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Chapitre 4 Méthodologie expérimentale 39

4.1.1 Généralités

Nous avons insisté dans le second chapitre sur la motivation du choix de la visualisation interactive de documents visuels comme objet d’étude : ce sont les types de documents les plus couramment manipulés par le grand-public, ainsi que par de nombreux professionnels et experts. L’explosion des loisirs numériques et, en particulier, la démocratisation des appareils de photographie numérique, ainsi que la simplicité d’échange apportée par les grands réseaux de partage que sont par exemple Yahoo Flickr ou Google Picasa Web Album contribuent à cet état de fait. La recherche par mots-clés, qui se fonde sur une indexation (automatique ou non) n’est pas la solution la plus adaptée, et surtout impose de nombreuses contraintes. Le recours à la navigation et à l’exploration de grandes collections, structurées ou non, reste incontournable, pour autant que nous soyons capables de proposer des interfaces simples, intuitives, confortables et performantes.

Afin d’évaluer l’apport de la représentation que nous proposons, il est nécessaire de concevoir des tâches réalistes et simples, dont le scénario tend à se confondre avec les actions fréquem-ment réalisées par les utilisateurs lors de l’interaction avec de grandes collections de docufréquem-ments visuels. Parmi les différents types de tâches réalisables avec un logiciel de gestion de collections de photographies, la taxonomie proposée dans [Plaisant et al., 1995] en considère deux, entre autres, qui sont particulièrement fréquentes :

– l’exploration : l’espace de recherche est inconnu de l’utilisateur, qui l’explore pour la pre-mière fois. Ainsi, celui-ci ne dispose pas d’une image mentale de l’espace, et n’a pas de points de repère a priori ;

– la navigation : l’environnement est connu de l’utilisateur de manière plus ou moins précise, et ce dernier peut ainsi se repérer d’après les différents objets de cet environnement, pour atteindre l’un d’entre eux situé en un point particulier de l’espace de recherche.

Ces deux types de tâches, présentés ici de manière générique, se rapprochent de deux des trois scénarios envisageables dans le cas de la manipulation de grandes quantités d’informations : – l’information recherchée est connue, c’est-à-dire familière visuellement et on connaît sa position, à savoir le chemin pour y accéder. C’est le cas, par exemple, lors de la recherche d’un document connu dans une arborescence globalement familière ou, dans le cas de données non structurées, lorsque le souvenir de plusieurs points de repère entre le point de départ et la position du document permet de retrouver ce dernier ;

– l’information recherchée est connue, mais sa position est ignorée. Pour garder le même type d’exemple, cela se produit lors de la recherche d’un document connu, mais dont la position est inconne (ou oubliée) ;

– l’information recherchée est non familière visuellement, et sa position naturellement incon-nue. Nous pouvons citer l’exemple la recherche d’une image vérifiant plusieurs critères dans une collection de documents visuels : je recherche la photographie d’un coucher de soleil sur une mer calme, parmi des photographies de vacances qu’un tiers m’a données.

Ainsi, le premier scénario implique plutôt une tâche de navigation, car l’unique but dans ce contexte est de retrouver un document particulier, sans prendre la peine d’observer tous les autres documents, mais seulement quelques documents clés. Le dernier scénario entraîne quant à lui une exploration minutieuse de la collection. Le deuxième scénario est à la frontière entre ces deux types de tâches, au sens où il mêle navigation et exploration.

La navigation et l’exploration de grandes collections de documents visuels sont des tâches fré-quentes et réalistes, qui possèdent en outre un intérêt supplémentaire, celui de ne pas faire inter-venir les mêmes caractéristiques fonctionnelles. L’exploration demande une interface simple, avec la possibilité de zoomer sur des documents particuliers, tout en maintenant visible le contexte, de façon à créer facilement des points de repère. La navigation suppose une niveau de détail moindre, le recours au zoom étant moins fréquent, et la vitesse de défilement souvent plus élevée. Les représentations que nous proposons ont pour objectif de pouvoir concilier à la fois navigation et exploration.

