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Un fonctionnement cognitif atypique : atteinte sélective de méca-

3.4 Des comportements socio-adaptatifs limités pour un fonctionnement socio-

3.4.2 Un fonctionnement cognitif atypique : atteinte sélective de méca-

Différentes hypothèses ont été avancées pour expliquer le fonctionnement atypique des enfants avec TSA en termes d’adaptation du comportement. Parmi elles, 3 grandes théories ont été proposées et développées simultanément aux Etats-Unis, tandis qu’une quatrième a fait son apparition au Canada comme une alternative dans le champ de la recherche sur les bases neurocognitives des TSA.

L’hypothèse du déficit de cohérence centrale

Cette hypothèse, présentée par Happé et Frith en 1989 puis développée par la suite (e.g., [van Lang et al.,2006]), repose sur une « hyper-sélectivité des stimuli » [Frith,1989]. Les enfants avec TSA présentent une attention bien plus sélective que leurs pairs neuro-typiques. Ou plus exactement, dirigée vers les informations locales et non globales, résultant d’une potentielle « cohérence centrale faible ». Dans leur papier de 1994, les deux auteurs rapportent un déséquilibre spécifique dans l’intégration des informations [Frith et Happé, 1994]. En effet, même si les capacités perceptives et cognitives sont bonnes (e.g., sur le test des figures imbriquées), ces enfants présentent une approche fragmentée de l’information au détriment d’une information globale [Happé et Frith,2006]. L’hypothèse de cohérence centrale faible est toujours investiguée à l’heure actuelle, bien qu’une large place soit désormais faite plutôt à l’étude des difficultés exécutives des enfants avec TSA.

L’hypothèse dys-exécutive

Certains auteurs [Ozonoff et al.,1991] ont mis en avant des déficits dans les fonctions exécutives chez les enfants avec TSA. Les Fonctions Exécutives (FE) désignent un ensemble de processus cognitifs de haut niveau permettant à un individu d’adapter son comporte-ment en fonction d’un but à atteindre [Miyake et al.,2000]. Elles rassemblent notamment les processus attentionnels, de flexibilité, de planification et d’inhibition. Comme dans la théorie de cohérence centrale faible, les troubles élémentaires de l’attention [Leekam et al.,

2000] ainsi que des déficits d’attention conjointe [Dawson et al.,2004] ont été rapportés. De plus, les auteurs ont également mis en évidence des défauts de flexibilité cognitive [Ozonoff et McEvoy,1994;Didden et al.,2008;Peters-Scheffer et al.,2013b] ainsi que des défauts de planification [Hughes et al.,1994;Corbett et al.,2009] et d’inhibition [Corbett et al.,2009]. Cependant, dans une revue de la littérature, Geurts et al. ne rapportent pas de déficits de flexibilité comportementale dans la vie quotidienne des enfants avec TSA, et proposent d’utiliser plutôt des mesures écologiques pour « résoudre le paradoxe entre inflexibilité cognitive et flexibilité comportementale [Geurts et al.,2009]. Si ces études rapportent des déficits globaux des FE chez les enfants avec TSA, elles ne rendent pas que partiellement compte des difficultés de ces enfants dans le domaine de la cognition sociale, qui relève de l’interaction avec ses pairs.

L’hypothèse du déficit de Théorie de l’Esprit (ToM)

La Théorie de l’Esprit (ou Theory-of-Mind, ToM, en anglais) rassemble les processus cognitifs qui permettent l’identification et la mentalisation des états mentaux de soi et d’autrui (pour revue : [Baron-Cohen,2001]). La ToM s’articulerait autour de deux niveaux : 1) la mentalisation des émotions de soi et 2) la mentalisation des émotions d’autrui. Des études ont mis en évidence les difficultés des enfants avec TSA dans le premier niveau de la ToM, relative à l’identification de leurs propres états mentaux [Heerey et al.,2003]. Ces difficultés ont été rapprochées de leurs faibles capacités de régulation émotionnelle [Rieffe

et al.,2011;Moriguchi et al.,2006;Konstantareas et Stewart,2006]. De nombreuses études ont également mis en évidence les difficultés des enfants avec TSA dans le deuxième niveau, notamment dans les tâches d’identification des émotions faciales d’autrui (pour revue : [Baron-Cohen,2001;Harms et al.,2010]). Ces difficultés ont été rapportées aussi bien pour des stimuli visuels statiques [Xavier et al.,2015;Enticott et al.,2014], dynamiques [Evers

et al.,2015;Enticott et al.,2014;Tardif et al.,2007], qu’auditifs [Hesling et al.,2010]. Du reste, les difficultés semblent concerner également l’attribution d’intentions [Kampe et al.,2003; Mathersul et al.,2013]. Cependant, ces mécanismes de haut niveau semblent être préservés chez les enfants avec TSA ne présentant pas de déficiences intellectuelles comparées à leur pairs neuro-typiques [Berger et Ingersoll,2014;McAleer et al.,2011;Philpott et al.,2013].

