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Accessibilité des entités dans les interviews

6.3 Analyse forme/fonction

6.3.1 Analyse des fonctions des dislocations référant aux entités tierces

6.3.1.2 Accessibilité du référent

6.3.1.2.2 Accessibilité des entités dans les interviews

Dans les interviews, les référents visés par les séquences détachées et les pronoms de reprise des dislocations peuvent être de nature très variée. Il peut s’agir, par exemple :

• des interlocuteurs (désignés par les pronoms « je »85 et « tu »), • de personnes tierces (par exemple, « ma tante », Sarkozy), • de personnages (de films, de livres, etc.),

• d’animaux,

• d’entités inanimées (comme « la ville de Stockholm »),

• d’entités abstraites (par exemple, « la principale différence entre les Français et les Suédois » ou « l’avenir pour moi »).

Or les trois catégories utilisées pour l’analyse de l’accessibilité des person-nages des récits (nouveau, accessible ou désactivé) sont insuffisantes pour rendre compte du degré d’accessibilité de toutes ces entités. Nous avons besoin de catégories supplémentaires pour les interviews. Pour les établir, il faut distinguer les cas où le référent est mentionné pour la première fois, et les cas de mentions subséquentes.

Premières mentions

Quand un locuteur mentionne une entité pour la première fois dans le cours (c’est-à-dire quand cette entité est nouvelle dans la situation de

dis-cours, selon la typologie de Prince 199286), l’interlocuteur peut avoir une connaissance de ce référent préalable à la situation de discours (et il est, dans ce cas, ancien pour l’interlocuteur), ou pas (il est nouveau pour

l’interlocuteur). Une entité à la fois nouvelle dans la situation de discours et ancienne pour l’interlocuteur est, par exemple :

• une personne connue que l’on mentionne pour la première fois dans le discours, comme Sarkozy dans l’exemple (87),

• une entité abstraite, comme le racisme (en général) dans (88), • une catégorie de personnes, comme les ados dans (89).

(87) Sarkozy: il y a tellement de gens qui vont voter pour lui (I:mhm) grâce à ça

(Tanja, LNN de Paris, interview 1) (88) le le racisme eh / c’e:st des gens qui ont peur qui n’ont pas de

beaucoup de l’éducation beaucoup d’éducation

(Lena, étudiants de 1ère et 2ème années, interview 4, stade avancé moyen) (89) et / je trouve que: qu’aujourd’hui euh / les ados i:ls ne savent

pas beaucoup sur la littérature .

(Mona, futurs professeurs, interview 4, stade avancé moyen) Dans les trois exemples ci-dessus, les référents sont, selon toute vraisem-blance, connus de l’interlocuteur avant même d’apparaître dans la situation de discours. Ces référents font partie des « connaissances du monde », « en-cyclopédiques », du locuteur et de l’interlocuteur. Nous considérerons que,

86 Prince (1992) propose de décrire le statut informationnel d’un référent en distinguant d’une part l’ancienneté vs la nouveauté du référent pour l’interlocuteur (« old » vs « hearer-new »), d’autre part l’ancienneté vs la nouveauté du référent dans la situation de discours (« discourse-old » vs « discourse-new »).

quand ces référents sont mentionnés pour la première fois dans le discours, ils sont accessibles car connus préalablement à la situation de discours.

En revanche, certains référents mentionnés dans le discours pour la pre-mière fois peuvent ne pas être préalablement connus de l’interlocuteur. Ces référents sont, autrement dit, à la fois nouveaux dans la situation de discours et nouveaux pour l’interlocuteur. Il faut alors distinguer deux cas : les cas où ces référents sont identifiables, et ceux où ils ne le sont pas. Un référent nouveau à la fois dans la situation de discours et pour l’interlocuteur peut être identifiable soit parce que son expression dans le discours est suffisam-ment déterminée pour permettre son identification – comme c’est le cas dans les exemples (90) et (91) –, soit par une série d’inférences, comme dans l’exemple (92).

(90) euh ma: ma <vad heter det> <moster>87 ma tante / (I:oui) elle habite à Paris

(Elin, lycéens, interview 1, stade post-initial) (91) et la femme qui s’occupe de l’économie / du du musée [le

mu-sée Strindberg] / elle va: venir / nous écouter nous voir / (I:mm) vendredi .

