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3 Deux exemples clés

Je vais décrire le fonctionnement de deux réseaux de régulation parmi les plus connus et donc les mieux décrits à ce jour. Ces deux réseaux fonctionnent à des échelles de temps très différentes : le premier, la répression catabolique, fonctionne à l’échelle de la dizaine de minutes alors que le deuxième, le chimiotactisme fonctionne à l’échelle de la seconde. Pour ces deux exemples, je suis volontairement rentré dans les détails. Ce niveau de détail enchantera celui qui veut comprendre ces systèmes en profondeur c’est-à-dire celui qui s’apprête probablement à les utiliser. Cependant, si vous souhaitez uniquement avoir une idée générale de la manière dont les biologistes décrivent ces réseaux, alors contentez vous de lire les paragraphes qui suivent de manière superficielle. Essayez juste de capter la « philosophie » sous-jacente en vous concentrant sur le champ lexical utilisé pour décrire les interactions.

3.1 La répression catabolique

Pourquoi la bactérieE. coli a t’elle besoin d’un réseau de régulation pour s’adapter ? Pour-quoi, par exemple, ne pas produire chacune des 4500 protéines en 100 exemplaires pour être sûr de répondre à n’importe quel imprévu ? Par exemple, être prêt à manger immédiatement n’importe quel sucre qui se présenterait dans le milieu extérieur ?

Maintenir des protéines inutiles dans la cellule à un coût. Ce dernier impacte directement le fitness de la bactérie, c’est-à-dire sa capacité à se reproduire. Une bactérie, qui au fil de l’évolution, acquiert la capacité de ne synthétiser une protéine que lorsqu’elle en a vraiment besoin, augmentera son fitness et sera ainsi sélectionnée par l’évolution.

Je vais maintenant décrire le premier mécanisme de régulation génique découvert : la régu-lation de l’opéron lac. Dans son environnement naturel, l’opéron lac code pour des protéines nécessaires à la digestion du lactose. La cellule peut utiliser le lactose comme source d’énergie en produisant une enzyme laβ-galactosidase (codée par le gènelacZ). Cependant, il est inutile de produire cette enzyme s’il n’y a pas de lactose dans le milieu ou si une source de carbone plus facilement métabolisable comme le glucose est présente dans le milieu. L’expression de l’opéron

lacest contrôlée par plusieurs mécanismes qui assurent que les dépenses d’énergie pour produire laβ-galactosidase n’ont lieu que lorsque c’est nécessaire. Ces mécanismes de régulation ont pour conséquence l’utilisation séquentielle du glucose puis du lactose en deux phases distinctes de croissances. On appelle cela une diauxie (Monod, 1942).

Le premier mécanisme de contrôle est la réponse régulatrice due à la présence de lactose dans le milieu. Ce mécanisme utilise une protéine régulatrice intracellulaire (un facteur de transcription) nommée répresseur LacI qui bloque la transcription du gène lacZ et donc la production deβ-galactosidase. Si le lactose est absent du milieu de culture, ce répresseur se fixe fermement à une courte séquence d’ADN appelée l’operateur lacO juste en amont de l’origine du gène lacZ. La fixation du répresseur à son site operateur interfère avec la fixation de l’ARN polymérase au promoteur et empêche ainsi la transcription de l’opéron. Quand la cellule pousse en présence de lactose, un métabolite issu du lactose appelé allolactose se fixe au répresseur LacI induisant un changement de sa conformation. Ainsi altéré, le répresseur est incapable de se fixer à l’operateur lacO et permet à l’ARN polymérase de transcrire le gène lacZ. Ainsi la concentration de β-galactosidase augmente fortement et le lactose peut être métabolisé.

