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Dans cette dernière section, la capacité du mouvement brownien des aiguilles à mesurer les propriétés viscoélastiques d’un matériau est testée. Ce test a été réalisé en collaboration étroite avec L. Chevry et J.-F. Berret, qui ont fourni le fluide viscoélastique et les aiguilles. Dans l’équation 8.15 qui décrit le mouvement brownien rotationnel dans un fluide quelconque, le MSAD est le produit d’un terme qui prend en compte la géométrie des aiguilles (g(L/d)/L3)

et d’un terme qui prend en compte la rhéologie du fluide (J(t)). Nous avons jusqu’à présent intensivement étudié le facteur géométrique dans une configuration rhéologique connue, nous étudions maintenant une rhéologie plus complexe.

Pour faire une étude démonstrative de la capacité de la méthode à mesurer la rhéologie, il faut faire une étude sur un fluide dont la rhéologie est bien connue et facilement modélisable. Les solutions de micelles géantes (wormlike micelles) présentent ces caractéristiques car elles ont

8.4. FLUIDE VISCOÉLASTIQUE

Figure8.10 – Mesures de microrhéologie passive dans un fluide viscoélastique, pour des aiguilles de différentes longueurs. (a) Déplacement angulaire quadratique moyen (MSAD) h∆ψ2(t)i d’ai-

guilles sondes de différentes longueurs dans le matériau. Le MSAD présente un comportement en deux temps, sous-diffusif pour les petits lag times, puis diffusif à grand lag time. Le trait plein gras indique le comportement diffusif, les traits fins sont des ajustements pour un MSAD en loi de puissance (exposant 0.2, en accord avec la littérature), corrigé des erreurs dynamiques (voir texte). (b) Le MSAD mesuré à un lag time arbitraire dans la partie sous diffusive, t = 0.02 s, en fonction de la longueur des aiguilles. Un ajustement par l’expression 8.15, trait plein fin, après correction pour prendre en compte les erreurs dynamiques, en approximant le comportement du fluide à t = 0.02 s par un comportement élastique, permet de déduire un module élastique effectif de G0≃ 1.2 Pa, en accord avec la littérature et les mesures macroscopiques.

été étudiées intensément depuis plus de trente ans et leur comportement rhéologique peut être modélisé par le fluide de Maxwell dans une large gamme de compositions [Berret]. Nous verrons cependant que les erreurs de détections ne permettent pas de mesurer les modules élastiques de ces suspensions quand elles sont bien décrites par un fluide de Maxwell, car les modules élastiques sont trop élevés dans ces conditions. Nous en serons donc réduit à étudier une solution de micelles géantes dont le comportement approche seulement celui du fluide de Maxwell, mais présente l’avantage d’avoir une rhéologie mesurable par notre méthode.

Les erreurs de détection limite les rhéologies mesurables Avant tout, il faut remarquer que les erreurs de détection nous interdisent l’accès à une gamme de propriétés rhéologiques assez importante. En effet, en première approximation, on peut considérer que si le MSAD d’une aiguille est de l’ordre de l’erreur statique de mesure, alors la mesure des propriétés rhéologiques n’est pas possible. On ne peut donc déduire les propriétés du matériau pour une aiguille à un lag time donné que si h∆ψ2(t)i & 2ǫ2

capable de mesurer la fonction de fluage J(t) au lag time t que si : J(t) ≤ πL

3ǫ2 rot

3kBTgrot(L/d) (8.38)

En utilisant les données recueillies en figure8.6, dans le cas le moins favorable de petites aiguilles de 2 − 3 µm, il faut que J(t) & 0.5 Pa−1. On ne peut donc mesurer le module élastique d’un

matériau (typiquement G0 = 1/J(0)) si celui-ci excède 2 Pa. Dans le cas plus favorable d’une

aiguille de 10 µm, un module élastique de G0 ≃ 10 Pa peut être mesuré au maximum.

Le fluide modèle de Maxwell Le fluide de Maxwell est un modèle de fluide viscoélastique pour lequel le module viscoélastique complexe s’exprime comme ˜G(ω) = G0iωτm/(1 + iωτm).

On introduit le module élastique G0 et le temps de relaxation τm. Le fluide de Maxwell réagit

d’abord élastiquement à la contrainte, puis il se met à couler visqueusement avec une viscosité ηm = G0τm, la transition entre ces deux régimes se faisant en un temps τm. Le déplacement

angulaire quadratique moyen d’une aiguille dans un tel fluide est donné par : h∆ψ2(t)i = 23kBTgπLrot3(L/d)

1 G0(

t

τm + 1) . (8.39)

Aux lag times petit devant τm, le fluide se comporte comme un système élastique, de module G0,

et le MSAD est constant en temps. Quand le lag time augmente, le MSAD transite aux alentours de t = τm d’un plateau à une dépendance linéaire en temps, comme dans un fluide visqueux de

viscosité ηm.

