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Chapitre 5 : Discussion

5.5 Forces et limites de l’étude

Au-delà des forces et limites déjà discutées de l’utilisation de la méthode participative TRIAGE, quatre autres aspects méthodologiques de cette recherche associés à la composition du comité aviseur méritent d’être approfondis : l’hétérogénéité du comité aviseur, l’absence de parents en situation de vulnérabilité socioéconomique, la documentation des besoins de seulement trois parents et un comité aviseur composé de membres provenant principalement de la région de la Capitale-Nationale. Ces aspects influencent les possibilités de généralisation des résultats et leur compréhension a le potentiel de guider la planification de recherches futures.

5.5.1 L’hétérogénéité du comité aviseur : une grande force, mais aussi un inconvénient

Une des principales forces de cette recherche est que les principaux utilisateurs de l’outil, les parents, et que les intervenants des milieux qui le rendront disponible ont été mobilisés dans sa conception. Cela augmente les chances que l’outil réponde aux besoins des parents et soit implanté dans les milieux communautaires et de première ligne (Seligman et al., 2007). Les participants considéraient d’ailleurs qu’une des principales forces de l’outil, qui le distingue de ceux qui existent déjà, est le fait qu’il soit le produit d’une collaboration avec différents partenaires, et particulièrement les parents. « Ce que je trouve pertinent, c’est qu’on a des mamans

autour de la table, c’est rare qu’on peut avoir accès comme ça directement aux parents pour partir un outil vraiment à partir de leurs besoins. » Le co-développement de l’outil en partenariat avec les parents concorde

avec l’approche centrée sur la famille, qui propose que l’engagement actif des parents dans le développement d’interventions visant à résoudre un problème de santé complexe, comme les RD chez les enfants en SVSE, est incontournable. Effectivement, selon cette approche, l’implication des parents est cruciale pour que l’intervention mise en place soit en adéquation avec leurs valeurs, croyances, besoins et préférences (Institute for patients and families centered care, 2006). L’implication des parents et des intervenants du secteur communautaire dans les décisions concernant la conception est également en cohérence avec les lignes

directrices sur l’amélioration de la qualité des soins et des services de santé, le plan stratégique du MSSS 2019- 2023 et les recommandations des institutions gouvernementales. En effet, ils indiquent que le partage du pouvoir décisionnel entre les patients, les chercheurs, les gestionnaires, les professionnels de la santé et les milieux communautaires est une solution clé pour développer des interventions de qualité, à plus faibles coûts, accessibles et utilisées par les patients, qui conduisent à de meilleurs résultats de santé et qui contribuent à la résolution de problèmes sociaux ainsi qu’à la diminution des inégalités sociales de santé (Carman et al., 2013; Gouvernement du Québec, 2019b; Institut canadien d'informations sur la santé, 2016; Institut national d’excellence en santé et en services sociaux, 2014). De ce fait, il est possible d’affirmer que l’hétérogénéité des membres du comité aviseur est une force de cette étude. Lors des rencontres TRIAGE, nous avons observé plusieurs autres avantages de l’hétérogénéité du comité. Tout d’abord, nous avons remarqué que la présence de gestionnaires, de professionnels de la santé et d’une conseillère scientifique contribuait à limiter la duplication des ressources. Ces membres avaient une bonne connaissance des outils disponibles dans le RSSS et de ceux qui allaient prochainement être implantés dans le cadre de l’Initiative Agir tôt contribuant ainsi à éviter la production d’un outil similaire à ceux qui existent déjà. Par exemple, un de ces membres nous a informés qu’un outil en ligne traitant spécifiquement du développement langagier allait être implanté dans les semaines suivant les rencontres TRIAGE. Ensuite, la présence de ces membres ainsi que celle des parents, a permis de connaître les éléments positifs des outils existants pour les intégrer au nouvel outil et d’éviter la reproduction de leurs faiblesses. Cela a particulièrement été le cas lors du choix de format, comme le montre cet exemple où un membre informe le reste du comité aviseur de la difficulté d’un type d’outil à rejoindre la population des parents en SVSE : « Les outils de suivi, on les voit déjà dans plusieurs autres sphères : les carnets de vaccination et de

grossesse, mais si on parle de nos familles vulnérables et immigrantes, elles les perdent, ne les apportent pas. L’idée est bonne, mais je ne suis pas certaine que ça rejoint tout le monde et on le voit déjà dans le système. »

Enfin, la présence de la conseillère scientifique d’un organisme de recherche provincial dans le comité aviseur a contribué à permettre à l’équipe de recherche de considérer les enjeux d’actualités auxquels font face les familles. Par exemple, elle a soulevé les conséquences potentielles sur le développement de l’enfant du temps passé par les parents devant des écrans ou autres appareils technologiques pour que le choix du format ne contribue pas à perpétuer cet enjeu. Cependant, un inconvénient de l’hétérogénéité du comité est la possibilité qu’il ait limité l’engagement de parents en SVSE dans la recherche. René et al. (2009) révèlent d’ailleurs qu’il peut être confrontant pour les parents en SVSE d’exprimer leurs points de vue et leurs besoins concernant les services de santé dans un groupe composé d’intervenants du RSSS. Ainsi, il est possible de croire qu’il s’agit d’une des raisons expliquant la limite majeure de cette étude, l’absence de parents en SVSE dans le comité aviseur.

