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Du droit à une sexualité en détention

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Université Lyon 2 Faculté de droit

Année universitaire 2019/2020

Du droit à une sexualité en détention

Illustration d’une négation de la protection des personnes incarcérées et d’un abandon des objectifs de réinsertion individuelle.

Mémoire de recherche présenté en juin 2020

dans le cadre du Master 2 Droit public : Droits de l’Homme

Yanis BOUBEKER

Sous la direction de S. SLAMA

Professeur de droit public au sein de l’Université Grenoble Alpes

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1 La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce mémoire : celles-ci doivent être considérées comme propres à leur auteur.

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2

L

ISTE DES ABREVIATIONS - AP : Administration pénitentiaire - CAA : Cour administrative d’appel

- Cass. Crim : Cour de Cassation, chambre criminelle - CE : Conseil d’Etat

- CEDH : Cour Européenne des Droits de l’Homme

- CESDH : Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme - CESE : Conseil Economique Social et Environnemental

- CGLPL : Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté - CPP : Code de procédure pénale

- CPT : Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants

- DAP : Direction de l’administration pénitentiaire - GIP : Groupement d’information sur les prisons - IST : Infection sexuellement transmissible - JAP : Juge d’application des peines - MOI : Mesure d’ordre intérieur

- OIP : Observatoire International des Prisons - OMS : Organisation Mondiale de la Santé - PF : Parloirs familiaux

- QHS : Quartier Haute Sécurité

- SPIP : Service pénitentiaire d’insertion et de probation - TA : Tribunal administratif

- UVF : Unité de vie familiale

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3

S

OMMAIRE

Liste des abréviations ... 2 Sommaire ... 3 Introduction ... 4

Partie I - Les contraintes inhérentes à la détention au service des carences du droit à une sexualité en détention. ... 10

Chapitre 1 - la sécurité au cœur du rôle de l’administration pénitentiaire : quelle place pour la sexualité dans un espace de

contraintes ? ... 11 Chapitre 2 - Une sexualité en détention conditionnée aux liens : la personne détenue entre isolement social et absence d’intimité ... 22

Chapitre 3 - L’inexistence d’un droit à une sexualité carcérale en droit français : de la défaillance matérielle a la défaillance des normes ... 38

Partie II – Au-delà des impératifs de sécurité : Le vide juridique du droit à une sexualité en détention comme moyen de punition ... 49

Chapitre 1 - Les conséquences de l’état du droit à une sexualité en détention : une mise en état de minorité des personnes détenues ... 50 Chapitre 2 - Le droit à une sexualité : illustration d’un paradigme de la prison comme pénitence et de l’oubli de la réinsertion... 67 Bibliographie ... 79 Table des matières ... 88

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4

I

NTRODUCTION

« Robert Badinter regrette à juste titre que la nouvelle loi pénitentiaire ne porte pas dans son préambule la volonté d’instaurer un Etat de droit dans les institutions pénitentiaires, qu’il ne soit pas reconnu qu’une personne détenue demeure avant tout un citoyen à part entière, un individu pourvu de droits fondamentaux, à la seule exception de la liberté d’aller et venir.

Quand va-t-on se saisir de l’éminente question de la sexualité de la population détenue, toujours occultée, reléguée elle aussi au rang des priorités secondaires ? » En 2009, le sociologue Arnaud Gaillard spécialiste des questions pénitentiaires posait la question de la sexualité en prison dans les colonnes de Libération1. Il précisait : « L’enfermement pénitentiaire nie sans vergogne la dimension sexuelle. Et dans le silence de cette inertie coupable, on persiste hypocritement à attendre de l’incarcération qu’elle réinsère les individus enfermés. Pourquoi un pays riche comme la France ne parvient-il pas à sortir de cette impasse ? ».

L’objectif de ce mémoire est d’étudier les conséquences de la législation française relative à la sexualité en détention, au regard, d’une part des droits des détenus, et d’autre part des objectifs (sécurité et réinsertion) de la privation de liberté. Ainsi, par le biais du droit à une sexualité, ce travail interroge de façon plus large le rôle, en droit et en fait, du service public pénitentiaire dans la réalisation ou le préjudice à l’objectif de réinsertion à la vie civile.

Soulignons d’abord que la question de l’existence d’un droit des personnes détenues à une sexualité semble poser le paradoxe d’actes intimes dans une institution de surveillance constante. Ce paradoxe est d’autant plus marqué du fait de la surpopulation carcérale. Celle-ci est reconnue depuis des années comme un problème central dans l’agenda des politiques publiques qui ne débouche sur aucune solution concrète tant le populisme sécuritaire paralyse l’initiative politique. La récente condamnation de la France par la CEDH en témoigne2, alors que des mesures corrélatives à la gestion de la crise sanitaire ont prouvé la possibilité de réduire un tel phénomène3.

1 Gaillard, Arnaud, « La prison et le droit à l’intimité », Libération, 4 août 2009

2 CEDH, J.M.B. et autres c. France, 30 janvier 2020, req n°9671/15 et 31 autres.

3 Lettre ouverte à E. Macron, 3 juin 2020, disponible sur oip.org/communique/en-finir-avec-la-surpopulation- carcerale-monsieur-le-president-loccasion-est-la-ne-la-manquez-pas : De nombreuses personnalités publiques appellent le Président de la République à tirer les enseignements de la crise sanitaire, laquelle a permis le passage sous la barre des 100% de l’occupation moyenne des établissements pénitentiaires et ouvert la brèche vers un changement de paradigme.

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5 Les droits relatifs à une sexualité tirent leurs racines d’une multitude de droits que l’on pourrait considérer comme matriciels. Le premier d’entre eux est le droit au respect de sa vie privée et familiale. C’est en son nom que la CEDH a pu défendre un droit à entretenir des relations sexuelles4, ou encore à mettre à la charge de l’Etat des obligations positives en termes de garantie de maintien des liens familiaux en détention5. D’autres droits tels que les droits à la santé ou à l’éducation consacrés par divers textes nationaux et internationaux donnent lieu à diverses applications permettant de garantir les contours de ce droit relatif à la sexualité6.

Il s’agit avant tout de définir notre objet d’étude. Le droit à une sexualité est un thème, en droit, essentiellement défini par ce qui est interdit. Cela rend alors difficile d’établir une définition juridique claire. Nous pourrions définir la sexualité comme l’ensemble des pratiques, impliquant les relations sexuelles, l’autosexualité et toute autre pratique ayant trait au désir sexuel. Il s’agit ici de faire abstraction de considération de légalité ou de consentement. Il existe en effet des sexualités légales et des sexualités illégales. Pour la suite, dans notre entreprise de définition, on peut se référer à Daniel Borrillo qui définit les relations sexuelles comme un contrat entre deux ou plusieurs individus libres et consentants7. Cette perspective du contrat est d’ailleurs en adéquation avec l’intégration par la CEDH de la sexualité dans la sphère de l’autonomie personnelle8. Comme pour tout contrat, des vices pouvent fausser le consentement.

