3.4 Caractérisation de la nuance Fe-0,354%C-2,93%Cr nitrurée 10 et 100 h à 550 ˚C
3.4.3 Le front de diffusion
D’après les calculs thermodynamiques de la figure 3.40, l’enrichissement en carbone au front de diffusion implique une augmentation de la fraction de carbures du matériau à cœur. Ceci peut se traduire de deux manières : soit la densité de carbures augmente par germination de nouveaux précipités, soit on observe une augmentation de la taille des carbures déjà existants. Des observations de la microstructure en avant du front de diffusion d’azote, soit une profondeur de 920 µm, ont donc été réalisées après 100 h de traitement.
Tout d’abord, la caractérisation du matériau a cœur a été nécessaire. La figure 3.45.a donne un exemple de microstructure à cœur avec la présence de carbures de type Cr7C3. Une analyse
du diamètre équivalent sur une population de 236 précipités donne une moyenne de 45 nm (± 3 nm). La figure 3.46 présente la distribution en taille de cette population.
Les observations de la microstructure à la profondeur de 920 µm ont révélé quant à elles un diamètre équivalent moyen de 86 nm (± 7 nm) pour une population de 188 carbures. La figure 3.45.b montre un exemple de micrographies en champ clair. On observe une augmentation non négligeable de la taille des carbures du matériau à cœur, avec notamment une disparition importante des carbures de diamètre inférieur à 40 nm.
L’hypothèse de croissance des carbures à cœur lors de l’enrichissement en carbone est donc vérifiée. Elle permet également de supposer une diminution de la fraction d’éléments d’alliage en solution solide de substitution de la matrice ferritique.
3.4.4 Bilan
Les observations de la microstructures de la nuance Fe-2,93%m.Cr-0,354%m.C nitrurée 10 et 100 h à 550 ˚C viennent compléter les connaissances quant aux évolutions thermochimiques au cours du traitement de nitruration. Elles sont en relation avec la diffusion du carbone. Elles confirment que les cinétiques de précipitation sont essentielles afin d’approfondir la genèse des contraintes résiduelles. La transformation des carbures en nitrures apparaît notamment comme un point crucial.
Tout d’abord, la précipitation de cémentite aux joints de grains au sein de la couche de dif- fusion est polycristalline avec une fine précipitation de nitrures d’éléments d’alliage au sein des grains de cémentite. Leur forte densité laisse supposer la transformation de carbures en nitrures au voisinage des joints de grains avec une ségrégation immédiate des atomes de carbone avec les atomes de fer sous forme de cémentite. Ce type de précipitation n’est point présente au sein de la matrice ferritique ou sont principalement répartis les nitrures d’éléments d’addition. Ainsi déduit des recherches bibliographiques, la transformation des carbures en nitrures s’accompagne également d’une transformation en cémentite ainsi que d’une dissolution en ferrite suivant qu’il s’agit de carbures inter- ou intragranulaires. La cémentite et la ferrite ayant des masses volu- miques plus importantes que les nitrures ou même les carbures de type Cr7C3, il en résulte que la variation de volume positive accompagnant la précipitation des nitrures est diminuée du fait de la variation de volume négative liée à la transformation en cémentite ou dissolution en ferrite. Par conséquent une diminution des contraintes résiduelles peut être observée.
De plus, l’enrichissement en carbone en avant du front de diffusion se traduit par une aug- mentation de la fraction de carbures du matériau à cœur. Les observations supposent un ap- pauvrissement de la solution solide de substitution en éléments d’addition. La précipitation de nitrures semi-cohérents nanométrique laisse donc place à une précipitation de nitrures issus de la transformations des carbures. Il s’en suit une diminution des déformations volumiques et donc du maximum de contraintes lorsque le temps de traitement augmente.
