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Dans les sociétés traditionnelles ivoiriennes, pour la plupart agraires, la survivance du groupe dépendait de sa capacité de production, laquelle reposait sur sa force de travail et donc, sur son volume démographique356. Dès lors, le mariage était le gage du renforcement et de la continuation du clan en ce qu’il en assurait d’une part son agrandissement et son renouvellement au gré des naissances qui en découlaient et, d’autre part, sa stabilité du fait du rôle pacificateur joué par les échanges matrimoniaux inter-claniques.

Ainsi, il était tout à fait concevable, eu égard aux intérêts en jeu, que le mariage traditionnel échappât à la volonté des futurs époux. Comme le constatait Madame la Doyenne Oblé, le mariage dans la conception africaine « n’est pas conçu comme une affaire entre un homme et une femme, mais plutôt comme un contrat entre deux groupes parentaux »357. Le choix de l’homme et de la femme revenait au chef de chacun de ces groupes, seuls à même de concilier les intérêts du lignage envers ceux des époux.

Cette observation n’est que le reflet de la « pensée africaine » telle qu’elle nous est dépeinte par Koku Kita c'est-à-dire un mode de raisonnement communautaire, faisant primer le « nous », symbolisant la famille élargie, sur le « moi » de la pensée individualiste occidentale. Ce « nous » souligne t-il, « n’est pas seulement une éducation à la solidarité humaine. C’est une adhésion nécessaire à l’autre et avec l’autre, à l’existence, tout en reconnaissant l’identité (qui n’est pas nécessairement l’individualité) de chacun […] C’est une relation du personnel au communautaire vivant et agissant comme une totalité »358.

356 QUESNEL André et VIMARD Patrice, Ibidem, p. 341.

357 OBLE-LOHOUES Jacqueline, Le droit des successions en Côte d’Ivoire : tradition et modernisme,

op.cit., p. 174.

358

KOKU Kita Julien, Pour comprendre la mentalité africaine : Les rapports afro-occidentaux en

C’est donc à juste titre que le mariage est conçu en Afrique non pas comme une union entre un homme et une femme, mais plutôt comme « la convention par laquelle deux tribus consentent (§1) à l’union d’un homme et d’une femme (§2) »359.

§1. Une convention communautaire

La dimension communautaire du mariage traditionnel africain et notamment ivoirien, s’explique par le rôle essentiel qu’il tenait dans la survie du lignage.Ce dernier très impliqué dans l’éducation de l’enfant, prévoyait des rites d’initiation ou rites de passage destinés à préparer filles et garçons à la vie d’adulte, rites au cours desquels les jeunes gens recevaient des enseignements sur le mariage, la sexualité et la vie familiale360.

L’accès au mariage était conditionné par l’acquisition de ce savoir initiatique destiné à doter l’individu de « l’ensemble des valeurs décisives de la communauté qui s’orientent vers des puissances transcendantes et invisibles, non pas une valeur mais un faisceau de valeurs en relation, plutôt structure idéologique qu’assemblage fortuit […] Une structure dramatique au sein de laquelle chaque acteur, vivant ou ancêtre, être humain ou esprit sacrificateur ou sacrifiant, initiateur ou postulant, entre en lice de façon cohérente et liturgiquement cohérente »361.

Pour mémoire, l’organisation sociale de ces sociétés dont le but premier était la recherche de l’unité du clan et la cohésion de ses membres, prêtait au mariage un sens différent de celui de l’Occident, en ce qu’au lieu d’opérer une désolidarisation des époux et de leur famille respectives pour en former une nouvelle de type nucléaire, le mariage traditionnel africain lui procède à une véritable réorganisation de la structure sociale.

359

AMON d'Aby Agblemagnon François- Joseph, Croyances religieuses et coutumes juridiques des Agni

de la Côte d'Ivoire, éd. Larose, Paris, 1960, p. 137.

360 OCHOLLA-AYAYO Andrew Benjamin Cohen, « La famille africaine entre tradition et modernité »,

Adepoju Aderanti (éd.), La famille africaine, Karthala, 1999, Paris, p. 85.

361

VANGU VANGU Emmanuelle, Sexualité, initiations et étapes du mariage en Afrique : Au cœur des

En effet, en plus d’unir des époux, celui-ci unit aussi leurs familles (A). Ainsi, les liens anciens demeurent, et sont même le prétexte de la création de nouvelles relations sociales (B)362.

