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Le futur en biologie synthétique

Dans le document Réseaux de régulation chez Escherichia coli (Page 192-200)

5 Le futur en biologie synthétique

VII.5 Le futur en biologie synthétique

Figure VII.7Quelques figures issues des publications citées pour vous donner une idée de l’allure des schémas trouvés en biologie synthétique. N’essayez pas de les comprendre ici. Référez vous plutôt directement à la publication. A : l’interrupteur (le toggle switch) : remarquez la bistabilité qui apparait sur la distribution de fluorescence lors du switch. B : l’oscillateur (le repressilator). Remarquez les oscillations de la GFP sur le graphe. C : oscillateur synchronisé entre les cellules. D : Système proie prédateur type « lapin– renard » ; remarquez les oscillations de la taille des 2 populations. E : Système qui génère des patterns en fonction d’un gradient d’homo-serine lactone (AHL), une molécule de communication intercellulaire. F : filtre passe-bande « tunable » ; repérez la forme caractéristique de la courbe rouge. G : bistabilité induite par des boucles de rétroaction positive couplées ; repérez le pattern d’hystérèse caractéristique d’une mémoire. H : le compteur. I : la détection de frontière.

Figure VII.8La connectivité d’un réseau.

devant chaque gène un promoteur constitutif de la force adéquate de manière à optimiser la production du dit métabolite.

Si C=F/N= (N-1)/N. Dans ce cas, il y a une flèche de moins que le nombre de gènes. Si chaque gène est connecté au réseau alors la dynamique est parfaitement intuitive car il ne peut pas y avoir de boucles de rétroaction. Cela permet potentiellement de se passer d’un modèle mathématique en ce qui concerne le comportement dynamique du système.

Si C=1. Il y a autant de flèches que de gènes. Si chaque gène est connecté au réseau, Il existe forcement une boucle de rétroaction rendant potentiellement la dynamique du système non intuitive. Un modèle mathématique risque d’être indispensable.

Si C=N (car (N(N-1)+N)/N=N). Le système contient N(N-1)+N flèches. Dès que le nombre de gènes est supérieur à 2, la dynamique du système est impossible à prédire sans modèle.

Il y a donc deux enjeux en biologie synthétique :

Augmenter N tout en fixant C<1. Cela permettra d’apprendre à travailler avec des ré-seaux de grande taille, par exemple contenant plus de 10, 20, 50, 100 gènes. La dynamique restera totalement intuitive. La difficulté est plutôt technique : il faut réussir à contrôler, fixer, optimiser l’expression d’un grand nombre de gènes dans une cellule pour obtenir la fonction souhaitée.

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un modèle mathématique. La difficulté est conceptuelle : comment augmenter C tout en gardant le contrôle d’un système contenant un grand nombre de boucles de rétroaction ? comment faire pour se prémunir de la dépendance aux conditions initiales ? faut-il utiliser les techniques de l’électronique : modularité, rétroactivité (Del Vecchioet al.,2008;Sauro,

2008) ? Ou bien faut-il comprendre comment la nature s’y prend et utiliser sa méthode (évolution ?) ? La nature sait-t-elle d’ailleurs travailler avec des hautes valeurs de C ?

5.2 La prochaine génération de réseaux synthétiques

Certaines idées des paragraphes qui suivent se basent sur l’excellente publication Next generation synthetic gene network de Timothy Lu paru en 2010 dans Nature Biotechnology (Luet al.,2009). Je conseille vivement sa lecture car c’est une niche à bonnes idées. D’ailleurs, certaines de ces idées sont des pistes que je garde en tête pour mes recherches futures. Et je serais donc très heureux de discuter avec un lecteur qui réfléchirait à fouiller en direction de l’une de ces perspectives.

5.2.1 Filtres « tunable »

La technique actuelle en biologie synthétique est la suivante : le biologiste connecte des séquences d’ADN entre-elles (« plug and play »), chacune ayant une fonction donnée de manière à créer une séquence nouvelle, plus complexe. Souvent cette séquence ne fournit pas du premier coup la fonction attendue, il faut « tuner » certains paramètres en modifiant soit rationnellement (rational design) certains nucléotides (par exemple pour diminuer la force d’un promoteur) soit en utilisant des techniques d’évolution dirigée (voir chapitre sur l’évolution). Dans les deux cas, il faut venir modifier la séquence ADN. Et que ce soit nous ou l’évolution qui le fasse, cela prend toujours du temps. L’idée c’est donc de créer des composants (des filtres) dont les paramètres sont « tunables » beaucoup plus facilement c’est-à-dire sans avoir à modifier la séquence ADN. C’est le cas par exemple du filtre passe-bande dont j’ai déjà parlé ci-dessus (Sohkaet al.,2009) dont la bande (la zone d’activité) peut être ajustée sur plus de 4 ordres de grandeur en faisant varier un stimulus externe (inducteur).