La transformation des carbures engendre une diffusion des atomes de carbones relâchés au sein de la matrice. Il en résulte de manière générale une diminution de la fraction volumique totale de précipités et donc un déchargement de la surface nitrurée. La diminution des contraintes
a. matériau à cœur b. z = 920µm
Fig. 3.45 – Micrographies en champ clair réalisées au microscope électronique en transmission à (a.) cœur et (b.) 920 µm de la surface de la nuance Fe-2,93%m.Cr-0,354%m.C nitrurée 100 h à 550 ˚C.
Fig. 3.46 – Diagramme de la répartition en taille des carbures de type Cr7C3 pour le matériau
à cœur et à une profondeur de 920 µm de la surface de la nuance Fe-2,93%m.Cr-0,354%m.C nitrurée 100 h à 550 ˚C.
résiduelles en proche surface peut ainsi s’expliquer par la décarburation observée qui est d’autant plus importante que le temps de traitement augmente et que la transformation des carbures est avancée.
Cette décarburation est activée par le gradient de potentiel chimique engendré par la diffu- sion des atomes d’azote, ainsi que par la diffusion préférentielle d’azote aux joints de grains qui modifie les équilibres thermodynamiques locaux. La principale conséquence est la dissolution de cémentite aux joints de grains ainsi qu’une diminution de la fraction volumique de précipités qui entraîne comme précédemment un déchargement de la surface. Par ailleurs, il possible d’observer la transformation de la cémentite en nitrures de fer au cours du traitements en proche surface du fait de l’enrichissement locale en azote. Cette transformation s’accompagne d’une augmentation des déformations volumiques et donc de contraintes résiduelles de compression. La décarburation s’opère également lorsque le temps de nitruration augmente du fait de la présence de carbures résiduelles de taille importante se transformant tardivement.
La caractérisation des propriétés de nitruration des paragraphes précédents suppose une transformation complète des carbures après 50 h de nitruration à 550 ˚C, qui engendre un phé- nomène de relaxation et une diminution du durcissement. Les observations au microscope élec- tronique en transmission entre 10 et 100 h de traitement à 550 ˚C confirment cette hypothèse. Aussi aucune relaxation n’est observée ni à 500˚C, ni à 520˚C entre 10 et 100 h de nitruration. La
transformation des carbures en nitrures est donc plus lente que la diffusion des atomes d’azote. Elle se déroule à toute profondeur de la surface au cours de la nitruration et modifie alors les cinétiques de croissance/coalescence des nitrures.
Les équations de germination/croissance/coalecsence, présentées au paragraphe §2.5.5, per- mettent de confirmer l’influence des carbures et de leur transformation sur la stabilité de la précipitation des nitrures au cours du traitement. On peut ainsi imaginer la séquence de préci- pitation suivante :
• dans le cas des nitrures semi-cohérents issus de la solution solide de substitution des éléments d’addition dans la matrice, la croissance est limitée par la diffusion des éléments d’alliage. Tant que cette fraction d’éléments d’alliage en solution solide dans la matrice est non nulle, il y a germination et croissance des nitrures.
• dans le cas de la transformation des carbures en nitrures, la croissance des nitrures inco- hérents et dissolution des carbures sont ici limitées par la diffusion des atomes d’azote à l’interface précipité/matrice. L’azote étant en régime de diffusion forcée par définition du traitement de nitruration, et ayant une affinité plus importante pour les éléments d’alliages présents en solutions solide dans la matrice, les cinétiques de croissance/dissolution des nitrures et carbures sont réduites.
• lorsque tout les éléments d’alliage en solution solide sont consommés par l’azote, l’équation de coalescence s’applique à la précipitation semi-cohérente. Cependant, dans ce cas, il s’agit de l’affinité des atomes d’azote pour les éléments d’alliage restant au sein des carbures qui limite le processus de coalescence. Ce processus est d’autant plus ralenti que la diffusion des atomes d’azote aux interfaces carbures/matrice reste toujours limitée par le régime de diffusion forcée des atomes d’azote.