A. Un contrat entre deux groupes parentaux

Dans la pensée africaine, l’institution du mariage réunit les trois éléments constitutifs du clan que sont :

- les morts : notamment l’ancêtre fondateur devant lequel se scelle l’union et dont le sang coule dans les veines;

- des vivants : le lignage de l’époux, qui se doit de trouver et/ou choisir à leur enfant, un mari ou une femme pour assurer ;

- la descendance (les non-encore-nés) ce, dans des conditions respectueuses des tabous et interdits du clan, tout en assurant la cohésion du groupe.

Il n’est donc pas étonnant qu’une telle mission dont dépendait la survie du groupe, qui au demeurant se voulait foncièrement communautariste et solidaire, ne laissait que peu de place à la subjectivité des époux. En effet, le « nous » primant sur le « moi », les principaux intéressés dans les questions maritales coutumières étaient les deux familles des futurs époux. Comme cela fut le cas en Occident, notamment chez les Romains et dans la tradition germanique, le mariage chez les ethnies ivoiriennes est conceptuellement rattaché à la famille363.

Il est conçu comme une alliance entre deux clans, deux lignages, ou deux familles, réalisée par la seule rencontre des consentements des dépositaires de l’autorité de chacun des

362 RADCLIFFE-BROWN Alfred Reginald et FORDE Daryll, Cités par MULAGO Vincent, « La famille

et le mariage africains interpellent l'Eglise», Bulletin de Théologie Africaine, vol. IV, n° 7, janvier-juin, 1982, p. 24.

363 Voir sur ce point, NKELENGE Hilaire Mitendo, Vers une sacramentalité du système matrimonial

négro-africain : Une analyse des concepts de contrat-alliance appliqués au mariage, préface de BUJOT

Bénézet, Collection Etudes d’éthique chrétienne, Nouvelle Série, Vol. 1, Presse Académique de Fribourg, 2003, p. 119.

groupes. Toutefois, nous le rappelle l’auteur Mitendo Nkelenge, cet « absolutisme » de l’autorité familiale dans la réalisation du mariage coutumier, doit être appréhendé comme la manifestation de son caractère communautaire ainsi que de son esprit de solidarité, en ce qu’il est un gage du renforcement des liens familiaux créés par l’union des deux enfants, et non être interprété comme une limitation faite à leur liberté364.

En effet, suivant les explications de M. Comoé Krou, le mariage, tout étant « la cause ou l’occasion de très bonnes relations » peut aussi « susciter des querelles, de la discorde, même de l’inimité entre les familles et ainsi hypothéquer l’avenir des enfants qui pourraient naître », pour ainsi « prévenir les inconvénients et garantir les avantages, il importe de contrôler la liberté de choix des jeunes, surtout celle de la fille, pour que cette liberté ne se transforme pas en caprice »365.

Quoique, même s’il leur était loisible de choisir les conjoint (es) et de marier leurs enfants sans les en aviser, voire même « non-encore-nés », les familles n’agissaient ainsi qu’à titre exceptionnel366. Dans la pratique, elles s’arrangeaient pour emporter le « consentement à postériori » des futurs époux, lequel intervenait sous forme d’un acquiescement au choix opéré par le lignage pour leur compte367.

Par ailleurs, chez la plupart des ethnies étudiées, l’initiative nuptiale incombe au jeune garçon en âge de se marier, qui doit soumettre son projet et/ou son choix à l’approbation de sa famille. Il s’ensuit que jeunes filles étaient donc les plus exposées à l’éventualité d’un mariage forcé. Néanmoins, les familles demeuraient conscientes des risques encourus par le lignage tout entier en cas d’échec d’une telle union368.

364 Ibidem, p. 120.

365 M. COMOE Krou cité par OBLE-LOHOUES Jacqueline, Le droit des successions en Côte d’Ivoire :

tradition et modernisme, op.cit., p. 175.

366

Selon un proverbe Dogon : « Une abeille qui est mise de force dans une ruche ne produit pas de miel », cf. GRIAULE Marcel et PAULME Denise cités par LEGIER H. J., « Traditions africaines et droits de l’homme », UNESCO, SS. 81/WS/77, Paris, 1981.

367 Ibidem, p. 174. 368

Voir LEGRAIN Michel, Mariage chrétien modèle unique ? Questions venues d’Afrique, Chalet, Paris, 1978, p. 63.

