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I/ La circonscription de la sexualité carcérale à la famille par les UVF vectrice d’inégalités d’accès à une sexualité en détention

Dans le document Du droit à une sexualité en détention (Page 39-43)

La mise en place des UVF a facilité un certain un retour à une forme de normalité en lien avec la vie familiale ainsi qu’un retour à une sexualité dans le cadre de la vie conjugale.

C’est un réel progrès. Alors que les femmes détenues subissent beaucoup plus l’abandon de leur famille à la suite de leur incarcération, les unités ont par exemple permis un retour de nombre de conjoints pour visiter leur épouse dans les prisons pour femmes155.

Il s’agit néanmoins de nuancer ce succès, l’accès à un UVF restant une chimère pour une majorité de détenus. Ainsi, sur les 186 établissements pénitentiaires en France, 52 seulement étaient équipés d’UVF en août 2019. De même pour les parloirs familiaux, seuls 33 établissements en étaient équipés - dont 27 également équipés d’UVF156. Il faut donc considérer que seuls 58 établissements sont équipés d’un mode de visite alternatif au parloir classique.

L’absence d’investissement est particulièrement flagrante en maison d’arrêt. Outre les quartiers maison d’arrêt compris dans les centres pénitentiaires, on ne compte en août 2019 que trois maisons d’arrêt (Rodez, Draguignan et Majicavo) sur 81 équipées d’UVF. Il serait possible

155 Rambourg, C. op.cit. p.13

156 Chiffre du ministère de la justice, disponibles sur justice.gouv.fr

39 d’objecter que les maisons d’arrêt étant des établissements pour prévenus ou pour de courtes peines, l’intérêt d’y installer de telles unités pourrait être négligeable. C’est oublier que la majorité de la population de détenus (68,3%) est incarcéré dans les quartiers ou maisons d’arrêt et que ces établissements sont les plus surpeuplés avec un taux moyen d’occupation de 138%

au premier janvier 2020. Par ailleurs, il s’agit de se rappeler que la loi pénitentiaire de 2009 dispose que ces UVF et parloirs familiaux sont destinés à accueillir « toute personne détenue » (seule nuance, les prévenus doivent recevoir l’accord de l’autorité judiciaire). De plus, l’accès à l’UVF n’est pas conditionné à un délai de séjour minimum au sein de l’établissement157. Précisons aussi que cette absence d’UVF dans les maisons d’arrêt n’est pas compensée par les parloirs familiaux : les deux seules maisons d’arrêts équipées de parloirs familiaux disposent aussi d’UVF. Enfin, les personnes prévenues ne peuvent bénéficier de permissions de sorties, ce qui aurait pu compenser partiellement la problématique. Une forme de paradoxe s’affirme ainsi : les personnes présumées innocentes158 ne peuvent pas bénéficier du maintien de leurs liens familiaux. De plus, comme le fait remarquer Myriam Joël159, si l’objectif est la préservation des liens familiaux, ces liens sont d’autant plus fragiles en début d’incarcération.

Dès lors il serait cohérent de travailler davantage sur les nécessités de préservation des liens à ce stade160 afin d’éviter les ruptures brutales et les processus de désaffiliation qu’évoque Robert Castel dans ses études sur la précarité sociale. Rappelons que ces nécessités sont reconnues par la loi, les prévenus bénéficiant d’un minimum de trois visites par semaine161 en parloir classique (contre une seule pour les détenus condamnés). Mais il faut aussi souligner qu’au-delà des détenus en maison d’arrêt, c’est une grande partie de la population pénale qui ne peut bénéficier des UVF faute d’équipement.

Par ailleurs, la plupart des établissements équipés disposent en moyenne de 3 ou 4 unités. Si la trimestrialité des visites semble respectée, elle reste toutefois perçue comme insuffisante162 pour préserver le lien affectif. Il s’agit toutefois de nuancer ce propos : certains établissements - notamment les maisons centrales, au regard du nombre de détenus, mais aussi

157 Circulaire UVF de 2009, op.cit., reprise dans la note de la DAP de 2014, op.cit.

158 Art. 9 DDHC, 1789. Art. préliminaire, III, du CPP

159 Joël, Myriam. « Chapitre 4. Dehors-dedans-dehors », La sexualité en prison de femmes, Presses de Sciences Po, 2017, pp. 87-122.

