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Pourrait-on à proprement parler de « codification » dans le cadre des coutumiers africains ? Cette interrogation fit débat dès les débuts de cette entreprise de rédaction empruntant, à bien des égards, la méthode et le plan des codes métropolitains. Craignant qu’une codification d’entrée de jeu n’engendrât une « cristallisation » des systèmes juridiques traditionnels, (qui à contrario devaient pour les besoins de la cause coloniale, demeurer « assez souples pour s’adapter aux diverses stades de l’évolution sociale » voulue de l’indigène) (§2), le Gouverneur Brévié pencha pour la dénomination « d’inventaire méthodique des dispositions coutumières orales »269. Il désavouait en cela la position du Gouverneur Clozel, qui en Côte d’Ivoire entendait par son initiative, doter les juridictions locales d’un véritable code de droit coutumier empruntant au modèle napoléonien, auquel il se réferrait explicitement270 (§1).

§1. Compilation ou codification

Les termes « Code » ou « compilation » sont indifféremment usités par certains auteurs pour désigner les coutumiers africains. Même s’ils semblent tous les deux appropriés en l’espèce, ces terminologies juridiques naguère apparentées, ont des définitions manifestement divergentes. Une codification renvoie pour mémoire, à l’œuvre de Portalis auquel se réfère d’ailleurs le Gouverneur Clozel271. Elle peut se résumer en l’interaction de trois éléments cumulatifs majeurs : une autorité politique (élément premier), qui prend la décision de publier un texte juridique désigné sous le vocable de « code » (élément 2), lequel regroupe et recense

269 ORTOLI Jean et AUBERT Alfred, Les coutumiers juridiques de l’Afrique occidentale française,

Larose, Paris, 1939, pp. 10-12. Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Circulaire n°162 AP/3, « Monsieur le Gouverneur Général de l’Afrique Occidentale Française à messieurs les Lieutenant-gouverneurs des colonies du groupe », Dakar, 15 avril 1932.

270CLOZEL François Joseph et VILLAMUR Roger, Les coutumes indigènes de la Côte d’Ivoire…,

op.cit., p. 70.

des dispositions juridiques, sous forme d’un corps cohérent de textes, établis suivant un plan systématique et afférents à une matière juridique définie (élément 3)272.

La compilation quant à elle colle mieux à l’œuvre de Dalloz ou de Litec, relevant de la pure doctrine, et ne pouvant être légitimement, ni légalement, considérée comme une norme273.

La codification consiste en une rupture avec l’ordre préexistant. Elle fait « fondre l’ordre juridique ancien » (qui dans le cadre colonial se veut oral, coutumier, hétérogène et généralement divergent), en un « système nouveau », écrit, agencé, étatisé et systématisé274. C’est à juste titre, en marge des trois éléments précités, l’ampleur de cette rupture qui détermine la frontière entre un code et une compilation. La codification rompt non seulement avec la norme préexistante mais aussi avec son fond, en vue d’unifier le droit (A). Mais il ne s’agit pas là d’une rupture totale, car à l’instar du Code Napoléonien, il n’est pas exclu que le droit ancien soit repris dans la codification nouvelle (B).

A. Réduire le pluralisme coutumier

A la lumière des précisions apportées, l’initiative du Gouverneur Clozel s’apparentait à s’y méprendre à une véritable codification substantielle du droit coutumier ivoirien. Elle revêtait clairement un effet politique, qui résidait dans le comparatisme qu’elle utilisait pour unifier les innombrables sociétés autochtones, et les fondait dans un seul et même tissu social, en « tenant en compte de leurs affinités et des zones géographiques où elles évoluaient »275. L’œuvre se déclinait en cinq recueils 276 :

272 COURTIER Cyril, La Codification du Droit de l’Outre-Mer, Mémoire de fin d’études, sous la

direction de Maître André VIANÈS, Université Lumière Lyon II, 2007, p. 18-20. Voir CORNU Gérard,

Vocabulaire juridique, P. U. F., 2000, p. 162.

273

Ibidem.

274 Voir STOFFEL-MUNCK Philippe, « Les résultats de la codification », Revue Juridique de l’Océan

Indien, Colloque, La codification dans la zone de l’Océan indien, La Réunion, 7 octobre 2003.

275 Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Extrait du rapport politique de la Côte d’Ivoire, chapitre V –

Codification des coutumes, année 1935.