C’est donc pourquoi elles accordaient une place primordiale à l’éducation des jeunes filles. M. Comoé explique cela par le fait que : « la vie du lignage repose entièrement sur les femmes [car ce sont elles qui le perpétuent et donc par conséquent], pour ce qui regarde le mariage, il importe de prendre davantage en considération l’éducation des filles […] Il s’agit donc en matière d’éducation au mariage de faire[…]en sorte que la fille soit heureuse dans sa vie conjugale, et en même temps qu’elle évite de s’exposer à introduire n’importe quel type de personnalité dans le lignage »369. Il s’agissait ainsi d’un véritable conditionnement que l’auteur qualifie « d’eugénisme physique et moral », dont le succès devait garantir l’assentiment de la promise au choix familial.

Dès lors, pour certains auteurs, il est hâtif et inapproprié d’affirmer que le consentement fait défaut aux filles africaines lors de leur mariage, car « elles-mêmes [se refusent] d’aller en mariage [lorsqu’elles] ne se sentent pas soutenues dans leurs démarches par la communauté toute entière » et cela est aussi vrai pour les garçons. C’est pourquoi, selon ces auteurs, en fait de mariage coutumier, « le consentement des conjoints, c’est le consentement de la communauté »370.

Il existe enfin des systèmes coutumiers dans lesquels ce consentement des époux est beaucoup plus manifeste, même si en réalité l’approbation lignagère demeure requise. C’est la forme de mariage dite par « rapt simulé » pratiqué chez certaines ethnies Krou (Bété, Dida, Guéré) de Côte d’Ivoire, dans lequel la jeune fille est symboliquement enlevée par son amant (avec la complicité de la mère ou de la tante de celle-ci), et s’enfuit avec lui dans village voisin. Cet évènement déclenche le processus du mariage, qui lui sera conclu par les deux lignages concernés, ce qui suppose leur approbation préalable à une telle initiative.

En définitive, l’intervention du lignage dans le mariage coutumier peut donc consister à choisir, à orienter, ou à ratifier le choix de l’époux ou de l’épouse, en se fondant en cela sur un faisceau d’éléments relatifs, d’une part, au lignage du ou de la futur(e) conjoint(e) et d’autre part, à sa personne même.

369

Ibidem, note n°1.

Concernant le lignage de l’intéressé(e), cette appréciation dépend de la nature des relations qu’elles entretiennent (de vieilles querelles, inimitiés ou guerres étant bien souvent des causes d’empêchement de mariage)371, du rang, de la religion372 ou de la caste du lignage en question373, ainsi que de son orientation endogamique ou exogamique374. Quant à sa personne, le lignage s’intéressera naturellement à sa nubilité, sa réputation et à son état de santé. Le fou, l’eunuque375, les personnes souffrant de maladies graves ou incurables, ainsi que les impubères n’étant pas admis à contracter mariage376. Cette intervention du lignage dans la formation des unions coutumières peut aussi s’expliquer par leur finalité principale qu’est la perpétuation du groupe.

B. Une continuité du lignage

Le mariage traditionnel ne crée pas un lien familial nouveau mais vient renforcer les lignages de la femme ou de l’homme. C’est « un moyen visant un but, et sa plus importante raison d’être est la production d’enfants en vue d’accroître la taille, le statut et le pouvoir du groupe »377. C’est en cela qu’avant d’être une union entre époux, il se veut en premier lieu un pacte entre deux parentèles, une alliance matrimoniale opérant un véritable bouleversement dans la structure sociale378.

371 M. le Capitaine BENQUET, « Coutumes des Ngoulango ou Pakhalla », François Joseph CLOZEL et

Roger VILLAMUR, Les coutumes indigènes de la Côte d’Ivoire…, op.cit., p. 353.

372 M. le Capitaine BENQUET, « Coutumes Mandés de Bondoukou», ibidem, p. 280.

373 M. MOREAU, Capitaine d’infanterie coloniale, commandant de la circonscription de Séguéla,

« Coutumes de Séguéla », ibidem, p. 326.

374 Chez les Baoulé, le mariage entre deux membres de la même famille est interdit « fussent-ils cousins

au 4è degré », M. DELAFOSSE, administrateur adjoint des colonies, « Coutumes indigènes des Agnis et du Baoulé », ibidem, p. 101.

375 M. MOREAU, ibidem, p. 328. 376

M. le Capitaine BENQUET, « Coutumes des Abrons», ibidem, pp. 194-195.

377 ARYEE A. F., « L'évolution des modèles matrimoniaux », in Adepoju Aderanti (éd.), La famille

africaine, Karthala, 1999, pp. 109-134.