Certes, il s’agit d’une vision restreinte qui exclut des pratiques comme l’autosexualité, mais on peut s’en inspirer pour circonscrire notre objet. Cette notion de contrat permet en effet de se dégager de tous les impératifs moraux ou biologiques (injonction à la reproduction…). Les seules limites à ce contrat sont alors constituées par le cadre légal (majorité sexuelle…) et les impératifs de consentement. Suivant cette perspective inspirée des travaux de Borillo, le droit à une sexualité pourrait alors se comprendre comme la possibilité de jouir d’une sexualité dans le cadre posé par la loi, et lorsque c’est pertinent, dans le respect des impératifs de consentement. Ce droit est cependant dépendant d’un contexte. Ainsi pour disposer d’un droit à une sexualité il s’agit d’une part pour l’Etat de respecter un devoir d’abstention afin de laisser cours aux pratiques légales. Mais il s’agit aussi d’autre part de mettre en place un contexte favorisant ce que l’OMS appelle une santé sexuelle, c’est-à-dire « un état de bien-être physique,

4 CEDH, 17 févr. 2005 K.A. et A.D. c. Belgique, req n°42758/98 et 45558/99, §83

5 CEDH, 28 sept. 2000, Messina c/ Italie, req n° 25498/94

6 Geray Ingrid, « Approche des droits sexuels », Direction générale de la santé, 6 mars 2015. Disponible sur solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/s1_am_approche-droits_sexuels_i_geray.pdf, consulté le 18 juin 2020.

7 Borrillo, Daniel. « I. La régulation de l'activité érotique », Le droit des sexualités. Presses Universitaires de France, 2009, pp. 13-50.

8 CEDH, 17 févr. 2005 K.A. et A.D. c. Belgique, req n°42758/98 et 45558/99, §83

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6 émotionnel, mental et social en matière de sexualité » qui ne se caractérise pas seulement par

« l’absence de maladie, de dysfonctionnement ou d’infirmité »9. Ce contexte de santé sexuelle nécessite « une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui soient sources de plaisir et sans risque, libres de toute coercition, discrimination ou violence »10. Ainsi, nous pourrions entendre par

« droit à une sexualité » la possibilité de jouir d’une sexualité légale, consentie et nécessitant un contexte favorisant l’existence d’une santé sexuelle. Précisons par ailleurs que nous parlons d’un droit à « une » sexualité plutôt que d’un droit à entretenir des relations sexuelles ou d’un droit à la sexualité. Cette nuance sémantique vise à inclure tout le spectre des pratiques sexuelles qui peuvent être individuelles ou sociales, alors que parler de droit à la sexualité tend à homogénéiser ces pratiques hétérogènes. Cette définition a l’avantage d’aborder ce thème sous un angle exempt de jugement quant à des sexualités pouvant être considérées par la morale comme perverses ou déviantes.

Pour situer l’actualité de notre objet, il s’agit d’abord de souligner une lente évolution - depuis les années 80 et une certaine accélération ces dernières années - dans le paradigme de la détention, avec la généralisation des aménagements de peine et une certaine ouverture du milieu carcéral aux familles de détenus. Ces évolutions témoignent d’une mutation progressive de la perception de la personne détenue comme sujet de droits. Cependant comme le relevait le philosophe Michel Foucault, l’idéalisme de la loi peut se heurter à la logique propre à l’institution pénitentiaire : « Quand on réforme le Code, on pense aux principes de l’interdiction non à la réalité du châtiment »11. Le contexte sociopolitique de la réflexion de Foucault autour des « lieux d’enfermement » était toutefois très différent de notre actualité. Et la vague libertaire de l’après mai 1968 avait permis à des mouvements contestataires de faire le procès de ce que les militants appelaient « l’Etat policier » et ses dépendances « les tribunaux, les flics, les hôpitaux, les asiles, l’école, le service militaire, la presse, la télé, l’Etat et d’abord les prisons »12. Le Groupement d’information sur les prisons (GIP) a alors accompagné l’émergence des comités de prisonniers et porté le débat public sur les prisons. Il s’est créé en

9 Définition disponible sur le site du bureau régional de l’Europe de l’OMS à l’adresse suivante : www.euro.who.int/fr/health-topics/Life-stages/sexual-and-reproductive-health/news/news/2011/06/sexual- health-throughout-life/definition

10 Ibid.

11 Foucault, Michel « Il faut tout repenser la loi et la prison », Libération, 5 juillet 1981 réédité le 19 juin 2004.

URL : https://next.liberation.fr/livres/2004/06/19/il-faut-tout-repenser-la-loi-et-la-prison_483624, consulté le 18 juin 2020.

12 GIP, Le GIP enquête dans un prison-modèle : Fleury-Mérogis, Paris, Champ Libre, coll. « Intolérable », n°2, 1971, archives GIP/IMEC

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7 1971 en s’appuyant sur la mobilisation de la Gauche Prolétarienne autour d’intellectuels comme Foucault, Deleuze, Vidal-Naquet, mais aussi de penseurs de la gauche chrétienne de la revue Esprit comme Jean Marie Domenach. Le GIP est porté par l’intention d’informer sur l’expérience des prisons en donnant une voix aux sans-voix, en libérant une parole censurée et proscrite. Effectivement comment parler du prisonnier comme sujet de droits alors que c’est sa personne même qui est niée ? Les enquêtes que mènent le GIP en milieu carcéral témoignent à quel point les prisonniers sont déshumanisés, quasi-invisibles ou réduits à l’état d’êtres fictifs justifiant les fantasmes publics et les mauvais traitements dont ils font l’objet. Foucault insiste sur cette image de la prison comme institution qui dé-subjective la personne détenue et la réduit à des clichés ou à la catégorie pénale qui la constitue. Et déjà à l’époque du GIP, la question de la sexualité en détention est posée comme un problème essentiel. A la question « qu’y-a-t-il de plus intolérable en prison », Michel Foucault et Pierre Vidal-Naquet répondent : « Beaucoup de choses. La répression sexuelle par exemple. Les prisonniers évitent parfois d’en parler. Mais certains le font. L’un d’eux dit : « Au parloir le maton regarde si ma femme reste correctement habillée ». C’est courant semble-t-il. Des prisonniers se masturbent au parloir après avoir demandé à leur femme de montrer un sein, et cette situation – avec l’intervention toujours possible du gardien – est toujours mal supportée »13.

La mobilisation sur la question des prisons et l’ouvrage Surveiller et punir14 de Foucault ont largement permis de favoriser les connaissances et les réflexions sur la situation pénitentiaire. Et ce mouvement a pu, dans une certaine mesure, influencer certaines réformes politiques avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 – avec notamment un effort

« d’humanisation »15 des prisons. Cependant, s’il faut reconnaitre l’apport de Foucault, il s’agit aussi de prendre en compte son radicalisme et sa distance à l’égard d’un humanisme réformiste et la prétention de punir pour seulement rééduquer. Ici s’illustre la scission entre la position de

13 Politique-hebdo, n°24 18 mars 1971, repris dans Foucault, Michel, Dits et Ecrits II, Gallimard, 1994. pp 180- 181

14 Foucault Michel, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, 1975. Cet ouvrage a largement transformé le savoir des sciences humaines sur la prison et reste une référence même s’il est controversé. L’auteur souligne ainsi que loin d’être une constante anthropologique, l’enfermement s’est substitué à des formes plus anciennes de punition (le bannissement, la compensation-réparation, l’exposition-supplice) jusqu’à s’imposer comme une institution et la forme normalisée du châtiment à partir de la fin du XVIIIe siècle. Foucault explique que la forme prison s’impose dans les « sociétés disciplinaires » à travers un système général de surveillance- enfermement qui pénètre toute l’épaisseur de la société. Il précise que l’enfermement a pour objectif non seulement de punir, mais aussi et surtout d’imposer un certain modèle de comportements, un dressage à l’égard des valeurs dominantes afin « d’obliger les individus à multiplier leur efficacité, leurs forces, leurs aptitudes, bref tout ce qui permettait de les utiliser dans l’appareil de production de la société » (Dits et écrits III, op.cit., p. 569)

15 Terme utilisé dans le rapport de la commission d’enquête du sénat n°449 du 29 juin 2000 relatif aux condition de détention dans les établissements pénitentiaires en France.

