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En Côte d’Ivoire coloniale, les individus n’étaient pas soumis aux mêmes règles. Dans un premier temps, la société se scindait entre d’une part les citoyens français, justiciables de droit français (les colons) et d’autre part les indigènes sujets français (colonisés), régis par leurs coutumes ancestrales (§ 1). Puis dans un second temps, à mesure de l’avancée de l’implantation de coloniale, apparut une nouvelle catégorie de justiciables indigènes dite « évoluée », donnée comme ayant atteint un degré de civilisation suffisant pour se voir appliquer s’ils le souhaitaient, le Code Civil français (§ 2).

§1. Pluralisme de statuts juridiques

La pluralité des statuts personnels au sein des colonies fut un principe majeur de l’empire colonial français, tiré de celui dit de « spécialité législative », et qui déterminait son action juridique dans l’ensemble de ses possessions.

On dénombrait ainsi en fonction, entre autre, de la nature et de l’ancienneté de l’établissement colonial195 :

- Des indigènes citoyens français, qui jouissaient des mêmes droits civils et politiques que les citoyens français de la colonie.

- Des indigènes sujets français, qui étaient régis par un régime juridique spécial à caractère exceptionnel et restreint à leur colonie.

- Des indigènes protégés français, qui étaient les habitants des pays de protectorat, assimilés par la jurisprudence aux sujets français196.

- Et des indigènes administrés français197 ; indigènes des territoires placés sous mandat par l’article 22 du Pacte de la Société des Nations. Il en existait trois sortes : Le mandat de type A, dans lequel le territoire jouissait d’une véritable autonomie. Dans

195 SOLUS Henry, ibidem, pp. 11-12. 196 Ibidem.

197

LAMPUE Pierre, « De la nationalité des habitants des pays à mandat de la Sociétés des Nations »,

celui de type B, la puissance colonisatrice assurait l’administration du territoire placé sous son mandat. Dans le mandat de type C, l’administration s’accompagnait d’une intégration au territoire du mandataire.

La catégorisation des statuts personnels au sein des colonies visait, tout d’abord, à permettre une application judicieuse des lois aux habitants, laquelle est fonction de leur état socio-juridique. Ce statut juridique indiquait le degré d’intégration de l’individu dans un système de type nouveau, niveau à partir duquel son processus d’assimilation au modèle français devait s’opérer (A). La création de l’Union française par la Constitution de la IV ème république en 1946, fut un évènement déterminant dans cette mission d’intégration, par l’abolition de l’indigénat (B).

A. Le statut juridique des indigènes ivoiriens avant 1946

Jusqu’au XIXe siècle, l’Europe n’entretenait avec les populations de la future colonie de Côte d’Ivoire que simple rapports commerciaux, qui se cantonnaient principalement sur les côtes, du fait d’une méconnaissance du territoire et de ses potentialités. Les français se disputaient alors le monopole de la région avec les Anglais dont ils supportaient mal la campagne anti-esclavagiste. Celle-ci était menée par les flottes militaires internationales (principalement anglaises), qui contrôlaient régulièrement les navires français198. Il s’ensuivit une véritable lutte pour le contrôle politique de la région, qui se solda par le partage de la côte d’Afrique occidentale199.

La France ordonna à cet effet la mission « Malouine » entre 1838 et 1839, au cours de laquelle son émissaire, le Comte Louis Edouard Bouët-Willaumez, fut chargé d’étudier ladite côte africaine, ses ressources et potentialités commerciales, et d’y enclencher le processus

198 FORLACROIX Christian, « Origine et formation de la Côte d’Ivoire », Annales de l’Université

d’Abidjan, Série I (Histoire), tome 1, 1972, pp. 68-69.

d’une installation militaire stratégique, notamment par la signature de traité avec les chefs locaux200.