(Eva, étudiants de 1ère et 2ème années, interview 4, stade avancé inférieur) Dans (90), le nom tante est déterminé par le possessif ma. Le SN ma tante permet donc l’identification du référent. Notons au passage que la locutrice et l’interlocuteur ne partagent pas rigoureusement le même degré d’information, puisque la locutrice parle d’une tante en particulier, alors que l’interlocuteur sait simplement qu’il s’agit d’une tante de la locutrice parmi peut-être plusieurs possibles. Mais la locutrice juge qu’il importe peu pour l’interlocuteur de savoir laquelle. De même, dans (91), le nom femme est déterminé à la fois par l’article défini la et la proposition subordonnée rela-tive qui s’occupe de l’économie / du du musée, ce qui assure l’identification du référent dont parle la locutrice. Dans les deux exemples, le SN détaché vise donc un référent nouveau mais identifiable du fait des déterminations du nom.

Dans l’exemple suivant, le référent visé par la séquence détachée est iden-tifiable par inférence.

87 Traduction : la séquence en suédois vad heter det? peut se traduire par « comment ça se dit ? » ; le mot suédois moster, par « tante ».

(92) (1) mais je me souviens

(2) la première eu:h / fois que quelqu’un m’avait dit que je parlais bien

(3) / j’avais pris un taxi pour rentrer tard le soir

(4) / et le chauffeur i parlait i parlait et moi je disais “oui oui

non non” .

(5) / et après quand je suis partie / “vous parlez si bien + français mademoiselle”

(Britt, LNN de Paris, interview 1) La locutrice mentionne dans l’unité 3 le fait qu’elle a pris un soir un taxi. Dans l’unité suivante, il est question du « chauffeur », qui est introduit dans le discours au moyen d’une dislocation. L’identification du référent se fait par inférence : il s’agit du chauffeur du taxi. L’identification du référent s’explique par l’existence d’une « anaphore associative possessive » (Kleiber 2001 : 362) entre le taxi et le chauffeur. Cette anaphore se fonde sur une « structure générique » de type Un taxi a un chauffeur. Cela signifie que la mention d’un taxi implique l’existence d’un chauffeur de taxi.

En résumé, un référent visé par une dislocation peut être à la fois nouveau et identifiable (par ses déterminations ou par inférence). Il est toutefois des cas où le référent nouveau n’est pas identifiable, comme dans l’exemple (93).

(93) 01 I: ça c’est quand même assez dur dans la société française 02 si on compare à + la Suède .

03 E: oui oui SIM mais (I: ouais) moi je trouve # non en 04 même temps non (I: ouais) . moi ce # ce que moi je trou-05 ve c’est qu’à Paris je sais pas si c’est parce que le milieu 06 où je vis (I: ouais) moi je trouve les gens sont très ouverts 07 (I: ouais) les Parisiens (I: ouais ouais) . bon en tout cas 08 moi je vis dans le onziè:me et tout (I: ouais ouais) . les 09 gens sont ouverts et j’ai beaucoup d’amis . j’ai / ma meil- 10 leure copine qui est française son mari il est de Paraguay 11 (I: ouais) . et *** c’est une copine . + elle est algérienne . 12 j’ai toutes les

13 I: enfin il peut y avoir toutes SIM . 14 E: oui voilà .

15 I: ces configurations .

La dislocation en question se trouve à la ligne 11 : il s’agit de l’énoncé « *** c’est une copine »88. L’amie de Tanja, ***, n’a pas été mentionnée précédemment dans le discours. C’est un référent nouveau, non accessible (l’intervieweur ne connaît pas ***) et non identifiable au moment où le pré-nom *** est prononcée par la locutrice. Il se pourrait que la structure « *** c’est une copine » soit utilisée par la locutrice comme variante de « j’ai une copine / *** ».

Nous distinguons dans cette étude les référents nouveaux identifiables et non identifiables. Précisons comment nous avons défini la limite entre ces deux types de référents. La différence tient à la possibilité ou non d’identifier ces référents, c’est-à-dire de les singulariser. Ainsi, un référent comme ma

mère dans l’exemple ci-après sera considéré comme identifiable même si le

locuteur mentionne sa mère pour la première fois dans le discours. (94) ma mère elle est suédoise .