5.5.2 L’absence de parent en situation de vulnérabilité socioéconomique : principale limite de l’étude

Malgré les efforts investis dans la planification de notre étude pour rejoindre les parents en SVSE et faciliter leur participation, aucun individu dans cette situation n’a été recruté. En effet, suivant les recommandations identifiées dans la littérature pour favoriser l’engagement de cette population, nous avons impliqué dans le recrutement des intervenants communautaires travaillant en proximité des familles des quartiers les plus défavorisés de la ville (Kneipp et al., 2009; Nicholson, Schwirian et Groner, 2015; Yancey et al., 2006). Les données probantes démontrent que les parents s’engagent davantage dans les recherches lorsqu’ils sont invités par une personne en qui ils ont confiance (Kneipp et al., 2009; Nicholson et al., 2015; Teuscher, Bukman, Meershoek et Renes, 2015). Pour diminuer les obstacles à leur participation, une compensation financière a été offerte aux parents, les rencontres de groupe se sont déroulées dans un organisme communautaire destiné aux familles, un service gratuit de halte-garderie était disponible et des plages horaires de rencontre étaient proposées en soirée (Axford, Lehtonen, Kaoukji, Tobin et Berry, 2012; Teuscher et al., 2015; Yancey et al., 2006). Étant donné qu’aucun parent en SVSE n’a montré un intérêt à participer à la recherche et que la collaboration avec des parents était indispensable au développement d’un outil centré sur leurs besoins, nous avons élargi les critères de recrutement et demandé aux organismes de diffuser les invitations à toutes les familles, peu importe leur statut socioéconomique. Les métiers exercés par les trois parents qui ont été recrutés dans le comité indiquent que ces individus étaient avantagés sur le plan socioéconomique. Il importe donc de porter un regard critique sur la démarche réalisée pour comprendre les raisons pour lesquelles nous n’avons pas réussi à rejoindre cette population et identifier les moyens qui auraient pu être mis en place pour y arriver. Il est également pertinent de comprendre l’influence de cette limite sur les résultats de la recherche et de présenter les stratégies qui ont été utilisées pour diminuer son impact sur l’outil développé.

Quatre facteurs identifiés dans la littérature peuvent expliquer la difficulté à recruter des parents en SVSE pour participer à la présente étude. Le premier facteur est la courte période de recrutement. Nous avions prévu trois mois pour le recrutement des membres du comité aviseur et il était difficile d’allonger cette période afin de respecter les jalons recommandés par la Faculté des études supérieures de l’Université Laval pour la complétion d’une maîtrise. Toutefois, au regard de la littérature, il est possible de constater que ce délai était insuffisant. Avec une période de recrutement similaire à la nôtre, qui s’échelonnait du printemps jusqu’à la fin de l’été, Axford et al. (2012) n’ont pas réussi à recruter assez de parents pour participer à une étude sur l’efficacité d’un programme d’intervention précoce. Pour atteindre le nombre de parents souhaités, les intervenants communautaires avec qui ils collaboraient ont finalement dû transmettre des invitations pendant 12 mois. Brannon et al. (2013) confirment qu’avec cette population le recrutement est très long, puisqu’ils indiquent qu’un chercheur doit prévoir contacter en moyenne six fois un parent en SVSE avant de réussir à le rejoindre. Certains auteurs recommandent d’ailleurs aux universités d’adapter les exigences de productivité et de temps de

