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2. PROBLÉMATISATION

2.2 Fondements du redoublement scolaire

Une seule orientation structure notre réflexion sur les fondements du redoublement scolaire. Il s’agit du fait justificatif de la croyance au redoublement examiné auprès des enseignants, intervenants scolaires majeurs de l’environnement scolaire dans le cadre de la présente recherche.

2.2.1 Enseignants et redoublement scolaire

Selon Troncin (2005) les croyances individuelles sont à la base de nombre de décisions humaines, et ce dans différents secteurs d’activités, dont le domaine scolaire.

Sur la relation entre les enseignants et le redoublement scolaire, conformément à la démarche de Troncin (2005), notre réflexion est articulée autour de deux orientations portant d’une part, sur l’existence ou non d’un consensus chez les enseignants du primaire et du secondaire quant au bien-fondé du redoublement, et, d’autre part, sur les arguments avancés.

Dans le cas de notre étude, et afin d’illustrer l’état d’esprit sur le sujet, nous nous réfèrerons aux résultats de recherche de Pini (1991,In Troncin, 2005) et de Boulanger

(1995, In Paul, 1997) qui concernent des enseignants des niveaux éducatifs primaire et secondaire.

Le tableau 7, ci-après provient de l’étude menée par Pini (1991), sur les attitudes des enseignants du primaire dans le canton de Genève.

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Tableau 7

Les attitudes des enseignants genevois de l’enseignement primaire face au redoublement Certains élèves ont besoin d’une année supplémentaire : cela leur permet de mûrir et de mieux se

préparer à affronter les difficultés de leur scolarité future. 97 Pour l’élève qui redouble, le fait qu’il pourra parcourir une deuxième fois la totalité d’un programme

est en général bénéfique. 87

Trop souvent le redoublement a des effets préjudiciables sur la scolarité ultérieure de l’élève. 16

Il est rare que le redoublement d’une classe soit vraiment profitable pour l’élève. 27 Le redoublement est généralement inutile puisque la plupart des lacunes peuvent être rattrapées au

cours de l’année suivante. 11

En s’y prenant de façon adéquate, l’enseignant devrait pouvoir éviter la plupart des redoublements au

cours de l’école primaire. 35

Je n’ai pas l’impression de vivre le redoublement d’un élève comme un échec de mon enseignement. 72

La décision de faire doubler un élève me laisse avec un sentiment de culpabilité et de malaise. 41

Source : (Pini, 1991, In Troncin, 2005, p. 171)

Trois principales raisons selon Troncin (Ibid.) émergent de la conclusion du chercheur suisse. Elles indiquent en quoi le redoublement apparait aux instituteurs, une mesure pour le moins acceptable, en tant que recours ultime face à des situations d’une certaine gravité.

Ces raisons sont les suivantes: i) sur le plan scolaire et pédagogique, les effets du redoublement sont jugés le plus souvent positifs ; ii) par rapport au fonctionnement actuel (un rattrapage improbable au cours de l'année suivante) et face à l'absence d'alternatives réellement crédibles, l'enseignant parait confronté à une situation où la liberté de choix ne lui est pas véritablement donnée ; iii) les répercussions négatives de cette décision semblent d'ampleur limitées tant en ce qui concerne la scolarité ultérieure de l'élève que sur le plan psychologique.

En ce qui concerne le secondaire, Paul (1997) fait référence à une enquête de Leboulanger (1995) menée en France auprès d’enseignants de collèges qui aboutit à des résultats semblables. Ces enseignants déclarent utiliser le redoublement avec discernement et ne l’appliqueraient qu’aux élèves qui ont des difficultés et sont jugés dignes de pouvoir bénéficier d’une chance supplémentaire. Ces élèves feraient en même

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temps preuve de comportement et d’attitudes positives face au travail scolaire susceptible de leur permettre de surmonter leur handicap ; en plus, ils ne doivent pas être trop âgés.

Nous notons au vu de cet aperçu, une « adhésion globale des enseignants au redoublement, ou du moins l’absence d’une réticence marquée à y recourir » (Troncin, 2005, p. 174). Ce qui nous renvoie dans ce contexte précis à une représentation positive du redoublement scolaire avec toutefois quelques nuances.

