• Aucun résultat trouvé

Après un point sur l’évolution de la fréquence des dislocations dans les groupes longitudinaux (8.3.1), nous analyserons les fréquences moyennes des dislocations aux différents stades de développement, ainsi que dans les groupes des LNN de Paris, des LN Erasmus et des LN de Paris (8.3.2).

8.3.1 Évolution de la fréquence des dislocations dans les

groupes longitudinaux

Nous disposons pour les récits, comme pour les interviews (voir 7.3.1), de groupes longitudinaux : les lycéens, les étudiants de 1ère et 2ème années et les futurs professeurs de français. Le test t à échantillons dépendants permet de constater l’absence de différences significatives entre les fréquences des dislocations entre les enregistrements. Il ne permet donc pas de constater de développement entre les différents enregistrements des groupes longitudi-naux de l’étude. Ceci confirme les résultats de l’analyse de la fréquence des dislocations référant à des entités tierces dans les interviews (voir 7.3.2.1) : ce type de dislocations a une fréquence à peu près stable tout au long de l’acquisition.

8.3.2 Fréquences moyennes des dislocations dans les récits

Dans cette partie, nous traiterons de la fréquence moyenne des dislocations aux différents stades de développement. Les fréquences des dislocations sont calculées tous types confondus143, comme nous l’avons fait dans l’analyse des interviews pour les dislocations référant aux entités tierces (voir 7.3.2.1).

Les fréquences moyennes des dislocations aux différents stades de déve-loppement sont présentées dans le tableau 58 ; les fréquences dans les grou-pes de LNN de Paris et de LN, dans le tableau 59.

Tableau 58. Fréquence des dislocations dans les récits aux différents stades de

déve-loppement Stades de développement (n = nombre de récits) (N = nombre d’informants) Stade initial (n=4) (N=3) Stade post-initial (n=19) (N=14) Stade intermé-diaire (n=6) (N=5) Stade avancé inférieur (n=11) (N=4) Stade avancé moyen (n=15) (N=8) Stade avancé supérieur (n=13) (N=11) Nombre de dislocations 8 33 9 26 41 29

Moyenne des fréquences (nombre de disloc. / 100 mots)

1,28 0,91 0,83 1,32 1,15 1,11 Tableau 59. Fréquence des dislocations dans les récits des LNN de Paris, des LN

Erasmus et des LN de Paris

(n = nombre de récits) (N = nombre d’informants) LNN Paris (n=10) (N=10) LN Erasmus (n=10) (N=10) LN Paris (n=8) (N=8) Nombre de dislocations 21 5 0

Moyenne des fréquences (nombre de disloc. / 100 mots)

1,04 0,33 0

Pour faciliter la lecture des résultats, les moyennes des fréquences par récit sont présentées graphiquement ci-dessous.

143 Nous ne prenons en compte que les dislocations référant à des entités tierces. Les trois occurrences de [moi je SV] relevées dans les récits ont été écartées de l’analyse (voir 8.2).

Figure 15. Moyennes des fréquences des dislocations dans les récits aux différents

stades de développement, chez les LNN de Paris et chez les LN

Le graphique ci-dessus montre que la moyenne des fréquences d’emploi des dislocations baisse entre le stade initial et le stade intermédiaire, pour aug-menter au stade avancé inférieur, avant de baisser à nouveau au stade avancé moyen, pour finalement augmenter au stade avancé supérieur et baisser en-core chez les LNN de Paris. Ceci suggère qu’il n’y a pas de développement au fil de l’acquisition du point de vue de la fréquence des dislocations. Les variations constatées sont probablement liées aux différences interindividuel-les dans l’emploi de la dislocation, et non au niveau d’acquisition. Ceci confirme les conclusions que nous avons tirées dans l’analyse des interviews concernant les dislocations visant des entités tierces (voir 7.3.2.1).

Par ailleurs, les fréquences d’emploi des dislocations par les LNN, quel que soit le stade ou le groupe, sont toujours supérieures à celles constatées dans les deux groupes de LN. Notons toutefois que seule la comparaison des fréquences d’emploi des dislocations entre les LNN de Paris et les LN de Paris (voir tableau 59 supra) est statistiquement significative (p < 0,05 ; test t de Student à deux échantillons indépendants). Les différences de fréquences entre les différents stades de développement et les LN Erasmus ne se sont pas révélées significatives (ANOVA, test post-hoc de Scheffé). Notons néanmoins que les fréquences d’emploi des dislocations dans les récits des apprenants guidés et semi-guidés se situent entre 0,83 et 1,32 dislocation pour 100 mots, soit à des taux systématiquement supérieurs à la fréquence de 0,33 dislocation pour 100 mots constatée chez les LN Erasmus, et a fortiori supérieurs à la fréquence d’emploi nulle du groupe de LN de Paris.

Hendriks (2000 ; voir 2.2.1) constate, elle aussi, un emploi plus élevé de la dislocation chez les apprenants de français que chez les LN. Cette diffé-rence de fréquence d’emploi pourrait tenir, selon elle, à la tendance des LN à adopter un style plus formel que les LNN pour effectuer leur narration (Hen-driks 2000 : 387). Ceci peut être mis en rapport avec la distinction proposée par Givón (1979a : 98, cf. Klein 1989 : 113) entre le « mode pragmatique » et le « mode syntaxique ». Ces deux modes déterminent tout énoncé linguis-tique. Le premier est caractérisé par une structuration en thème/rhème ; l’ordre des mots est déterminé par le principe pragmatique suivant : l’information ancienne d’abord, l’information nouvelle ensuite. Le mode d’expression syntaxique, pour sa part, se caractérise par la structure su-jet/prédicat. Les deux modes forment un équilibre, qui peut se modifier selon les situations de discours. Le mode pragmatique est par exemple dominant dans la langue parlée ; le mode syntaxique, dans la langue scientifique écrite. Ainsi, à la fois dans notre étude et celle de Hendriks, les LNN tendent à adopter un style plus « pragmatique », et donc moins « syntaxique », pour effectuer leur narration (cf. Klein & Perdue 1992, Perdue et al. 1992).

Une autre explication possible est que les LNN utilisent les dislocations avec des fonctions plus variées que les LN ou que, pour marquer les mêmes fonctions que les LN, les LNN manifestent une plus forte préférence pour la dislocation dans le choix qu’ils opèrent dans l’ensemble des moyens référen-tiels permettant d’exercer cette fonction (SN lexicaux, SN lexicaux dislo-qués, pronoms, etc.). Cette question sera approfondie dans l’analyse fonc-tionnelle des dislocations en 8.5 (voir également les études de cas menées en 2.4).

Nous développerons une troisième hypothèse dans le chapitre 9, dans le-quel nous comparons les résultats des interviews et des récits : l’emploi plus élevé de dislocations dans les récits des LNN pourrait constituer une straté-gie compensatoire de l’effort cognitif que représente la réalisation d’un récit dans une langue seconde (voir 9.2)144.

144 Nous ne développons pas ce point ici, car il nécessite de comparer les taux de fréquences des dislocations dans les récits et les interviews, ce qui, précisément, est l’objet du chapitre 9.

8.4 Dislocations et variation interindividuelle dans les