaire (CS) par l’entremise de la CGRÉ, tandis que la CS doit également rendre des comptes au MELS suivant leur convention de partenariat.

Figure 1 : Mécanismes de reddition de comptes aux différents paliers6

Pour Dembélé et al. (p.105), la loi 88 et les outils l’accompagnant « constitue[nt] un premier pas vers un système de reddition de comptes à enjeux élevés au Québec ». Rappelons que les systèmes d’accountability dure (ou à forts enjeux) « seront pensées en termes d’incitants et de contraintes : conséquences financières (primes salariales, etc.), en

termes de gestion de carrière (promotion, déplacement, licenciement, etc.), d’images externes (classement public de la qualité de l’école, etc.), présupposant un acteur stratège, sensible à ses intérêts et au contexte » (Maroy et Voisin, 2014, p.4), alors que dans « les systèmes d’accountability plus « douce », « réflexive » (Dupriez & Mons, 2010) ou à enjeux faibles (Carnoy & Loeb, 2002 ; Harris & Herrington, 2006 ; Mons, 2009), les conséquences attachées à la reddition de comptes pourront être sensiblement différentes. Il s’agira d’enjoindre l’organisation ou le professionnel à se confronter à ses résultats, de faire évoluer par divers dispositifs favorisant le changement de pratique, le remaniement identitaire ou la réflexivité (Mons & Dupriez, 2011 ) » (Maroy et Voisin, 2014, p.4). C’est donc dire que le Québec adopte une voie empruntant une perspective selon laquelle l’acteur est stratégiquement rationnel, plutôt que celle selon laquelle l’acteur est intrinsèquement motivé à s’épanouir professionnellement.

Voilà donc comment se manifeste légalement et formellement la GAR en éducation au Québec selon les trois échelons constitutifs du système éducatif local. Maintenant, il importe de savoir quels effets ont ces moyens et mécanismes sur le fonctionnement de l’école, puisque nous cherchons ultimement à estimer les impacts vécus par les acteurs investis à ce niveau.