complétion des études pour les étudiants dont la recherche vise les individus en SVSE (Yancey et al., 2006). Le deuxième facteur explicatif est le fait que les parents sollicités ne connaissaient pas les chercheurs (Axford et al., 2012). Ne nous ayant jamais rencontrés auparavant, ils n’avaient pas de relation de confiance avec nous. Ils pouvaient donc être plus réticents de s’engager dans notre projet. À refaire, nous aurions pu distribuer les formulaires d’invitation dans un évènement d’un organisme communautaire. Cela aurait donné la chance aux parents de nous voir et de nous rencontrer, ce qui aurait pu les rassurer. Le troisième facteur est la contribution élevée demandée aux participants. En effet, en plus de participer à deux rencontres TRIAGE, la collaboration des parents était sollicitée tout au long du processus itératif de production d’une première version de l’outil. Or, le temps que demande la participation peut limiter l’engagement des familles en SVSE dans la recherche (Brannon et al., 2013). Le besoin de travailler et les responsabilités associées aux soins des jeunes enfants combinés aux évènements stressants liés à une SVSE peuvent faire en sorte que les parents ont de la difficulté à se libérer pour participer à la recherche (Brannon et al., 2013; Hackworth et al., 2018). De plus, le fait que les rencontres TRIAGE en groupe se déroulent à un moment fixe, difficilement modifiable en cas d’empêchement, peut constituer une barrière à l’engagement des familles en SVSE, qui préfèrent généralement avoir la possibilité de déplacer les rendez-vous en raison des défis logistiques auxquels elles font face (Brannon et al., 2013). Le quatrième facteur ayant pu décourager la participation des parents en SVSE est la nature préventive de l’intervention. Nombreuses sont les études qui soulèvent que cette population a un plus faible intérêt envers les recherches portant sur les interventions préventives (Axford et al., 2012; Hackworth et al., 2018; Yancey et al., 2006). Les individus en SVSE seraient plus susceptibles d’avoir de la difficulté à comprendre les bénéfices d’agir sur un problème qui n’est pas encore survenu, alors qu’ils ont plusieurs autres défis à gérer dans leur quotidien (Axford et al., 2012; Hackworth et al., 2018). Donc, il est possible de croire que si les parents sollicités n’avaient pas de préoccupations concernant le développement de leur enfant, ils trouvaient peu pertinent de développer un outil sur le développement en bas âge. Ainsi, pour optimiser les chances de recruter des parents en SVSE pour cette étude, il aurait pu être pertinent de rejoindre des familles qui vivent avec un enfant ayant un RD ou en attente d’évaluation. Pour ce faire, les professionnels de la santé des CLSC des quartiers les plus défavorisés de la ville auraient pu être sollicités dans le recrutement.

Pour compenser l’absence de parents en SVSE dans le comité aviseur, nous nous sommes assurés de recruter des intervenants communautaires et des professionnels de la santé qui travaillent directement auprès de cette clientèle. Nous avons donc ciblé des organismes dont la mission est de soutenir les familles d’enfants de moins de cinq ans en SVSE ou qui offrent des services qui leur sont particulièrement destinés (ex. friperie, joujouthèque, repas communautaires, aide aux réfugiés). Les organismes invités étaient tous situés dans les quartiers les plus défavorisés de la ville, soit St-Sauveur et Limoilou (Centre intégré universitaire en santé et en services sociaux de la Capitale-Nationale, 2017). De plus, dans toutes les étapes de TRIAGE, nous avons

rappelé aux participants les défis auxquels font face les familles en SVSE. Enfin, des experts externes ayant une connaissance approfondie de la réalité de ces familles ont été impliqués dans la production de la première version de l’outil. Cela a augmenté les chances de produire un outil qui réponde aux besoins particuliers des parents d’enfants de moins de cinq ans en SVSE, et qui soit accessible pour eux. Néanmoins, comme la perspective des parents en SVSE a été documentée par l'intermédiaire de personnes qui connaissent leur réalité, mais qui n’ont pas personnellement vécu leurs défis, les résultats de cette étude se voient moins représentatifs de leurs besoins. La possibilité de généraliser les résultats aux parents d’enfants de moins de cinq ans en SVSE se voit donc réduite.

5.5.3 Un nombre de parents qui respecte les lignes directrices de partenariat avec les usagers partenaires, mais qui demeure faible

Les lignes directrices pour optimiser le travail en partenariat avec des usagers recommandent la présence d’au moins deux usagers dans les comités (Équipe d'action pour l'engagement des patients, 2017). Lorsqu’ils sont au moins deux, les usagers se sentiraient plus à l’aise de s’exprimer (Équipe d'action pour l'engagement des patients, 2017). De plus, l’expérience de chaque usager étant unique, la présence de plusieurs usagers favorise une meilleure prise en compte de leurs besoins (Équipe d'action pour l'engagement des patients, 2017). Notre comité aviseur étant composé de trois parents, nous respections cette recommandation qui permet de favoriser leur pleine participation. Cependant, en ayant documenté les perceptions de seulement trois parents, il est difficile d’affirmer que les besoins d’informations qui ressortent de notre étude sont représentatifs de ceux de l’ensemble des parents d’enfants de moins de cinq ans de la province. D’ailleurs, dans leur étude, Combs-Orme et al. (2011) ont observé que les besoins d’informations étaient très variables entre les familles. Ils émettent l’hypothèse que les besoins d’information mentionnés par les parents dans la recherche sont étroitement reliés aux défis qu’ils vivent au moment de la collecte des données avec leur enfant à la maison (Combs-Orme et al., 2011). Or, comme l’enfant évolue rapidement avant l’âge de cinq ans, les difficultés vécues par les familles peuvent changer dans le temps et donc leurs besoins d’informations aussi. Il est possible de croire que nous avons obtenu un portrait assez global des besoins d’information des parents d’enfants de cette tranche d’âge, car les parents avaient des enfants d’âge variés. De plus, le fait que notre comité incluait des intervenants communautaires et des professionnels de la santé qui côtoient une grande variété de familles compense en partie le faible nombre de parents dans notre étude. Toutefois, il importe de reconnaître qu’il aurait été idéal de documenter les besoins d’information d’un plus grand nombre de parents.