160 20% des unions sont rompues durant la première année d’incarcération (Cassan F. et Mary-Portas F.-L., 2002,

« Précocité et instabilité familiale des hommes détenus », Insee Première, 828.) Cité par Myriam Joël, ibid.

161 Art.35 de la loi pénitentiaire de 2009, op.cit.

162 Lesage de La Haye, Jacques, entretien « De la frustration sexuelle à l’incapacité à se réinsérer », propos recueillis par Laure Anelli, oip.org. 27 janv. 2016. URL : https://oip.org/analyse/de-la-frustration-sexuelle-a-lincapacite-a-se-reinserer/, consulté le 18 juin 2020.

40 du fait de l’isolement d’une partie de ceux-ci qui ne reçoivent pas de visite - peuvent faire bénéficier à certains détenus plusieurs visites par mois163.

L’UVF a aussi un coût. Dans un objectif de responsabilisation du détenu, celui-ci doit prendre en charge les dépenses liées aux repas de ses visiteurs. Cette obligation de prévoyance a pour objectif de responsabiliser les détenus, et certains considèrent cela comme un signe de reconnaissance et de valorisation164 - une forme de sortie de la minorité au sens kantien du terme. Reste que ces coûts entraînent aussi des difficultés d’accès pour les personnes disposant de peu de revenus. Se pose ici la question de l’accès à l’emploi des détenus et leur salaire. Ceux-ci sont rémunérés à hauteur de 20% à 45% du SMIC165 lorsque la loi est respectée166, sommes sur lesquelles sont imputés l’indemnisation versée aux parties civiles ainsi que le pécule de libération. Il devient difficile pour un détenu touchant 237€ par mois167 (hors imputation de l’administration) d’assumer un UVF pour trois personnes. Certains témoignages rapportent ainsi qu’il est nécessaire de disposer de 70€ pour 24 heures d’UVF pour deux168. Se pose aussi la question des détenus indigents. S’il semble qu’il est prévu une aide pour les détenus sans ressources dans le cadre des UVF169,, des témoignages rapportent des difficultés quant à l’accès à ce service, obligeant des détenus à emprunter et perdre par la même occasion leurs aides170.

Le bénéfice de l’UVF reste conditionné à une décision de la direction pénitentiaire. Il s’agit pour la direction en coordination avec le SPIP d’instruire, lors d’une commission, du bienfondé de la demande. Les unités étant réservées au cercle proche du détenu, l’objectif de l’instruction est d’évaluer les risques pour la sécurité et de s’assurer des liens qui unissent le visiteur et le bénéficiaire171. Précisons qu’aucun type de lien ne semble faire l’objet d’une réponse préétablie, la direction ayant pu refuser des visites à des personnes ayant des liens juridiques établis, ou encore accepter des visites entres personnes sans liens juridiques172. Il

163 Observatoire international des prisons, section française, « Dans l’intimité des unités de vie familiale », oip.org, 23 déc. 2015. URL : https://oip.org/analyse/dans-lintimite-des-unites-de-vie-familiale/, consulté le 18 juin 2020.

164 Rambourg, C. op.cit. p 53

165 Art. D432-1 du CPP

166 Observatoire international des prisons – section française, « Salaire en prison : l’Etat hors la loi », Dedans-Dehors, n°98, janvier 2018

167 20% du SMIC mensuel net pour 35h de travail, valeur au premier janvier 2020.

168 Piquemal Marie op.cit.

169 Circulaire du 17 mai 2013 relative à la lutte contre la pauvreté en détention, II,6.

170 Chereul, Anne « Au cœur des parloirs des parloirs intimes », oip.org, 2 janv. 2016. URL : https://oip.org/analyse/au-coeur-des-parloirs-intimes/, consulté le 18 juin 2020.

171 Note du 4 décembre 2014 relative aux modalités d’accès et de fonctionnement des unités de vie familiale et des parloirs familiaux

172 Rambourg, C. op.cit. p.15

41 s’agit cependant pour les détenus et visiteurs de montrer pattes blanches et de se justifier sur la qualité de leurs relations. S’installe alors une forme de négociation avec l’administration pénitentiaire qui semble limiter la volonté de responsabiliser.

