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Développement des dislocations référant à des entités tierces dans

7.2 Développement des dislocations dans les interviews

7.2.1 Développement des dislocations référant à des entités tierces dans

Rappelons que, pour repérer l’emploi systématique des dislocations dans le corpus, nous avons opté pour un critère d’emploi de deux occurrences mini-mums relevées chez au moins deux locuteurs différents (voir 6.4). Ainsi, la présence d’une seule occurrence, ou de plusieurs occurrences d’un type de dislocation chez un seul locuteur ne permettra pas, selon ce critère, de conclure que la dislocation en question est employée de manière systémati-que.

Le tableau 27 montre la manière dont les dislocations visant des entités tierces109 se répartissent aux différents stades de développement. Le gris fon-cé utilisé dans le tableau signifie que le type de dislocation considéré com-mence à être ou est employé de manière systématique (au sens de notre cri-tère ; voir 6.4). Si une dislocation fait l’objet d’un début d’emploi systémati-que à un stade de développement, nous supposons systémati-que son emploi reste sys-tématique aux stades de développement ultérieurs. Ainsi, les cases correspondantes sont également colorées en gris foncé. Les cases en gris clair correspondent aux formes employées soit une seule fois, soit plusieurs fois mais par un seul locuteur.

Si nous appliquons strictement le critère d’emploi systématique, une ana-lyse des données brutes nous permet de conclure que :

• les dislocations de type [SN il SV] font l’objet d’un début d’emploi systématique dès le stade initial,

• le type [SN c’est X], à partir du stade post-initial,

• les dislocations à droite de type [c’est X / SN], à partir du stade avancé inférieur,

• le type [ça c’est X], à partir du stade avancé moyen,

• et les dislocations [SN ça SV], [SN + Pro objet], [ça ça SV] et [lui il SV], à partir du stade avancé supérieur.

D’autres types de dislocations sont mis en œuvre par les informants, mais il s’agit d’occurrences isolées : [SN + en], [il SV / SN], [c’est X / ça] et [il SV / lui].

Tableau 27. Distribution des différents types de dislocations référant à des entités

tierces dans les interviews aux différents stades de développement

Stades de développement (n = nombre d’interviews) (N = nombre d’informants) Stade initial (n=10) (N=9) Stade post-initial (n=24) (N=17) Stade intermé-diaire (n=6) (N=5) Stade avancé inférieur (n=8) (N=5) Stade avancé moyen (n=11) (N=8) Stade avancé supérieur (n=11) (N=11) Total (n=70) (N=40) 1. Dislocations à gauche

1a. Dislocations nominales à gauche

SN c’est X 1 9 1 30 17 27 85

SN il SV 5 15 6 9 25 14 74

SN ça SV 1 1 3 5

SN + Pro objet 1 2 3

SN + en – – – – 1 – 1

1b. Dislocations pronominales à gauche

ça c’est X 1 2 6 24 33

ça ça SV 3 3

ça il y a [négation] ça – – – – – – 0

lui il SV – – – – – 7 7

ceux qui [sub. relative] ils SV

0

2. Dislocations à droite

2a. Dislocations nominales à droite

c’est X / SN 2 1 1 4

il SV / SN 1 – 1

ça SV / SN 0

SN SV ça / SN – – – – – – 0

en / de + SN 0

2b. Dislocations pronominales à droite

c’est X / ça – – – 1 – – 1

c’est X / quelqu’un qui [sub. relative]

0

il SV / lui – – – – – 1 1

Total 6 24 8 45 53 82 218

Le tableau 27 nous permet de proposer, pour les stades de développement inital à avancé supérieur, le développement de la dislocation suivant :

(1) [SN il SV] → (2) [SN c’est X] → (3) [c’est X / SN] → (4) [ça c’est X]

(5) [SN ça SV], [SN + Pro objet], [ça ça SV], [lui il SV]110

110 La virgule lie des types de dislocations dont nos données ne nous permettent pas de dire exactement dans quel ordre ils se développent, dans la mesure où ils font l’objet d’un début d’emploi systématique à un même stade.

(1) à partir du stade initial. (2) à partir du stade post-initial. (3) à partir du stade avancé inférieur. (4) à partir du stade avancé moyen. (5) à partir du stade avancé supérieur.

