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I/ Un fond suppliciant dans la justice et l’interdit de sexualité

Dans le document Du droit à une sexualité en détention (Page 68-72)

Le rôle de l’institution pénitentiaire est l’exécution de la peine de privation de liberté.

Aussi n’est-elle pas une institution punitive en elle-même, mais seulement le mandataire de la décision de justice271. Comme a pu le dire le Président Valéry Giscard D’Estaing "La prison, c'est la privation de la liberté d'aller et de venir, et rien d'autre"272. Pourtant en l’état actuel de la législation, la détention apparaît assortie de ce qu’on pourrait considérer comme des peines supplémentaires ou complémentaires à la privation de liberté. N’est-ce pas du devoir d’un Etat de droits que de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour limiter au maximum ce complément de peine ? L’article 22 de la loi pénitentiaire de 2009 dispose pourtant que l’AP

« garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes ». Au regard des dommages que l’on a pu constater plus tôt, il parait difficile de les justifier pour les motifs disposés ici.

On constate que dans les faits, les évolutions visant à limiter ces peines complémentaires restent lentes. Les UVF sont devenues un droit depuis plus de dix ans, mais leur accès reste

271 Delattre, Pierre, op.cit.

272 Phrase prononcée le 10 août 1974 à l’issue du déplacement du Président de la République à la prison de Saint-Paul à Lyon

68 réservé à une minorité. De même, les aléas de la sexualité en détention sont aujourd’hui connus de tous les acteurs du milieu carcéral - détenus ou agents de l’administration pénitentiaire. Ces derniers sont même parfois en demande de règles plus claires de manière à pouvoir exercer leur rôle de surveillance.

Faut-il considérer que l’évolution des peines et l’abolition des supplices (étudiée par Foucault273) ont laissé place à l’enfermement sans pour autant se débarrasser vraiment de la vieille notion de châtiment ? Il faut souligner que la privation de liberté et les évolutions associées du milieu carcéral sont des sujets à haute teneur politique. La prison, loin de n’être qu’un lieu d’exclusion et d’oubli des déviants a aussi une fonction miroir à l’égard de la société et même un rôle de cohésion sociale. Pierre Delattre le souligne, en précisant que la prison sert davantage les vues des bons citoyens à l’extérieur, plutôt que celles des détenus, en leur permettant de se situer du bon côté du mur274. Didier Fassin soulève ce problème d’une justice supposée protéger la société et réinsérer les délinquants à terme qui s’affirme comme une justice de châtiment : « la fonction de la prison n’est par conséquent pas simplement de sanctionner des délits, mais d’apporter une réponse répressive à la question sociale en la fondant sur un argumentaire moral »275. Nous serions ainsi dans une logique de justice rétributive dont l’enjeu serait d’assurer la cohésion sociale, plutôt que dans une logique de justice qui viserait à terme à dissuader et réhabiliter le contrevenant. Ces deux visions sont présentes dans les textes. Par exemple l’article 130-1 du Code pénal souligne que les deux objectifs de la peine sont d’une part la sanction de l’auteur de l’infraction, d’autre part de favoriser son amendement et sa réinsertion. Dans un contexte où l’un des objectifs prend trop de place l’équilibre est rompu, et la peine ne viserait plus qu’au châtiment, au détriment des droits des détenus. Situation qui serait, de fait, contre-productive à défaut de proportionnalité. Ou a minima de nécessité, comme le dispose l’article 8 de la DDHC276. Paul Ricoeur le souligne lui aussi en évoquant « des lourdeurs, des résistances, des préjugés, des peurs qui freinent la conquête de l’idée de sanction-réintégration aux dépens de celle de sanction punition »277 le philosophe ajoute : « la fonction du réformateur est de penser, de donner sens à un réformisme qui n’aurait cédé ni au

273 Foucault, Michel, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, Paris, 1975. Rappelons que selon l’auteur la naissance de la prison permet le passage d'une simple fonction punitive à une visée normalisatrice : en contraignant les corps il s’agit de « redresser les âmes ».

274 Delattre, Pierre, op. cit.

275 Fassin Didier, L'ombre du monde. Une anthropologie de la condition carcérale, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2015, p 500

276 Art. 8 de la DDHC de 1789, « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée

277 Ricoeur Paul, Le Juste 2, Éditions Esprit, 2001, p. 191

69 scepticisme de Foucault, ni à l’obsession sécuritaire du public [...] Entre la culture de la vengeance et l’utopie d’un monde sans peine, il y a place pour une peine intelligente… »278 Ricoeur se réfère à propos de la réhabilitation de la personne détenue à l'article 133-16 du Code pénal qui « efface toutes les incapacités et déchéances qui résultent de la condamnation », soulignant qu’il s’agit là de restituer à la personne détenue ses droits fondamentaux. Mais la pédagogie de la peine qu’il évoque dans cette perspective de réhabilitation-réinsertion s’inscrit plus largement dans le cours même de l’exécution de la peine, et à la suite du juriste Antoine Garapon, Ricoeur propose « d’introduire le concept de continuité de l’espace public afin d’inscrire la place de l’espace carcéral à l’intérieur et non à l’extérieur de la cité »279. Il précise : « il faudrait placer sous une unique accolade tous les aspects non sécuritaires de l'exécution de la peine, qu’il s’agisse de santé, de travail, d’enseignement, de loisirs, de droit de visite, voire d’expression normale de la sexualité »280

Il apparaît ainsi opportun de se questionner sur ce qui peut motiver la privation de cette capacité humaine fondamentale qu’est la sexualité - et les peines complémentaires associées.