5.2.2 L’utilisation du bruit

Le bruit est souvent considéré comme gênant alors qu’on soupçonne les populations de cellules de l’utiliser pour « computer » des « outputs ». L’idée est d’apprendre à utiliser et contrôler le bruit. Il faut pour cela créer des générateurs de bruit « tunables ». Le couplage

Figure VII.9Des filtres passe-bande dont les paramètres « tunables » pourraient éviter d’avoir à modifier la séquence ADN. Le filtre ci-dessus est basé sur un « incoherent feed forward loop ».

de motifs propageant le bruit pourrait générer une grande diversité dans la population clonale de cellule. Diversité qui pourrait peut-être démultiplier les capacités de calcul du Wetware. Comment ? Je ne sais pas. Mais les capacités de calcul sont souvent réduites/cantonnées au réseau intracellulaire et les millions de cellules dans un puits d’un lecteur de microplaque ne servent qu’à amplifier le signal. Or en générant de la diversité grâce au bruit dans une population clonale, on peut peut-être faire en sorte que chaque cellule résolve un calcul particulier. La population traiterait alors les calculs de manière massivement parallèle. Peut-être que cette question théorique intéressera les mathématiciens / modélisateurs ?

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Figure VII.10La diversité phénotypique peut-elle servir de moyen pour opérer des calculs de manière massivement parallèle ?

5.2.3 Utilisation de la dimension spatiale

Pour l’instant, il me semble que les systèmes synthétiques sont incapables de contrôler et d’utiliser la position (coordonnée XYZ) d’une entité (par exemple une protéine). Ces systèmes se basent sur l’hypothèse « well mixed » de répartition homogène des protéines et autres molécules dans la cellule. Cependant, cette hypothèse devient faible lorsqu’une protéine est en un seul exemplaire dans la cellule : connaitre sa localisation devient une information de poids. Et Il existe des méthodes de microscopie « at the single molecule level » qui permettent de localiser assez précisément des molécules fluorescentes uniques (Elf et al., 2007; Li & Elf, 2009). En contrôlant la localisation, on pourrait faire beaucoup de chose :

imaginez un facteur de transcription qui serait fixé aux membranes dans une condition donnée. Puis lorsqu’un événement bien précis arriverait, il se détacherait et viendrait se fixer à l’ADN pour activer l’expression de sa cible.

pôle opposé de la cellule jusqu’ à ce qu’un événement choisi les fasse lâcher leurs pôles puis se rencontrer en engendrant un phénotype particulier.

On pourrait jouer sur la probabilité de rencontre entre deux molécules en faisant varier la distance spatiale qui les sépare ou en jouant sur l’affinité qu’a une protéine pour une zone/entité particulière. Les modèles d’équations différentielles ordinaires ne suffisent plus, il faut passer à un formalisme utilisant des équations aux dérivées partielles plus adaptées aux modèles spa-tiaux.

Notez que le contrôle de la dimension spatiale intracellulaire permettrait10le contrôle spatial extracellulaire. On pourrait ainsi programmer E. coli comme un petit robot se déplaçant aux endroits voulus en fonction des stimuli externes.

5.2.4 Réseau de calcul basé sur les protéines

Nous avons beaucoup discuté de réseaux synthétiques basés sur l’expression des gènes. Ceux-ci ont l’énorme avantage de nous faire bénéfiCeux-cier d’outputs (les sorties) très appréCeux-ciables : les gènes rapporteurs (GFP, lacZ, luciferase. . .). Mais le gros défaut des réseaux de gènes, c’est l’échelle de temps longue (minutes, heures) sur laquelle ils opèrent ce qui rend les calculs peu « réactifs ». La biologie synthétique devrait regarder en direction de la transduction du signal qui est parfois oubliée ; en effet, l’allostérie (les molécules qui s’emboitent) et les modifications chimiques (phosphorylation, acétylation etc. . .) se produisent à une échelle de temps beaucoup plus rapide (secondes). Par exemple, construire et contrôler un réseau non linéaire de phos-phorylation pourrait permettre la création d’ordinateurs cellulaires très rapides. Chez E. coli, il faut peut être regarder du coté des systèmes à deux composantes. Le problème c’est qu’il nous manque des outputs permettant de contrôler l’état du système in vivo et en temps réel comme c’est le cas avec les gènes rapporteurs. Ce qu’il faudrait, c’est inventer des protéines qui ne « fluorescencent » ou « luminescent » que lorsqu’elles sont phosphorylées par exemple. Puis on créerait des contrôleurs à activité kinase et phosphorylase spécifiques de ces protéines « rapporteurs ».