5.5.4 Un comité aviseur composé de membres provenant principalement de la région de la Capitale- Nationale

Certaines ressources éducatives de soutien aux parents sont disponibles dans toute la province. Le guide Mieux

vivre avec notre enfant de la grossesse à deux ans remis aux parents lors de la première échographie est un

bon exemple. Cependant, certaines ressources sont uniquement disponibles dans les régions où elles ont été développées. Par exemple, le Carnet de service Unir pour grandir en Nouvelle-Beauce est seulement distribué dans la région Chaudière-Appalaches. Les familles qui ont des préoccupations concernant le développement de leur enfant le reçoivent généralement lors de leur première consultation avec un professionnel de la santé. Donc, étant donné que les ressources varient entre les régions de la province et qu’une seule méthode TRIAGE a été réalisée avec un comité aviseur majoritairement composé de membres provenant de la Capitale-Nationale, il est possible que l’outil soit davantage applicable dans cette région. Par le fait même, les besoins d’information mis en évidence dans cette étude sont plus représentatifs du point de vue des acteurs de la Capitale-Nationale. De plus, TRIAGE est une méthode dont la validité interne est élevée, c’est-à-dire que les résultats représentent avec authenticité les préférences des membres du comité. Or, Lamontagne et Tétreault (2014) indiquent qu’aucune données dans la littérature ne soutient la transférabilité des résultats de cette méthode. Il n’existerait donc pas encore de preuves que les préférences identifiées dans un groupe seraient similaires à celles choisies dans un autre groupe composé d’individus de la même population. Ainsi, l’utilisation de TRIAGE peut limiter la généralisation des résultats. Pour diminuer la présence de cette limite associée à l’utilisation de TRIAGE, nous aurions pu nous inspirer de l’étude de Boger et al. (2019). Ces chercheurs ont conduit plusieurs méthodes TRIAGE à l’intérieur de la province, puis ils ont demandé à un comité aviseur composé de membres représentatif de leur population cible de faire une priorisation finale. Or, ce processus en plusieurs n’était pas réaliste dans nos délais. Toutefois, au regard de l’ensemble de notre processus, il est possible de remarquer plusieurs forces qui augmentent la confiance en la possibilité de généraliser les résultats aux parents québécois d’enfants de moins de cinq ans. Tout d’abord, la démarche d’exploration des outils existants au Québec et ailleurs effectuée par l’étudiante-chercheure en préparation de ce mémoire a assuré une meilleure connaissance des ressources actuellement disponibles et des besoins d’information des parents de l’ensemble de la province qui demeurent moins bien répondus. Grâce aux vidéos transmises dans l’étape individuelle de TRIAGE, les membres du comité aviseur ont pu considérer les résultats de ces démarches dans leur processus décisionnel du contenu et du format de l’outil. De plus, à l’étape de priorisation de TRIAGE, au besoin, l’étudiante-chercheure a rappelé au comité les éléments importants à considérer concernant les outils existants pour augmenter les chances que l’outil produit se distingue de ceux qui existent déjà et aborde les besoins d’information des parents d’enfants de moins de cinq ans de l’ensemble de la province. Ensuite, la présence d’une conseillère scientifique en petite enfance d’un centre d’expertise provincial dans le comité aviseur a augmenté les chances que les besoins d’information des parents de tout le Québec soient considérés. Enfin, le processus itératif de validation avec

des experts externes de différentes régions du Québec contribue à optimiser les chances que les décisions du comité consultatif correspondent aux besoins des parents québécois d’enfants de moins de cinq ans.

Conclusion

Le projet de recherche participative présenté dans ce mémoire avait pour but de développer un outil qui pourrait être utilisé dans les milieux communautaires et en première ligne pour mieux informer les parents sur le développement en bas âge et les soutenir dans leurs démarches en cas de préoccupations. Cet outil est destiné à l’ensemble des familles ayant un enfant de moins de cinq ans, mais il a été conçu de manière à être adapté aux besoins particuliers de celles qui vivent une SVSE. La collaboration intersectorielle et le partenariat avec les usagers, les parents, étaient au cœur du développement de l’outil. En effet, la première version de l’outil est le résultat de la conjugaison des savoirs théoriques et expérientiels d’experts de différentes disciplines et de