En parallèle de ces observations a été développée une modélisation du traitement de nitru- ration. Elle tient compte de la diffusion des atomes d’azote et de carbone, de la précipitation et enfin du chargement mécanique de la surface. Outre les objectifs de pouvoir prédire ou intégrer les caractéristiques de nitruration dans l’élaboration d’une pièce, ce type de modèle est très utile puisqu’il aide à l’interprétation des divers phénomènes observés. Ce modèle est présenté dans le chapitre suivant.
Modélisation du traitement de
nitruration
Sommaire
4.1 Diffusion et précipitation . . . 94 4.1.1 Loi générale de la diffusion . . . 94 4.1.2 Hypothèses et conditions de travail . . . 96 4.1.3 Diffusion et transition d’échelle . . . 97 4.1.4 Calcul des fractions volumiques . . . 98 4.1.5 Bilan matière . . . 99 4.2 Modélisation micro-mécanique . . . 100 4.2.1 Généralités . . . 100 4.2.2 Modèle proposé . . . 102 4.2.2.1 Définition du champ de contraintes macroscopiques . . . 102 4.2.2.2 Définition du modèle micro-macro . . . 103 4.2.2.3 Développements apportés au modèle . . . 104 4.3 Calcul de la variation de volume . . . 106 4.4 Étude de la genèse des contraintes résiduelles . . . 108 4.4.1 Implémentation numérique du modèle . . . 109 4.4.2 La diffusion d’azote et de carbone . . . 109 4.4.2.1 La diffusion d’azote . . . 109 4.4.2.2 La diffusion du carbone . . . 111 4.4.2.3 La thermodynamique des processus irréversibles (TPI) . . . 112 4.4.2.4 Influence des contraintes résiduelles sur la diffusion . . . 115 4.4.2.5 Influence de la précipitation sur la diffusion . . . 117 4.4.2.6 Excès d’azote . . . 117 4.4.2.7 Bilan . . . 119 4.4.3 Évolution de la précipitation d’une surface nitrurée . . . 120 4.4.3.1 Fraction volumique des précipités . . . 120 4.4.3.2 Évolution des déformations volumiques . . . 124 4.4.4 Évolution des contraintes résiduelles . . . 125 4.4.5 Influence des séquences de précipitation . . . 126 4.4.6 Le refroidissement . . . 130 4.4.7 Application à l’acier de nuance 33CrMoV12-9 . . . 131
Notations employées :
JΦi
Xi flux de particules Xi dans la phase Φi
DΦi
Xi, D
Φi ?
Xi , bD
Φi
Xi coefficients de diffusion intrinsèque, d’autodiffusion, macroscopique
CΦi
Xi nombre de particules par unité de volume
z profondeur
µXi, µ
Φi
Xi, µ
o
Xi potentiels chimiques et standard
G enthalpie libre
R constante des gaz parfaits
T température
aΦi
Xi activité thermodynamique
γΦi
Xi coefficient d’activité thermodynamique
LΦi Xi coefficient de mobilité Γ facteur thermodynamique xΦi, xΦi Xi fraction atomique ωΦi, ωΦi Xi fraction massique
yΦi, ˙yΦi fraction et taux de fraction volumique
vΦi volume massique
V? volume d’une mole de maille de phase
M? masse d’une mole de maille de phase
VΦi
el volume élémentaire de maille
Na nombre d’Avogadro
MΦi, M
Xi masses molaires
NΦi
Xi coefficient stœchiométrique dans une maille
KΦi
Xi coefficient stœchiométrique dans une phase
X , Y coefficients stœchiométriques globaux d’une phase ΛΦi
Xi nombre d’atomes par maille
t temps
m, mΦi, mΦi
Xi masse
∆m variation de masse entre t et t + dt
V, VΦi volume VΦ1→Φ2 volume de la phase Φ 1 transformée en phase Φ2 ∆V Vo Φ i variation de volume b
σ, σΦi contraintes macroscopiques et d’une phase
σΦi
eq.V onM ises contrainte équivalente suivant von Mises
σΦi
y limite d’élasticité
σ02, 02 paramètres de la loi d’Hollomon
g(Φi
p ) loi de comportement
b
, Φi déformations macroscopiques et d’une phase
e, l déformations élastiques et libres
p, v, th, tp déformations plastiques, volumiques, thermiques et de transformation
˙ taux de déformation
[] saut de déformation
δ symbole de Kronecker
α coefficient de dilatation thermique
ωΦi vitesse de la frontière mobile S au point de normale n
A tenseur de localisation des déformations
SEsh tenseur d’Eshelby
U tenseur de polarisation
I tenseur unité
b
C tenseur des propriétés homogénéisées
b
E,bν module d’Young et coefficient de Poisson homogénéisés
T correspond au tenseur T d’ordre 2, de composante Tij.
