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3.2 Le supercontinuum comme source d’aléa

3.2.2 Génération de marches aléatoires

Le premier processus considéré dans cette partie consiste en la génération de marches aléa- toires à partir des fluctuations de phase et d’intensité vues précédemment. Introduit depuis 1905 pour répondre à des problèmes de mathématiques appliquées [208], le processus de marche aléatoire a depuis été associé à la compréhension et à la modélisation de nombreux phénomènes physiques tels que le mouvement Brownien et la diffusion thermique [199], l’optique [209], la mécanique quantique [210], les simulations de Monte-Carlo [211] ou même l’astronomie [212]. Néanmoins, ce processus aléatoire dans une approche plus vaste à aussi été employé dans de nombreux autres domaines comprenant par exemple la biolo- gie [213, 214], la chimie quantique [215], la génétique [216] et l’économie [217], montrant à quel point cette théorie est liée à de nombreux phénomènes rencontrés universellement. Après un rappel succinct relatif au processus de marches aléatoires en deux dimensions, nous expliquerons de quelle manière le bruit dans le supercontinuum peut être représenté d’une manière alternative et innovante grâce à ce processus. De plus, nous verrons que la théorie des marches aléatoires permet une meilleure compréhension des fluctuations spectrales au sein des SC par la génération d’une grande variété de marches aléatoires dépendantes de la région spectrale utilisée. Ces résultats mettent ainsi en lumière un lien plus apparent avec d’autres processus physiques aléatoires.

Introduction aux marches aléatoires

Le cas des marches aléatoires à une dimension est à l’heure actuelle relativement bien connu et peut, dans un cas idéal, être lié mathématiquement avec la description d’un processus gaussien standard [218]. Dans cette étude, nous nous intéressons spécifiquement au cas des marches aléatoires en deux dimensions (2D) représenté classiquement dans le plan complexe. Selon cette approche, une marche aléatoire de n pas sera donnée par une trajectoire calculée selon l’Eq. (3.5) :

r(n) = Σn

k=1rk (3.5)

Dans ce cas, la trajectoire après n pas est composée de l’ajout successif de n vecteurs

rk en partant de l’origine et dont le point final est en fait r(n). Une marche sera alors dite

aléatoire si la valeur de chaque coordonnée (xk et yk) suit en fait un processus aléatoire

centré en 0 et indépendant tel que rk= xk+ i yk. De manière à obtenir une approche plus

visuelle et aisément interprétable dans le plan complexe, on utilisera dans notre cas une notation en coordonnées polaires tel que chaque kième pas de la marche soit donné par :

rk = |rk| exp(i ϕk) (3.6)

Dans ce contexte, la direction de chaque pas est donnée par ϕkǫ[0, 2π] et la longueur

du pas correspondant est |rk|. Pour illustrer nos propos, la Fig. 3.6 montre un schéma de

la génération des premiers pas d’une marche quelconque. Il convient de noter que dans les représentations standards de marches aléatoires, on trace en fait l’ensemble des pas rk

de la trajectoire reliés par des segments afin de gagner en clarté dans la représentation visuelle.

3.2. Le supercontinuum comme source d’aléa 85

Figure 3.6 – Schéma du principe de génération de marches aléatoires.

Ainsi, il parait clair qu’un mécanisme pourra être décrit à l’aide d’une marche aléatoire uniquement si la moyenne hrki est en fait nulle avec une distribution de phase uniforme ϕk = U(0, 2π). Ces facteurs sont en fait la clé pour assurer une distribution isotrope

globale de l’ensemble des pas rk.

Une autre métrique couramment utilisée afin de déterminer les propriétés statistiques des marches aléatoires est donnée par le calcul du déplacement carré moyen (DCM - Mean

Squared Displacement) après n pas tel que décrit par l’Eq. (3.7) :

DCM(n) = h|r(n)|2

i (3.7)

Dans ce contexte, les crochets < > font alors référence à une moyenne d’ensemble de la distance de l’origine au carré obtenue pour plusieurs marches (c.a.d. trajectoires) de n pas. Cette mesure est essentielle car elle permet d’obtenir un lien direct avec le mécanisme de “diffusion” à l’origine du processus aléatoire [199,219]. Pour cela, le déplacement carré moyen est ajusté sur une loi de puissance dépendant du nombre de pas n, de la diffusivité du système D et d’un paramètre de diffusion α (Il convient de noter que dans cette partie, la diffusivité du système est notée D et présente une redondance avec la notation du paramètre de dispersion vu dans le chapitre 1. Étant donné l’utilisation historique de ces deux variables dans des domaines différents, nous avons ici décider de conserver cette double notation pour correspondre au plus près à la littérature) :