- Le recueil des coutumes du groupe Agni-Achanti qui regroupait les races peuplant l’Est, le Centre et le Sud-est de la colonie à savoir principalement, les Agni, Baoulé, Abron, Alladian, Attié, Avikam…

- Le recueil des coutumes du Sud-ouest regroupant les races Bété, Wobé, Gouros, Gagou, Kroumen…

- Le recueil des coutumes du groupe Sénoufo-Lobi qui réunissait l’ensemble Gour et les races Lobi et Koulango.

- Le recueil des coutumes du groupe Bobo prenant en compte les autres races de la Haute-Côte d’Ivoire, non apparentées au groupe précédent, et formant un ensemble assez compact pour justifier d’une rédaction spéciale.

- Le recueil des coutumes du groupe Mossi Gourounsi qui régissait l’ensemble des populations de l’ancienne Haute-Volta.

Quant aux populations de races Mandingue (Dioula, Malinké, Markas) peuplant les cercles du Nord-Ouest de la colonie, elles étaient régies par le coutumier du grand groupe Mandingue peuplant le Soudan et la Guinée.

Comme le mentionnait le Gouverneur Clozel, ce premier regroupement juridico-social n’était que le prélude de la construction d’une véritable unité politique au sein de la colonie, devant découler des évolutions des mœurs et des interpénétrations culturelles escomptées277. Mais c’est justement cette entreprise unificatrice qui semble éloigner son œuvre d’une codification substantielle.

277 L’œuvre du Gouverneur CLOZEL, prend ses racines dans les sciences sociales et politiques ; une

approche positiviste qui à elle seule pourrait justifier sa disqualification en tant que Code par les tenant de la « théorie pure du droit » qui excluent de la science du droit toute rationalité autre que juridique, voir sur ce point, CHEVALLIER Jacques, Droit et politique, Paris, PUF, 1993, p. 225. Pour DURKHEIM en revanche, le droit est le « symbole visible de la solidarité et l’organisation de la vie en société dans ce qu’elle a de plus stable et de plus précis », DURKHEIM cité par DUPRET Baudouin, Droit et sciences sociales, Armand Colin, 2006, Chapitre IV, pp. 31-36.

Selon les termes de Stoffel-Munck, « la codification doit exprimer les valeurs communes à la communauté à laquelle il entend s’appliquer, ce qui suppose que sociologiquement cette unité existe déjà. Le code enracine une unité, il ne suffit pas à la créer de toute pièces »278.

Par ailleurs, s’il est avéré que doter les tribunaux indigènes d’une documentation écrite afférente à des normes coutumières qui de tout temps furent orales, constituait une véritable rupture avec le passé, il en demeure pas moins que le fond du droit n’en fut pas véritablement affecté. Mais cela suffit il à la disqualifier en tant que Code dans la mesure où, il est constant qu’en fait de codification à échelle nationale, l’on oppose traditionnellement à la codification réformatrice (celle touchant à la substance de la norme juridique), la codification à droit constant (celle qui consiste à recenser et regrouper des dispositions juridiques au sein d’un même document; un code), sans qu’aucune modification ne soit apportée au fond du droit par le législateur279. Les codifications napoléoniennes ne reprennaient-elles pas à leur compte des dispositions de l’ancien droit ?

B. Ne retenir que les coutumes passives

C’est définitivement la réticence du Gouvernement de Dakar, l’autorité politique suprême des colonies, devant cette initiative ivoirienne qui faisait l’unanimité auprès des juridictions indigènes de l’époque, qui la relègue au rang de codification-collection (ou codification-compilation), voire même, suivant les termes du Gouverneur Général Roume, « de simple étude sociologique ou ethnographique »280.

Dénuée ainsi d’un cadre officiel, l’œuvre du Gouverneur Clozel, ne se résume qu’en une simple codification privée, c'est-à-dire un regroupement non officiel de textes juridiques autour d'un domaine spécifique, en vue de faciliter le travail des professionnels du droit et des justiciables.

278 STOFFEL-MUNCK Philippe, « Les résultats de la codification », op.cit., p. 2. 279COURTIER Cyril, op.cit., p. 19.

280

Circulaire du 15 décembre 1905, Archives Nationales du Sénégal (ANS), M 92, « Gouverneur Général ROUME au Lieutenant-gouverneur de la Côte d’Ivoire », 15 décembre 1905.