378 Conférence Episcopale du Zaïre (C.E.Z.), « Fonctions et tâches de la famille chrétienne dans le monde

contemporain », contribution de l’Episcopat du Zaïre au Synode des Evêques 1980, éd. Du Secrétariat Général de la C. E. Z., Kinshasa 1984, p. 25.

Il existe deux grands systèmes d’alliance matrimoniale, visant chacun à assurer l’accroissement et la perpétuation du groupe, à travers le mode de circulation des épouses : les systèmes dits « élémentaires » qui édictent des règles positives en matière de choix du conjoint, et les systèmes « complexes » qui se fondent en la matière sur des règles essentiellement négatives379.

Les systèmes élémentaires consistent en une réciprocité entre le groupe de « donneur » et celui de « preneur » de femme, laquelle peut être soit immédiate (échange de sœurs), soit différée (mariage avec la cousine croisée matri ou patrilatérale)380. Dans les systèmes complexes, Crow (matrilinéaire), Omaha (patrilinéaire), un homme ne peut prendre épouse, ni dans son clan, ni dans celui de son père, ni dans celui du père de sa mère (en régime matrilinéaire). En système Omaha, l’interdiction touchera le clan de l’époux, celui de sa mère, ainsi que celui de la mère de son père. Il s’agit donc de systèmes d’échanges indirects s’appliquant non pas à des groupes, mais à des individus381.

On constate ainsi que l’alliance matrimoniale est un outil stratégique majeur dont dépend la survie du lignage, en ce qu’elle régit à la fois le mode d’établissement de la parenté et de la filiation en son sein. Elle constitue « la première arme politique du lignage dans la compétition pour les hommes »382, raison pour laquelle elle a vocation éternelle383. Elle est définie comme « un acte à la fois personnel et communautaire […], un pacte conclu entre deux personnes et leur lignages respectifs qui se mobilisent de part et d’autre, pour donner une nouvelle chance à la vie, à l’amour, à la concorde, à la paix et à la sécurité au-delà de leurs frontières respectives tracées par le même sang et la même commune ascendance. [L’alliance, en ce qu’elle fait céder] (…) les barrières entre lignages, nations peuples et races et [subsiste longtemps] (...) entre eux, même après l’échec ou la mort des deux personnes [qui

379 SCHMITZ Jean, Rapports de parenté et de mariage, op.cit., pp. 5-7. 380 Ibidem, p. 6.

381

Ibidem, pp. 7-8.

382 AGYUNE-NDONE Fabrice, Dynamique des clans et des lignages chez les Makina du Gabon,

Mémoire de Master recherche Anthropologie, Dir. MAYER Raymond, Université Lumière Lyon 2, Faculté d’Anthropologie et de Sociologie, Département d’Anthropologie, 2007, p. 62.

383

TRINCAZ Jacqueline et Pierre, « L’Éclatement de la famille Africaine : Religions et migrations, dot et polygamie », Cahiers ORSTOM, Série Sciences Humaines, 1983, pp. 195-202.

en avaient donné l’occasion ou l’avaient rendue possible] »384, se veut indissoluble car elle résiste aussi bien à la mort qu’à la volonté des époux.

En effet, même s’il existe, le divorce n’est pas aisé pour l’évidente raison qu’il est problématique pour les époux de défaire une union qu’ils n’ont pas créée385. Cependant, l’éventualité d’un divorce n’entame en rien l’alliance tissée, qui se perpétue avec la filiation pour déboucher sur la consanguinité ; qui en est l’aboutissement386.

De la même manière, le décès de l’un des époux ne met pas fin au contrat conclu entre les deux lignages387, en vertu du caractère définitif de l’alliance. Les coutumes penchent pour « la substitution » du conjoint prédécédé par un de ses frères (lévirat), ou une de ses sœurs (sororat)388. Si l’institution du sororat est beaucoup moins répandue en Côte d’Ivoire (pratiqué seulement chez quelques ethnies du groupe Krou notamment chez les Bété389), le lévirat qui se fonde sur l’idée que, par le mariage, l’épouse entre définitivement dans le lignage du mari390, au point d’en faire physiquement partie, au même titre que sa filiation, à titre de « charges et responsabilités du défunt », de la succession de ce dernier391. Cette institution trouve un écho beaucoup plus favorable au sein des sociétés patrilinéaires ivoiriennes pour lesquelles, « il ne peut y avoir de succession aux biens du défunt sans succession à ses charges, à ses responsabilités d’époux et de père »392.