Cette mission se termina par la construction en 1843, de deux fors français sur la côte ivoirienne, l’un à Assinie et l’autre à Grand Bassam. Ces installations militaires visaient à affirmer une souveraineté française sur le territoire et offraient ainsi aux commerçants français, le monopole du marché du Golfe de Guinée. Mais talonnés par la concurrence anglaise qui ne démordait pas, et les besoins en matière premières d’une industrie en plein essor, les français entreprirent la conquête de l’intérieur des terres, réalisée par les explorateurs Marcel Treich-Laplène201 et Louis-Gustave Binger202, dont l’œuvre aboutit à la constitution officielle de la colonie autonome de Côte d’Ivoire, par le décret du 10 mars 1893203.

Ledit décret fit de Binger, le premier Gouverneur et de Grand Bassam, le chef lieu de la nouvelle colonie. Celle–ci fut divisée en circonscriptions (cercles) à la tête desquelles se trouvaient des commandants de cercle. Chaque cercle regroupait plusieurs subdivisions, tenue chacune par un chef de subdivision. Il s’agissait d’une organisation administrative directe et pyramidale, qui trouvait à sa tête le gouverneur et à sa base, les auxiliaires indigènes, chefs de cantons, de village, notables, interprètes, tous nommés par l’administration coloniale et sur lesquelles, s’appuyaient les chefs de subdivision dans l’exercice de leurs fonctions204.

L’organisation judiciaire faisait la distinction entre d’une part les citoyens français, soumis au Code Civil et aux juridictions françaises et d’autre part, les indigènes sujets français. Ces derniers étaient des individus non citoyens soumis « à la souveraineté directe de

200 DAGET Serge, La répression de la traite des noirs au XIXe siècle : L’action des croisières françaises

sur les côtes occidentales de l’Afrique (1817-1850), Karthala, Paris, 1997. NARDIN Jean-Claude, « La reprise

des relations franco-dahoméennes au XIXe siècle : la mission d'Auguste Bouët à la cour d'Abomey (1851) »,

Cahiers d'études africaines, vol. 7, n°25, pp. 59-126. BOUËT-WILLAUMEZ Edouard, Carte de la côte occidentale d'Afrique dressée pour l'intelligence des croisières à établir devant les foyers de traite par le capitaine de vaisseau, imprimerie de Kaeppelin, Paris, 1845.

201

FORLACROIX Christian, « Origine et formation de la Côte d’Ivoire », op.cit., pp. 72-73.

202 AUBOIN Claude, Au temps des colonies : Binger explorateur de l’Afrique occidentale, [texte

imprimé], Bénévent, Nice, 2008.

203 Décret du 10 mars 1893 portant organisation des colonies de Guinée française, de la Côte d’Ivoire et

du Golfe du Bénin, JORF, n° 75, 17 mars 1893, p. 1378.

la France »205. Leur régime juridique se caractérisait par un lien de subordination à l’administration coloniale. Ils relévaient de la justice indigène organisée et présidée par les administrateurs coloniaux. Ils devaient pour les déplacements à longues distances obtenir une permission de l’administrateur qui les gouvernait. Ils étaient tributaires de l’impôt de capitation, du travail forcé, ainsi que du service militaire obligatoire et étaient soumis au Code de l’indigénat.

Il leur était toutefois possible d’acquérir la citoyenneté française : de plein droit comme ce fut le cas des natifs des quatre communes de plein exercice du Sénégal que sont Saint Louis, Gorée, Rufisque et Dakar 206, ou sur requête, appelée procédure d’admission facultative par décret 207. Mais force est de constater que ces deux alternatives étaient soumises à la libre appréciation de l’administration française, qui s’appuyait pour ce faire sur le degré d’assimilation de l’indigène et les intérêts coloniaux en jeu.

Il en résulte que jusqu’en 1946, les populations ivoiriennes étaient majoritairement des indigènes sujets français car la politique coloniale de l’époque privilégiait l’exploitation économique de la colonie, ce qui assurément, nécessitait une parfaite sujétion de ces dernières.

B. L’abolition de l’indigénat en 1946

Trois grandes étapes résument la colonisation de la Côte d’Ivoire. La première, de 1843 à 1893 détermine les préludes du processus. La seconde, de 1893 à 1946 et représente la phase d’exploitation de la colonie. Enfin l’étape de fédération ou d’intégration politique, court de 1946 à l’indépendance en 1960208.

