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CHAPITRE 1 : CONTEXTE DE L’ÉTUDE ET PROBLÉMATIQUE

1. LE MONDE DE LA FORMATION À LA RECHERCHE D’INNOVATION PÉDAGOGIQUE : DES FACTEURS

1.2 HISTOIRE DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET CONTINUE : MATURATION DE LA LOI DE 1971

1.3.1 La formation professionnelle et continue : un secteur en évolution

Comme nous l’avons constaté dans le chapitre consacré à l’aspect législatif, « la formation professionnelle permanente constitue une obligation nationale […]. Elle a pour objet de permettre l’adaptation des travailleurs au changement des techniques et des conditions de travail, de favoriser leur promotion sociale par l’accès aux différents niveaux de la culture et de la qualification professionnelle et leur contribution au développement culturel, économique et social. Elle peut être dispensée à des salariés titulaires d’un contrat de travail prévoyant une formation en alternance […] l’État, les collectivités locales, les établissements publics, les établissements d’enseignement publics et privés, les associations, les organisations professionnelles, syndicales et familiales, ainsi que les entreprises, concourent à l’assurer. » (Code du travail, art. L. 900-126)

24http://www.ffp.org/ressources/Memo_comprendre_enfin_la_formation_professionnelle_octobre_2014_vf.p df

25 André Voisin ajoute à la notion de marché celle de « système de formation » et « appareil formation » dans la 3e édition du Traité des Sciences et des techniques de la formation

26 Article L900-1 - Modifié par Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 - art. 133 JORF 18 janvier 2002, http://www.legifrance.gouv.fr

36 L’ensemble de ces obligations va générer une économie de marché27 au sein de laquelle se rencontrent l’offre et la demande, et donc modifier l’organisation même du secteur de la formation en une « économie de la formation » (Voisin, 2011).

Historiquement, la formation professionnelle et continue était dominée par le secteur associatif et public. Ainsi, l’arrivée d’opérateurs privés dans cet écosystème, proposant une offre de service compétitive, va concurrencer les opérateurs historiques qui jusqu’alors avaient le monopole et travaillaient en étroite collaboration avec les services déconcentrés de l’État. Les acteurs privés, en faisant reconnaître l’applicabilité des règles de concurrence à l’activité de formation, vont faire de celle-ci une activité économique tout en répondant à une exigence d’intérêt général.

Mais, comme le souligne le Conseil de la concurrence dans ses avis de 2000 et de 200828 concernant l’Afpa29, « la qualification d’activité marchande n’est pas antinomique avec la qualification de service public ou de service d’intérêt général ». En effet, selon l’État français, « la formation professionnelle est une activité économique pour laquelle la passation de marchés publics doit être le mode principal d’intervention complété, à titre subsidiaire, par l’octroi limité de subventions ». Ainsi, tous les acteurs de la formation professionnelle peuvent accéder aux ressources publiques en respectant le Code des marchés publics de 2006 et les règles de concurrence, sous le contrôle des régions.

Malgré tout, au fil des années, le cadre de la formation va basculer « d’une logique de service public à une logique de marché et, d’une logique de l’offre à une logique de la demande » (Parmentier, 1998). Ainsi, tout « en instaurant une obligation de financement du système par les entreprises, l’État crée un marché administré qui va mettre en porte-à-faux l’appareil de formation préexistant » (Santelmann, 2011).

À cette époque que l’on pourrait qualifier de « création de marché », le secteur est ébranlé par un développement massif d’organismes de formation privés, de statuts juridiques et tailles très divers, et simultanément par une disparition accrue des plus petites entités. Cette

27 Cité dans Perspective Monde :

http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1551

28 Avis n° 00-A-31 du 12 décembre 2000 et n° 08-A-10 du 18 juin 2008 relatifs à des demandes d’avis présentées par la Fédération de la formation professionnelle.

37 explosion et cette destruction d’organismes de formation déstabilisent le secteur en évolution permanente, cherchant encore leur place face aux acteurs publics et historiques30, et dans lequel, comme le souligne une enquête du Cereq sur les activités de 1993, « un petit nombre d’organismes concentre la part importante de l’ensemble des recettes. Les organismes dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à un million de francs représentent 18 % du nombre total des organismes de formation, mais ils réalisent 86 % du chiffre d’affaires de l’activité totale du marché de service que représente la formation continue. » (Parmentier, 1998) En effet, selon Santelmann (2001) « la loi de 1971 va permettre l’émergence de nouveaux et nombreux organismes privés et ainsi relativiser le poids, mais aussi les objectifs des opérateurs publics et associatifs préexistants, ainsi les organismes privés vont s’organiser sur les segments rentables de ce nouveau marché comme les formations de cadres ou d’ingénieurs au détriment des salariés les moins qualifiés ».