Craignant que son entreprise ne s’enlisât dans les critiques, le Gouverneur Brévié lui, prit le soin de préciser qu’il s’agissait « moins d’une codification que d’un inventaire destiné à donner aux justiciable et aux magistrats une base suffisamment ferme »281. Toutefois, les objectifs affichés par celle-ci n’en demeuraient pas moins apparentées à ceux d’une véritable codification substantielle de droit coutumier. Tantôt empruntant à la codification à droit constant (en reprenant la substance des normes anciennes à l’exception de celles jugées incompatibles avec le système d’exploitation colonial), tantôt se déclinant comme une codification réformatrice (en rompant non seulement avec les textes mais aussi avec leur fond au nom de la mission civilisatrice). C’est l’idée des coutumes dites « passives », c'est-à-dire celles qui non seulement n’affectent pas le système de domination et d’exploitation de la colonie, mais qui au contraire le facilitent.

En effet, considérées par les locaux comme la manifestation de la volonté des ancêtres et des garants de la cohésion sociale, auxquels « ils tenaient comme au plus précieux de leurs biens »282, l’accaparement par le pouvoir colonial des normes coutumières avait pour but de lui assurer l’allégeance de l’ensemble des groupements indigènes. C’est donc à juste titre, considérant la famille traditionnelle comme un gage de stabilité sociale et de maintien de l’autorité traditionnelle, que cette rédaction ne s’intéressa qu’exclusivement aux coutumes civiles283.

Qu’elle soit réformatrice ou à droit constant, une codification substantielle réalise une réunification à la fois politique, juridique et sociale. Une réunification qui fait clairement défaut à l’initiative Brévié, laquelle se cantonnait à la seule consécration des spécificités normatives locales, dans un système juridique dyade faisant subsister auprès de la justice de droit commun (la justice du colonisateur), une justice indigène d’exception au demeurant plurielle (personnalité des lois).

281

Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Circulaire n°162 AP/3, « Monsieur le Gouverneur Général de l’Afrique Occidentale Française à messieurs les Lieutenant-gouverneurs des colonies du groupe », Dakar, 15 avril 1932.

282 SALIS Jean, Essai sur l’évolution de l’organisation judiciaire et de la législation applicable au

Gabon-Congo, op.cit., p. 249.

Toutefois, l’idée d’une unification du droit coutumier indigène deumera toujours d’actualité au sein de l’administration coloniale. Dans son rapport politique du 3è trimestre 1907, le Gouvernement du Haut-Sénégal-Niger parlait d’une « conquête morale des indigènes »284 qui devrait venir de l’évolution des mœurs et de la jurisprudence des tribunaux. Il appartenait donc au juge, d’apprécier les variations de mentalité chez l’indigène, et de prendre des décisions conciliant « équité et tradition »285.

§2. Concilier tradition et civilisation

Selon le Gouverneur Brévié, « le législateur en prescrivant de suivre la coutume des parties, n’a jamais entendu enfermer des groupements en constante évolution dans le cadre rigide des traditions ancestrales installées »286. Dans ses instructions concernant l’application du décret du 3 décembre 1931, il livrait son interprétation du principe du maintien des coutumes en ces termes :

« Il s’impose d’observer constamment les modifications aux coutumes qui comportent chez l’indigène, des idées et des mœurs plus évoluées et de faire une exacte application des règles coutumières nouvelles. L’observation scrupuleuse de ces variations de mentalité, qui tendent à élever le milieu social est un de nos premiers devoirs »287 (A). Pour lui, tout manquement à cette règle essentielle serait méconnaitre au devoir de « haute civilisation » qui consistait à « reconnaitre et soutenir les progrès individuels et collectifs des indigènes »288 (B).

284

CAOM 2 G 7/3, Rapport politique trimestriel Haut-Sénégal-Niger, 3è trimestre 1907.

285 Archives Nationales Mali ACI 2000 (FR) 2 M 1680, Circulaire n°30 du 13 mai 1922 du Gouverneur

du Soudan français au sujet du fonctionnement de la justice indigène.

286 Archives Nationales de Côte d’Ivoire, Circulaire n°162 AP/3, op. cit., Dakar, 15 avril 1932 287

Ibidem.

A. Les évolutions tenant à la condition sociale

Les interactions entre le droit du colonisateur et les droits locaux avaient engendré, principalement dans les zones urbaines, une nouvelle catégorie de normes coutumières dites « évoluées »289. Ces normes procédaient d’une infiltration continuelle des valeurs et préceptes juridiques occidentaux dans le domaine coutumier. La systématisation de la justice indigène et son intégration dans le système colonial fit en effet d’elle, le point de contact entre l’administration française et le justiciable autochtone, qui découvrait ainsi un système judiciaire plus avantageux290. L’écriture, gage de sécurité juridique, l’usage de modes de preuve plus rationnels, la recherche de l’équité et l’apport de règles nouvelles tendant à faire évoluer la condition féminine notamment par le décret Mandel, furent autant d’attraits qui conduisirent un nombre de plus en important de justiciables indigènes, surtout dans les zones urbaines, à en référer à la justice du colonisateur291.