5.2.5 Des réseaux qui apprennent

Si vous êtes biologiste, vous avez peut être entendu parler de la synapse de « Hebb ». Ce cher-cheur a fournit une contribution très importante à la neurobiologie : l’idée que deux neurones en activité au même moment créent ou renforcent leur connexion de sorte que l’activation de l’un 10Mais il existe d’autres méthodes possibles pour contrôler le déplacement d’une bactérie (voir le paragraphe sur le chimiotactisme dans le chapitre surE. coli).

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Figure VII.11Apprendre à utiliser la dimension spatiale. En haut : dans les deux cas, la concentration cellulaire des protéines rouges et bleues est la même, pourtant leur probabilité de collision n’est pas la même. L’ajout ou le retrait d’un inducteur pourrait permettre d’exercer un contrôle sur cette localisation. En bas : si on arrivait à fixer une protéine dans un angle donné par exemple, celle-ci pourrait activer un système propulseur (type flagelle) lui permettant de nager dans une direction directement fonction de l’angle où est située la protéine.

Figure VII.12Construire des réseaux basés sur la transduction du signal, plus rapide.

par l’autre soit plus facile à l’avenir. C’est ce mécanisme de renforcement à l’échelle du système nerveux qui pourrait expliquer, dans une certaine mesure, les mécanismes de l’apprentissage.

Si vous êtes informaticien ou mathématicien, vous préférez sans doute que je vous parle des réseaux de neurones artificiels qui permettent aux programmes de reconnaissance vocale de s’améliorer au cours du temps par exemple. En effet, un perceptron multicouche apprend à reconnaitre les mots que vous prononcez au fur et à mesure que vous lui parlez. Le programme s’améliore.

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suivant les conseils dispensés dans la publication de Lu (Luet al.,2009). Le cahier des charges est simple : le réseau doit être capable de répondre différemment à un même stimulus en fonction de son apprentissage. Voici le design basic d’un réseau permettant l’apprentissage associatif. La description est un petit peu difficile : aidez vous de la figureVII.13. Deux facteurs de transcription A et B sont exprimés en réponse à deux stimuli bien distincts. Supposons que chaque facteur de transcription déclenche l’expression de deux protéines effectrice A et B elle-même contrôlant chacune une cascade de réactions A et B. Lorsque les deux stimuli se produisent au même moment : les deux facteurs de transcription sont transcris et ils activent un interrupteur (un toggle switch). Ceci crée la mémoire associative. Plus tard, si un seul des facteurs de transcription (par exemple B) est produit, la logique de la porte AND entre le toggle switch et le facteur de transcription B entraine la production de la protéine effectrice qui contrôle la voie de l’autre activateur (dans notre exemple A). Ainsi une fois que le réseau a associé les stimuli A et B ensemble (interrupteur en position « on »), l’arrivée, plus tard, du stimulus A (respectivement B) suffit à déclencher la voie B (respectivement A) alors que ce n’était pas le cas avant l’association.

5.2.6 Utiliser d’autres fondements pour le calcul

Les capacités computationnelles des réseaux synthétiques actuels proviennent principale-ment des réseaux géniques intracellulaires. Nous avons vu qu’il faut élargir ces capacités à la transduction du signal pour gagner en vitesse et aux copies de bactéries clonales pour gagner en parallélisme. Mais on peut encore envisager d’autres formes de calcul :

Avec la lumière : il existe des enzymes capables d’émettre des photons (la luciferase) et des photorécepteurs (les phytochromes) capables de détecter des photons. Si on réussissait à coupler ces deux systèmes d’émission et de réception (et c’est loin d’être gagné à cause de problèmes quantitatifs), on pourrait peut être réussir à transmettre une information en intra ou intercellulaire via les ondes électromagnétiques (les photons). Autrement dit à faire communiquer deux bactéries à la vitesse de la lumière ¨^.

Avec l’électricité : peut-on transformerE. coli en neurone ? Autrement dit peut-on ima-giner utiliser des canaux potassiques, calciques, sodiques pour contrôler l’état de polari-sation de la membrane d’E. coli? puis utiliser cet état de polarisation pour transmettre de l’information entre cellules ? Cette idée de réseau d’E. coli comme réseau de neurones germe plus facilement lorsque l’on observe des bactéries E. coli très longues (>100 µM) (dû sans doute à une croissance très lente à 8–10°C)

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