DCM(n) = D nα (3.8)

Selon l’Eq. (3.8), on peut identifier différents mécanismes de diffusion selon la valeur du paramètre α : α ⇒              α = 2 → Diffusion ballistique α >1 → Super − diffusion α= 1 → Diffusion normale α <1 → Sous − diffusion (3.9)

Nous pouvons noter qu’une valeur α = 2 est alors associée à un processus de diffusion balistique n’étant pas aléatoire puisque celui-ci suppose une direction constante du vecteur

Dans le cadre d’une marche obtenue à partir de pas de longueur constante tel que |rk| = D, on voit qu’une telle marche ne pourra être aléatoire que si on obtient un para-

mètre α = 1. Dans le cas contraire où l’on retrouve un paramètre de diffusion supérieur

α > 1, il est évident que la marche ne sera pas isotropique (hrki 6= 0) et possédera une

direction privilégiée équivalente à une distribution non uniforme de ϕk.

L’intérêt majeur de cet ajustement à une loi de diffusion donnée l’Eq. (3.8) réside dans son utilisation en considérant des trajectoires générées à partir de pas rk dont les

longueurs suivent une loi de distribution quelconque. Dans la limite où la direction

des vecteurs ϕk suit une loi de distribution uniforme, on peut alors identifier des régimes,

selon la valeur de α, où les marches aléatoires sont basées sur des mécanismes diffusifs connus.

Marches aléatoires à partir des fluctuations de phase

Dans un premier temps, nous considérons l’approche triviale de la génération de marches aléatoires en utilisant des pas de longueur unitaire tels que |rk| = 1. Dans ce cas, nous

utilisons les fluctuations de phase issues des simulations de la Fig. 3.5 à une longueur d’onde où le degré de cohérence est quasiment nul (impliquant une distribution de phase quasi-uniforme). Aussi, la phase variant de manière aléatoire entre chaque réalisation k de l’ensemble des simulations est utilisée pour déterminer la direction d’une séquence de vecteurs complexes de longueur unitaire. En particulier, chaque simulation de génération de supercontinuum mène à la construction d’un vecteur rk = exp(i ϕk) dans le plan

complexe, et la combinaison de différentes simulations permet la création d’une trajectoire à n pas selon le principe donné par l’Eq. (3.5).

Dans la Fig. 3.7(a), nous présentons les résultats obtenus en construisant une trajec- toire à partir de 1000 réalisations (c’est-à-dire une marche composée de n = 1000 pas) où les propriétés de phase sont extraites du supercontinuum à λ = 1100 nm. Il convient de noter que dans cette figure, on superpose 20 marches de 1000 pas pour mettre en lu- mière l’isotropie directionnelle de plusieurs trajectoires distinctes due à l’uniformité de la distribution de phase dans le supercontinuum. L’évolution d’une trajectoire quelconque ressemble qualitativement à celle attendue pour une marche aléatoire. On peut notam- ment voir, dans l’insert, les directions aléatoires des différents pas près du point d’arrivée d’une trajectoire particulière.

Ces résultats peuvent facilement être testés quantitativement en calculant le déplace- ment carré moyen obtenu sur un ensemble de trajectoires. Ces résultats sont présentés dans la Fig. 3.7(b) où le DCM est calculé en fonction du nombre de pas n (1 < n < 1000) pour 200 trajectoires différentes. Dans ce cas, on utilise alors la totalité de l’ensemble des 200 000 simulations subdivisées pour construire 200 trajectoires de 1000 pas. Dans cette figure, nous présentons les résultats obtenus en utilisant la phase extraite aux trois différentes longueurs d’onde étudiées dans la Fig. 3.5 (respectivement 880, 1100 et 1270 nm). On voit alors que chacune de ces longueurs d’onde a globalement un comportement similaire. De plus, les DCM montrent un excellent accord avec l’évolution attendue pour une marche aléatoire idéale constituée de pas unitaires (ligne noire) tel que h|r(n)|2i = n

3.2. Le supercontinuum comme source d’aléa 87

0

500

1000

0

500

1000

Nombre de pas

D

é

p

la

ce

m

e

n

t

ca

rr

é

m

o

y

e

n

(

u

.a

.)

