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Fondements psycholinguistiques et didactiques

Dans le document Langues et TICE (Page 80-85)

6. Faciliter l'appropriation

4.1. Fondements psycholinguistiques et didactiques

La micro-tâche est une unité de pratique cognitive centrée sur un aspect linguistique, pragmatique ou socioculturel spécifique. Si nous choisissons, pour désigner ces unités de pratique cognitive, le terme de micro-tâche plutôt que celui d'exercice, c'est parce que nous pensons que le travail sur la forme ne se fait jamais totalement indépendamment du sens, et que l'activité cognitive déployée lors de la réalisation de ces micro-tâches n'est pas machinale comme dans des exercices structuraux, mais constitue une partie signifiante de l'apprentissage de la langue.

La principale distinction entre micro-tâche et macro-tâche réside traditionnellement dans ce que l'une attire l'attention de l'apprenant sur la forme (form-focused language use) tandis que l'autre porte davantage sur le sens (meaning- focused language use) (Ellis, 2003 : 3). Toutefois, l'une et l'autre participent de l'apprentissage de la langue. Plusieurs auteurs, dont Widdowson (1978), ont souligné la limite de la distinction entre la forme et le fond. Conjuguer des verbes au prétérit ou au present perfect dans un exercice lacunaire nécessite bien de l'apprenant qu'il connaisse la construction des formes verbales de l'anglais, mais aussi qu'il puisse apprécier le contexte d'énonciation et donc la signification. Par conséquent, ce n'est pas la signification en soi qui fait la différence entre micro-tâche et macro-tâche, mais le type de signification. Alors que la macro-tâche met le participant en situation réaliste d'utiliser la L2 (ou du moins elle le rapproche des activités de la vie extrascolaire), la micro-tâche découpe la situation en unités d'apprentissage et focalise l'attention de l'apprenant sur des traits particuliers de la L2.

C'est d'ailleurs cette notion de focalisation de l'attention qui a conduit Ellis (2003 : 37) à distinguer les tâches attirant intentionnellement l'attention des apprenants sur une forme spécifique, des macro-tâches, qui sont inclusives et confrontent l'apprenant incidemment à des aspects particuliers de la langue en même temps qu'il est en train de résoudre un problème plus général. Toujours selon Ellis (2003 : 144), les tâches à objectifs spécifiques, que nous désignons par "micro- tâches", ont deux fondements psycholinguistiques : le premier concerne les théories de construction des compétences et la notion de traitement automatique héritée de la psychologie cognitive, tandis que le second repose sur l'importance du repérage et du repérage de l'écart dans le cadre d'une activité communicative.

4.1.2. L'attention

Krashen (1985) a constamment défendu l'idée selon laquelle l'acquisition est un processus subconscient, c'est-à-dire que les apprenants ne sont pas conscients de ce sur quoi ils portent leur attention dans le message et sont, par conséquent, inconscients de ce qu'ils acquièrent. Cette théorie a maintes fois été remise en cause. Schmidt (2001 : 11), par exemple, a montré que l'attention portée à l'input est consciente. L'attention constitue même, pour cet auteur, le point de rencontre entre les facteurs intrinsèques à chaque apprenant (aptitude, motivation, niveau en L2 et capacité de traitement) et les facteurs extrinsèques tels que la complexité de l'input, le contexte discursif et interactionnel, le traitement des consignes et les caractéristiques des tâches. Doughty (2001), pour sa part, avance que le traitement du

discours fournit des opportunités pour attirer l'attention des apprenants qui sont en train de planifier leurs énoncés. De même, pour Rost (2002 : 12), l'attention est déterminante car elle constitue "le début de l'implication, ce qui signale la différence essentielle entre audition et écoute". Depuis William James, il y a plus d'un siècle, la psychologie s'est attachée à définir les caractéristiques de l'attention.