Il est intéressant de noter l’apparition des dislocations pronominales [ça c’est X] avant les dislocations de type [lui il SV]. Ceci pourrait tenir au caractère préfabriqué de la séquence ça c’est, une séquence préfabriquée se définissant comme une combinaison d’au moins deux mots stockée en tant qu’unité dans la mémoire (Forsberg 2008, cf. Wray 1999). Étant invariable, [ça c’est X] pourrait être d’un emploi plus aisé que [lui il SV], dont la mise en œuvre implique la maîtrise aussi bien des formes conjointes des pronoms (il, elle,

ils, etc.) que de leurs formes disjointes (lui, elle, eux, etc.).

Par ailleurs, en ce qui concerne les dislocations [SN + Pro objet], nous pouvons noter que leur emploi systématique par les LNN n’est attesté qu’à partir du stade avancé supérieur. En voici un exemple, où le pronom objet clitique les est en relation coréférentielle avec le SN les anglophones :

(115) et les anglophones (I: RIRE) il faut pas les oublier

(Matilda, Doctorants, interview 1, stade avancé supérieur) Nous avons également relevé au stade avancé moyen une occurrence de [SN + Pro objet] (exemple 116), ainsi qu’une occurrence de la dislocation [SN +

en], où le SN est repris par le pronom adverbial en (exemple 117). Ces deux occurrences ne font toutefois pas l’objet d’un emploi systématique.

(116) mai:s le reste je le fais ici / <muntlig framställning111> e:t grammaire: traduction et (I:mm) tout ça .

(Anders, futurs professeurs, interview 4, stade avancé moyen) (117) et s je trouve que / la littérature suédoise i il y en a beaucoup

euh .

(Mona, futurs professeurs, interview 4, stade avancé moyen) L’analyse de nos données nous conduit donc à conclure que les dislocations dont le pronom de reprise occupe la fonction de complément d’objet – ou de complément du verbe comme en – apparaissent à un stade relativement tardif dans le corpus. D’après Bartning & Schlyter (2004 : 14), le pronom objet émerge dans les productions orales des apprenants dès le stade post-initial. Cependant, leur emploi n’est généralement pas, à ce stade, conforme à

111 Traduction de la séquence en suédois muntlig framställning : production orale (il s’agit d’un cours suivi par l’apprenant à l’université).

l’usage du français langue-cible, comme le montrent ces deux exemples issus du corpus de Lund112 :

(118) Elle demande la

(Petra, corpus de Lund, apprenants non guidés, stade post-initial, exemple de Granfeldt & Schlyter 2004 : 354) (119) On prend le gaz et refroidir le

(Karl, corpus de Lund, apprenants non guidés, stade post-initial/stade intermédiaire, exemple de Granfeldt & Schlyter 2004 : 355) Dans (118) et (119), les pronoms objet la et le sont en position postverbale. Ils n’occupent donc pas la position préverbale qu’ils ont en français langue-cible. Pour Granfeldt & Schlyter (2004 : 343), le pronom objet se développe chez les apprenants suédophones adultes de français L2 selon l’itinéraire suivant113 :

1. Position postverbale *je vois lui 2. Omission de l’objet *j’ai vu 0 3. Position intermédiaire *j’ai le vu 4. Avant le verbe fini je l’ai vu

Le pronom objet clitique commence à occuper la position préverbale, conformément à l’usage en langue-cible (étape 4 de l’itinéraire ci-dessus), seulement à partir des niveaux avancés (Bartning & Schlyter 2004 : 11). L’emploi du pronom objet préverbal est en effet attesté dans des productions orales classées au stade avancé moyen. En voici un exemple, provenant du corpus de Lund :

(120) Je l’ai pris

(Knut, corpus de Lund, apprenants non guidés, stade avancé moyen, exemple de Granfeldt & Schlyter 2004 : 357) Comme les dislocations dont le pronom de reprise occupe la fonction de complément d’objet apparaissent elles aussi relativement tard dans l’acquisition, il est possible que ce type de dislocations ne puisse être mis en œuvre qu’une fois le pronom objet « en place » dans la langue des appre-nants, c’est-à-dire une fois que ces derniers emploient le pronom objet comme en langue-cible. Nous pouvons en effet constater que, dans les

112 Rappelons que le corpus de Lund est l’un des deux corpus, avec le corpus InterFra, sur lesquels se fondent les stades de développement proposés par Bartning & Schlyter (2004 ; voir 3.1.2).

