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Chapitre 5 : Discussion

5.3 Avantages et défis associés à l’utilisation d’une méthodologie participative

Au terme de ce projet de maîtrise, j’ai constaté que l’utilisation d’une méthodologie participative avait plusieurs avantages, qui vont bien au-delà de la création d’un outil qui s’arrime aux besoins de la population cible et des milieux où il sera implanté. Par contre, l’expérience d’utilisation de cette méthodologie dans un contexte de maîtrise n’était pas sans défi.

La recherche participative est basée sur la prémisse que pour régler un problème social, il est essentiel d’engager activement les acteurs qui le vivent dans la recherche de solutions et dans leur mise en place (Anadon, 2007). Le premier avantage de l’utilisation de cette approche méthodologique est qu’elle a permis à

des parents de s’engager dans le développement d’une intervention qui leur est destinée. Au Québec et ailleurs dans le monde, les familles ont encore trop peu d’occasions de s’exprimer sur les services de santé qu’elles reçoivent et de participer aux recherches qui concernent les interventions qui leur sont destinées (René, Laurin et Dallaire, 2009; Shen et al., 2017). Les familles les plus vulnérables sur le plan socioéconomique seraient particulièrement désavantagées. En effet, nombreux sont les écrits scientifiques qui démontrent une difficulté des chercheurs à les rejoindre (Hackworth et al., 2018; Kneipp, Lutz et Means, 2009; Yancey, Ortega et Kumanyika, 2006). Malgré que l’approche centrée sur la famille soit reconnue comme importante dans notre système de santé, il est possible de se demander si les préférences des parents sont réellement considérées lors de la planification des services et si les services sont en adéquation avec leurs besoins. D’ailleurs, dans leur étude, René et al. (2009) soulèvent ce doute. En effet, ils révèlent que les perceptions des décideurs de services et des intervenants de la santé quant aux changements à apporter pour que les services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance rejoignent mieux les familles en SVSE diffèrent des modifications nommées par les parents (René et al., 2009). Il y aurait donc un manque de compréhension de ces acteurs des besoins de ces parents (René et al., 2009). L’utilisation d’une méthodologie participative dans notre étude a donc eu le bénéfice de contribuer à promouvoir un changement de pratique qui doit s’opérer avec plus d’ampleur dans le RSSS dans les prochaines années, celui d’engager les parents comme partenaires dans les décisions relatives aux services qui sont offerts aux familles (Gouvernement du Québec, 2019b; René et al., 2009). Un deuxième avantage de l’utilisation d’une méthodologie participative est qu’il est possible que le processus de collaboration ait pu contribuer à renforcer le sentiment de compétence des parents et leur pouvoir d’agir sur les défis auxquels ils font face pendant le développement de leur enfant. Le potentiel transformateur des méthodologies participatives est hautement reconnu dans la littérature. En effet, plusieurs auteurs soulignent que le processus de collaboration peut contribuer à accroître l’autonomie des participants à agir sur les problèmes sociaux et de santé auxquels ils font face (Anadon, 2007; Gélineau, Dufour et Belisle, 2012; René et al., 2009). L’utilisation de notre méthodologie participative n’a pas seulement eu des bénéfices pour les parents, mais pour toutes les autres catégories de participants. En effet, un impact majeur qui a été observé lors des rencontres TRIAGE est qu’elle a permis aux acteurs des secteurs de la recherche, du communautaire et de la santé d’apprendre à mieux se connaître et de créer des liens ensemble. Ces propos mentionnés par un intervenant communautaire et un professionnel de la santé le montrent : « Ah je ne savais pas que vous faisiez ça ! », « Ah, je ne savais

pas qu’il y avait cette ressource de disponible dans les organismes communautaires. » Nous avons également

pu constater un début de partage des ressources entre les intervenants de ces secteurs. Effectivement, lors de la deuxième rencontre TRIAGE, un intervenant communautaire a apporté un livre d’activités parents-enfants aux intervenants des autres milieux afin qu’ils puissent l’utiliser dans leurs établissements respectifs. Les occasions de rencontres et d’échanges que permet la recherche participative pourraient encourager le développement de relations de collaboration à long terme entre ces trois secteurs d’une même région (Camden

et Poncet, 2014). Ces avantages contribuent à justifier la pertinence d’avoir choisi une méthodologie participative pour la réalisation de la présente recherche. Ils montrent également que ce projet de maîtrise a eu une portée plus grande que simplement la création d’un outil pouvant aider les familles au quotidien. Toutefois, il importe de comprendre les défis associés à la recherche participative et de s’assurer qu’il soit possible de l’utiliser dans le contexte de son projet avant d’opter pour cette méthodologie.