L’hypothèse du déficit de ToM a sûrement été la plus investiguée pour rendre compte des difficultés des enfants avec TSA. Certains auteurs ont mis en avant les liens entre méca-nismes de ToM et fonctions exécutives, et notamment les capacités d’inhibition [Ozonoff

et al.,1991;Bishop,1993;Müller et al.,2012]. En effet, les tâches évaluant certains pro-cessus de ToM mettent en jeu ces capacités. C’est par exemple le cas du Test des Fausses Croyances2(ou test de Sally-Ann, [Frith,1996]). L’enfant doit inhiber sa propre

connais-2. Dans le test des fausses croyances, une série d’images est présentée à l’enfant, décrivant deux filles dans une pièce, chacune devant une boite. Sally dépose une balle dans sa boite puis sort de la pièce. Ann sort la balle de la boite de Sally et la place dans la sienne, puis Sally revient dans la pièce. L’enfant doit alors désigner la boite dans laquelle Sally va chercher la balle.

3.4. DES COMPORTEMENTS SOCIO-ADAPTATIFS LIMITÉS POUR UN

FONCTIONNEMENT SOCIOCOGNITIF ATYPIQUE 53

sance de l’emplacement de l’objet en premier lui afin de pouvoir répondre correctement par la suite. De la même manière, les mécanismes nativement exécutifs d’auto-régulation et d’auto-gestion des comportements et notamment émotionnels sont étroitement liés aux mécanismes de mentalisation de soi [Vickerstaff et al.,2007]. Ainsi, ces deux hypothèses semblent inter-reliées dans les processus cognitifs mis en jeu [Perner et Lang,1999].

Afin d’expliquer les liens ou l’interdépendance observés entre les mesures de ToM et des FE, des auteurs se penchent sur l’étude de mécanismes de plus bas niveau communs aux mesures de ToM ou FE, tels que la perception ou la motricité. Plus précisément, ces mécanismes ont été présentés comme pouvant être significativement ralentis chez les enfants avec TSA par rapport à celui de leurs pairs neuro-typiques (motricité : [Schmitz

et al.,2003] ; perception : [Gepner et al.,2001]). Aussi, des hyper- et hypo-sensorialités ont été largement mises en évidence à travers la littérature [Ausderau et al.,2014]. Les études rapportent une motricité déficitaire chez les enfants avec TSA, révélée notamment par des hypotonies (déficit du tonus musculaire), des dyspraxies ainsi qu’une motricité fine entravée [Ming et al.,2007;Lloyd et al.,2013]. Ces déficits ont été rapportés comme équivalents avec ceux d’un groupe d’enfants présentant un retard de développement [Provost et al.,2007]. Pour mettre en évidence les liens entre déficits moteurs et difficultés dans les interactions sociales, une étude rapporte des corrélations entre une faible performance motrice au niveau des mains et une réponse sociale déficitaire [Hirata et al.,2014]. Récemment, une revue de la littérature présente les connaissances actuelles, faisant état de déficits dans le ton de la voix (dû à des hypotonies), dans le contrôle postural, la marche ainsi que la motricité fine et la dextérité manuelle [Paquet et al.,2015].

L’hypothèse du fonctionnement perceptif augmenté

D’autres auteurs, plutôt que de présenter des déficits perceptifs, avancent une hypothèse d’un fonctionnement perceptif augmenté chez les enfants avec TSA. C’est l’hypothèse avancée par Mottron et Burack en 2001 [Mottron et Burack,2001]. Ce modèle a été proposé comme une alternative au modèle de la cohérence centrale faible qui prévalait à cette époque. Il tente de rendre compte des performances supérieures de ces enfants par rapport à leurs pairs neuro-typiques à la fois dans la modalité visuelle et auditive, et ce dans des domaines spécifiques [Mottron et Burack,2001]. Ces domaines incluent notamment des performances supérieures dans des tâches cognitives dites de bas niveau, une grande implication atypique de la perception dans des tâches cognitives de haut niveau, ainsi que la centralité des comportements liés à la perception dans les situations de vie quotidienne.