Au titre des raisons invoquées par les enseignants pour justifier la pratique du redoublement, Crahay, Issaieva et Monseur (2011) distinguent deux niveaux de réflexion. Le premier niveau a trait à des raisonnements et perceptions relatifs aux élèves, à leur façon d’apprendre et à leur “ intelligence ”, estimant que la pratique du redoublement permet de “ solidifier les bases ” des élèves qui n’ont pas réalisé en fin d’année scolaire, certains apprentissages jugés fondamentaux pour aborder ceux de l’année qui suit.

Les tenants d’une telle position en sont d’autant plus convaincus, qu’il est fréquent que des enseignants constatent des progrès chez les redoublants et les attribuent - erronément, du point de vue des chercheurs - au fait de répéter l’année scolaire.

Le second niveau de réflexion recourt à des arguments maturationnistes «

invoquant l’âge, la taille ou la corpulence de l’enfant » (Marcoux et Crahay, 2008, p.

508).

Le redoublement scolaire selon cette perspective est souvent perçu comme “ une bonne solution ” permettant à l’élève de “mûrir ”, de surmonter des difficultés et de se réinsérer dans un cursus scolaire normal.

Dans le contexte africain, la recherche d’Immongault (2014), livre une justification de la représentation positive du redoublement scolaire. L’étude est qualitative de type exploratoire et est menée auprès de 23 élèves, 19 enseignants et 19 parents sur les représentations sociales de la réussite scolaire au Gabon en fonction du rôle social (élève, enseignant, parent) du genre, du milieu géographique et des résultats scolaires. Les enseignants y justifient la pratique en indexant la paresse des élèves, la démission des parents et l’inefficacité de l’administration scolaire, sans oublier ces élèves qui les poussent à perdre foi en l’enseignement.

Toutefois, Rouxel et Brunot (2010) soulignent que le corpus de la recherche (Cosnefroy et Rocher, 2004; Holmes et Matthews, 1984; Holmes, 1989; Jackson, 1975;

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Jimerson, 2001), a indiqué de façon unanime, l’inefficacité du redoublement auquel s’ajoute, les recherches de Holmes et Matthews (1984) et Holmes (1989), sur l’effet de stigmatisation des élèves redoublants.

À propos des conséquences défavorables du redoublement sur le plan motivationnel, Holmes et Matthews (1984, In Rouxel et Brunot, 2010) signalent l'estime de soi, la satisfaction scolaire, le bien-être émotionnel, les compétences relationnelles et les attitudes comportementales en classe. Holmes (1989) indique quant à lui des jugements plus négatifs à l'égard de l'école de la part des élèves redoublants, un faible ajustement social, de nombreux problèmes comportementaux et un taux d'absentéisme plus élevé (Ibid.).

Alors, au vu de tout cela, l’interrogation majeure est celle relative à l’incrédulité manifeste des enseignants sur l’inefficacité du redoublement scolaire en dépit de l’accumulation de preuves issues de recherches montrant que la probabilité d’effets négatifs l’emporte nettement sur les résultats positifs (Crahay, 2003, cité par Draelants, 2008).

Sur cette préoccupation, Draelants (Ibid.) situe d’abord l’incompréhension mutuelle entre chercheurs et enseignants par rapport à l’efficacité pédagogique du redoublement scolaire à deux niveaux. D’une part, il lie cet état de fait à leurs places différentes dans le système, lesquelles sous-tendent leurs prises de positions respectives. Et d’autre part, il justifie l’incrédulité des enseignants par la nécessité de préserver le sens de leur action et les motifs de leur travail.

En guise d’argumentation à la première raison et faisant référence à Dubet (2002), l’auteur souligne que la vertu du redoublement semble s’imposer comme un mélange d’observations et de bon sens chez l’enseignant ; ce dernier constatant dans la plupart des cas que l’élève redoublant est un peu meilleur durant son année de redoublement. À l’inverse, le chercheur procède autrement en comparant deux élèves “ théoriques ” identiques dont l’un a redoublé, l’autre pas et il montre que le second s’en tire mieux que le premier, sans compter l’effet de stigmatisation du redoublement. Comme on le constate, le chercheur a incontestablement raison, mais l’enseignant n’a pas tout à fait tort non plus, étant donné qu’il voit bien le redoublant progresser dans un contexte de comparaison pré et post redoublement.