Cette dernière phase marqua un renouveau véritable dans la politique coloniale française en Afrique. Amorcée par la création de l’Union française qui fut une réorganisation

205 SOLUS Henry, ibidem, p. 35. 206 Ibidem, p. 24.

207 Ibidem, p. 39. 208

GARRIER Claude, L’exploitation coloniale des forêts de Côte d’Ivoire : une spoliation

politique et juridique de la France, de son empire colonial et des pays sous son protectorat, prévue dans le préambule de la Constitution de la IVe république du 27 octobre 1946 en ces termes :

« La France forme avec les peuples d'outre-mer, une Union fondée sur l'égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion ».

L’Union française était composée de nations et de peuples qui mettaient en commun ou coordonnaient leurs ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroître leur bien-être et assurer leur sécurité. Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entendait conduire les peuples dont elle avait pris la charge, à la liberté de s'administrer eux- mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires. Ecartant tout système de colonisation fondé sur l'arbitraire, elle garantissait à tous, l'égal accès aux fonctions publiques et l'exercice individuel ou collectif des droits et libertés proclamés ou confirmés ci-dessus209.

On assistait ici, au lendemain de la seconde guerre, à une véritable révolution présagée par la Conférence de Brazzaville210 et la loi du député Lamine Gueye211, qui proclama la citoyenneté de tous les ressortissants des territoires d’Outre-mer. Cette loi fut entérinée par la Constitution de 1946 qui disposa en son article 80 que : «tous les ressortissants des territoires d'outre-mer ont la qualité de citoyen, au même titre que les nationaux français de la métropole ou des territoires d'outre-mer ».

209 Constitution de la IVè république française du 27 octobre 1946, version consultable en ligne,

http://www. elysee. fr/la-presidence/la-constitution-du-27-octobre-1946/.

210

PASQUIER Roger, « Brazzaville. Janvier-février 1944. Aux sources de la décolonisation », Actes du Colloque organisé par l'Institut Charles de Gaulle et l'Institut du temps présent, Revue française d'histoire

d'outre-mer, tome 78, n°292, 3e trimestre 1991. pp. 416-417. Dans son allocution d’ouverture du 30 janvier

1944, le Général DE GAULLE précisait qu’: « en Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n'y aurait aucun progrès qui soit un progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n'en profitaient pas moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient s'élever peu a peu jusqu'au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi ». Discours du Général DE GAULLE Charles lors de l’ouverture de la

conférence de Brazzaville de janvier-février 1944, consultable sur http://www. charles-de-gaulle.org/pages/l-

homme/accueil/discours/pendant-la-guerre-1940-1946/discours-de-brazzaville-30-janvier-1944. php.Voir sur ce point, GARRIER Claude, L’exploitation coloniale des forêts de Côte d’Ivoire : une spoliation institutionnalisée,

op.cit., pp. 25-26.

211

Loi n° 46-940 dite Loi Lamine GUEYE du 7 mai 1946 tendant à proclamer citoyens tous les ressortissants des territoires d'outre-mer, Journal Officiel de République Française, 8 mai 1946.

L’indigénat qui plaçait les peuples colonisés dans une situation d’infériorité et les soumettait à un régime juridique spécifique était dorénavant aboli. Il n’existait plus en Côte d’Ivoire comme dans l’ensemble des colonies visées, de distinction entre sujet français et citoyens français. Toutefois, sur le terrain du droit applicable, la nouvelle loi fondamentale française n’entendait pas imposer le Code Civil aux anciens sujets qui demeuraient attachés à leurs pratiques coutumières. C’est en cela que l’article 82 du texte susvisé subrogea à la distinction sujet/citoyens, un départ entre citoyens de statut civil français et citoyens de statut local ou de statut personnel212. Il leur était désormais possible d’opter pour l’un ou l’autre statut, donc de droit régissant la colonie.