Les auteurs proposent en 2006 une mise à jour de leur modèle à travers 8 principes du fonctionnement perceptif des enfants avec TSA [Mottron et al.,2006]. Le premier principe (1) rend compte de l’orientation locale du traitement de l’information visuelle dans les TSA, classiquement mis en évidence au travers de deux types de tâches : les tâches hiérar-chiques de longue exposition et de courte exposition. Le deuxième principe (2) traite de la performance dans les tâches perceptuelles de bas niveau : elle est inversement reliée à

l’augmentation du gradient de la complexité neuronale. En effet, une hypo-connectivité globale résulterait en hyper-connectivités localisées, notamment entre des régions proches, fortement impliquées dans la perception de bas niveau. Le troisième principe (3) statue que les comportements atypiques précoces envers les inputs perceptuels ont une fonction de régulation. En particulier, les regards latéraux envers les objets seraient une tentative de réduire la quantité d’information excessive. Le quatrième principe (4) énonce que les primas perceptifs et les régions cérébrales associatives sont activées de façon atypique durant les tâches sociales et non-sociales. Il a été démontré que pour un niveau de per-formance typique, le fonctionnement autistique présente des activations supérieures des régions visuo-perceptuelles (occipitales ou occipito-temporales) en association avec une diminution de l’activation des régions dédiées au traitement de plus haut niveau (frontale) ou de l’information sociale (aire des visages fusiformes). Le cinquième principe (5) relate un traitement d’information d’un ordre supérieur optionnel dans le fonctionnement autistique alors qu’il est obligatoire dans le fonctionnement neuro-typique. Des auteurs suggèrent en effet que le fonctionnement autistique a accès à des représentations différentes en fonction des indices induits par la question. Les individus avec TSA répondront différemment et avec succès aux questions « Quelle ligne semble la plus longue ? » et « Quelle ligne est la plus longue ? » : ces représentations pourront alors être respectivement psychologiquement déformées ou physiquement exactes. Le sixième principe (6) statue qu’une expertise percep-tuelle sous-tend un syndrome savant (i.e., compétences extraordinaires dans les dessins 3-D, la détection de nombres premiers, calcul mental, mémoire musicale, etc.). Ces aptitudes spéciales se baseraient sur un développement bottom-up plutôt qu’un choix top-down du domaine d’application. Elles impliqueraient des domaines d’information, substitueraient l’auto-récompense à la récompense sociale, feraient un usage différent de la perception et de la mémoire, et se baseraient sur une extraction des règles implicites plutôt que sur un ap-prentissage explicite. Le septième principe (7) déclare qu’un syndrome savant est un modèle pour subdiviser les Troubles Envahissants du Développement (i.e., tels que décrits dans la précédente version du DSM). Une première division sépare classiquement le Syndrome d’As-perger (présentant un usage précoce de la parole, des habiletés visuo-spatiales ordinaires et des maladresses motrices) à des individus aux capacités visuo-spatiales supérieures et à utilisation tardive ou inexistante de la parole. Cette dernière catégorie autistique dissocie donc les individus à expertises exceptionnelles dans certains domaines, et les autres. Enfin, le huitième et dernier principe (8) conclue qu’un fonctionnement augmenté des régions cérébrales perceptuelles primaires pourrait rendre compte des originalités perceptuelles dans le fonctionnement autistique.

L’ensemble de ces différentes hypothèses cherche à rendre compte des difficultés adap-tatives constatées chez enfants avec TSA, notamment dans le domaine de la communication et des interactions sociales, par l’étude des processus cognitifs supposés sous-tendre ces comportements. Le fonctionnement atypique des enfants avec TSA représente un frein à leur participation sociale. Il apparaît ainsi nécessaire de développer des prises en charge et de les adapter au fonctionnement particulier de ces enfants.