(1) Elle est limitée et, par conséquent, elle est sélective. A ce sujet, Buser (1998 : 156) a employé l'image du "phare attentionnel" qui resserre son faisceau sur un aspect précis et laisse dans l'obscurité tout ce qui n'est pas pertinent.

(2) Elle dépend en partie d'un contrôle volontaire qui donne accès à la conscience : la plupart des théoriciens s'accordent à voir dans l'attention à l'input le résultat d'une opération active liée à une commande "descendante". "Dans cette hypothèse, c'est l'individu qui décide activement qu'il prendra en compte tel signal plutôt que tel autre" (Buser, 1998 : 152). Buser identifie deux sous-ensembles, l'un, celui de l'attention consciente, qui est actif et contient des données effectivement sélectionnées et retenues au niveau conscient, l'autre, passif, qui abrite un ensemble beaucoup plus vaste d'informations captées, pertinentes ou non, mais pouvant rester à l'état de "stock inconscient" (pp. 152-153).

(3) L'attention est déterminante pour l'apprentissage. L'attention détermine le développement de la langue, y compris l'accroissement des connaissances avec la mise en place de nouvelles représentations et un accès rapide à celles-ci. Se focaliser délibérément sur des aspects peu saillants de la L2 peut s'avérer déterminant pour l'apprentissage et justifie amplement que des micro-tâches attirent l'attention des apprenants sur des éléments qu'ils sont peu enclins à remarquer (Schmidt, 2001 : 29).

4.1.3. Automatisation et pratique

L'importance accordée à l'attention par de nombreux psycholinguistes (DeKeyser, 2001 ; Ellis, 2003 ; Schmidt, 2001 ; Skehan, 1998) signale combien l'apprentissage d'une langue est, dans un premier temps, un processus contrôlé. Il est courant de comparer cet apprentissage à celui de la conduite automobile qui requiert lors des premières leçons une attention décuplée à divers stimuli visuels et auditifs. La conduite automobile ressemble à l'utilisation communicative d'une langue étrangère car, après une étape initiale de traitement contrôlé, toutes deux exigent qu'un certain nombre de processus soient automatisés par le transfert de l'information de la mémoire de travail à la mémoire à long terme. Pour DeKeyser (2001 : 125-126), l'automaticité désigne la vitesse et la facilité avec lesquelles nous menons à bien des tâches, et celle-ci est le résultat d'un processus lent appelé automatisation. Ce dernier

terme peut désigner un processus de changement quantitatif progressif (accélération), ou un changement qualitatif de restructuration, (c'est-à-dire de sélection et de reconfiguration des éléments inclus dans la tâche). Il est d'usage, en psychologie cognitive, de distinguer les activités fondées sur des automatismes (cognition expérientielle) de celles fondées sur des connaissances (cognition réflexive) (Leplat, 1997 : 68).

Selon la théorie développée par Anderson (1996), la construction de compétences commence par des connaissances déclaratives (des faits concernant la langue) pour se muer en connaissances procédurales (un comportement adéquat dans une situation communicative). Brodin (2002), souligne que c'est par un processus interactif entre "construction et déconstruction […] que l'apprenant accède à la nécessaire conceptualisation qui permettra l'automatisation des processus de bas niveau et la procéduralisation des connaissances". Pour Mc Laughlin et Heredia (1996), la pratique permettrait que les connaissances déclaratives deviennent des connaissances procédurales. Pour ces mêmes auteurs, "la pratique, la répétition et le temps passé sur la réalisation de la tâche sont autant de variables cruciales pour acquérir des compétences cognitives complexes requises par la L2".