§2. Instauration de la faculté de renonciation au statut personnel

Aux termes de l’article 82 alinéa 1er de la Constitution de 1946 : « Les citoyens qui n'ont pas le statut civil français conservent leur statut personnel tant qu'ils n'y ont pas renoncé ». Cette règle, reprise par l’article 75 de la Constitution de 1958213, permettait à ces « citoyens » de conserver leur statut civil, donc leurs us et coutumes antérieurs à l’annexion de leur territoire par la France. La Constitution écartait ainsi la compétence du législateur en matière de statut personnel et lui imposait de faire application du droit local aux citoyens « indigènes », tant qu’ils n’avaient pas renoncé à leur statut personnel214.

212 BOUA KRECOUM Marius, Le mariage à l’épreuve des mutations, Bibliothèque de l'UFR SJAP de

Cocody, 2005.

213 « Les citoyens de la République qui n'ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l'article 34,

conservent leur statut personnel tant qu'ils n'y ont pas renoncé. », article 75 de la Constitution du 4 octobre 1958,

Journal Officiel de la République Française, n° 0238 du 5 octobre 1958, p. 9151.

214 URBAN Yerri, « La nationalité dans le second Empire colonial français », Sous l’empire de la

nationalité (1830-1960), sous la direction de AMARA Noureddine, « De la colonie à l’Etat-nation :

constructions identitaires au Maghreb », Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain, Maghreb et sciences sociales 2012, L’Harmattan, p. 89. GONIDEC Pierre-François, « Note sur la nationalité et les citoyennetés dans la Communauté», Annuaire français de droit international, vol. 5, 1959, pp. 748-761.

Mais la loi fondamentale ne fixa aucune condition de forme ni de fond à ce privilège accordé aux habitants des colonies à l’article 82. Ce fut le Conseil d’Etat dans son avis en date du 22 novembre 1955215 qui en détermina les modalités (A) et les effets (B).

A. Les modalités de la renonciation

Dans le silence de la loi fondamentale, la pratique continuait d’appliquer à la renonciation, les mêmes conditions que la naturalisation, conformément aux décrets antérieurs à 1946216. Il a fallu donc attendre l’avis précité du Conseil d’Etat, qui fit jurisprudence en la matière217, en déclarant d’une part la caducité desdits décrets de naturalisation et en fixant d’autre part, les conditions d’une renonciation valable.

Le Conseil d’Etat trancha pour le régime déclaratif, exprès, libre et éclairé, ouvert aux intéressés majeurs, se trouvant dans une situation juridique personnelle conforme à l’ordre public français218. La rénonciation pouvait être introduite auprès de toute juridiction de droit commun du territoire national, compétente en matière d’état des personnes219. La compétence de l’autorité administrative coloniale était donc écartée en la matière.

Il en résultait que la renonciation n’était valable que pour le renonçant majeur, célibataire ou monogame, la polygamie étant contraire à l’ordre public national (ce qui pouvait expliquer la réticence des populations ivoiriennes fondamentalement polygames à se voir appliquer le droit français). Elle ne pouvait être implicite220, mais produisait des effets à

215

Avis du Conseil d’Etat n° 262-176 du 22 novembre 1955, Revue Juridique et politique de l’Union

Française, 1958, p 350, note PAUTRAT.

216 Circulaire du ministre de la France d’outre-mer du 25 juin 1949, reprise par le ministre de la France

d’outre-mer dans une note d’instruction du 27 décembre 1955, Revue Juridique et politique de l’Union

Française, 1958, p. 704. Cour de Cassation, 30 mars 1949, Revue Juridique et politique de l’Union Française,

1949, pp. 215 et s., note CAZANOVA Arrighi De.

217 Article 57 de la Loi du 11 juillet 2001 abrogé par l’article 16 de l’Ordonnance n°2010-590 du 3 juin

2010 relative à Mayotte. Cour de Cassation, 1ère Chambre Civ., 16 octobre 1984, Bulletin Civ., 1984, I, n°265.

218 Avis du Conseil d’Etat n° 262-176 du 22 novembre 1955, Revue Juridique et politique de l’Union

Française, 1958, p 350, note PAUTRAT.

219 Circulaire du Ministre de la justice 7 mars 1957 adressée à MM. Les procureurs généraux, Revue

Juridique et politique de l’Union Française, 1958, p. 708.

