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CHAPITRE 4 SYNTHÈSE DES TRAVAUX

4.2 Génération et triage des alternatives pour une implantation en retrofit

4.2.2 Génération des alternatives de bioraffinage

La génération d’alternatives de bioraffinage pertinentes au contexte de la compagnie papetière a reposé sur la recherche dans la littérature de deux dimensions entrevues pour la définition des stratégies, soit (1) les marchés et les applications de la lignine ainsi que de ses dérivés, et (2) les technologies existantes et en développement permettant l’extraction de la lignine et sa conversion dans le but de satisfaire une application donnée. Par anticipation de la définition à venir de plans d’implantation par phases de la stratégie de bioraffinage, les facteurs permettant de catégoriser l’usage de la lignine ou de ses dérivés pour une application donnée en opportunité immédiatement accessible ou alors à envisager à plus long terme, ont été analysés. Il s’agit notamment (1) du potentiel de marché associé à l’application, (2) de l’état d’avancement de la technologie de conversion de la lignine, (3) du potentiel de substitution des produits actuels par la lignine ou ses dérivés (exprimé sur une base massique vis-à-vis du produit remplacé), et (4) des performances obtenues avec les produits utilisant la lignine en substitution partielle ou totale d’un des composants vis-à-vis des attentes fixées par les performances des produits actuels.

Holladay et al. [126] présente une revue étendue des applications pour lesquelles la lignine est utilisée dans l’industrie, tandis que Smolarski [186] et Gosselink [187] fournissent une revue plus récente, avec une emphase sur le niveau substitution et le potentiel de marché des dérivés de lignine. De ces revues, il ressort que les sources potentielles de lignine sont variées, mais trois principaux types sont présents dans l’industrie à savoir, les lignines kraft et Organosolv issues des procédés du même nom, et la lignine lignosulfonate extraite de procédé de mise en pâte au bisulfite. Ce dernier type est le plus répandu, MeadWestvaco en étant le principal producteur.

L’usage le plus commun de la lignine dans l’industrie est fait à l’intérieur même des procédés de mise en pâte, où elle est brûlée dans la liqueur noire pour la production de vapeur et d’électricité. En outre, les lignosulfonates sont le plus souvent employés comme agents plastifiants dans la production de béton et comme additifs de ciment et de bitume, où ils permettent une réduction de la quantité d’eau requise ainsi qu’une plus grande dureté. Les autres applications où l’on retrouve l’emploi de lignosulfonates incluent la production de vanilline, de diméthyl-sulfide (DMS) et de diméthylsulfoxyde (DMSO), le craquage de carbone, et l’usage en tant que dispersant agricole et agent liant dans la nourriture animale. Le marché pour ces différentes applications est toutefois assez faible, et les lignines kraft et Organosolv y ont un potentiel réduit, étant donné la place déjà acquise par la lignine lignosulfonate.

Les recherches dans les dernières années concernant l’usage des lignines kraft et Organosolv se sont plutôt focalisées sur l’isolation de phénol et de ses dérivés (notamment le bisphénol A, le caprolactame et les BTX), la production d’adhésifs tels les résines phénoliques, d’isolants tels les mousses polyuréthanes, de charbon activé et de fibres de carbone, et comme ingrédient pharmaceutique. De ces applications le remplacement de phénol dans les résines et de polyols dans les mousses polyuréthanes sont les plus avancés. La littérature fait part de propriétés physiques et adhésives comparables entre les résines commerciales et celles utilisant de la lignine jusqu’à 25% de remplacement de phénol sans modification de la lignine [188]. Des performances comparables ont également été validées à un taux de substitution de phénol de 30% voire 40% lorsqu’un prétraitement tel que la phénolation est appliqué à la lignine [189,190], d’autres auteurs ayant atteint des taux de substitution supérieurs à 50% en laboratoire [126,191]. Dans la production de mousses polyuréthanes, la lignine est utilisée comme substitut de polyols, les taux de substitution atteignant 20% avec de la lignine non-modifiée. Des configurations impliquant jusqu’à 30% de lignine ont été testées, mais l’augmentation de la viscosité due à la présence de lignine demeure un obstacle à la fabrication [187].

Les taux de substitution les plus élevés peuvent être atteints dans le cas du remplacement de polyacrylonitrile (PAN) comme précurseur dans la production de fibres de carbone. Le choix du précurseur s’avère être grandement dépendant du mode de filage utilisé, l’opération étant sensible aux propriétés thermoplastiques du matériau, notamment les températures de décomposition et de transition vitreuse. Ainsi, le taux de substitution a été validé à 50% lorsque le filage humide ou à sec est employé, et une substitution totale peut être atteinte lorsque c’est le filage par fusion qui est employé [192]. Pour ce dernier cas, la lignine kraft a besoin d’être prétraitée en raison de la présence d’impuretés provenant du procédé kraft, alors que la lignine Organosolv peut être employée sans modification [193]. Quoiqu’il en soit, les performances des fibres de carbone obtenues à partir de lignine ne sont pas encore satisfaisantes pour les applications priorisant les performances mécaniques (le remplacement de composantes métalliques dans l’industrie automobile par exemple) [194]. Cette application en particulier fait l’objet d’un intérêt marqué de la communauté scientifique, en raison de l’énorme potentiel de réduction de coûts si le PAN (qui contribue environ à la moitié des coûts de production actuels de fibre de carbone) pouvait être remplacé par la lignine qui est beaucoup plus abordable [195].

La compatibilité d’un type de lignine pour une application donnée ne dépend pas seulement de sa biomasse d’origine, mais aussi (et surtout) du procédé par lequel la lignine passe afin d’être isolée. Étant données les transformations physiques et/ou chimiques qu’elle subit, il est quasiment impossible d’obtenir la lignine telle qu’elle est à l’état naturel dans la biomasse. Du point de vue industriel, l’on peut séparer les techniques et technologies d’extraction de la lignine en deux grands groupes selon que l’on tente de l’isoler directement de la biomasse, ou alors d’un courant dans un procédé industriel existant (la liqueur noire par exemple). Une revue étendue de la littérature relative aux procédés d’extraction de la lignine est présentée dans l’annexe A. Pour les besoins de la synthèse dans cette section, il convient de mentionner que pour le contexte de l’étude de cas, les procédés de fractionnement à base de solvant tel que le procédé Organosolv [196] ont été retenus pour l’extraction de la lignine à partir du bois, et que les techniques de précipitation par acidification telles qu’utilisées dans les procédés Lignoboost™ [197] et LignoForce™ [198] ont été retenues pour l’extraction de la lignine à partir de la liqueur noire.

Mettant en commun les informations receuillies dans la littérature sur le niveau actuel d’adoption de la lignine pour ses applications potentielles et sur les technologies d’extraction et de conversion de la lignine, il a convenu de classer dans la catégorie d’alternatives envisageables à court et moyen terme les applications reliées à l’utilisation de la lignine dans la production d’énergie, dans la fabrication de résines phénoliques et de mousses polyuréthanes, ainsi que les applications pour lesquelles la lignine lignosulfonate est déjà commercialisée. On retrouve donc essentiellement dans cette catégorie toutes les applications pour lesquelles l’emploi de la lignine a été prouvé. La catégorie d’alternatives envisageables à plus long terme inclut quant à elle les applications pour lesquelles la lignine servirait à la production de charbon activé et de fibres de carbone, à l’isolation de phénol et de ses dérivés, ainsi que celles où la lignine serait utilisée comme ingrédient pharmaceutique. Au total, près d’une cinquante d’alternatives ont été recensées.