Face à ces menaces de protection de parts de marché, l’enjeu de la « démarche qualité »31 apparue début des années 1980 s’intensifie au fil du temps avec l’apparition des normes, labels, et autres certifications. Ceux-ci imposent aux opérateurs de définir leurs orientations stratégiques et de préciser leurs pratiques pédagogiques. Cette nouveauté constituera un axe stratégique pour le développement des acteurs, « impliquant des procédures d’innovation et d’actualisation » (Parmentier, 1998).

Paradoxalement, cela va créer une standardisation de l’offre de formation, incompatible avec les besoins des entreprises, qui « attendent de la formation continue qu’elle sache en permanence s’adapter à des situations à chaque fois différentes […] les entreprises devant faire face à des besoins en compétences en voie d’émergence ne trouveraient pas de réponse adaptée sur un marché de la formation standardisé » (Voisin, 2017 [2011]).

En 1985 déjà, comme l’évoque Voisin (1985), le rapport du Commissariat général du plan « Développer la formation professionnelle », soulignait « l’insuffisance de l’effort de formation des entreprises par rapport aux impératifs de modernisation, d’emploi, et d’investissement […] la formation ne devait plus être considérée comme une dépense sociale, mais comme un

30 Greta, Afpa

38 investissement » (Ibid). Suite à cela, trois types d’approches ont été proposées successivement, qui restent aujourd’hui encore au cœur des débats : « l’approche par la théorie du capital humain, l’approche par la théorie de l’investissement immatériel32, l’approche économique par les modèles de production » (Voisin, 2011).

Ainsi, la création du marché de la formation professionnelle et continue appuyée par le Conseil de la concurrence, associé au développement de la notion de qualité définie comme « l’aptitude d’un produit ou d’un service à satisfaire les besoins exprimés ou implicites »33, va contraindre l’ensemble des acteurs à jouer au jeu de la rentabilité et de la compétitivité. Pour fidéliser leurs clients34, les organismes privés devront répondre à leurs besoins, et donc être à l’écoute des mutations du secteur économique (à la fois de l’entreprise pour la formation des salariés, et du contexte général du marché de l’emploi pour les demandeurs d’emploi) pour pouvoir adapter leur offre de formation. Dans ce jeu de la concurrence, chaque acteur devra se démarquer en proposant des méthodes et pratiques pédagogiques différenciées, nouvelles et rentables et qui se doivent éthiquement d’être efficaces. Mais malheureusement, malgré les efforts budgétaires, de régulation et de normalisation, les résultats sont pour beaucoup insuffisants.

À partir des années 2000 apparaissent sur le marché de la formation de nouveaux acteurs, considérés comme des technophiles plutôt que des pédagogues. En effet, avec l’explosion de la « bulle Internet » en 2000, les développeurs de logiciels éducatifs, de plateformes et autres prestataires du e-learning vont obtenir des parts de marché considérables, en proposant l’outil technologique comme étant la solution à la formation. Ainsi, de nombreux forums et salons éclosent dans les grandes villes où acteurs de la formation et marketeurs de produits plus innovants les uns que les autres négocient la dernière nouveauté venant des États-Unis.

L’aspect qualitatif ancré par le décret n° 2015-790 du 30 juin 2015 de la formation et l’abandon de l’obligation fiscale engendrent le passage de la formation obligation à la

32 Aussi nommé « investissement dans l’intelligence » par Pierre Caspar dans son ouvrage « Investissement intellectuel : essai sur l’économie de l’immatériel, cité dans le Traité des Sciences et des techniques de la Formation p.51

33 NF X50-120

34 Nous entendons ici par « client » : décideur (responsable hiérarchique, chef d’entreprise, ...), apprenant, financeur (entreprise, OPCA, État, ...), prescripteur (OPCA, État, Pôle Emploi, ...)

39 « formation compétitivité » (Dennery, 2013). Ainsi, comme le souligne la présidente-directrice générale de Docendi, « la formation est aujourd’hui un investissement, à l’entreprise de choisir les formations de qualité au service de sa performance ». (Bolloré, 2014).

Ceci risque de complètement modifier la conception de la formation, considérée de plus en plus comme un « investissement » (Voisin, 2011) « obligeant à penser résultats en formation » (Wemaëre, 2011). Cette aspiration à la rentabilité du secteur privé va donner lieu à un appel récurent à l’innovation dans toutes les strates de l’écosystème de la formation, à la recherche perpétuelle de productivité pédagogique (Carré, 2004).