Théorie 880 nm 1100 nm 1270 nm

−40

0

40

−40

0

40

Partie réelle (r)

P

a

rt

ie

im

a

g

in

a

ir

e

(

r)

(a)

(b)

Figure 3.7 – (a) Représentation de 20 marches aléatoires de 1000 pas unitaires dont la direc- tion de chaque pas ϕk est obtenue à partir des fluctuations de phase extraites à

1100 nm. L’insert montre un zoom sur les derniers pas d’une trajectoire ainsi générée. (b) Déplacement carré moyen équivalent calculé en fonction du nombre de pas n pour un ensemble de 200 marches aléatoires. On considère ici les ré- sultats obtenus pour les 3 longueurs d’onde étudiées dans la Fig. 3.5 ainsi que le comportement attendu pour une marche aléatoire idéale (ligne continue).

Ce dernier point met clairement en avant l’indépendance entre les statistiques des fluctuations de phase et d’intensité dans le supercontinuum. On retrouve en effet une isotropie de la phase aux trois longueurs d’onde considérées dans la Fig. 3.5 alors que les distributions des fluctuations d’intensité sont très différentes à chacune de ces longueurs d’onde.

Marches aléatoires à partir des fluctuations de phase et d’intensité

Dans ce contexte, il est intéressant d’utiliser à la fois les fluctuations de phase et d’inten- sité dans le supercontinuum pour étudier une classe plus large de processus de marches aléatoires. Pour cela, on considère la génération de marches aléatoires dont la direction de chaque pas (ϕk) est toujours déterminée par la phase d’une réalisation à une longueur

d’onde donnée λi mais la longueur de chaque pas |rk| n’est cette fois-ci plus unitaire

mais correspond à l’énergie de chaque réalisation filtrée à la longueur d’onde considérée. Il convient de noter que dans ce cas, l’intensité de la réalisation (longueur de chaque pas) est extraite en considérant un filtrage spectral de largeur ∆λ = 20 nm centré sur la longueur d’onde sélectionnée. De manière équivalente, la direction de chaque pas est dé- terminée par la phase extraite à la longueur d’onde centrale de la bande spectrale étudiée. Ainsi, selon la longueur d’onde filtrée, on retrouve dans ces marches aléatoires des pas dont la longueur suit des distributions variables et indépendantes de sa direction telles que vues préalablement dans la Fig. 3.5. Les résultats issus de cette méthode de génération de marches aléatoires à partir des simulations précédentes sont présentés dans la Fig. 3.8.

−1

0

1

−1

0

1x 10

4

Partie réelle (r)

10

0

10

1

10

2

10

3

10

4

10

5

10

6

10

7

Nombre de pas

α = 1

(c)

λ = 1270nm

P

a

rt

ie

im

a

g

in

a

ir

e

(

r)

D

C

M

(

u

.a

.)

−1

0

1

−1

0

1

x 10

6

Partie réelle (r)

(b)

10

0

10

1

10

2

10

3

10

9

10

10

10

11

Nombre de pas

D = 3.46 x108 λ = 1100nm

−2

0

2

−2

0

2

Partie réelle (r)

x 10

2

10

0

10

1

10

2

10

3

10

−2

10

0

10

2

10

4

Nombre de pas

α = 1

(a)

λ = 880nm

Figure 3.8 – (Haut) Représentation de 20 marches aléatoires de 1000 pas unitaires dont la direction ϕk et la longueur |rk| de chaque pas sont respectivement obtenues à

partir des fluctuations de phase et d’intensité extraites à 880 nm (a), 1100 nm (b) et 1270 nm (c). (Bas) Déplacements carré moyen équivalents calculés en fonction du nombre de pas n pour un ensemble de 200 marches aléatoires aux longueurs d’onde correspondantes.