La compétence dans un domaine donné dépendrait ainsi de la capacité à réduire le coût cognitif lié à une tâche grâce à la répétition. Cependant, comme le remarque Ellis (2003 : 146), la notion de pratique est un concept plutôt fruste, particulièrement lorsqu'elle est appliquée à l'apprentissage de la L2. Selon la perspective traditionnelle, la pratique suppose un effort délibéré et répété pour produire un trait particulier de la L2. C'est ce qui a conduit aux exercices structuraux et à leur généralisation au moment où la méthode audio-orale battait son plein. Le principal défaut de cette approche vient, selon DeKeyser (1998), du fait qu'on a négligé l'importance de la pratique sur le "comportement" au profit de l'importance de la pratique de la "structure". Pour changer de comportement (c'est-à-dire développer des traitements automatiques), il est nécessaire de fournir une pratique du comportement réel lui- même, ce qui implique que les apprenants puissent pratiquer la structure ciblée lors d'une activité communicative (Ellis, 2003 : 46).

4.1.4. La constitution d'un répertoire représentationnel

Au-delà de l'utilisation toujours plus efficace de règles grâce à la pratique, il est également possible de voir l'automatisation comme la récupération toujours plus rapide d'exemples dans la mémoire (Logan, 1988 : 493). En effet, selon la théorie de Logan, la fluidité n'est pas le résultat de la mise en place de routines peu coûteuses

en attention, mais plutôt le remplacement de procédures algorithmiques basées sur l'application de règles par un traitement plus rapide qui s'appuie sur la mémoire.

Selon certains chercheurs comme Skehan (1998), c'est en s'appuyant sur des exemples déjà constitués en mémoire, donc rapidement et facilement accessibles, que des sujets sont capables de parler et de comprendre efficacement. Mais cela suppose que les apprenants aient au préalable élaboré un vaste répertoire représentationnel composé d'assemblages (formulaic chunks). Ainsi, pour Logan (1988), la fluidité ne reposerait pas sur l'application rapide de règles de fonctionnement de la langue, mais sur la récupération de formules toutes faites (exemplars) qui nécessitent une capacité de traitement moindre parce qu'elles constituent déjà des ensembles. Les fondements théoriques de Logan sont repris par N. Ellis (2002) pour qui les connaissances permettant l'utilisation fluide de la langue ne reposent pas sur la grammaire, dans le sens de règles abstraites ou de structures, mais sur une vaste collection de souvenirs d'énoncés passés. Les exemples mémorisés sont liés avec d'autres du même type, ce qui fait qu'ils semblent former des catégories linguistiques abstraites, des schèmes et des prototypes. La langue pourrait donc être vue comme un système fonctionnant à partir d'exemples, au moins en partie, sans quoi comprendre ou parler en temps réel seraient impossibles.

4.1.5. Analyse et contrôle

S'appuyant sur les travaux de Bialystok, Schmidt (2001 : 15-16) rappelle que le développement de la compétence en L2 s'appuie sur deux traitements cognitifs, en l'occurrence l'analyse et le contrôle. L'analyse est le processus qui permet la construction de représentations formelles. Des représentations ayant seulement bénéficié d'une analyse de surface, comme les formules toutes faites utilisées dans la conversation courante, vont devoir subir graduellement une analyse plus poussée afin que l'apprenant puisse se confronter à des tâches de haut niveau. Ainsi, s'il est souhaitable que le vocabulaire nouveau soit appris en contexte, une simple écoute ou lecture ne suffisent pas pour en assurer l'apprentissage. Il faut que l'attention ait été attirée. Schmidt (2001 : 30-31) insiste sur le fait que la phonologie ne peut s'acquérir qu'à la condition que les sons de l'input en L2 soient l'objet d'une focalisation. De même, pour acquérir le vocabulaire, il faut faire attention à la forme du mot (prononciation et orthographe) mais aussi à tous les indices disponibles dans la situation d'énonciation pour guider la découverte de la signification. Enfin, si ce sont des connaissances pragmatiques qui doivent être acquises, il faut prêter attention à la

forme linguistique des énoncés et aux caractéristiques sociales et contextuelles auxquelles ils sont associés.

4.2. Articulation entre macro-tâche et micro-tâches

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