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8 Foucault et ceux, dont certains membres du GIP proches de la revue Esprit, qui voulaient réintroduire du droit en prison.

Pourtant, des réformes il y en a eu. Que ce soit avec l’installation des téléviseurs dans les cellules, la suppression des murets dans les parloirs, l’ouverture des recours face à certains actes administratifs de l’AP autrefois considérés comme des mesures d’ordre intérieur, ou encore la consécration des unités de vie familiale, ces évolutions témoignent d’une mutation progressive de la perception de la personne détenue. Les travaux sur la sexualité en détention restent néanmoins menés par de rares chercheurs tels les sociologues Arnaud Gaillard et Myriam Joel ou, parmi les juristes, Martine Herzog-Evans. Une ouverture à ce droit à une sexualité a pu être consacré avec la mise en place des expérimentations des UVF puis leur concrétisation dans la loi pénitentiaire de 200916 - en limitant toutefois la sexualité au cercle familial et proche, cette réforme pose le problème de la marginalisation des autres pratiques. Les ouvrages récents déplorent encore, malgré les tentatives d’humanisation des prisons, les aspects largement pathologiques de la sexualité en prison. Que cette pathologie soit physique, psychique ou sociale17, il ressort des recherches que l’accessibilité, la survenance ou la protection des actes d’intimité dans le milieu carcéral sont loin de correspondre aux idéaux de santé sexuelle porté par l’OMS. Il faut insister sur les conséquences de cette absence de bien-être. La sexualité participe de la subjectivité comme nous l’a appris la psychanalyse, et comme le souligne dans un autre sens Michel Foucault : « je crois que la sexualité, beaucoup plus qu’un élément de l’individu qui serait rejeté hors de lui, est constitutive de ce lien qu’on oblige les gens à nouer avec leur identité sous la forme de la subjectivité »18. L’institution pénitentiaire n’a-t-elle pas vocation à protéger les personnes détenues, et à terme de les réinsérer ? Nous sommes alors toujours au cœur de ce paradoxe du couple répression-prévention propre à la matière pénale.

Au-delà des critiques héritières du radicalisme de Surveiller et punir, l’expérience de certains juristes et figures politiques comme Robert Badinter souligne la possibilité d’associer prévention et répression dans une même dynamique de réforme. La possibilité aussi de mobiliser les acteurs sociaux et institutionnels dans la quête de solutions pragmatiques aux problèmes concrets que pose le système pénal. Il s’agit alors de questionner le rôle qu’a pu jouer le droit dans la survenance du constat actuel d’absence de santé sexuelle en détention.

Cela malgré les énergies réformatrices du début du millénaire qui ont pu associer avec succès

16 Art. 36 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire

17 Voir pour exemple Observatoire international des prisons – section française, Dedans-Dehors, n°90, décembre 2015. Ou encore Joël, Myriam. La sexualité en prison de femmes. Presses de Sciences Po, 2017

18 Foucault Michel, Dits et écrits III, op. cit, p. 570

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9 le couple répression-prévention. Le droit français encadre aujourd’hui la question de la sexualité en détention laquelle mobilise une pluralité d’acteurs dans des espaces multiples (parloirs, UVF, cellules…) au sein des établissements pénitentiaires. Et la réponse de l’administration pénitentiaire varie en fonction des situations.

Au regard de ces éléments, nous poserons l’hypothèse suivante : la réponse juridique aux revendications d’un droit à une sexualité en détention dans le droit français en sa forme actuelle n’est pas en mesure de répondre aux exigences de protection de la santé - au sens de la définition de l’OMS - des personnes détenues, voire à plus long terme de permettre de réaliser les objectifs de réinsertion, malgré les avancées en matière de reconnaissance de droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Pour explorer cette hypothèse, nous nous demanderons dans quelle mesure les carences de la législation relative à une sexualité en détention traduisent-elles un mode de traitement des détenus qui rend leurs droits secondaires ? Pour répondre, il s’agit au préalable de comprendre que la sexualité en détention se pratique dans un espace de contraintes au sein duquel des exigences de surveillance et de discipline sont incompatibles avec l’existence d’une intimité.

Nous nous intéresserons donc en premier lieu aux prérogatives de l’administration pénitentiaire et aux conséquences du statut de détenu sur la personne privée de liberté et sa famille pour comprendre comment le droit encadre les obligations individuelles et les relations interpersonnelles de manière à établir une défaillance de droit à une sexualité (partie I).

Si la sexualité en détention existe de fait, c’est dans des conditions précaires posant de graves problèmes de santé qui peuvent impacter les capacités de réinsertion sociale des détenus.

Cela pose donc la question de la volonté de la puissance publique : la défaillance de droit à une sexualité apparaît non pas comme seule conséquence des exigences de sécurité et de maintien de l’ordre mais comme moyen de punition complémentaire de la personne détenue (partie II).

Précisons que notre étude s’intéresse à la personne détenue « générique » incarcérée au sein d’un établissement pénitentiaire à la suite d’une décision de justice qu’elle soit condamnée ou prévenue. Ainsi elle n’a pas vocation à s’intéresser aux populations pénales spéciales comme les mineurs, ou encore les détenus isolés qui doivent faire l’objet d’une étude spécifique. Nous sommes aussi conscients du fait qu’aux problématiques juridiques que nous évoquons s’ajoutent des problématiques individuelles liées au genre, à l’orientation sexuelle, à l’origine ethnoculturelle, au handicap ou à toute autre caractéristique susceptible de générer des différences de traitement et de plus grandes difficultés d’accès à une sexualité en détention.

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10

P

ARTIE

I - L

ES CONTRAINTES INHERENTES A LA DETENTION AU SERVICE DES CARENCES DU DROIT A UNE SEXUALITE EN

DETENTION

.

Le questionnement de l’existence d’un droit à une sexualité en détention implique nécessairement d’étudier le milieu dans lequel ce droit à vocation à s’exercer ainsi que les principes qui y lui sont inhérents.

Il s’agit alors, avant de traiter à proprement parler de la sexualité, d’établir un état des lieux des obligations du service pénitentiaire dans son rôle d’exécution de la peine pénale sur la personne détenue. On constate que son omniprésence est un obstacle volontaire à l’existence d’une intimité en détention, ce qui pose la question de la place pour une sexualité (chapitre 1).

Par la suite il s’agit de rappeler que l’existence d’une sexualité est bien souvent conditionnée à l’existence de liens sociaux : il est alors opportun d’étudier quels sont les outils au service de la personne incarcérée pour disposer de ces liens et de les maintenir (chapitre 2).