Fluide viscoélastique utilisé Ces considérations liminaires étant prises en compte, nous essayons de tester la méthode dans un fluide viscoélastique modèle qui remplit ces conditions. Ce fluide est une suspension de micelles géantes (wormlike micelles) qui se comporte comme un fluide de Maxwell sous certaines conditions de concentrations [Berret]. Ces micelles sont formées du surfactant ionique chlorure de cétylpyridinium (Cp Cl), et du cosurfactant Salicylate de sodium (Na Sal) en suspension dans l’eau salée. Nous avons essayé de mesurer le mouvement brownien des aiguilles dans des solutions de différentes compositions pour lesquelles le fluide se comporte exactement comme un fluide de Maxwell, mais les modules élastiques étaient trop grands pour être mesurables. Il n’est en fait pas possible d’obtenir un pur fluide de Maxwell avec ces systèmes de micelles géantes, qui possède un module élastique suffisamment faible.

Nous avons dû nous rabattre sur un fluide de plus faible module élastique qui ne se comporte pas exactement comme un fluide de Maxwell. Dans ce fluide, le rapport [Cp]/[Sal] = 0.5, la fraction massique de Cp–Sal est de 1% et la concentration en sel est de [Na Cl] = 0.5 M. Il a été montré que ce fluide à T = 20◦C se comporte presque comme un fluide de Maxwell avec un

module élastique G0 ≃ 1 Pa et un temps de relaxation de τm ≃ 0.1 s [Berret et al., 1993]. Le

fluide n’est pas un pur fluide de Maxwell car la valeur de G0 n’est pas bien définie [Berret et al., 1993], G′(ω) croissant lentement à petit ω1. Aux petits temps, on s’attend donc à observer un

MSAD variant lentement avec le lag time. Des mesures de rhéologie macroscopique de ce fluide ont été réalisée par L. Chevry. Elles sont en accord avec les données de la littérature [Berret et al.,

1993]. Le comportement mesuré est proche du fluide de Maxwell, avec une viscosité à temps long, basse fréquence, bien définie de ηmacro= 0.15 Pa.s, un temps de relaxation raisonnablement bien

8.4. FLUIDE VISCOÉLASTIQUE

défini de τm = 0.14 s, et un pseudo module élastique modérément bien défini de G0 = 1.1 Pa.

Pour ω > 1/τm, les modules élastique et de perte varient en loi de puissance G′(ω) ∼ ω0.3 et

G′′(ω) ∼ ω0.3. Suivant une approximation de Mason [Mason,2000], on s’attend à ce que le MSAD présente un comportement sous-diffusif, en h∆ψ2(t)i ∼ t0.3, pour t < τ

m, puis transite vers un

comportement diffusif à grand lag time, la transition ayant lieu pour t = τm.

Mesure de la rhéologie du fluide viscoélastique La figure 8.10-(a) montre le MSAD d’aiguilles de différentes longueurs dans le fluide viscoélastique test. Le MSAD présente deux régimes. Aux petits lag times, le MSAD croît lentement avec le lag time, il est sous-diffusif, puis pour un lag time de t = 0.15 s, ne dépendant pas de la longueur de l’aiguille, on observe une transition vers un régime diffusif, un MSAD linéaire en temps. Ces observations sont en accord avec ce qui est attendu en considérant les données de la littératures et les mesures de rhéologie macroscopique, que se soit l’existence de deux régimes de comportement sous diffusif puis diffusif, ou la valeur, fixe en fonction de la longueur de l’aiguille, donc propriété du seul fluide, du temps de transition, t ≃ τm = 0.14 s. On souhaite à présent vérifier la valeur du

pseudo module élastique, de la viscosité à temps long et la dépendance temporelle du MSAD prédite à petit lag time.

Pour cela, il faut prendre en compte les erreurs dynamiques, dues au temps d’exposition fini σ de la caméra [Savin and Doyle,2005a]. Les erreurs statiques auront une influence moindre, on ne les prend pas en compte dans l’analyse. On s’attend à ce que le MSAD à petit lag time varie comme une loi de puissance. Dans ce cas,Savin and Doyle[2005a] donnent une expression du MSD de particules sphériques corrigé du temps d’exposition fini de la caméra (équation (30) de [Savin and Doyle,2005a]), que nous adaptons directement au cas du MSAD, en changeant simplement le facteur géométrique. Les MSAD de la figure 8.10-a) sont ajustés à petit lag time par cette expression, l’exposant de la loi de puissance étant laissé variable. L’ajustement conduit à une loi de puissance d’exposant moyen h∆ψ2(t)i ∼ t0.2, variable entre 0.15 et 0.3. Cet exposant très

faible indique un comportement presque maxwellien. Sa valeur est compatible avec la prédiction du MSAD réalisée à partir des mesures de rhéologie macroscopique. Nous allons maintenant mesurer un pseudo module élastique et une viscosité.