Cette désolidarisation de l’indigène avec la coutume fut beaucoup plus marquée chez les femmes, qui voyaient en ce système nouveau, un moyen d’échapper à leur condition déplorable, et multipliaient ainsi les procédures auprès de l’administration et des tribunaux, pour faire valoir leurs droits en matière de mariage, divorce et séparation292. Quant aux hommes, il s’agissait essentiellement de la catégorie dite des « évolués », travaillant généralement pour l’administration coloniale (interprètes, guides, tirailleurs, etc.) et qui voulaient tirer profit du système, en se dérobant à l’application la norme coutumière normalement compétente293.

Cette première évolution déboucha sur le décret du 10 novembre 1903 portant réorganisation du service de la justice en A.O.F. et qui visait à rendre les coutumes plus conformes avec la nouvelle condition sociale des colonisés ainsi qu’aux principes d’humanité

289

NTAMPAKA Charles, Introduction aux systèmes juridiques africains, travaux de la faculté de droit de Namur n°26, Presse Universitaire de Namur, 2004, p. 54.

290 RODET Marie, Les migrantes ignorées du Haut-Sénégal (1900-1946), Karthala, 2009. 291 Ibidem, p. 131.

292

Ibidem, pp. 131-146.

et du droit naturel294. Le Gouverneur Brévié alla encore plus loin, en commandant expressément à ses magistrats, d’interpréter les codes « dans le sens des suggestions de l’opinion commune, dont il importe de ne pas paralyser les tendances vers le progrès, de laisser libre cours, à l’éclosion d’une jurisprudence semi-prétorienne, dûment contrôlée par les administrateurs »295.

Mais ce furent définitivement les mutations économiques apportées par le fait colonial qui ébranlèrent le plus les structures sociales indigènes, et dévoilèrent les limites de la norme coutumière. Celle-ci s’avérait de moins en moins adaptée aux sociétés auxquelles elle devait s’appliquer, du fait de leurs profondes transformations, justifiant ainsi des interventions régulières du colonisateur tendant à la compléter, voire à la réinventer.

B. L’adaptation nécessaire aux formes de vie nouvelle

La colonisation opèra une véritable révolution de l’économie, des modes de productions et de consommation des sociétés africaines. En effet, la mise en place d’un capitalisme rudimentaire, sous la forme d’une économie de traite296, consistant, dans un premier temps, en collecte et acheminement vers les côtes, de l’ensemble des matières premières industrielles des territoires en vue de leur exportation en métropole. Dans un second temps, ce capitalisme rudimentaire consista en l’implantation de nouvelles cultures, notamment le café et le cacao en Côte d’Ivoire, ainsi qu’en l’exploitation de nouvelles ressources minières, destinées à approvisionner les industries de la France. Cela amorça une transformation brutale et irrévocable des structures sociopolitiques préexistantes.

Ces négoces participèrent à la transfiguration de l’économie primitive des sociétés indigènes, dite « de subsistance », essentiellement agraire, caractérisée par une propriété collective de la terre, ainsi que par la mise en commun de l’effort et de son fruit, en un

294

Archives Nationales du Sénégal (ANS), M79, Gouverneur Général ROUME, op.cit., Gorée 25 avril 1905.

295 ORTOLI Jean et AUBERT Alfred, Les coutumiers juridiques de l’Afrique occidentale française,

op.cit., p. 12.

296

BALANDIER Georges, « Structures sociales traditionnelles et changements économiques », Cahiers

système moderne capitaliste, dans lequel les échanges avaient un but principalement économique297.

Parallèllement, les colons introduisirent sur les marchés africains, des biens nouveaux; des produits manufacturés des industries eropéennes (les étoffes, la pacotille, les armes, les tissus, etc.), très prisés des indigènes. Ils ne pouvaient au départ être acquis que par les chefs et notables du fait de leur coût, symbolisant de ce fait la noblesse et le prestige social298. Objets de convoitise, ces produits furent à l’origine de deux bouleversements sociaux majeurs:

- Premièrement, l’apparition d’un besoin inédit chez l’Africain, à savoir le désir de consommer ou de posséder un bien, indifféremment de sa nécessité et/ou de son utilité réelle. Ces biens occidentaux, bien que gnéralement moins solides que ceux de l’artisanat local, étaient jugés beaucoup plus « élégants » et n’eurent donc aucune peine à supplanter dès leur introduction299.