Enfin, l’étude de la législation pouvant être rapprochée du droit à une sexualité permet de faire converger le rôle de contrainte et les outils de maintien des liens pour en arriver à conclure - alors qu’aucune interdiction ne l’explicite - à l’inexistence factuelle d’un droit à une sexualité en détention comme le résultat d’une double défaillance : d’une part de la défaillance d’une concrétisation matérielle des normes pouvant être favorables à un tel droit, et d’autre part d’un refus d’encadrement de la matière entraînant une défaillance de nouvelles normes prenant en compte la possibilité d’existence de ce droit (chapitre 3).

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11

C

HAPITRE

1 -

LA SECURITE AU CŒUR DU ROLE DE L

ADMINISTRATION PENITENTIAIRE

:

QUELLE PLACE POUR LA SEXUALITE DANS UN ESPACE DE

CONTRAINTES

?

Le rôle de sécurité de l’administration comprend nécessairement un rôle de surveillance.

Celle-ci pouvant prendre des formes diverses, elle a comme conséquence directe l’inexistence d’une intimité en détention (I). Cette surveillance s’accompagne des moyens de coercition de l’administration pénitentiaire, lesquels peuvent entraîner un plus grand isolement de la personne détenue (II). Il s’agit toutefois de rappeler que le rôle de contrainte de l’administration pénitentiaire implique aussi un rôle de protection de la personne détenue (III).

I/ L’inexistence d’intimité conséquence de la surveillance : une multiplicité des moyens au service de la sécurité de l’établissement pénitentiaire

La peine d’emprisonnement reste la peine pénale de référence, et cela malgré l'apparition de la multiplicité des peines, avec dès 1975 les premières substitutions à la détention19, puis les récentes évolutions jusqu’à l’objectif de sortie du « tout carcéral » aujourd’hui, ou à minima d’un « moins carcéral » en priorisant les peines alternatives. Dans la mise en œuvre des mandats qui lui sont conférés par l’institution judiciaire, la prison remplit une mission de sécurité et d’ordre public20 par la privation de liberté. C’est du moins le rôle qui lui est attribué. La détention tire sa légitimité du clivage manichéen qu’elle crée dans la société : comme le souligne Pierre Delattre « elle renvoie à ceux qui n’y sont pas leur bonne image et à ceux qui y sont leur culpabilité »21. Il s’agit en fait de mesurer ce que signifie la privation d’une liberté, alors qu’elle définit le concept « d’humanité » : qu’est-ce qu’un humain privé de sa capacité d’agir et de circuler, de cette faculté qui lui serait propre d’exercer son jugement ou, pour parler comme Kant, de la condition transcendantale de sa volonté ? Du point de vue public, les hommes et les femmes qui font l’épreuve de cette situation limite confinant à l’infra- humanité représentent la face obscure de nos sociétés libérales, cette « vie des hommes

19 Dorlhac de Borne, Helene, Changer la prison, Paris, Plon, 1984, p. 156 citée par Annie Kensey dans l’introduction des Actes des Journées d’études internationales organisées par la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP), 14 et 15 décembre 2015 : « La loi du 11 juillet 1975 est une étape essentielle par la création des peines de substitution à l’emprisonnement, de la possibilité d’ajournement du prononcé de la peine, de l’extension du sursis, et de réductions de peine pour gages exceptionnels de réadaptation sociale ».

20 Delattre, Pierre, entretien « La prison, lieu de justice », Les Cahiers de la Justice, vol. 1, no. 1, 2020, pp. 33-46.

21 Ibid.

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12 infâmes »22 dépossédés de leur dignité et voués aux clichés médiatiques ou moraux de la bonne conscience de la société. Source de culpabilité, de souffrances, de perte d’estime et de respect de soi, la privation de liberté s’effectue au sein d’une institution qui a vocation à quadriller l’espace et les activités : répartir les individus, les contrôler par un emploi du temps strict. Et surtout les surveiller. Milieu d’enfermement ou d’exclusion au sein de la société même, la prison vise ainsi à la prévention de l’évasion et au maintien d’un « bon ordre » : l’établissement de privation de liberté est par définition un lieu de surveillance sous l’autorité d’une administration disposant d’un pouvoir de sanction interne.

La surveillance apparaît même comme le premier outil dont dispose l’administration pénitentiaire, parmi tout un répertoire d’outils juridiques et matériels qu’elle mobilise pour la mise en œuvre de ses missions. Toute personne détenue peut à tout moment - que ce soit dans les parties communes ou les cellules - être amenée à se retrouver sous l’œil du personnel pénitentiaire23. Ainsi, la structure de l’établissement pénitentiaire est construite de sorte à faciliter cette surveillance, que ce soit par la présence d’écoutilles aux portes de cellules, des miradors ou par la disposition réglementaire de locaux dans une perspective de prévention des évasions. Cette fonction centrale de surveillance nécessite divers moyens ou procédures. Elle passe d’abord par le contrôle de l’emploi du temps de la personne détenue avec des vérifications de présence au cours de la journée ainsi qu’au coucher et au lever24. Elle se traduit aussi par l’inspection régulière des espaces de vie des détenus - cellules25 et espaces de travail. Par ailleurs, les personnels de surveillance effectuent des rondes régulières à toute heure du jour et de la nuit. La généralisation de la vidéosurveillance dans les espaces publics à la suite de la loi pénitentiaire de 200926 est un autre outil à la disposition du personnel pénitentiaire. Si elle est possible même dans la cellule du détenu, elle est toutefois soumise à des restrictions.

Depuis l’ouvrage fondateur et controversé du philosophe Michel Foucault Surveiller et punir27 et les travaux du sociologue Erving Goffman sur « l’institution totale »28, la plupart des études en sciences sociales considèrent que la surveillance vise le contrôle et la subordination

22 Foucault, Michel, « la vie des hommes infâmes », Dits et écrits, Tome III, Gallimard, 1994, p. 237

23 Art. D270 du Code de procédure pénale (CPP)

24 Art. D271 du CPP

25 Art. D269 du CPP

26 Art.58 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire

27 Foucault Michel, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, 1975

28 Goffman Erving, Asiles. Editions de Minuit, 1968. Pour Goffman, une institution totale est « un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d'individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées »

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13 du corps du détenu, contrôle du mouvement à travers la restriction de la libre circulation, mais aussi contrôle direct de l’intimité. La fouille est emblématique de cette dimension essentielle de la vie carcérale, où, pour citer encore une fois Foucault, « Les rapports de pouvoirs passent à l’intérieur des corps »29. Les fouilles sont néanmoins réglementées et leur nature comme leur fréquence doivent prendre en compte de multiples facteurs, comme les spécificités de l’établissement, la personnalité de la personne détenue ou les circonstances de la situation30. Elles sont ainsi systématiques en cas de suspicion d’évasion ou de circulation d’objets prohibés31. Elles peuvent aussi prendre la forme d’une investigation corporelle par un médecin après saisine du procureur de la République32. Les fouilles intégrales sont soumises à la justification du maintien de l’ordre dans un établissement, d’une présomption d’infraction, d’un risque ou d’une menace à la sécurité causée par le comportement d’un détenu. Elles peuvent toutefois être réalisées de façon systématique pour des nécessités d’ordre public ou lorsque les contraintes du service public pénitentiaire l’imposent pour une période de trois mois renouvelable33. Ce qui témoigne de fait de la dimension permissive de ces dispositions qui dépendent largement du jugement du chef d’établissement. Seules quelques exigences de proportionnalité et de nécessité subsistent34 et les exigences d’impossibilité de fouille électronique pour les fouilles intégrales. La fouille apparaît ainsi comme une dimension constitutive des rapports entre le pouvoir de l’administration pénitentiaire et les corps détenus.