On cherche d’abord à mesurer un pseudo module élastique. La figure8.10-(b) montre la valeur du MSAD mesurée pour un lag time au milieu du régime sous diffusif (t = 0.02 s) en fonction de la longueur de l’aiguille. Si le fluide était un pur fluide de Maxwell, et si les erreurs de détections étaient négligeables, on s’attendrait à ce que le MSAD, pour des lag times très inférieurs à τm,

s’exprime sous la forme :

h∆ψ2(t)i = 23kπBT grotL(L/d)3

1 G0

(8.40) où G0 est le module élastique du fluide. En ajustant les données de la figure 8.10-(b) par cette

expression, en utilisant pour d le diamètre moyen des aiguilles, connu par ailleurs, d = 0.4 µm, on trouve Gnc

0 = (1.5±0.2) Pa. Il se trouve que les effets de temps d’exposition fini réduisent la valeur

du MSAD, de façon non négligeable, dans le régime sous diffusif [Savin and Doyle,2005a]. En faisant le rapport de la valeur corrigée du MSAD sur sa valeur attendue à temps d’exposition de la caméra nul, d’après [Savin and Doyle,2005a], dans le cas d’une loi de puissance h∆ψ2(t)i ∼ t0.2,

on trouve qu’il faut corriger la valeur Gnc

0 de 20% pour prendre en compte les erreurs dynamiques.

On trouve donc une valeur de pseudo module élastique corrigée de Gc

0 = (1.2 ± 0.2) Pa, en très

Dans le cas de la viscosité à temps long, les erreurs dynamiques ne jouent presque plus aucun rôle, l’ajustement des coefficients de diffusion à temps long des aiguilles permet d’estimer directement une viscosité de la suspension de (0.18 ± 0.05) Pa.s, en accord également avec les données de la littérature et les mesures macroscopiques (η = 0.15 Pa.s).

Nous avons montré que le mouvement brownien rotationnel d’aiguilles micrométriques permet de mesurer les propriétés d’un fluide complexe modèle de faible module élastique, si les erreurs inhérentes à la microrhéologie par vidéo-microscopie sont prises en compte.

8.5

Conclusion

Dans cette partie, nous avons développé une méthode simple pour suivre le mouvement brow- nien rotationnel en trois dimensions d’aiguilles micrométriques, dans un fluide visqueux puis dans un fluide viscoélastique, à partir de la projection de l’aiguille sur le plan focal de l’objectif d’un microscope. Dans le fluide visqueux, nous avons mesuré les coefficients de diffusion rotationnel d’aiguilles en fonction de leurs longueurs, comprises entre 1 et 100 µm, soit 5 décades de co- efficients de diffusion. Nous avons quantifié la résolution de notre technique, en analysant les trajectoires des aiguilles. Le déplacement angulaire quadratique moyen étant le produit d’un fac- teur prenant en compte la géométrie des aiguilles par un facteur prenant en compte la rhéologie du fluide, nos mesures de diffusion, dans un fluide purement visqueux nous permet d’extraire une information géométrique sur les aiguilles, la distribution de leur diamètre, que nous trou- vons en bon accord avec des mesures indépendantes de microscopie électronique à balayage. Nous comparons les résultats produits par la diffusion rotationnelle des aiguilles et leur diffusion translationnelle, qui sont en bon accord. Cette technique fournit une manière simple de mesurer la diffusion rotationnelle hors du plan d’aiguilles, ce qui ouvre de nouvelles opportunité de carac- tériser des fluides plus complexes, et sonder les dimensions d’objets anisotropes. Nous testons la capacité de notre technique à mesurer le module viscoélastique de fluides complexes, sur un fluide modèle, une solution de micelles géantes, au comportement proche d’un fluide de Maxwell. Du fait des erreurs de détection, les fluides dont le module élastique à temps court excède quelques Pascals ne peuvent pas être caractérisés de façon satisfaisante. Dans le cas contraire, la méthode permet de mesurer le comportement viscoélastique du matériau, quand les erreurs de détection sont prises en compte, en bon accord avec les valeurs de la littérature.

Ce travail ouvre de nombreuses opportunités d’étude. Une suspension colloïdale de sphères de 1 µm de diamètre, dans un régime concentré possède un module élastique de l’ordre de, voire inférieur au Pascal, la méthode de mesure du mouvement brownien des aiguilles est donc adaptée à l’étude des propriétés de nos suspensions de sphères molles. Il est également possible d’étudier le mouvement des aiguilles dans des fluides biologiques pour en extraire les propriétés, un travail réalisé par l’équipe de J.-F. Berret. Quelques améliorations peuvent être également apportées à la méthode de détection elle-même. Il serait intéressant de modifier l’analyse d’image pour mesurer avec précision le paramètre hors plan sin θ lors des explorations fortement hors du plan des aiguilles. L’amélioration de la limite de résolution des mesures est une voie à explorer également.

8.6. COMPLEMENT : EQUIVALENCE ENTRE ÉQUATION DE LANGEVIN