CHAPITRE

4

Prise en Charge des Enfants TSA

La variété des profils cognitifs au sein des enfants avec TSA requiert des prises en charge individuelles et des assistances individualisées pour surmonter les barrières de leur participation sociale, qui sont malheureusement largement renforcées par les attentes normalisées des environnements de vie quotidienne, comme l’environnement scolaire [Van Hees et al.,2015]. Compte tenu de leur fonctionnement sociocognitif particulier, deux grands types d’interventions cognitives sont pratiqués auprès des enfants avec TSA. Les premières, rassemblées sous le terme de Thérapies Cognitivo-Comportementales (CBT1), sont orientées sur les capacités de l’enfant et se concentrent sur le renforcement des comportements adaptés [Ospina et al.,2008]. Les secondes désignent les thérapies orientées plutôt vers les processus cognitifs qui sous-tendent les performances dans les tâches ( e.g., [Tanaka et al.,2010]). En l’absence d’une appellation homogène dans la littérature, ces dernières seront désignées par le terme d’Interventions de Remédiation Cognitive (CRI en anglais) dans ce document. Ces deux types d’intervention ne sont pas orthogonaux, mais adressent plutôt des composants cognitifs inter-reliés dans un ensemble intégré. Ils devraient donc idéalement être utilisés ensemble dans des interventions multidimensionnelles [Stichter et al.,2012].

Sommaire

4.1 Les Thérapies Cognitivo-Comportementales (CBT) : des interventions globales. . . 56 4.2 Interventions spécialisées . . . 58 4.3 Milieu Scolaire . . . 62

1. En français TCC. L’acronyme CBT provient du terme anglais Cognitive Behavioral Therapy, largement usité dans la littérature anglophone.

4.1 Les Thérapies Cognitivo-Comportementales (CBT) :

des interventions globales

Les CBT impliquent généralement de multiples composants et incorporent des éléments intermédiaires (compétences connexes) sensés permettre la réalisation du but visé. Par exemple, dans une intervention aillant pour but d’améliorer les compétences sociales, la CBT pourra adresser à la fois des compétences intermédiaires (e.g., identification émo-tionnelle, connaissance des protocoles sociaux, etc.) sensées sous-tendre les compétences sociales et enseigner directement les comportements attendus. Les CBT ont été très large-ment utilisées auprès des enfants avec TSA, et ce dès le plus jeune âge (i.e., avant 4 ans) (pour revue : [Ospina et al.,2008;Ho et al.,2015]. Leur mise en œuvre repose sur une équipe pluridisciplinaire formée, en coopération étroite avec les parents. C’est pourquoi on parle d’approches globales.

4.1.1 Des prises en charge précoces et intensives

Parmi les CBT, l’Adaptive Behavior Analysis (ABA) est certainement la plus répandue et utilisée auprès des enfants avec TSA [Reichow,2012]. Apparue dans les années 60, l’ABA, comme la thérapie Lovaas qui en découle [Lovaas, 1987], repose sur des principes de prise en charge globale adressant l’ensemble des comportements socio-adaptatifs : de la communication aux compétences scolaires en passant par les loisirs et les interactions sociales. Basée sur un entrainement intensif et répétitif (25 à 40 heures par semaine), elle consiste en séances de travail thérapeute/patient qui adressent une compétence spécifique à la fois. Les apprentissages sont renforcés par l’utilisation systématique de récompenses, le plus généralement sous la forme d’images ou de jetons. La mise en place précoce et intensive des CBT auprès des enfants avec TSA est désignée sous le terme de Early Intensive Behavioral Interventions (EIBI) dans la littérature. Les résultats des EIBI ont été étudiés dans la revue de 5 méta-analyses parues entre 2009 et 2010 [Reichow,2012]. Ces méta-analyses, qui rapportent des améliorations à la fois dans le fonctionnement intellectuel et dans l’adaptation des comportements des enfants avec TSA, respectent les standards de preuves empiriques les plus élevés [Reichow,2012]. Ainsi, le modèle de prise en charge globale des EIBI rassemble la plus large collection de données empiriques, étayant sa pertinence pour les enfants avec TSA d’un point de vue clinique [Reichow,2012].

Cet ensemble de thérapies est parfois décrié, pouvant aller jusqu’à être considéré par certains comme du « dressage » du fait de séances très répétitives et la surabondance de ré-compenses. Les prises en charge de type ABA sont adaptées aux besoins uniques de chaque enfant, et leur intensité a été allégée. Il n’en reste pas moins que ce type d’interventions présente des résultats significatifs dans l’amélioration de l’adaptation des enfants avec TSA [Leaf et al.,2015].

4.1. LES THÉRAPIES COGNITIVO-COMPORTEMENTALES (CBT) : DES INTERVENTIONS

GLOBALES 57