113 Towell & Hawkins (1994) et Herschensohn (2004) proposent des itinéraires semblables pour les apprenants de français ayant l’anglais pour langue maternelle.

cations du corpus construites avec un pronom objet clitique, celui-ci est tou-jours en position préverbale.

Examinons à présent la distribution des différents types de dislocations référant à des entités tierces chez les LNN de Paris, ainsi que dans les deux groupes de LN.

Tableau 28. Distribution des différents types de dislocations référant à des entités

tierces dans les interviews des LNN de Paris, des LN Erasmus et des LN de Paris

(n = nombre d’interviews) (N = nombre d’informants) LNN Paris (n=10) (N=10) LN Erasmus (n=10) (N=10) LN Paris (n=8) (N=8) Total (n=28) (N=28) 1. Dislocations à gauche

1a. Dislocations nominales à gauche

SN c’est X 26 40 26 92

SN il SV 41 6 12 59

SN ça SV 5 4 4 13

SN + Pro objet 2 1 – 3

SN + en 1 2 – 3

1b. Dislocations pronominales à gauche

ça c’est X 2 4 3 9

ça ça SV 1 2 2 5

ça il y a [négation] ça 1 – – 1

lui il SV 14 1 1 16

ceux qui [sub. relative] ils SV 1 – – 1

2. Dislocations à droite

2a. Dislocations nominales à droite

c’est X / SN 3 3

il SV / SN 0

ça SV / SN 3 – – 3

SN SV ça / SN 1 1 – 2

en / de + SN 1 – – 1

2b. Dislocations pronominales à droite

c’est X / ça – – – 0

c’est X / quelqu’un qui [sub.

relative] 1 – – 1

il SV / lui – – – 0

Total 100 64 48 212

Si nous comparons les productions des LNN de Paris à celles des deux groupes de LN, nous constatons que, à la seule exception de [ça SV / SN], tous les types de dislocations faisant l’objet d’un emploi systématique chez les LNN de Paris sont attestés chez les LN.

Le tableau 28 montre qu’un nouveau type de dislocation fait l’objet d’un emploi systématique dans le groupe de LNN de Paris : [ça SV / SN]. Nous pouvons à présent proposer un ordre de développement des dislocations réfé-rant à des entités tierces dans les interviews.

Ordre de développement 1 :

(1) [SN il SV] → (2) [SN c’est X]

(3) [c’est X / SN] → (4) [ça c’est X]

(5) [SN ça SV], [SN + Pro objet], [ça ça SV], [lui il SV] →

(6) [ça SV / SN]

(1) à partir du stade initial. (2) à partir du stade post-initial. (3) à partir du stade avancé inférieur. (4) à partir du stade avancé moyen. (5) à partir du stade avancé supérieur. (6) au-delà du stade avancé supérieur.

Ce résultat n’est pas entièrement conforme à l’hypothèse que nous avions formulée pour l’ordre d’acquisition des dislocations (hypothèse H1a ; voir chapitre 4), que nous rappelons ici :

[SN c’est X] → [SN il SV] [lui il SV]

Contrairement à notre hypothèse de départ, la dislocation [SN c’est X], dans les interviews, n’est pas employée systématiquement avant [SN il SV]. Cela signifie que les apprenants disposent précocement des moyens grammati-caux nécessaires à la construction des dislocations [SN il SV]. Notre corpus ne témoigne donc pas, comme nous en avons fait l’hypothèse, de l’existence d’une phrase préalable d’emploi des dislocations construites à partir de la séquence préfabriquée c’est. La dislocation de type [SN c’est X] ne présente qu’une occurrence au stade initial :

(121) mon adresse eh st c’est Körsbärsvägen <fem114>

(Jan, débutants, interview 1, stade initial) En revanche, l’analyse permet de confirmer la seconde partie de notre hypo-thèse : les dislocations pronominales à gauche [lui il SV] apparaissent après les dislocations nominales à gauche.

Passons à l’analyse du développement des dislocations référant aux inter-locuteurs ([moi je SV], [toi tu SV] et leurs variantes).

7.2.2 Développement des dislocations visant les interlocuteurs