Un des principaux défis associés à la recherche participative identifié dans la littérature et observé dans la présente étude est la difficulté à la définir et à déterminer à quel niveau de participation le chercheur situe son projet (Shen et al., 2017). Parfois, certains termes comme recherche collaborative, recherche collaborative avec les communautés, recherche émancipatrice, co-design ou recherche-action sont utilisés comme synonymes de recherche participative (Anadon, 2007). À l’inverse, dans certains écrits scientifiques ces termes se distinguent, car ils décrivent un niveau d’intensité de collaboration différent (Anadon, 2007; Carbonneau, Castonguay, Fortier, Fortier et Sévigny, 2017). Certains auteurs démontrent qu’il peut y avoir des conséquences négatives à qualifier inadéquatement sa recherche comme participative. Par exemple, une appellation erronée peut engendrer un malentendu avec les participants. Plus précisément, elle peut créer des attentes qui peuvent être non répondues si le qualificatif communique une intensité d’implication inférieure ou supérieure à celle qui est demandée (Carbonneau et al., 2017). En outre, le processus de recherche conduit peut être discrédité par les autres chercheurs, si leur conception du terme utilisé ne correspond pas au degré ou à la nature de l’implication fournie par les participants. Par exemple, certains auteurs croient que le terme recherche participative est seulement attribuable aux recherches dans lesquelles les acteurs participent à toutes les étapes du projet, soit de la planification de l’étude jusqu’à la diffusion des résultats (ENGAGE, 2020). Pour d’autres auteurs, ce degré de participation réfère à la recherche-action participative (Camden et Poncet, 2014; Carbonneau et al., 2017; Shen et al., 2017). Il peut donc être difficile pour un étudiant à la maîtrise de circonscrire son projet dans une méthodologie participative sans entrer dans un débat de courants de pensée. Ainsi, en reconnaissance de la diversité des paradigmes, mais avec souci de rigueur et de crédibilité, il importe de préciser les motifs qui justifient la qualification de cette recherche de participative et de décrire précisément la contribution des participants (Shen et al., 2017). Dans le présent mémoire, la méthodologie a été qualifiée de participative pour les raisons suivantes : 1) des acteurs concernés par les RD chez les enfants des familles en SVSE ont été activement engagés dans le développement d’un outil contribuant à prévenir l’apparition et la progression de cette problématique sociale de santé; 2) ces acteurs ont collaboré dans plusieurs étapes de la recherche, mais ils n’ont pas tous été impliqués de la conception de l’étude jusqu’à la rédaction des résultats. Plus précisément, des organisateurs communautaires ont été rencontrés lors de la conceptualisation du projet. Ils nous ont aidés à circonscrire le but de notre recherche, soit de produire un outil. Ils nous ont aussi donné leur avis sur les façons de procéder pour le développer. Des parents, des intervenants communautaires, des professionnels de la santé,

une gestionnaire et des chercheurs ont été mobilisés dans le processus de collecte et d’analyse des données conduit pour arriver à une décision consensuelle quant au contenu et au format de l’outil. Les savoirs théoriques et expérientiels de ces acteurs ont été conjugués à ceux d’experts externes tout au long d’un processus itératif de production, validation et modifications de la première version de l’outil. Une revue de la littérature portant sur les recherches participatives effectuées en collaboration avec des parents démontre que, comme nous, la majorité des chercheurs impliquent peu les parents aux étapes de conception de l’étude et de rédaction des résultats en raison d’un manque de temps (Shen et al., 2017). Bien qu’il y aurait eu de nombreux bénéfices à impliquer deux parents comme co-chercheurs (ex. faciliter le recrutement de parents et l’adaptation du matériel de recherche), c’est-à-dire à les amener à collaborer à toutes les étapes de la recherche, cela était peu envisageable dans mon contexte de maîtrise.

Un second défi de la méthodologie participative est qu’elle demande un engagement important de l’équipe de recherche et des participants. Du côté de l’équipe de recherche, le suivi effectué avec les membres du comité aviseur et les experts externes tout au long du processus itératif demande du temps. En effet, communiquer avec ces personnes pour obtenir un conseil ou leur opinion concernant l’outil, attendre leurs commentaires et les analyser peut être long, surtout lorsque les suggestions sont divergentes. Effectivement, lorsque les commentaires ne vont pas dans le même sens, il faut tenter de concilier l’opinion de chacun ou analyser les pour et les contre des idées, afin de faire le meilleur choix possible. De ce fait, pour des questions et validations plus spécifiques ou qui demandaient une réponse rapide, il a été jugé plus réaliste dans le temps que nous disposions de privilégier les communications avec un expert externe plutôt qu’avec les 11 membres du comité aviseur. Les experts externes avaient chacun une expertise distincte et la majorité avait une grande disponibilité pour répondre à nos questions. Cependant, bien qu’il aurait été intéressant de solliciter davantage les membres du comité aviseur dans les étapes décisionnelles du processus de production de la première version de l’outil, nous n’avons pas pu le faire pour des questions de délais. Des échanges plus fréquents avec le comité aviseur tout au long du processus itératif auraient pu augmenter le sentiment des membres que l’outil est le fruit de leur contribution, lequel optimise les chances qu’ils l’implantent en clinique et l’utilisent (Shen et al., 2017). D’un autre côté, une fréquence plus élevée d’échanges aurait accru la charge de travail des membres du comité aviseur, laquelle était déjà importante avec les rencontres TRIAGE et les validations de contenu et de format.

5.4 Intégration de l’outil dans les services de première ligne et les