- Deuxièment, la constitution de nouvelles catégories sociales dans les zones urbaines notamment une petite bourgeoisie (artisans, planteurs, bureaucrates, ouvriers etc.)300, issue de la prolétarisation des castes de métier, des anciens captifs et des esclaves des sociétés traditionnelles (libérés par le fait colonial) et une véritable bourgeoisie commerçante, les Dioula, anciens colporteurs reconvertis en auxiliaires des maisons coloniales, en charge de la collecte des matières premières et de la vente en détail des produits importés301.

297 Ibidem, p. 5.

298 SEMI-BI Zan, « L'infrastructure routière et ferroviaire coloniale, source de mutations sociales et

psychologiques : le cas de la Côte d'Ivoire, 1900-1940 », Cahiers d'études africaines, vol. 16, n°61-6, 1976, « Histoire africaine : constatations, contestations », pp. 147-158.

299CONDE Alpha, Guinée : Albanie d'Afrique ou néo-colonie américaine ?, Editions Git le Cœur, Paris,

1972.

300 Ibidem. 301

SEMI-BI Zan, « L'infrastructure routière et ferroviaire coloniale, source de mutations sociales et psychologiques : le cas de la Côte d'Ivoire, 1900-1940 », op.cit., p. 149.

La monnaie occupait désormais une place centrale dans l’économie des sociétés indigènes302. Elle introduisit des notions nouvelles telles que le salaire, la capitalisation et le profit, qui étaient totalement inconnues l’ordre ancien. Elle participa de la dématérialisation ainsi que de la privatisation de la notion de « richesse », et porta un frein à la vieille solidarité villageoise303.

La société traditionnelle plongeait ainsi dans une nouvelle ère qui la fit littéralement imploser. Le nouveau mode de vie « à l’occidentale » mis en place dans les zones urbaines, suscitait l’engouement des jeunes voulant se soustraire aux contraintes villageoises, et conduisit à un phénomène d’exode rural, qui au demeurant était facilité par les nouvelles infrastructures routières et ferroviaires mises en place par le colonisateur304. Ces nouvelles infrastructures, parce qu’elles avaient d’une part, considérablement réduit les distances et d’autre part, nécessité lors leur création une main d’œuvre indigène dont le recrutement s’était déroulé en méconnaissance des coutumes locales du travail, occasionnèrent la désagrégation de la paysannerie villageoise305. A contrario les villes ivoiriennes en plein essor, contribuèrent à « la détribalisation et à l’uniformisation des peuplements »306. Elles regroupaient en effet des populations de plus en plus variées et métissées dont les contestations dépassèrent assez rapidement les compétences des juridictions traditionnelles, soit parce qu’elles en appellaient à des pratiques coutumières différentes, soit parce que leurs litiges naissaient de pratiques nouvelles non réglées par la coutume307.

302 CHAUVEAU Jean-Pierre, Notes sur l’histoire économique et sociale de la région de Kokumbo :

Baoulé-Sud, Côte d’Ivoire, ORSTOM, Paris, 1979.

303 Ibidem, pp. 129-130.

304 SEMI-BI Zan, « L'infrastructure routière et ferroviaire coloniale, source de mutations sociales et

psychologiques : le cas de la Côte d'Ivoire, 1900-1940 », op.cit., p. 156.

305 DELAVIGNETTE Robert, « Une nouvelle colonie d’Abidjan à Ouagadougou », L’Afrique française,

n° 9, 1932, pp. 528-533.

306

Archives Nationales Section Outre Mer (ANSOM), CI, 2G, Côte d’Ivoire, Rapport économique annuel, 1934, pp. 34-28.

307 MAQUET Jacques, « Droit coutumier traditionnel et colonial en Afrique centrale », Bibliographie

commentée, Journal de la Société des Africanistes, tome 35, fascicule 2, 1965, pp. 411-418. « Le lycéen sorti de son école, le migrant qui a vécu en ville, le planteur qui a créé une caféière posent des problèmes nouveaux », Jacques BINET, « Nature et limites de la famille en Afrique noire », op.cit., p. 10.

Ce phénomène conflictuel qui servit d’ailleurs d’argument pour la rédaction des coutumiers, conforta le législateur colonial ainsi que la doctrine dans l’idée de la recherche d’une uniformisation du droit coutumier. Pour ce faire, sa rédaction sur le modèle du Code Civil, fut admise de tous. Antoine Sohier soutenait à ce propos que « c’est en évoluant vers le