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Outre leur grand nombre et leur extrême diversité, les coutumes indigènes présentaient toutes la particularité d’un défaut de différenciation entre le « fas » et le «jus », entre les droits et les obligations, et plus encore, entre les notions de droit « privé » et « public », ou de droit « civil » et « criminel »309. Ce compartimentage leur fut apporté par le législateur colonial qui, pour les besoins de leur écriture et de leur uniformisation, les fit correspondre au lexique juridique occidental, sans toutefois se soucier de rendre conforme la terminologie usitée à l’approche philosophique africaine310.

L’entreprise de rédaction des normes coutumières nécessitait en effet l’élaboration d’un plan et d’une méthode, destinés à les apparenter aux codes métropolitains, et qui vont dès les premières initiatives, prendre la forme d’un questionnaire détaillé adressé aux agents en charge de la collecte des données. Ce questionnaire fut une constante dans les différentes tentatives qui se succédèrent. S’inspirant ainsi du questionnaire adressé au Colonel De Trentinian en 1897 par l’Union internationale de Droit et d’Economie politique de Berlin, le Gouverneur Clozel en fit rédiger un en 1901, à l’appui de sa circulaire « au sujet de la réunion des coutumes en vigueur devant les juridictions indigènes » du 29 mars de la même année311. Celui-ci comprennait trois grandes parties : le droit civil, le droit criminel, l’organisation judiciaire et la procédure.

L’analyse de ce questionnaire afférent aux coutumes civiles312 des indigènes de la Côte d’Ivoire, fait clairement ressortir sa double influence à la fois de droit romain et de droit français, en ce qu’il reprenait exactement les principales thématiques du Code civil de 1804 à savoir : la famille, le mariage, la filiation; la tutelle, l’émancipation et l’interdiction; la

309

POIRIER Jean, Les droits coutumiers d’Afrique noire dans la civilisation traditionnelle, s. d. (sine data), ANOM, cote B2 9579B, p. 71.

310 Ibidem, p. 65.

311 CLOZEL François Joseph et VILLAMUR Roger, Les coutumes indigènes de la Côte d’Ivoire…,

op.cit., pp. IX –XII.

propriété, les successions, donations et testaments, les contrats, la prescription, la responsabilité civile.

Notre étude ne se rapportant qu’aux questions matrimoniales, les instructions tenant aux contrats, à la prescription et à la responsabilité civile ne feront pas l’objet d’une analyse313.

§1. Organisation de la famille

La commission devait identifier la famille indigène dans ses composantes et son étendue, définir son organisation et la situer au sein de la tribu. Elle devait aussi la comparer avec les institutions analogues à l’origine des civilisations et en déceler les principes fondateurs. Un questionnement devait être fait sur les droits et devoirs de ses membres entre eux, et de ceux à l’égard des biens, de leurs modes d’attribution et de transmission ainsi que ceux du nom. Pour ce faire, l’enquête opposait la parenté (A) à l’alliance (B) qui sont les deux voies par lesquelles s’établit le lien familial en Europe.

A. La parenté

Dans les sociétés indigènes, comme nous l’avons précédemment énoncé, la parenté découle de la « reconnaissance d’une relation sociale entre parent et enfant, différente de la relation physique et qui peut ou non coïncider avec elle »314. Contrairement à la parenté européenne, elle n’est donc pas que biologique; mais peut être sociale315.

Les enquêteurs devaient en établir l’origine et les effets. Ils devaient trouver pour chacune des ethnies si la parenté s’établissait par la ligne maternelle, la ligne paternelle, ou

313 Voir pour le questionnaire ici présenté ; CLOZEL François Joseph et VILLAMUR Roger, Les

coutumes indigènes de la Côte d’Ivoire…, op.cit., pp. XIII-XX et ORTOLI Jean et AUBERT Alfred, Les coutumiers juridiques de l’Afrique occidentale française, op.cit., pp. 16-24.

314 RADCLIFFE-BROWN Alfred Reginald et FORDE Daryll, Systèmes familiaux et matrimoniaux en

Afrique, op.cit. p. 5.

315

GRELLEY Pierre, « Contrepoint - Famille, parenté et éducation en Afrique », Informations sociales, n° 154, 4/ 2009, p. 21.

par les deux lignes et dans ce dernier cas, dire laquelle des deux lignes l’emportait, préciser si la parenté avait des degrés différenciés et en établir, le cas échéant, l’échelle.

Cette étude des groupes de parenté chez les tribus indigènes ouvrait donc la voie à la compréhension générale des interactions sociales, économiques, politiques et même religieuses, qui s’opéraient en leur sein. L’enquête devait en révéler les effets, ceux relatifs aux mariages et à leurs empêchements, à la tutelle, aux successions et à l’administration des biens. Elle devait aussi déterminer les variantes et typologies de parenté chez les différentes tribus, dire s’il existait chez elles une parenté en dehors de celle basée sur le lien du sang, et en définir les modes d’acquisition.