Cependant, les détenus ne sont pas les seuls surveillés. Leurs relations avec l’extérieur le sont aussi. Ainsi, s’il existe un droit de correspondance illimité du détenu - à la seule exception de celle du prévenu qui est soumise à la non-opposition du juge35- il reste soumis au regard36 et à l’absence de retenue de l’administration pénitentiaire37. La règle de droit prévoit même une obligation pour les correspondants de faire usage d’une écriture claire et lisible sans

29 Foucaults Michel, Dits et écrits III, Gallimard, 1994, p. 228. Plus largement dans Surveiller et punir op. cit., Foucault souligne que le pouvoir disciplinaire se fonde sur une surveillance généralisée qui accompagne la répartition des individus dans l’espace et la production d’une archive sur chacun. Loin de se limiter à l’œil du « big Brother » de George Orwell, le contrôle sur les corps passe par un pouvoir au ras des individus qui implique toute une chaîne d’intermédiaires gardiens et autres petits chefs inquisiteurs dont les pratiques minuscules témoignent d’une matérialité des rapports de pouvoir à travers un assujettissement des corps.

30 Article R57-7-79 du CPP

31 Article R57-7-80 du CPP

32 Art. R57-7-82 du CPP et art.57 al.3 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire

33 Art .57 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire

34 Voir pour exemple CEDH, El Shennawy c. France, 20 janvier 2011, req n° 51246/08 : Rappelle l’exigence de nécessité des fouilles corporelles pour parvenir à l’un des buts suivants : assurer la sécurité, défense de l’ordre ou prévenir les infractions pénales. Elles doivent par ailleurs être menées selon des modalités adéquates afin de ne pas dépasser le niveau de souffrance ou d’humiliation que comportent inévitablement de telles fouilles

35 Art. R57-8-16, al.2 du CPP

36 Art. 40 al.2 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire

37 Art. R57-8-19 du CPP

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14 signes ou caractères non compréhensibles pouvant dissimuler un message potentiellement dangereux38. Des exceptions sont néanmoins notables, dans le cadre des correspondances avec les avocats, les aumôniers et les autorités administratives, judiciaires ainsi qu’avec les instances internationales39. De même, les conversations téléphoniques sont autorisées, mais soumises à restriction et surveillance. Restriction liée d’une part au pouvoir du chef d’établissement de retirer ce droit. Et d’autre part au nombre restreint de numéros joignables et à l’accessibilité limitée aux installations. Cette dernière limitation tend toutefois à s’amenuiser au regard des objectifs de généralisation des lignes téléphoniques en cellule40. Reste aussi que, conformément aux impératifs de sécurité, les conversations peuvent faire l’objet d’écoutes. Toute communication doit en effet pouvoir faire l’objet d’un contrôle potentiel. La surveillance, toujours. C’est d’ailleurs ce qui explique l’interdiction du téléphone portable en détention, la communication échappant au radar de l’administration. Enfin, les parloirs, sauf exception, sont aussi soumis aux mêmes exigences de surveillance41.

Ainsi, dans ce que Goffman présenterait comme une institution totale, toute dimension de la vie de la personne détenue a vocation à être contrôlée. De ses déplacements à ses propos, chaque sphère de son intimité est potentiellement surveillée. Il s’agit alors de questionner la compatibilité même d’une sexualité dans un espace d’impossible intimité. Là où aucun lieu n’échappe à la surveillance et personne au contrôle, l’administration se trouve « contrainte à observer l’intimité d’autrui, ce que, dans le monde libre personne ne songerait décemment à faire »42. Mais il faut sans doute se rappeler avec Michel Foucault que la forme-prison est inséparable du modèle du panopticon de Jeremy Bentham. Fondateur de l’utilitarisme anglais à la fin du XVIIIe siècle, il est aussi l’inventeur d’une architecture de surveillance (cellules individuelle, surveillance permanente, visibilité totale) qui dès 1830 va prendre une certaine importance dans la construction des prisons. On sait aujourd’hui que le panoptisme a triomphé au regard de ses accointances avec les exigences d’un pouvoir disciplinaire qui se définit par un pouvoir de contrôle au travers d’une multitude de procédures et de dispositifs, lesquels donnent alors à l’administration de larges prérogatives de surveillance.

38 Art. R57-8-18 du CPP

39 Art. 40 al.3 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire

40 Cloris, Julie ; Egré, Pascale, « Téléphone en prison : les raisons d’une petite révolution », Le Parisien, 2 janvier 2018.

41 Voir chapitre 2, paragraphe I, point A, p.22.

42 Herzog-Evans, Martine, propos rapportés par Gouache Maxime et Dindo Sarah pour l’Observatoire international des prisons section française « Sexualité en prison : La grande hypocrisie », Dedans Dehors n°90, décembre 2015

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15 Si l’administration dispose d’un pouvoir de surveillance, celui-ci serait bien inutile s’il n’allait pas de pair avec un pouvoir de coercition afin de prévenir ou faire cesser les infractions au règlement ainsi qu’à la législation.

II/ Un arsenal de moyens de coercition pour le maintien de l’ordre au service de l’isolement de la personne détenue

L’institution pénitentiaire est par définition une institution disciplinaire à laquelle est soumis tout détenu. Le chef de l’institution dispose d’un pouvoir de sanction sur les comportements qui ne correspondent pas aux normes édictées par le règlement intérieur ou les textes nationaux. Longtemps, cette matière est restée très opaque et les sanctions disciplinaires étaient des mesures d’ordre intérieur (MOI) cantonnées au sein de l’institution carcérale. Ce n’est qu’à partir de l’arrêt Marie de 199543 qu’une juridictionnalisation très progressive de ces MOI s’est réalisée, permettant un droit de recours auprès du juge.

Ainsi, les fautes disciplinaires sont classées selon leur gravité et trois degrés sont prévus.

Une fois les faits pouvant constituer une faute constatée par le personnel de surveillance, un compte rendu est dressé, puis un gradé présente un rapport au chef d’établissement44. Celui-ci décide alors de l’opportunité de poursuivre la procédure dans les six mois suivant la commission des faits.

Il s’agit cependant de nuancer ce propose et de préciser que dans la vie carcéral la systématisation de la sanction disciplinaire n’est pas une réalité. La sociologue Corinne Rostaing insiste bien sur ce point : « L’activité des surveillants, à l’inverse de l’activité productive des policiers dont les résultats se mesurent en nombres d’actes […] est d’abord évaluée à partir d’un état, le calme de la détention, l’absence d’incident. Et, pour l’obtenir, a été soulignée l’importante autonomie opérationnelle des surveillants »45. Il s’agit pour le personnel de surveillance d’affirmer l’autorité de l’institution en sachant tempérer l’usage du rapport afin de trouver le juste milieu entre les exigences de sécurité et le calme en détention.

Ainsi, selon l’acte sanctionnable, certains préfèreront par exemple fermer les yeux ou mettre fin à la situation, personnellement et sans plus de conséquences. D’autant plus que le rapport est vecteur de tensions dans la relation entre les surveillants et les détenus et que s’il n’est pas

43 CE, Ass., 17 févr. 1995, Marie, arrêt n°97754

44 Art. R57-7-13 et R57-7-14 du CPP

45 Rostaing, Corinne. « L'ordre négocié en prison : ouvrir la boîte noire du processus disciplinaire », Droit et société, vol. 87, no. 2, 2014, pp. 303-328.