Le second mécanisme de contrôle est la réponse régulatrice due à l’absence de glucose dans le milieu. Ce mécanisme utilise le régulateur global Crp pour augmenter la production de β -galactosidase en absence de glucose. L’AMPc est une molécule dont la concentration dans la cellule est inversement proportionnelle à celle du glucose. Cette molécule fixe Crp formant ainsi le complexe Crp–AMPc (Kolbet al.,1993). Ce complexe peut alors se fixer au site de liaison de Crp situé dans la région promotrice en amont de l’origine du gènelacZ puis aider au recrutement de l’ARN polymérase. En absence de glucose, la production d’AMPc est forte et le complexe Crp–AMPc se fixe à l’ADN augmentant très fortement la production de β-galactosidase. A l’inverse, en présence de glucose, la concentration d’AMPc est faible, la formation du complexe n’a pas lieu et Crp ne peut pas se lier à l’ADN diminuant drastiquement la transcription de l’opéron lac et donc la production de β-galactosidase. Mais comment le glucose régule-t’il la concentration d’AMPc et donc la transcription de l’opéron lac? L’import de glucose est medié par le système de transfert de phosphate (PTS) (Postma et al., 1993). Ce système transfère séquentiellement un groupement phosphate du Phosphoenolpyruvate (PEP) jusqu’au glucose

III.3 Deux exemples clés

formant ainsi du glucose-6-phosphate. La séquence de transfert des phosphates fait intervenir 4 enzymes dont l’enzyme EIIAglc. Lors de l’import du glucose, cette enzyme est sous forme déphosphorylée or seule la forme phosphorylée est capable de fixer puis d’activer l’adenylate cyclase, l’enzyme responsable de la biosynthèse de l’AMPc.

Le dernier mécanisme de contrôle est appelé mécanisme de l’exclusion de l’inducteur (Saier & Crasnier,1996). Lorsque le glucose est importé, l’enzyme EIIAglc est sous forme déphospho-rylée. Sous cette forme, l’enzyme est capable de se fixer au transporteur du lactose et d’inactiver ainsi son transport. L’entrée de l’inducteur est ainsi empêchée. Or ce dernier est chargé d’in-activer le répresseur LacI. En conséquence, en présence de glucose, le répresseur reste sous sa forme active et réprime la transcription de l’opéron lac.

J’ai choisi de développer cet exemple de la répression catabolique pour plusieurs raisons. Premièrement car le haut niveau de détail dans la compréhension des mécanismes rend son étude intéressante pour les modélisateurs (Kremlinget al.,2009). Deuxièmement, car il illustre parfaitement les liens très étroits qui existent entre régulation transcriptionnelle, transduction du signal et métabolisme. Troisièmement car une des publications présente dans cette thèse remet en cause le modèle actuel de répression catabolique que je viens de vous décrire.

3.2 Le chimiotactisme

Le chimiotactisme est défini comme un mouvement orienté vers ou dans le sens opposé d’une substance chimique. Les bactéries E. coli, capables de se mouvoir grâce à leurs flagelles, sont attirées en direction de certains nutriments (sucres, acide aminés) ou à l’inverse repoussées par des substances toxiques (alcool, acide gras).

Pour réussir à modifier leur direction vers une substance attractive, les bactéries doivent forcement mesurer le gradient de concentration. Cependant la différence de concentration d’une substance attractive entre l’avant et l’arrière de la cellule est trop faible (contrairement aux cellules eucaryotes) pour être détecté. Or, si la mesure du gradient n’est pas spatiale alors c’est qu’elle est temporelle. Autrement dit, cela signifie que les bactéries sont capables de « mémoriser » les concentrations. Petit bémol important que je préfère ajouter quand j’utilise des analogies avec le système nerveux : la bactérie ne « choisit » pas son chemin et n’a pas « conscience » de se diriger vers un nutriment.