Myriam Joël relève la persistance d’un « fond suppliciant »281 généré par l’interdit de la sexualité ou sa limitation aux seules rares autorisations officielles ou officieuses. Il s’agirait de ne pas rendre la détention trop luxueuse et l’on connaît les discours sur les prisons où les délinquants sont déjà « nourris et logés aux frais du contribuable ». Le représentant politique qui se lance dans une réforme visant à améliorer les conditions de détention se voit souvent taxé de laxisme. Les levées de bouclier à chaque réforme majeure améliorant les droits des détenus en témoignent. Ainsi la détention s'inscrirait selon Arnaud Gaillard dans une vision de la pénitence judéo-chrétienne basée sur la rédemption sociale à travers la douleur282. Or la rédemption est associée à la peine, à la privation, à l’abstinence à l’opposé de toute forme de jouissance. L’imaginaire du détenu prenant du plaisir est ainsi aux antipodes de la pénitence.

« Associées à l’idée de plaisir, les manifestations de sexualité sont illégitimes en ce qu’elles transgressent ouvertement le principe de pénitence que l’architecture même des établissements – barreaux, miradors, portes blindées, etc. – tend à rappeler constamment à tout un chacun qui

278 Ibid.

279 Ricoeur Paul, Le Juste 1, Editions Esprit, 1995, p. 203

280 ibid p. 204

281 Joel, Myriam (2017), op.cit. pp. 87-122

282 Gaillard, Arnaud (2016) op.cit.

70 y pénètre. » précise Myriam Joël283. Ainsi sont-elles perçues comme incompatible avec le principe de la peine, laquelle doit être jalonnée d’interdits et de micro-souffrances afin de rassurer ceux du dehors. « Il faut qu’il y ait de l’interdit […] la prison ça ne sert pas à s’éclater » témoigne alors une surveillante pénitentiaire284.

On pourrait évoquer un fond traditionnel chrétien qui soutiendrait la trame d’une vision de la pénitence et de l’expiation inhérente à la condamnation et à la privation de relations sexuelles285, mais il se trouve que l’inflation carcérale reste un phénomène récent qui remonte tout juste aux années 1950 et qui s’est accéléré depuis 20 ans (l’effectif des prisonniers a triplé en un demi-siècle). Ce qui permet au sociologue Didier Fassin d’en conclure que le moment punitif que traverse notre société serait marqué par le fait que le châtiment qui devrait en principe solutionner la violation de la loi est lui-même devenu un problème. Car, selon le sociologue, la prison « est toujours en excès de la peine que les juges croient – ou prétendent croire – infliger lorsqu’ils prononcent leur condamnation. Elle est une privation d’intimité, une privation de vie affective et sexuelle, une privation de la gestion des détails les plus banals de la vie … Elle est même une privation du sens de la peine à force d’être, surtout pour les plus courtes, vide d’activité physique et intellectuelle, de travail et de formation, de réinsertion et simplement de respect de la dignité des personnes détenues. Que la France soit le pays avec les taux de suicide en prison les plus élevés en Europe n’est peut-être pas étonnant au regard de ce constat. »286

De ce fond suppliciant découle un brouillage quant aux objectifs de réinsertion de la peine pénale. Les idéaux de la prison comme mode de rééducation se perdent et on constate alors une distance entre les préceptes du Code pénal et la réalité carcérale.

283 Joel, Myriam, « Le contrôle exercé sur l’homosexualité en prison de femmes », SociologieS [En ligne], Dossiers, Penser l'espace en sociologie, mis en ligne le 16 juin 2016. URL : https://journals.openedition.org/sociologies/5638, consulté le 18 juin 2020.

284 Joel, Myriam (2017) op.cit. pp. 87-122

285 Depuis au moins Saint-Augustin – « La chasteté nous recompose ; elle nous ramène à cette unité que nous avions perdue en nous éparpillant » (Saint Augustin, Confessions, 10,29) - pour qui la chair sexuée était

« pourrissante » l’Eglise a toujours considéré que le plaisir sexuel recherché pour lui-même serait moralement condamnable. Cette phobie liée aux péchés de luxure explique que l’abstinence a toujours été prêchée, comme une pénitence ou comme une forme de maîtrise de soi contre la tentation. Ainsi on peut lire dans le catéchisme de l’Eglise catholique : « 2339 : La chasteté comporte un apprentissage de la maîtrise de soi, qui est une pédagogie de la liberté humaine. L’alternative est claire : ou l’homme commande à ses passions et obtient la paix, ou il se laisse asservir par elles et devient malheureux. " http://www.vatican.va/archive/FRA0013/_P80.HTM

286 Fassin Didier, « L’obsession de la punition », propos rapportés par Laure Anelli, oip.org, 7 décembre 2017

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