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16 suivi par ses supérieurs, le personnel de surveillance voit sa crédibilité entachée tant auprès de la hiérarchie que des personnes privées de liberté46.

Cependant, si poursuite il y a, la personne détenue est convoquée devant la commission de discipline. Il peut se faire assister d’un avocat et dispose d’un minimum de vingt-quatre heures pour préparer sa défense et d’un accès au dossier47. Par ailleurs, des mises en confinement ou des placements en cellule disciplinaire peuvent être réalisées à titre préventif en cas de faute de premier et de second degré - s’il apparaît à l’administration que c’est là l’unique moyen pour faire cesser la faute ou pour préserver l’ordre à l‘intérieur de l’établissement48. La commission de discipline se déroule selon des règles de composition strictes49. Ainsi, par exemple, les membres du personnel ayant constaté les faits et produit le rapport ne peuvent y siéger. Et chaque personne au sein de cette commission doit exercer ses fonctions avec « intégrité, dignité et impartialité, et respecter le secret des délibérations ».

Enfin, la commission prononce une sanction. Celle-ci va nous intéresser tout particulièrement dans le cadre de cette étude de la sexualité en détention vu que certaines de ces sanctions sont amenées à isoler le détenu. Il s’agit ici de préciser que si le chef d’établissement choisit de faire passer une personne détenue en commission, les cas de relaxes sont assez rares du fait d’un tri informel des affaires en amont50.

Parmi l’arsenal de sanctions51 dont dispose l’institution carcérale, certaines ont vocation à priver la personne détenue de rares services dont il peut jouir en détention. Nous pourrions dégager deux types de sanction qui nous intéressent particulièrement dans le cadre de ce mémoire.

Les premières sont celles que nous pourrions considérer comme accentuant potentiellement l’isolement du détenu. Elles peuvent se caractériser par une perte de la jouissance de biens matériels ou d’accès aux infrastructures de sport et d’activités culturelles en détention. Ces sanctions participent à une forme de marginalisation de la personne détenue au sein même de l’espace carcéral en l’excluant des temps de sociabilité pouvant permettre la création de liens. De même pour la suspension de classement ou le déclassement à un emploi

46 Ibid.

47 Art. R57-7-16 du CPP

48 Art. R57-7-18 du CPP

49 Art. R57-7-6 et suivants du CPP

50 Rostaing, Corinne (2014) Ibid.

51 Art. R57-7-33 et suivants du CPP

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17 ou une formation. Celles-ci peuvent de plus affecter directement ou indirectement la situation économique du détenu, comme peut le faire l’interdiction de recevoir des subsides de l’extérieur. Les sanctions économiques peuvent alors avoir un impact direct sur le bénéfice de moyen de liens familiaux. Ainsi cela peut par exemple rendre inaccessibles les appels téléphoniques qui ont un coût. Par ailleurs, les unités de vie familiale52- supposées maintenir les liens familiaux : il est nécessaire pour la personne détenue de subvenir aux besoins des visiteurs-visiteuses sur son pécule personnel pendant la durée de la visite - peuvent alors s’avérer impossible à assumer pour le détenu. Le second type de sanction correspond à celles qui isolent directement le détenu. Le confinement de la personne détenue en cellule individuelle empêche non seulement l’accès aux activités, mais il coupe la personne détenue de tout lien social à l’exception des appels téléphoniques, des correspondances et des offices religieux. Plus sévère encore, la mise en cellule disciplinaire isole la personne détenue dans une cellule aménagée à cet effet (pauvreté du mobilier, cour aménagée …) et accentue encore l’isolement en limitant les appels téléphoniques à un seul par semaine. Par ailleurs le droit de visite est limité à une visite par semaine. Les isolements cellulaires peuvent durer jusqu’à trente jours pour les sanctions les plus graves.

Autre mesure d’isolement, avec l’extérieur cette fois, si l’acte sanctionnable a eu lieu au sein des parloirs, la personne privée de liberté peut se faire suspendre temporairement son droit de visite sans dispositif de séparation pendant quatre mois au maximum. Et même si cela ne fait pas partie de la sanction disciplinaire, si l’incident implique le visiteur celui-ci peut se faire retirer son permis de visite53. L’institution carcérale participe ainsi à accentuer l’isolement de la personne détenue par le biais des sanctions disciplinaires. Si ces sanctions ne sont pas systématiques, la menace correspond à un risque d’isolement et de dégradation potentielle des liens que peut entretenir le détenu. Les détenus sanctionnés prennent aussi le risque de subir des pénalisations qui viennent s’ajouter à la sanction disciplinaire. En effet, malgré les controverses que cela peut provoquer quant à la compatibilité avec le droit de la CESDH54, le principe non bis in idem n’interdit pas au juge judiciaire de prononcer une peine pénale parallèlement à la sanction disciplinaire55 si l’acte sanctionnable correspond à une infraction

52 La question des unités de vie familiale est développée dans le chapitre 2 de cette partie. Voir p. 26

53 Art. R57-8-15 al.4 du CPP

54 Voir pour exemple Fucini, Sébastien, « Principe non bis in idem et cumul de poursuites administratives et pénales pour les mêmes faits. Les nouveaux problèmes actuels de sciences criminelles », PUAM, 2014, pp.147- 176. Sont bien illustrés ici les paradoxes de l’application du principe non bis in idem dans l’arsenal répressif français par rapport aux exigences de la CEDH.

55 Voir pour exemple Cass.crim, 10 janvier 2017, n° 15-85519.

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18 pénalement répréhensible pouvant alors rallonger sa peine. A cela s’ajoute encore le risque pour la personne détenue sanctionnée de se voir retirer par le JAP ses crédits de réduction de peine56, de ne pas recevoir de remise de peine supplémentaire57 ou encore de se voir refuser de bénéficier de permissions de sorties58.

Par ailleurs, une personne détenue peut faire l’objet d’un changement d’affectation sans son consentement59. La survenance d’actes sanctionnables, comme une tentative d’évasion par exemple, peut permettre d’apprécier la nécessité de cette mesure. Des témoignages peuvent rapporter l’instrumentalisation de cette procédure à des fins disciplinaires60. Cette décision appartient au ministre la justice ou au directeur interrégional selon le les raisons de la condamnation et la durée de la peine. La décision doit être motivée, et si le transfert ne nécessite pas le consentement de l’intéressé, celui-ci doit pouvoir présenter autant que possible ses observations61 s’il n’y a pas d’urgence ou de risque de trouble à l’ordre public. Ce transfert peut avoir pour effet d’éloigner la personne détenue de sa famille, ou encore de dégrader ses conditions de détention en le privant de certains services, faute d’infrastructure dans le nouvel établissement. Par exemple, un transfert en maison d’arrêt peut potentiellement faire perdre à la personne détenue le bénéfice des UVF62. Il reste cependant possible d’exercer un recours pour excès de pouvoir auprès du tribunal administratif – notamment en cas de transfert d’un établissement pour peine vers une maison d’arrêt63 ou de transfert ayant des conséquences sur les droits fondamentaux64 comme un éloignement familial excessif. Il faut néanmoins nuancer ce propos, car le Conseil d’Etat a pu considérer qu’un éloignement à plus 800 kilomètres de la personne détenue ne rend « pas impossible » toute visite de la famille65 : l’appréciation du juge

56 Art. 721 al.2 et art. 721al.3 du CPP.

57 Article 721-1 du CPP

58 Article 723-3 du CPP : Les permissions de sorties sont appréciées par le JAP qui peut les conditionner à un bon comportement en détention

59 Art. D82 et suivants du CPP

60 Observatoire international des prisons section française « Des transferts para-disciplinaires privent de visites trois détenus martiniquais », oip.org, 30 décembre 2011. URL : https://oip.org/analyse/des-transferts-para- disciplinaires-privent-de-visites-trois-detenus-martiniquais/, consulté le 18 juin 2020.