La notation d’Einstein pour la sommation des indices répétés est utilisée : TikSjk = n X k=1 TikSjk (4.1)
Le volume V correspond au volume totale d’une sous-couche nitrurée d’épaisseur dz comme indiqué sur la figure 4.1.
En parallèle des invsetigations expérimentales une modélisation de la nitruration est déve- loppée. Elle est le fruit des différents travaux sur ce traitement au sein du laboratoire MécaSurf [BAR92, LOC98, CHA00, GOR06]. Un modèle est indispensable afin de pouvoir prédire une tenue en service mais aussi afin de comprendre et expliquer les phénomènes physiques et leurs interactions au cours du procédé de nitruration.
La synthèse bibliographique a présenté les principaux exemples de simulation de la nitru- ration, notamment en ce qui concerne la diffusion des atomes d’azote (cf. §2.7). La plupart se place dans le cas d’alliages à base de fer sans carbone. Les plus complexes prennent en compte la précipitation des nitrures d’éléments d’addition. La détermination des contraintes résiduelles compte peu de modèles, notamment dans le cas de la couche de diffusion. Ceci relève d’une part des difficultés à déterminer la fraction volumique de nitrures d’éléments d’alliage à partir de la diffusion d’azote, et d’autre part de la prise en compte de la relaxation des contraintes en fonc- tion de la profondeur au cours du traitement. Les lois d’évolution des contraintes résiduelles en fonction du temps de nitruration doivent alors être connues dans le cas de l’acier étudié. Le car- bone n’est quant à lui jamais pris en compte en tant qu’élément diffusant, peu de données étant disponibles. Son influence est seulement considérée à partir de profils de concentration expéri- mentaux. Connaissant l’évolution du niveau de contraintes en fonction de la teneur en cémentite, un recalage des contraintes résiduelles calculées est possible. Enfin, seules les incompatibilités de déformations macroscopiques sont généralement prises en compte bien que des hétérogénéités de déformations volumiques trouvent également une origine à l’échelle microscopique (matériau polycristallin, polyphasés, gradients chimique et de microstructure).
Il est par ailleurs souhaitable de proposer des modèles en adéquation avec les méthodes d’ana- lyse à disposition afin de pouvoir réaliser des comparaisons. Par exemple, dans le cas d’analyses de contraintes résiduelles par diffraction des rayons X à partir de la loi des sin2Ψ, il est déterminé
les contraintes moyennes σxx− σzz dans la matrice ferritique (cf. §3.1.5). Les méthodes du trou
ou de la flèche peuvent être utilisées pour déterminer les contraintes macroscopiques. Il peut également s’avérer intéressant de proposer ce type de simulation aux bureaux d’étude afin de développer des critères de tenue en service d’une pièce : quelle est alors l’échelle représentative de la problématique étudiée ? Pour toutes ces raisons, des modèles multi-échelles doivent être développés.
La première partie de ce chapitre présente la modélisation de la diffusion et précipitation à partir de la loi générale de la diffusion et de calculs thermodynamiques Thermo-Calc. La deuxième partie est consacrée au modèle micromécanique de transition d’échelle et à la définition du char- gement mécanique. La méthode proposée pour la détermination de ce chargement est présentée dans la troisième partie. Enfin, la quatrième et dernière partie, s’attache à présenter les résultats de la simulation et à discuter des phénomènes physiques liés aux observations expérimentales.