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C’est cette situation que Troncin (2005) évoque « confiné dans un espace limité (la classe), circonscrit dans une échelle du temps restreinte (l’année scolaire), le jugement des enseignants est en quelque sorte victime d’une illusion » (p. 175). Ce qu’il décrit de fort belle manière en citant Pouliot et Potvin (2000) « il leur est impossible, d’une part, de faire redoubler l’élève faible, de reculer l’horloge du temps, puis, d’autre part, de faire passer ce même élève dans la classe supérieure afin d’observer laquelle des deux possibilités est la meilleure » (Ibid.).

À propos de l’attachement cognitif et moral des enseignants au redoublement, Draelants (2008) l’explique aussi par le fait que l’enseignement constitue un travail qui vise à transformer des individus, leurs représentations, leurs sentiments. Or cette activité éthique ou morale n’est possible que si les acteurs qui l’accomplissent, croient à des valeurs ou des fictions qui rendent leur travail possible. Se référant à Dubet (2002), l’auteur évoque les “fictions nécessaires ” et distingue par ailleurs deux principes indiscutables et non démontrables sur lesquels repose l’école démocratique : l’égalité et le mérite.

Le problème est lié au caractère contradictoire de ces deux principes puisque de façon pratique, il convient d’affirmer à la fois l’égalité des élèves et les classer. Ce qui oblige à expliquer leurs inégalités de performances comme les conséquences de leur liberté.

Quelles appréciations pouvons-nous faire d’une part des arguments maturationnistes d’enseignants, et d’autre part de ceux qui accordent aux redoublants le bénéfice de comportements et d’attitudes positives, face au travail scolaire ?

En rappel, la démarche maturationniste soutenue par des enseignants, consiste, à attribuer au redoublement des gains positifs liés au bien-être et à l’adaptation scolaire, sur la base de l’expérience professionnelle des enseignants et cela au vu des progrès qu’ils constatent chez les redoublants. L’argumentaire maturationniste, est jugé subjectif et restrictif selon Troncin (Ibid.), pour trois principales raisons : le caractère composite de l’indice, l’absence de recherches qui confirme la théorie avancée et surtout le lien établi entre le gain évoqué et le développement “ naturel ” de l’enfant d’une année plus âgé.

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La seconde hypothèse établie est celle défendue par des enseignants, qui arguent une motivation plus accrue des élèves au cours de leur année de redoublement. Selon Viau (2003, In Troncin, 2005)

La motivation en contexte scolaire est un état dynamique qui a ses origines dans les perceptions qu’un élève a de lui-même et de son environnement, et qui l’incite à choisir une activité, à s’y engager et à persévérer dans son accomplissement afin d’atteindre un but. (p.179)

En d’autres termes, estime Troncin (Ibid.), la motivation scolaire d’un élève est principalement déterminée par l’image qu’il se fait de lui-même et que l’enseignant lui renvoie. Or, cette image telle que la décrivent Rouxel et Brunot (2010), indique que beaucoup d'élèves redoublants du primaire et du collège ont des difficultés relationnelles avec leurs nouveaux camarades de classe et qu'ils entretiennent une attitude relativement négative à l'égard de l'école.

Au vu de ce qui précède, nous retenons l’attachement de façon quasi majoritaire des enseignants à la pratique du redoublement, compte tenu des vertus d’efficacité qu’ils lui reconnaissent. L’impossibilité qui leur est offerte de mesurer les progrès des redoublants, relativement à ceux des élèves faibles promus, compte tenu de leur place dans le système. Une situation selon Allal et Schubauer-Leoni (1992, p. 46, In Troncin, 2005) qui s’apparente à un “ processus circulaire”: d’une part, les enseignants trouvent la mesure défendable sinon efficace (au nom de théories fortement marquées par l’idée de maturation biologique et par des conceptions pédagogiques corolaires de type attentiste) et, d’autre part, le fait que le redoublement soit un phénomène ancien et fréquent tend à normaliser dans les faits et dans les esprits une telle mesure institutionnelle.

Selon ces deux auteurs, ce processus génère un sentiment de légitimité par rapport à la mesure elle-même.

2.3 Postures et usages au regard du redoublement chez les personnels