(Patrick, LNN de Paris, interview 1) Il est en effet possible d’identifier précisément la personne en question. En revanche, le référent visé par le SN un garçon de ma classe, comme dans l’exemple suivant, ne permet pas son identification, du moins pas précise.

(95) euh euh un euh garçon de mon de ma classe . / (I:oui) il a / mm ah non <fyllt år89> (BAS) ?

(Ingrid, lycéens, stade post-initial, interview 1) Un test permettant de distinguer les référents nouveaux identifiables et non identifiables consiste à poser la question : lequel ? / laquelle ? Dans le pre-mière cas, la question n’amène pas de précision : « ma mère » est « ma mère ». Dans le second cas, la question peut conduire à une précision.

Le cas de référents du type « ma tante », « mon grand-père », « mes grands-parents », « mon frère », où les SN peuvent éventuellement viser plusieurs référents, est plus délicat. Il se situe en effet à la limite des deux catégories. Un SN comme ma tante renvoie à un nombre limité de personnes possibles90. Le référent n’est donc pas entièrement identifié – mais « pres-que » pourrait-on dire, dans la mesure où il fait partie du cercle relativement limité des parents, de la famille. Par défaut, nous considérerons comme

88 Il n’est toutefois pas exclu que « c’est une copine » soit une incise. Dans ce cas, la disloca-tion serait : « *** […] elle est algérienne ». Mais cela ne modifie pas l’analyse du référent visé par la dislocation, qui est nouveau et non identifiable au moment où la séquence détachée *** est prononcée.

89 Traduction de la séquence en suédois fyllt år : eu son anniversaire (le garçon en question vient d’avoir son anniversaire).

tifiables ces cas-limites comme « ma tante », « mon grand-père », « mes grands-parents », « mon frère », etc.

Ces exemples montrent que l’établissement du degré d’identifiabilité d’un référent nouveau constitue un problème épineux. Il faut sans doute se le re-présenter comme un continuum plutôt que comme une alternative tranchée de type identifiable / non identifiable : entre les cas clairement identifiables, comme Sarkozy (quand celui-ci est mentionné pour la première fois dans un discours ; voir l’exemple 87), et les cas indubitablement non identifiables, comme un cheval dans un récit (exemple 43 dans la section 2.2.1), se situent les référents « plus ou moins identifiables », notamment « ma tante », « ma grand-mère », etc.

Nous venons de présenter les différents cas de figure où le référent est mentionné pour la première fois dans le discours. Il reste à présenter les cas où le référent a préalablement été introduit dans le discours, c’est-à-dire dans les cas où il est ancien dans le discours.

Mentions subséquentes

En ce qui concerne les mentions subséquentes des référents, comme pour les récits, nous distinguerons simplement deux cas : soit le référent est mention-né dans l’unité précédente, soit il a été mentionmention-né dans une unité au-delà. Dans le premier cas, le référent sera considéré comme actif ; dans le second, comme désactivé (voir 6.3.1.2.1).

En résumé, les référents visés par les dislocations relevées dans les inter-views peuvent avoir cinq degrés d’accessibilité différents : (i) accessible, (ii) nouveau et identifiable, (iii) nouveau et non identifiable, (iv) actif et (v) désactivé (figure 9 ci-dessous).

Figure 9. Détermination du degré d’accessibilité du référent visé par les dislocations

dans les interviews

référent 1ère mention dans le discours déjà mentionné (donc connu

de l’interlocuteur)

préalablement connu préalablement inconnu mentionné mentionné de l’interlocuteur de l’interlocuteur dans l’unité au-delà de

précédente l’unité

précédente

identifiable non identifiable

⇓ ⇓ ⇓ ⇓ ⇓

(i) (ii) (iii) (iv) (v)

ACCESSIBLE NOUVEAU & NOUVEAU & ACTIF DÉSACTIVÉ

(« connaissances IDENTIFIABLE NON IDENTI- encyclopédiques ») (par inférence FIABLE

ou par ses

déterminations)

Nous présentons dans la section suivante la seconde typologie de classe-ment des dislocations, c’est-à-dire selon le statut informationnel de la précé-dente mention du référent visé par la dislocation.