61 Règle pénitentiaire européenne n°17.3.

62 Seules trois maisons d’arrêt disposent d’un UVF au 1er août 2019. Voir le chapitre 3 de cette partie, p. 39

63 CE, Ass. 14 déc. 2007, n° 290730 : « Eu égard à sa nature et à l'importance de ses effets sur la situation des détenus, une décision de changement d'affectation d'une maison centrale, établissement pour peines, à une maison d'arrêt constitue un acte administratif susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir et non une mesure d'ordre intérieur ».

64 Par principe une décision de transfert entre établissement de même nature (établissement pour peine) est une mesure d’ordre intérieur sous réserve que ne soient pas en cause les droits et libertés fondamentaux du détenu (CE, 3 juin 2009, n°310100).

65 CE, 27 mai 2009, n°322148 : Un transfert dans un établissement éloigné rendant plus difficile l’exercice du droit au maintien des liens familiaux est susceptible de porter atteinte aux droit fondamentaux du détenu et est donc susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – en l’espèce la décision transférant le détenu à 800

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19 dépend alors essentiellement des motifs du transfert. Un recours pour excès de pouvoir a pu être aussi admis dans le cadre d’un transfert affectant le droit d’association du détenu66. De même les rotations de sécurité se caractérisant par des changements fréquents d’affectation visant à prévenir les tentatives d’évasions sont aussi susceptible de recours pour excès de pouvoir67.

Ainsi une sanction disciplinaire suppose des conséquences pouvant impacter une peine sur le long terme avec des effets dommageable sur la création et le maintien des liens du détenu.

La sexualité de la personne détenue doit donc évoluer au gré de ces sanctions. Et lorsqu’elle est elle-même sanctionnable68, elle peut aboutir à une aggravation de la désocialisation de la personne incarcérée.

Cependant le pouvoir de surveillance et de coercition ne s’exprime pas seulement dans un objectif de répression du détenu : il donne à ce dernier le droit de bénéficier d’une protection de l’AP.

III/ Les obligations positives de protection découlant du pouvoir de contrainte du Service public pénitentiaire

Il ne s’agit pas d’effectuer une liste exhaustive des obligations et du droit à la santé des détenus, mais de mettre l’accent sur les grands devoirs de l’administration pénitentiaire en matière de protection des détenus. Les évolutions se profilant notamment depuis la seconde moitié du XXe siècle ont accompagné un changement progressif de paradigme de la perception des détenus qui ont conduit à la reconnaissance d’un statut juridique de la personne privée de liberté : celle-ci est vue comme disposant de droits fondamentaux, lesquels ont permis une reconnaissance de la protection de la personne détenue.

L’institution carcérale est vectrice de violence. Comme le précise Jean-Paul Céré, en plus de la dose de violence que produit l’enfermement en lui-même au regard de la privation de liberté, des conditions de vie et de l’humiliation qu’il engendre, il existe au sein des établissement « une violence individuelle »69. Cette violence individuelle est caractérisée par les actes de violences entre détenus, ou entre détenus et personnel pénitentiaire. Ainsi, comme

km ne rendant « pas impossible » toute visite familiale et étant motivée par la suspicion d’implication dans des préparatifs d’évasion, cette décision ne constitue pas une atteinte illégale aux droits fondamentaux.

66 TA Marseille, 27 janv. 2009, n° 0803333.

67 CE, 14 déc. 2007, n° 290730.

68 Ce point est abordé en détail dans le chapitre 3 de cette partie. Voir p. 39

69 Céré, Jean- Paul, La prison – Edition Dalloz, 2e éd., 2 mars 2016, p.126.

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20 corolaire du pouvoir de surveillance, le personnel hérite aussi d’un devoir de protection des personnes détenues. Le droit à la vie protégé l’article 2 de la CESDH ne limite pas les Etats à une obligation d’abstention d’atteinte, mais il leur donne une obligation positive de prendre les mesures nécessaires pour assurer ce droit en milieu carcéral, et cela encore plus pour les personnes vulnérables70. Cette obligation est néanmoins conditionnée à la connaissance et la prévisibilité du risque71. Il est cependant nécessaire de mettre en place les moyens minimums afin de prendre connaissance et de pouvoir mesurer la survenance des risques72. La loi pénitentiaire de 2009 concrétise cette obligation de protection : elle exige une protection effective de l’intégrité physique du détenu, en tout lieu de l’établissement73. Cette obligation de protection a par ailleurs permis de légitimer le développement de nouveaux moyens de vidéosurveillance74. L’Etat dispose même d’une responsabilité sans faute en cas de décès d’un détenu – décès du fait d’autres personnes ou du fait de l’administration pénitentiaire - ce qui va plus loin encore que la protection exigée par la CEDH75. Ainsi il s’agit pour l’administration de protéger la personne détenue en usant de la force de façon proportionnée, de protéger cette personne des autres détenus mais aussi d’elle-même.

Cette obligation de protection passe aussi par un accès au soin, la loi pénitentiaire de 2009 garantissant une prise en charge continue et de qualité équivalente à la population civile.

Cette protection prend aussi en compte l’état psychologique et vise à prévenir les affections de ce type76. Pour se faire il s’agit pour l’Etat d’assurer à la personne détenue un accès à toute sortes de spécialiste médical en adéquation avec son état de santé. La France a pu être condamnée sur ce point77. Par ailleurs, des actions préventives sont supposées être effectuées en plus de la réalisation de diagnostics et de soins. Elles passent par des dépistages de certaines maladies comme la tuberculose, le VIH et autre IST78, mais aussi par la mise en place de moyens d’éducation et de sensibilisation relativement à des maladies transmissibles79. Enfin si les

70 CEDH 1er juin 2010, Jasinska c/ Pologne, req. no 28326/05 : en l’espèce absence de prévention de suicide de personne souffrant de troubles mentaux).

71 CEDH 8 oct. 2015, Sellal c/ France, req. n° 32432/13

72 CEDH 4 févr. 2016, Issenc c/ France, req. no 58828/13 : En l’espèce relatif absence de preuve d’un rendez-vous médical constituant un manque à l’obligation positive découlant de l’article 2 CESDH.

73 Art. 44al.1 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire.

74 Art. 58 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire : « Des caméras de surveillance peuvent être installées dans les espaces collectifs présentant un risque d'atteinte à l'intégrité physique des personnes […] ».

75 Art. 44 al.2 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire.

76 Art. 46 al.1, 2, 4 et 5 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire.

77 CEDH 19 févr. 2015, Kelhal c/ France, req n° 10401/12 : Condamnation pour violation de l’article 3 CESDH (torture et traitement inhumain et dégradant) du fait de l’absence de soin de rééducation (kinésithérapie) d’un détenu paraplégique.