Aux alentours de la pompe (λ = 1100 nm), la Fig. 3.8(b) montre des trajectoires reposant sur des pas dont la distribution des longueurs est approximativement symétrique et gaussienne. Aussi, on retrouve une isotropie globale des trajectoires avec de faibles fluctuations de la longueur de chaque pas. Dans ce cas, le DCM calculé à partir de 200 trajectoires évolue de manière linéaire avec le nombre de pas tels que h|r(n)|2i = D n. On

retrouve alors un comportement extrêmement proche de celui attendu pour une marche aléatoire idéale (ou gaussienne) propre à un mécanisme de diffusion normale où α = 1 (ex : mouvement Brownien). On peut aussi noter que la valeur D = 3.46×108, ici calculée

par un ajustement de la pente du DCM, s’accorde correctement avec la moyenne du carré de la longueur des pas sur l’ensemble des réalisations : h|rk|2i = 3.68 × 108 ∼ D.

Dans les bords du spectre où les distributions d’intensité sont hautement dissymé- triques (λ = 880 nm et λ = 1270 nm), les Figs. 3.8(a) et (c) montrent des trajectoires associées avec de rares segments de grandes longueurs entre des agrégats de segments de longueurs plus faibles. Bien que ces résultats ne soient pas présentés ici, nous avons préa- lablement vérifié l’isotropie globale des trajectoires tel que hr(n)i ≈ 0. Ce point montre dans un premier temps l’absence d’une direction de propagation privilégiée soulignant

3.2. Le supercontinuum comme source d’aléa 89 l’absence de corrélation significative entre l’occurrence d’événements d’intensité extrême avec une phase prédominante. Alors que la statistique des fluctuations d’intensité spec- trale dans les bords du spectre suit une distribution dissymétrique à large queue (γ > 0 et

κ >0), les trajectoires générées à ces longueurs d’onde présentent des déplacements carré

moyen n’évoluant plus de manière linéaire avec le nombre de pas n mais suivant plutôt une loi de puissance donnée par l’Eq. (3.8) avec un paramètre α > 1. Ce régime, typique d’un processus de super-diffusion, est présenté dans la partie inférieure des Figs. 3.8(a) et (c). Il convient de noter que, dû à la taille limitée de l’ensemble utilisé (200 trajectoires), l’ajustement du DCM sur l’Eq. (3.8) n’est pas significatif. Néanmoins, on présente, à titre comparatif, la pente attendu pour une évolution strictement linéaire (α = 1) montrant clairement l’aspect superdiffusif du phénomène.

Ce comportement est largement similaire à celui attendu dans le cas de vols de Lévy où l’on observe une marche aléatoire dont la longueur de pas est gouvernée par une distri- bution à queue lourde, plus précisément une loi de probabilité décroissante en puissance telle que P (x) = x−ν (où ν correspond ici à la dimension fractale de la distribution). Bien

entendu, nous n’obtenons pas ici des trajectoires correspondant exactement à des vols de Lévy étant donné que la distribution des longueurs de pas (c.a.d. les intensités filtrées) est bornée par le théorème de conservation d’énergie lors de la génération du SC. Néan- moins, on observe des comportements similaires à ceux de vol de Lévy dont l’importance dans la communauté scientifique n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années pour comprendre de nombreuses catégories de systèmes dans des contextes variés tels que la physique [220, 221] et la biologie [214, 222].

(a) λ = 1270nm

(b) λ = 880nm

x 1000 x 100 x 10 x 1 x 1000 x 100 x 10 x 1

Figure 3.9 – Représentation de deux trajectoires de 1000 pas obtenues à partir des caracté- ristiques du spectre filtré à 880 nm (a) et 1270 nm (b). l’aspect qualitatif de l’invariance d’échelle est obtenu par zoom successifs sur des agrégats comportant des segments de longueurs de plus en plus faibles.

L’aspect qualitativement proche des vols de Lévy dans les marches aléatoires générées dans les ailes du spectre est présenté dans la Fig. 3.9. Pour cela, on sélectionne deux trajec- toires respectivement extraites des Figs. 3.8(a) et (c), puis on effectue des zooms successifs sur des amas correspondant en fait à des agrégats de segments plus courts dans chacune des trajectoires sélectionnées. Cette approche permet de mettre en lumière le caractère auto-similaire de ces trajectoires, révélant ainsi qualitativement les propriétés d’invariance d’échelle fractale propres aux vols de Lévy [223,224]. Au regard de ces résultats, il parait important de noter que l’utilisation des fluctuations de phase et d’intensité dans les SC permettent ainsi la génération d’une large variété de marches aléatoires dont les propriétés sont largement dépendantes des longueurs d’onde sélectionnées dans le spectre final.