B. L’alliance

Si cette forme de parenté a bien existé dans l’Ancien droit316, elle n’eut en Europe, ni la généralisation, ni la pérénité qu’on lui connaît dans les sociétés africaines, où elle semble continuer à l’infini la notion de « famille africaine »317. Il s’agit de la parenté sociologique ou du « lignage », c'est-à-dire le groupe social formé par l’ensemble des individus se considérant comme descendant, « soit en ligne agnatique (patrilignage), soit en ligne utérine (matrilignage), d’un (e) ancêtre commun (e), connu (e) et nommé (e) »318. La parenté par alliance est aussi religieuse, en ce qu’elle est « appartenance et participation mythique à son groupe social, soumission à ses préceptes religieux et à ses valeurs morales »319 ; ce peut être la parenté ou alliance par plaisanterie, qui est « une pratique sociale, observable dans toute l'Afrique occidentale, qui autorise, et parfois même oblige, des membres d'une même famille (tels que des cousins éloignés), ou des membres de certaines ethnies entre elles, à se moquer

316 Cf. FLANDRIN Jean-Louis, Familles : Parenté, maison, sexualité dans l’ancienne société, Editions

du Seuil, 1984.

317 Voir sur ce point, AUGUSTINS Georges, Comment se perpétuer ? Devenir des lignées et destins des

patrimoines dans les paysanneries européennes, Société d’ethnologie, Nanterre, 1989.

318

OBLE Jacqueline, Le droit des successions en Côte d'ivoire : tradition et modernisme, op.cit., 1984, p. 80.

319 KOUASSIGAN Guy-Adjété, Famille, droit et changements social en Afrique noire francophone,

ou s'insulter, et ce sans conséquence, ces affrontements verbaux étant en réalité des moyens de décrispation sociale »320.

Quelle qu’elle soit, l’alliance crée des droits et obligations identiques à ceux découlant d’une parenté biologique. La commission d’enquête devait donc en identifier les conditions d’acquisition ou de consécration ainsi que les effets.

A côté ces typologies particulières de parenté, subsiste l’alliance matrimoniale traditionnelle, unissant les deux familles des époux.

§2. Mariage

L’enquête devait constater les formes de mariage traditionnel. Etaient-ce des mariages monogamiques ou polygamiques ? La polyandrie était-elle pratiquée ? Ces éléments de réponse permettaient ainsi d’apprécier corrélativement, la place et la condition de la femme au sein de ces sociétés. L’inventaire des normes tenant à la formation et aux effets du mariage s’est opéré suivant un questionnement chronologique envisageant d’abord les fiançailles (A) ensuite le mariage (B) et enfin la rupture du lien marital (C).

A. Les fiançailles ou promesse de mariage

Le questionnaire relatif aux fiançailles ou promesse de mariage interrogeait tout d’abord sur l’existence ou non d’une réglementation coutumière y afférant. Les enquêteurs devaient alors rapporter les conditions de formation des fiançailles, l’âge requis pour chacun des prétendants, la nécessité ou non de leur consentement, l’absence de lien de parenté, la caste, l’exogamie ou l’endogamie etc.

320 KOUADIO Kouadio Yacouba, « Alliances inter-ethniques et parenté à plaisanterie ou dynamique

d'une dédramatisation endogène des conflits sociopolitiques en Afrique : le cas de la Côte-d'Ivoire », Actes du Colloque International, Royautés, chefferies traditionnelles et nouvelles gouvernances, édition Dagekof, Abidjan, 2004, p. 86. CANUT Cécile et SMITH Étienne, « Pactes, alliances et plaisanteries », Cahiers d'études

Ils devaient également établir s’il existait pour ceux-ci une distinction marquée entre empêchements absolus et relatifs, dresser la liste des droits et obligations du prétendant ainsi que ceux de la fiancée et de sa famille. Ils devaient aussi recenser les différentes causes de rupture des fiançailles et en dégager les effets. Enfin, ils devaient inventorier l’ensemble des formalités pouvant précéder le mariage telles que l’enlèvement, la succession, le mariage par procuration etc.

B. Les conditions et effets du mariage

La célébration du mariage donnait-elle lieu à un achat de la femme ?

Pour y répondre, la commission devait déceler les modes d’obtention de l’épouse, l’existence ou non d’une pratique dotale et dans l’affirmative, trouver auquel des deux époux elle incombait, sa composition, son montant et le moment de son paiement. Les formalités de célébration du mariage, l’autorité qui le scelle, les éventuels présents et évènements nécessaires à sa réalisation devaient aussi être étudiés. Les indigènes étaient interrogés sur l’âge de nubilité des époux, l’importance de leur consentement à la validité de l’union, les cas d’empêchements absolus et relatifs au mariage. Les enquêteurs se renseignaient aussi sur la valeur du concubinage ainsi que le cas échéant, les droits et devoirs qui en découlaient.