Par ailleurs, l’existence d’antécédents disciplinaires ne peut constituer à elle seule un critère de refus173. Le flou de cette disposition peut amener à une application scrupuleuse par la direction pénitentiaire, refusant de multiplier les sanctions174, mais elle laisse une interprétation relativement libre - bien que devant être motivée - des conditions d’accès aux UVF. Certes le refus de la demande n’est pas une sanction disponible pour les procédures disciplinaires, mais la décision de la direction pénitentiaire reste conditionnée par la docilité du détenu175, ce qui peut entraîner des variations dans le bénéfice du droit, d’un établissement à l’autre, ou au sein d’un même établissement en fonction des modes de gouvernance176. Il faut ajouter que certaines populations de détenus font l’objet d’une exclusion d’office du bénéfice des UVF : ainsi des détenus pour affaires de mœurs qui font l’objet d’une investigation et d’une surveillance plus poussée, ou encore les détenus isolés et sans attaches.

Force est ainsi de constater que si les UVF améliorent grandement le quotidien de certains détenus, cette réforme n’a pas su - mais en avait-elle la vocation ? - appréhender la multiplicité des expériences carcérales. Que ce soit au regard des statuts des détenus et des peines auxquelles ils sont condamnés dans différents types d’établissements pénitentiaires, ou au regard des différences individuelles (âge, sexe, origine…), affectives (détenu isolé, relations avec d’autre détenus…) ou encore sociales (statuts sociaux, ressources…). Ainsi de grandes inégalités persistent dans l’exercice du droit à la vie familiale, l’accès aux UVF restant encore minoritaire comme nous l’avons vu.

Mais une autre dimension nous apparaît essentielle et d’une importance fondamentale pour le propos de ce mémoire : dès lors que les UVF ont été admises et autorisées, la question de la sexualité en détention - posée dans les années 1970 par les mouvements comme le GIP et reprise à la suite de l’épidémie de SIDA - a été évacuée du débat public. La loi de 2009 n’évoque d’ailleurs même pas le sujet, et ce n’est qu’en 2014 qu’une note de la direction de

173 Circulaire de la DAP du 26 mars 2009 relative aux unités de vie familiale (UVF)

174 Rambourg, C. op. cit. p.18

175 Lancelevée, Camille. « Une sexualité à l'étroit. Les unités de visite familiale et la réorganisation carcérale de l'intime », Sociétés contemporaines, vol. 83, no. 3, 2011, pp. 107-130.

176 Cambon Laurence, Le travail d’encadrement dans les établissements pénitentiaires : l’intelligence de la règle.

Thèse de sociologie sous la direction de Gilbert de Terssac, Université de Toulouse 2, 2003.

42 l’administration pénitentiaire mentionne la mise à disposition de préservatifs177. De fait, la focalisation sur les UVF a d’une certaine manière178 permis de recouvrir la question de la sexualité en prison par celles des liens familiaux et des objectifs de réinsertion. On relève d’ailleurs dans les textes l’emphase sur l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre du maintien des liens179 comme l’écrit Camille Lancelevée : « L’attention se porte maintenant non plus sur les hommes détenus castrés, mais sur ces mères esseulées et sur leurs enfants abandonnés »180. Circonscrire ainsi la sexualité à la famille revient à nier une grande partie de la problématique de la sexualité en prison : le système carcéral encourage ainsi la marginalisation de ceux qui n’entrent pas dans une sexualité normalisée se voulant “moralement” acceptable. La réforme pour les UVF n’aurait donc pas permis de réelles avancées sur la question de la sexualité en détention, d’autant plus qu’elle reste une mesure dont l’application demeure marginale. En revanche, elle aurait permis de clore le débat tout en laissant le spectre des pratiques de la sexualité en détention réduit au secret et à la honte.

Ainsi, de cette double défaillance de reconnaissance d’un droit à une sexualité en détention découle une applicabilité du Code de procédure pénale, à tous les actes ne se déroulant pas en UVF.

II/ L’absence d’interdiction de principe a une sexualité en détention couvrant

Dans le document Du droit à une sexualité en détention (Page 39-43)