78 art. D. 384-1 et suivant du CPP

79 Art. D. 384 du CPP

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21 services médico-psychologiques ne sont pas disponibles dans tous les établissements, le suivi est assuré à minima par le secteur psychiatrique de l’hôpital ayant signé une convention avec l’établissement pénitentiaire intervenant. De manière générale, les soins de santé en détention doivent répondre à des exigences d’effectivité, de transparence et d’adéquation avec l’état de santé global du bénéficiaire80.

On a pu voir ainsi que les obligations de protection de l’AP s’étendent sur la totalité des facettes de l’individu. Ce dernier dispose néanmoins d’un droit à la protection de son intégrité physique, à la prévention et au soin des blessures et troubles physiques et psychologique qui peuvent subvenir en détention. Cette protection est assurée par les autorités pénitentiaires, que ce soit directement ou avec le concours des professionnels de santé. Cela a son importance dans le cadre de la sexualité en détention au regard des implications que cela peut avoir, tant d’un point de vue physiologique que psychologique.

Ce premier chapitre a pu permettre une approche des prérogatives ayant trait à la sécurité au sein des établissements pénitentiaires avec lesquels les détenus doivent composer. S’ils sont surveillés et sanctionnables, ils disposent cependant de droits ayant principalement trait à la défense ainsi qu’à la protection de la santé et de l’intégrité physique. Cela permet d’esquisser un contexte global de l’institution carcérale au sein de laquelle la sexualité en détention a vocation à évoluer. Cependant la sexualité est souvent, à défaut de l’être constamment, associée à des pratiques ayant trait à des relations interpersonnelles. Aussi s’agit-il d’étudier l’état du droit relatif aux liens sociaux dont peuvent bénéficier les personnes détenues.

80 CEDH 9 janv. 2014, Budanov c/ Russie, req. no 66583/11

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22

C

HAPITRE

2 - U

NE SEXUALITE EN DETENTION CONDITIONNEE AUX LIENS

:

LA PERSONNE DETENUE ENTRE ISOLEMENT SOCIAL ET ABSENCE D

INTIMITE

Les liens en détention comprennent en premier lieux les liens familiaux qui raccrochent la personne détenue à l’extérieur. Ils lui permettent de prévenir un risque de désocialisation et favorisent une meilleure réinsertion sociale. Plusieurs procédures sont prévues afin de maintenir ces liens (I). Outre la famille, les liens sociaux des détenus restent restreints et cela du fait du statut de la personne incarcérée (II). Cependant si la personne détenue peut sembler isolée, elle est loin d’être seule, notamment au regard des problématiques de surpopulation et de l’encellulement individuel. Ainsi, si les liens sont compliqués à créer, l’absence de l’autre est tout aussi difficile à obtenir (III).

I/ Des outils de maintien des liens familiaux ouvrant la voie à une potentielle sexualité en détention.

Les différentes procédures de rencontre de la famille ouvrent des brèches vers une sexualité souvent précaire. Ainsi du parloir classique qui permet à la personne détenue de rencontrer sa famille sous le regard de l’AP (A). Plus récemment les Unités de vie familiale (UVF) se sont imposées comme un mode de visite alternatif : les UVF constituent le seul lieu d’intimité en détention qui échappe à la surveillance constante du personnel pénitentiaire (B).

Plus rarement, les personnes détenues peuvent être autorisées à sortir de l’établissement pénitentiaire : c’est le seul moyen d’accès à la famille en dehors du cadre carcéral (C). Il s’agit néanmoins de nuancer ces modes de rencontre car ils restent conditionnés à la possibilité matérielle de la visite et donc à l’accessibilité de l’établissement pénitentiaire (D).

A/ L’accès à une rencontre sans intimité : une sexualité au parloir sans dignité.

La réforme Amor de 1945 fait apparaître les objectifs d’amendement et de reclassement social des détenus posant la première pierre d’une évolution des principes de la politique pénitentiaire vers un nouveau paradigme de la détention qui devrait permettre la réinsertion sociale. L’article premier de loi du 22 juin 198781 inscrit cette mission de réinsertion du service public pénitentiaire dans la loi. Rapidement, une prise de conscience du rôle des liens familiaux

81 Loi n° 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire.

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23 dans les objectifs de réinsertion et dans la prévention de la récidive se fait jour. Des évolutions de la politique familiale en détention émergent peu à peu. Ils sont notamment liés au mouvement d’ouverture des établissements pénitentiaires sous l’impulsion de Robert Badinter, à la suite des révoltes dans les prisons dans les années 1970 et l’influence intellectuelle de mouvements comme le GIP que nous avons évoqués en introduction. La gauche de Mitterrand-Badinter, en arrivant au pouvoir au début des années 1980 acte la fin des Quartiers de Hautes sécurité (QHS) en 198282, la suppression des séparations physiques dans les parloirs en 1983 et elle ouvre l’accès à la télévision en détention en 1985. Ces nouvelles politiques « d’humanisation »83 de la détention permettent alors un contact plus étroit entre les détenus et l’extérieur. La nécessité de concrétiser le maintien de ces liens apparaît d’autant plus urgente que la CEDH rend plusieurs décisions rappelant les obligations des Etats-parties en matière de respect des liens familiaux découlant de l’article 8 de la Convention. Ainsi les Etats ne doivent pas seulement s’abstenir d’ingérence dans le maintien des liens familiaux, mais ils disposent aussi d’obligations positives d’un respect effectif de la vie familiale84. Au regard des restrictions à la vie privée et familiale que la détention entraîne de fait, l'État a donc une obligation d’aide au maintien des liens familiaux85. Par ailleurs la révision des règles pénitentiaires européennes en 1987 accentue les évolutions dans cette perspective.

Le droit au maintien des liens familiaux est consacré par la loi86. Ainsi le premier moyen de maintien de ces liens accessible à une majorité de la population pénale est constitué par les parloirs classiques. Seuls certaines - et rares - catégories de détenus dont la situation pénale ne l’autorise pas ne bénéficient pas de ce droit. La personne détenue dispose d’un droit de visite après autorisation, par le chef d’établissement dans le cas des détenus condamnés87, et par l’autorité judiciaire pour les prévenus88. Plus précisément, les détenus condamnés disposent d’un droit à un parloir par semaine au minimum, les prévenus en disposent de trois89. Enfin, comme on a pu le voir dans le chapitre précédent, les détenus en cellule d’isolement conservent ces droits et ceux en cellule disciplinaire disposent d’une visite par semaine. Suivant la

82 Circulaire du 26 février 1982. Les QHS sont parfois transformés en quartiers d’isolement au régime moins pénible.

83 Terme utilisé dans le rapport de la commission d’enquête du sénat n°449 du 29 juin 2000 relatif aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France.

84 CEDH, 13 juin 1979, Marckx c. Belgique, n°6833/74

85 Commission EDH, 8 octobre 1980. A c. Royaume-Uni, n°9054/80. Commission EDH, 12 mars 1990, Ouinas c.

France, n°13756/88.

86 Art. 35 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire

87 Art. R57-8-10 al.1 du CPP

88 Art. R57-8-8 al. 1 du CPP

89 Art. 35 al.1 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire

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