220 Cour d’Appel de Besançon, 1ère Chambre civile, « Narwada Radjeswari c/ Parquet général », 13 juin

l’égard des enfants mineurs de moins de treize ans. Passé cet âge, les enfants du parent renonçant devaient être associés à la demande s’ils voulaient changer de statut221. Le renonçant devait agir en connaissance de cause et être informé des conséquences de sa procédure.

B. Les effets de la renonciation

La renonciation au statut personnel était irrévocable (« après que la décision la constatant est passée en force de chose jugée »222). Elle était univoque, c'est-à-dire qu’elle ne pouvait intervenir qu’exclusivement au profit du droit commun. Il était dès lors impossible au renonçant de revenir à son statut civil de droit local. L’état et la capacité du renonçant ainsi les questions juridiques afférentes à son régime matrimonial, sa succession et ses libéralités relèvaient dorénavant du Code Civil223. Ses enfants légitimes et adoptifs224 ainsi que les enfants naturels valablement reconnus225 par lui, bénéficiaient eux aussi de ce statut civil français.

Cela participa d’une politique d’assimilation nouvelle, s’opérant sans heurts en ce qu’elle fut laissée en apparence au bon vouloir des autochtones, pour progressivement « faire disparaître les statuts de droit local »226. L’objectif visé était l’instauration d’un monisme juridique dans les colonies. Un décret en date 30 avril 1946227 supprimait d’ailleurs (parallèlement à l’article 81 de Constitution de la même date qui conférait la citoyenneté à tous les indigènes) la justice pénale indigène.

221 Ordonnance n°2010-590 du 3 juin 2010 portant dispositions relatives au statut civil de droit local

applicable à Mayotte et aux juridictions compétentes pour en connaître, Journal Officiel de la République

Française, 4 juin 2010, p. 10256.

222 Ordonnance n°2010-590 du 3 juin 2010 portant dispositions relatives au statut civil de droit local

applicable à Mayotte et aux juridictions compétentes pour en connaître, op.cit., article 3.

223 Ibidem., article 1er. 224

Civ., 27 novembre 1951, Revue Juridique et Politique de l’Union Française, 1951, p. 270.

225 Décret du 15 décembre 1922 modifiant pour les colonies l’article 339 du Code Civil.

226 Assemblée Nationale Constitution du 4 octobre 195, Rapport FLOCH n°2967 sur le projet de loi

n°2932 relatif à Mayotte, 29 mars 2001. http://www. assemblee-nationale. fr/11/rapports/r2967. asp#P231_28052

Mais ce stratagème juridique n’eut pas l’effet escompté dans la colonie ivoirienne. Il occasionna plutôt une nouvelle partition de la société entre une minorité d’assimilés ayant usé de leur droit à la renonciation, et une majorité de citoyens de statut personnel profondément attachés à leurs valeurs ancestrales. Diverses raisons pouvaient expliquer ce résultat :

- D’abord l’ignorance et l’incompréhension, à la fois de la langue et de la procédure issue du Code Civil228, tiré d’une philosophie juridique trop éloignée de celle autochtones et utilisant des moyens de preuve (l’écrit notamment) incompatibles avec une société baignant depuis toujours dans la tradition orale.

- Ensuite la notion d’« ordre public national », principe fondamental comptant au nombre des conditions de validité de la renonciation, la proscrivait aux polygames, interdisait la dot, la répudiation, et soumettait le mariage du renonçant à un régime juridique totalement contraire aux pratiques matrimoniales des sociétés traditionnelles de la colonie ivoirienne229.

Cet échec de la renonciation en Côte d’Ivoire conduisit le législateur colonial à faire une entorse à sa politique de « non interventionnisme », en s’immisçant de plus en plus dans le domaine coutumier, en vue de modifier certaines pratiques matrimoniales et par voie de conséquence, assurer la transformation voulue des sociétés traditionnelles230.

228 GARRIER Claude, L’exploitation coloniale des forêts de Côte d’Ivoire : une spoliation

institutionnalisée, op.cit., p. 23.

229

DUMETZ Marc, Le droit du mariage en Côte d’Ivoire, op.cit., pp. 20-21.

Section 2 : L’interventionnisme croissant du droit français dans le