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5 Caractéristiques des réseaux réels

Dans le document Réseaux de régulation chez Escherichia coli (Page 132-137)

On doit aux mathématiciens Paul Ërdos et Alfred Rényi les premiers travaux sur les ré-seaux aléatoires. Ces derniers sont composés de nœuds et de liens. Lorsque les liens sont placés aléatoirement, la plupart des nœuds ont, en moyenne, le même nombre de liens : le système est « démocratique ». La distribution qui représente le nombre de liaisons par nœud a une allure

Figure V.7Etude du repressilator. Voir le code Matlab en annexe Code10Oscillation.m qui génère cette figure.

de cloche : c’est une distribution de Poisson (figure V.8). Cela signifie qu’il n’y a quasiment pas de nœuds ayant soit très peu soit énormément de liens (Barabasi & Bonaneau, 2010).

Mais les réseaux des organismes vivants ne sont pas des réseaux aléatoires. Ils possèdent la propriété d’invariance d’échelle (retrouvée aussi avec d’autres types de réseaux comme In-ternet) (Jeong et al., 2000, 2001; Ravasz et al., 2002). Quelques supernœuds (des « hubs ») possèdent un très grand nombre de liaisons avec d’autres nœuds qui eux, au contraire, sont très peu connectés. Dans le réseau internet, « google » est un de ces supernœuds connecté au site web de tricot de votre grand-mère —site sans doute très intéressant mais probablement peu connecté—. Dans le réseau de régulation génique d’E. coli, c’est la protéine Crp qui est

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un « hub » connecté à des enzymes moins « populaires ». Contrairement à la distribution de Poisson « démocratique » des réseaux aléatoires, la distribution des réseaux invariants d’échelle suit une loi de puissance. Le nombre de liens par nœud décroit exponentiellement. Ces réseaux présentent certains comportements prévisibles. Par exemple, contrairement aux réseaux aléa-toires, ils sont très résistants aux défaillances accidentelles mais extrêmement vulnérables aux attaques ciblées sur les « hubs » (figureV.8). Cependant, l’hypothèse selon laquelle les réseaux de régulation génique suivent une loi de puissance est contestée (Lima-Mendez & van Helden,

2009). Voici quelques arguments des contradicteurs :

La loi de puissance n’apporterait aucune information nouvelle en biologie et serait donc sans intérêt réel.

Les « hubs » ne sont pas toujours essentiels : la preuve c’est que le mutant crp est viable alors qu’un très grand nombre d’enzymes (nœuds très peu connectés) sont indispensables à la survie de la bactérie.

Les données qui sont censées prouver la loi de puissance sont sur-interprétées.

Je rajoute un argument personnel : les réseaux tels qu’ils sont décrits actuellement avec leurs « hubs » (figureV.9a) pourraient représenter plus le pool des expériences réussies par les cher-cheurs que la réalité biologique. Les « hubs » seraient les exemples/cas d’écoles les plus simples, les zones où les certitudes sont les plus fortes. Un nœud où les chercheurs convergent car les expériences y seraient plus facilement reproductibles. Je m’explique : j’en suis arrivé à travailler sur le « hub » Crp par dérive. J’ai commencé sur des gènes moins connus et dont la régulation est moins comprise. L’absence de résultats, de compréhension et de reproductibilité m’a fait dériver vers d’autres directions, là où les expériences offraient une meilleure reproductibilité. Petit à petit, de gènes en gènes, j’en suis arrivé à Crp. Si les chercheurs qui publient sur Crp ont subi une dérive similaire à la mienne, alors la quantité énorme d’informations accessible sur Crp est plus liée à la facilité/reproductibilité des expériences qu’à une réalité biologique selon laquelle Crp est un « hub ».

« C’est une plaisanterie assez courante parmi les chercheurs que de comparer ce qu’ils font, dans leur activité quotidienne, à la recherche de clés perdues en marchant la nuit. Si on n’a pas de lampe de poche, on commencera par les rechercher là où il y a de la lumière, c’est-à-dire sous le lampadaire : pas forcément parce que l’on pense qu’elles ont été perdues à cet endroit précis, mais simplement parce que si c’est le cas, on a une petit chance de les apercevoir »1

Figure V.8une des caractéristiques des réseaux biologiques est l’invariance d’échelle.

Malgré mon argument ci-dessus, considérons tout de même la figure V.9a comme une re-présentation globalement fidèle du réseau transcriptionnel réel d’E. coli. Nous avons vu que ce réseau n’est pas aléatoire du point de vue de la distribution des liens par nœud. Mais il n’est pas aléatoire également du point de vue de la surreprésentation statistique de certains patterns. Un pattern qui apparait significativement plus souvent dans le réseau réel que dans un réseau aléatoire est appelé motif (Milo et al., 2002; Shen-Orr et al., 2002). La figure V.9b nous montre que l’on retrouve beaucoup plus souvent des boucles de rétroaction négative et des « feed forward loop » (que je renonce pour l’instant à traduire par « boucle d’action avant ») par rapport à un réseau aléatoire. L’idée proposée par l’équipe de Uri Alon (Alon, 2006) c’est que

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ces motifs surreprésentés ont dû être préservés au cours de l’évolution contre les mutations qui modifient les flèches de manière aléatoire. En effet pour abolir un site de liaison protéine–ADN, il ne suffit en général que d’une seule mutation (1 seul changement de base/lettre ATCG). Or s’ils ont été préservés, c’est qu’ils ont été sélectionnés pour un avantage qu’ils apportent à l’organisme. La topologie du motif, c’est-à-dire sa structure aurait une fonction. La fonction

a priori évidente d’une boucle de rétroaction négative (qui agit comme un thermostat), c’est de préserver l’homéostasie de l’organisme. A l’inverse, une boucle de rétroaction positive peut aider, chez les organismes supérieurs, à la différentiation irréversible des cellules dans une voie ou une autre. Mais il existe aussi des fonctions plus subtiles, impossibles à comprendre sans l’utilisation d’un modèle mathématique. C’est ce que nous allons étudier maintenant.

Dans le document Réseaux de régulation chez Escherichia coli (Page 132-137)