384 Conférence Episcopale du Zaïre, « Fonctions et tâches de la famille chrétienne dans le monde

contemporain », op.cit., p. 25.

385 LEGRAIN M., Remariage et communautés chrétiennes, Salvator, Mulhouse, 1955, p. 17.

386 SOUSBERGHE Léon De, « Union structurale et alliance en Afrique Centrale », Anthropos-Institut,

Paulusverlag, Freiburg, 1973, p. 8.

387 Ibidem, p. 492. 388

Cf. OBLE-LOHOUES Jacqueline, Le droit des successions en Côte d’Ivoire : tradition et modernisme,

op.cit., pp. 183-193.

389 Ibidem, p. 193.

390 M’BAYE Kéba, Le droit de la famille en Afrique noire et à Madagascar, op.cit., pp. 24-25. 391

OBLE-LOHOUES Jacqueline, ibidem, pp. 185-186.

Le lévirat serait donc « une institution de sauvegarde de la veuve et des orphelins »393. Pour Gilbert Pene, le lévirat se rattache d’avantage aux institutions dotales que successorales. Il est le parfait compromis entre les intérêts du groupe et la volonté individuelle des époux394. Selon lui, la dot symbolise l’union sociale nouée entre les deux familles, laquelle subsiste au delà du décès du mari, jusqu’à ce restitution en ait été faite, ce pour la simple raison que son paiement incombait non pas au de cujus, mais à son clan. Le mariage ne prend donc fin qu’en cas de renonciation de la veuve au lévirat, laquelle donne lieu à la restitution de la dot au groupe marital, et place cette dernière dans une situation apparentée au divorce395.

Cependant, cette liberté donnée à l’épouse dans la pratique du lévirat, ne fait pas du mariage traditionnel une institution indépendante.

§2. Une institution obligatoire

Dans la conception traditionnelle, « le mariage est une évidence »396, un passage qui s’impose à tout individu. Le fondement de cette obligation réside tout d’abord dans son caractère communautaire. Le mariage coutumier est en effet une convention complexe qui renferme deux contrats indissociables que sont l’alliance et l’union conjugale397. Chacun de ces contrats joue un rôle décisif dans la survie du groupe.

L’union conjugale a pour finalité la procréation en vue du renforcement et de la pérennisation du lignage ; c’est le « levain social ». L’alliance, quant à elle, tient un rôle

393 Ibidem, p. 185.

394 PENE Gilbert, « La dot traditionnelles en Côte d’Ivoire », Revue Ivoirienne de Droit, n°2, 1979, pp.

11-21.

395 HAUMANT Jean Camille, Les Lobi et leurs coutumes, PUF, Paris, 1929, p. 94. 396 Adage Malinké : « Furu yé wadjibi lé yé ».

397 SOHIER Antoine, Le mariage en droit coutumier Congolais, Institut Royal Colonial Belge, Section

des Sciences Morales et Politiques, mémoires, collection in-8°, tome 11, fasc. 3, G. Van Campenhout, Bruxelles, 1943, p. 5.

politico-stratégique, en assurant la paix, la coopération et la bonne entente entre deux groupes sociaux398.

L’obligation de se marier découle ensuite de sa nature institutionnelle, en ce qu’il ce qu’il consacre l’accession à la maturité (A) et par conséquent, permet la participation à la vie sociale (B).

A. Consécration de la maturité

Comme l’a remarqué Emmanuel Vangu Vangu, dans le contexte africain, la transmission intergénérationnelle des savoirs emprunte deux vecteurs fondamentaux qu’il convient de distinguer : l’éducation et l’initiation399.

L’éducation traditionnelle est très « informelle quant à son organisation et son déroulement ». Elle se propose comme une diffusion des règles du savoir-être à l’endroit des jeunes, laquelle incombe à la communauté toute entière de leurs aînés au sein du groupe. Elle est « globale et intégrée à la vie. Elle n’a pas de limitations strictes, elle se donne partout et en tout temps, car elle se moule à la vie. Elle est constante et permanente »400.

L’initiation rituelle en revanche vise l’acquisition par les jeunes filles et jeunes garçons, de l’ensemble des savoirs et savoir-faire du groupe. Elle est formelle quant à son organisation, intervient à la puberté, et se décline en général en un ensemble d’épreuves et de rites cultuels