Nous avons retenu les scénarios les plus contrastés (le premier et le dernier), car ce sont ceux qui privilégient le plus nettement l’une des deux formes d’interaction possibles avec des masses de données, l’exploration pour le premier, la navigation pour le second. Ce qui permettra de mettre en exergue l’influence du type de tâche sur la représentation, si elle existe.

Concernant les documents visuels, nous faisons le choix d’utiliser des photographies, car ce sont, parmi les documents visuels, ceux les plus couramment utilisés, ceux que l’on trouve en plus grand nombre, aussi bien localement sur nos disques durs, qu’à distance via Internet. De plus, il y a une adéquation entre les scénarios choisis et les photographies, car ils correspondent parfaitement à la manipulation de ce type de documents. Nous sommes d’accord avec [Plaisant,

4.1. Tâches de recherche visuelle 41 2004] sur l’importance du choix d’utiliser de grands ensembles de données réalistes et de proposer sur eux des tâches réalistes. Il est certain qu’utiliser des objets abstraits, comme par exemple des rectangles de couleur [Guiard et al., 2006] permet de contrôler plus facilement tous les facteurs susceptibles d’influencer les comportements et les performances des participants. En particulier, cela permet d’éliminer l’influence de la variabilité inter-individuelle quant au références cultu-relles associées au contenu des photographies. Mais l’expérimentation avec des objets abstraits suppose la réalisation de tâches artificielles, dont les résultats seront difficilement interprétables, notamment en termes de recommandations de conception, et qui donneront lieu à des jugements subjectifs dénués d’intérêt pratique. Notre choix impose, certes, une conception rigoureuse du protocole expérimental, difficile à réaliser, pour supprimer, ou tout au moins atténuer au maxi-mum, l’influence de facteurs non contrôlables. La contrepartie évidente sera que les résultats des études expérimentales présentées dans ce mémoire pourront être facilement applicables à la conception de logiciels de gestion de collections de photographies, et de manière plus large, de collections de documents visuels.

Dans le reste de ce document, nous nommerons T1 et T2 les deux types de scénarios de tâches retenus :

– T1 : recherche d’une photographie correspondant à des critères thématiques et visuels spécifiques, c’est-à-dire recherche d’une photographie non familière, dont la position au sein de la représentation est inconnue ;

– T2 : recherche d’une photographie familière, dans une collection familière de photographies, c’est-à-dire l’action de retrouver une photographie visuellement familière, dont la position dans la représentation a été mémorisée lors d’interactions précédentes avec la représenta-tion.

Les tâches T2 sont appropriées pour la comparaison de la possible influence de la représentation visuelle sur la mémoire spatiale, et donc pour évaluer les hypothèses B et C (voir chapitre 2). Les deux tâches (T1 et T2) sont à même de tester la validité des autres hypothèses de recherche (A et D). Néanmoins, l’hypothèse A n’a été évaluée que dans la seconde expérimentation, pour T2, à l’aide de mesures oculométriques (utilisation d’un eye-tracker ).

Les tâches T1 et T2 sont plus réalistes que celles présentées, par exemple, dans les études de Tavanti et Lind [Tavanti et Lind, 2001], puis de Cockburn [Cockburn, 2004], où les auteurs utilisent des ensembles composés respectivement de lettres de l’alphabet suédois et de drapeaux de pays. Les tâches T1 et T2 sont d’autre part plus simples que celles étudiées dans [Robertson et al., 1998], où les auteurs utilisent des miniatures de pages web en tant que bookmarks. Par conséquent, nos études seront plus à même de fournir des résultats d’une portée scientifique plus significative que ceux décrits dans ces études. La simplicité et le réalisme des tâches de recherche conduiront à des analyses, des interprétations et des conclusions plus fiables et directement applicables à la conception des visualisations interactives.