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Évaluer le potentiel d'apprentissage

Dans le document Langues et TICE (Page 137-140)

6. Faciliter l'appropriation

6.2. Evaluer le produit de la conception

6.2.1. Évaluer le potentiel d'apprentissage

La seule conception ne suffit pas. La recherche en didactique des langues gagne non seulement à s'inspirer de la linguistique et des sciences cognitives pour élaborer des propositions de tâches médiatisées (chapitres 3 et 4), mais elle se doit de trouver les moyens pour vérifier que les propositions théoriques qui ont fondé le scénario présentent un potentiel d'apprentissage pour le public concerné. Il s'agit dès lors de définir un certain nombre de paramètres pour déterminer si la tâche permet de mettre en place des savoirs et des savoir-faire dans un contexte particulier pour un objectif déterminé. Ellis (2003) et Skehan (1998) énoncent trois paramètres qui permettent de prendre en compte le développement de la compétence langagière : la justesse, la complexité et la fluidité. Ces trois paramètres, qui sous-tendent la compétence en L2, semblent particulièrement adaptés pour évaluer le potentiel d'apprentissage d'un dispositif d'apprentissage médiatisé.

Selon Skehan (1996 : 23), la justesse désigne la qualité de la langue produite par rapport aux normes de la langue cible. Pour mesurer la justesse, il est par exemple possible de déterminer le nombre d'erreurs formelles pour cent mots (Mehnert, 1998). Les erreurs sont alors étiquetées selon qu'elles sont d'ordre lexical, syntaxique ou

morphologique puis elles sont rapportées au nombre total de mots contenus dans chacune des productions.

La complexité fait référence au degré de sophistication de la langue produite (Ellis et Barkhuizen, 2005). Cette sophistication peut s'entendre comme la capacité des apprenants à prendre des risques avec la L2 et à repousser les limites de l'interlangue de manière créative en faisant, par exemple, montre d'une volonté de diversifier les structures employées. Il est possible d'évaluer la complexité selon deux axes : la complexité fonctionnelle correspond au calcul de fréquence de certaines fonctions langagières spécifiques. Si la capacité à convaincre est par exemple essentielle dans une tâche, ce sera cette fonction qui sera l'objet du repérage et il s'agira de relever tous les marqueurs utilisés par les apprenants pour attirer l'attention de leur interlocuteur (phatiques) ou pour donner de la vigueur à leur argumentation (modalisateurs). La complexité propositionnelle (Zaki et Ellis, 1999) correspond à la teneur des énoncés, le contenu des propositions et on pourra par exemple déterminer le nombre d'unités argumentatives contenues dans les productions qui forment l'échantillon.

La fluidité, enfin, recouvre principalement la notion de temps de réaction ou d'exécution. Il est possible de s'intéresser par exemple à la production orale en temps réel et de mesurer les pauses, les hésitations, le débit (nombre de mots prononcés pendant un laps de temps). Des trois paramètres, la fluidité est peut-être le paramètre le plus objectif car, comme le note Bialystok (1990), "la fluidité demeure le seul observable comportemental [… résultant] de la mise en œuvre efficace de procédures complexes de contrôle, qui sélectionnent et intègrent les informations en fonction des problèmes posés". Ces trois paramètres peuvent être évalués, séparément ou conjointement, de manière synchronique ou de manière diachronique.

L'évaluation synchronique correspond à l'évaluation de la production d'un échantillon d'utilisateurs à un moment donné du parcours d'apprentissage selon certains critères. Ils peuvent être formels et s'intéresser à la richesse lexicale, la correction syntaxique et la longueur, ou bien conceptuels et évaluer, par exemple, la richesse argumentative ou la créativité. Une telle évaluation ne nous renseignera que très partiellement sur le développement d'une compétence mais permettra de vérifier si les productions recueillies correspondent à ce qui était attendu par les concepteurs au moment de l'écriture du scénario.

L'évaluation diachronique correspond à l'analyse de la production d'un échantillon d'utilisateurs sur une période de temps donnée. Le corpus constitué donne

la possibilité d'analyser les productions avec les critères listés ci-dessus, mais aussi de comparer le résultat du travail des apprenants dans le temps afin d'étudier les effets de progression et de fossilisation. Le tableau suivant résume les différents paramètres, suivant une gradation dans le temps, qu'il serait possible de prendre en compte et propose un certain nombre de pistes pour guider une telle évaluation.

Paramètres Données observables

Fluidité Réalisation de la tâche de + en + rapide

Complexité Association d'arguments divers de + en + riche

Analyse de + en + fine

Investissement Modalisation de + en + importante

Créativité Argumentation de + en + originale

Qualité formelle Qualité syntaxique et lexicale de + en + adéquate

Tableau 6.1 - Paramètres pour une évaluation longitudinale

Cependant, ce type d'évaluation ne peut être valide qu'à la condition d'être administré à des apprenants qui utilisent le dispositif de manière répétée, à l'exclusion d'autres moyens d'apprentissage et sur une période de temps suffisamment longue.

Ellis (2003) se montre très prudent sur ce que les tâches favorisant la construction du sens pourraient apporter en termes d'acquisition. Il énonce certaines avancées dans les connaissances, mais montre de manière implacable que les recherches sur le sujet de l'acquisition demeurent contradictoires. C'est pour cette raison qu'il insiste sur la différence entre les potentialités prêtées aux tâches et des

propriétés qui n'ont pas encore été démontrées. Se demandant si des potentialités

sont suffisantes pour des praticiens, il conclut par ce qui pourrait apparaître comme une pirouette : "la nature même de l'enseignement d'une langue rend à la fois inévitable, voire souhaitable, que les décisions soient basées sur des potentialités et des probabilités, plutôt que sur des certitudes" (Ellis, 2003 : 101). Même s'il est intéressant de garder la prudence d'Ellis à l'esprit, les concepteurs ne peuvent cependant pas esquiver la question du potentiel effectif du dispositif pour l'apprentissage d'une langue étrangère.

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