La motilité des bactéries est permise par la présence des flagelles qui peuvent tourner dans deux sens : La rotation dans le sens inverse des aiguilles d’une montre arrange les flagelles en un seul faisceau synchrone ; il en résulte la natation rectiligne de la bactérie. On appellera cette phase la course. Au contraire, lorsque la rotation se fait dans le sens des aiguilles d’une montre,

Figure III.3La répression catabolique. Laβ-galactosidase n’est produite que si le lactose est présent dans le milieu et le glucose absent. Si le milieu contient du glucose et du lactose, la bactérie consomme déjà le glucose (croissance exponentielle) puis adapte son expression génique pour synthétiser laβ-galactosidase (arrêt de la croissance dit « lag ») avant de reprendre la croissance en consommant le lactose : on parle de diauxie.

III.3 Deux exemples clés

les flagelles se désolidarisent les uns des autres, ainsi la bactérie bouge de manière erratique et tourne dans tous les sens sans vraiment avancer. On appellera cette phase la culbute.

Dans un environnement chimique isotrope,E. coli se déplace en « marche aléatoire » c’est-à-dire en alternant des épisodes de course et des épisodes de culbute. Lorsque la bactérie avance dans la bonne direction, la concentration de la substance attractive augmente. La bactérie détecte cette augmentation et diminue la probabilité de culbute. Les épisodes de course dans la bonne direction sont alors plus longs et cette marche aléatoire biaisée permet aux bactéries de migrer vers la substance attractive.

Le gradient chimique est perçu à l’aide d’un chémorécepteur transmembranaire appartenant à la famille des « methyl accepting chemotaxis proteins (MCPs) ». Lorsque une substance at-tractive se fixe au récepteur, un signal est transmis à la partie cytoplasmique du récepteur où les protéines CheW et CheA sont fixées. Ce signal inhibe l’autophosphorylation de l’histidine kinase CheA. En absence de substance attractive, le groupe phosphoryl, résultant de l’auto-phosphorylation de CheA, est rapidement transféré aux régulateurs de réponse, CheB et CheY. CheY diffuse alors vers le moteur du flagelle et interagit avec la protéine FliM ce qui induit le changement du sens de rotation des flagelles : du sens inverse des aiguilles d’une montre au sens des aiguilles d’une montre. Ainsi l’absence de substance attractive induit la « culbute ». A l’in-verse, sa présence inhibe l’autophosphorylation de cheA, diminue la probabilité de « culbute » et permet ainsi une « course » plus longue.

La bactérie garde une sensibilité pour certaines substances attractives du nanomolaire jus-qu’au millimolaire. En effet, il faut qu’elle soit capable de « traverser » jusqu’à 6 ordres de grandeur. Or, cette cascade de phosphorylation n’explique pas comment la bactérie se « ré-adapte » à la nouvelle concentration pour être à nouveau « attirable » par la concentration du dessus. Ce phénomène nommé adaptation compense les variations de concentration de la sub-stance attractive en ajustant en permanence le niveau de methylation du récepteur. L’enzyme CheR ajoute jusqu’à 4 groupes méthyle sur le récepteur de façon constitutive. Plus de groupes méthyle sont rajoutés au récepteur, plus ce dernier active l’autophosphorylation de CheA. A l’inverse, une fois phosphorylé grâce à CheA, la protéine CheB agit comme une méthyle esté-rase et enlève des groupes méthyles sur la partie cytoplasmique du récepteur. Cette boucle de rétroaction négative permet d’ajuster en permanence le niveau de phosphorylation de CheA (et

in fine le processus de décision de culbute) quelque soit la concentration de substance attractive présente. Ainsi, la bactérie reste sensible aux changements faibles, même pour les

concentra-tions extrêmes. Cette régulation agit comme une « mémoire »1 permettant à la bactérie de « se souvenir » des concentrations récentes et de les comparer avec les concentrations actuelles, donc de « savoir » si elle se déplace dans la bonne direction (Vladimirov & Sourjik,2009). Concluons sur le fait que tout comme la répression catabolique, ce mécanisme de chimiotactisme inspire également de nombreux travaux de modélisation (Brayet al., 2007).