Puis suivait l’examen des effets du mariage selon la coutume. Ceux-ci étaient étudiés d’une part à l’égard des personnes (les droits et obligations nés du mariage : secours et assistance, devoirs de fidélité, dette alimentaire, polygamie, droits et devoirs respectifs entre le mari et ses épouses …), et d’autre part à l’égard des biens ; c’était l’analyse du droit patrimonial de la famille indigène. Que devenaient les biens personnels ? Qui les administrait ? Les époux avaient-ils des droits sur les biens lignagers de leur(s) conjoint(s)? Autant d’interrogations qui permettaient d’établir les régimes matrimoniaux en vigueur chez les indigènes, ainsi que le sort des biens à l’issu du mariage.

C. La dissolution du mariage

L’enquête débouchait évidemment sur la thématique de la rupture du lien matrimonial dont elle envisageait chacune des causes et leurs effets. Il s’agissait donc d’établir, tout d’abord, si la mort d’un des conjoints donnait lieu (en cas de décès du mari) à la pratique du lévirat ou du sororat (en cas du décès de l’épouse). Il fallait alors s’interroger sur l’existence ou non d’un délai de viduité, sur les conditions de telles pratiques et leurs effets notamment en cas du refus de l’un des protagonistes.

Ensuite, les enquêteurs devaient déterminer si la dissolution du mariage pouvait provenir de la volonté des époux, en d’autres termes, si le divorce existait dans le régime coutumier. Les éventuelles causes de divorce, l’époux en ayant l’initiative, les formalités ainsi que l’autorité qui le prononçait, devaient être mentionnés avant d’en formuler les conséquences. Celles-ci étaient à leur tour étudiées à l’égard des biens, notamment les biens dotaux, les présents et les peines pécuniaires ; puis à l’égard des personnes, à savoir les droits et devoirs de chacun des époux à l’issu du divorce, les conditions et délais de remariage ainsi que le sort de leur filiation.

§3. Filiation

La question de la filiation est formulée comme suit au questionnaire : « la coutume indigène consacre-t-elle la distinction de notre droit civil entre la filiation, naturelle simple, adultérine et incestueuse ? (…) Existe-il une parenté artificielle ? »321 Les développements tenant à la filiation opposaient la filiation biologique (A) à l’adoption ou filiation artificielle (B) à l’instar des titres VII « De la paternité et de la filiation » et VIII « De l’adoption et de la tutelle officieuse » du livre Ier « Des personnes » du Code Civil de 1804322.

321 CLOZEL François Joseph et VILLAMUR Roger, Les coutumes indigènes de la Côte d’Ivoire…,

op.cit., p. XIV.

A. La filiation biologique

La filiation est un rapport social qui a un fondement traditionnellement biologique, en ce qu’elle lie un individu (l’enfant) à un ou plusieurs autres (la mère et/ou le père) dont il est issu. Mais cette réalité biologique est captée par le droit qui en fait une institution juridique, l’un des ses « concepts dont l’ordre et l’essence sont purement politiques »323. Le code Napoléon distingue en effet entre la filiation légitime324 (celle qui découle d’un mariage régulier), la filiation naturelle (qui procède d’une union passagère ou du concubinage325) et la filiation adultérine ou incestueuse (découlant d’une union illicite326), distinction sur laquelle la commission devait interroger les droits indigènes.

Elle se devait pour chacune des filiations reconnues par la coutume, préciser s’il s’agissait d’un système de parenté indifférenciée ou unilinéaire, avant d’en dégager les droits et devoirs tenant aux protagonistes en ligne directe (père, mère, grands-parents…) et collatérale (frère, sœur, oncle, tante, cousins, cousine…). L’enquête relévait aussi jusqu’à quelle époque de la vie de l’enfant ces droits et obligations couraient-ils ainsi que ceux qui lui incombaient vis-à-vis de ces parents. Les éventuels cas dans lesquels les personnes susvisées étaient en partie ou en totalité déchues de leurs droits ou déchargées de leurs obligations (maladie, sénilité, démence, …), hypothèses dans lesquelles les enquêteurs devaient se renseigner sur les personnes auxquelles ils incombaient.

Le droit Français au regard duquel s’opèra cet examen des normes coutumières de la colonie ivoirienne, prévoit un autre type de filiation dite « artificielle », en ce qu’elle repose non pas sur une vérité biologique, mais plutôt sur un acte de volonté. Il s’agit de l’adoption, pratique dont l’existence devait également être vérifiée chez les indigènes.

323 LEFEBVRE-TEILLARD Anne, Introduction au droit des personnes et de la famille, 1re éd., PUF,

coll. « Droit fondamental : Droit civil », 1996, pp. 231 et s.

324 Code civil des français…, op.cit., Liv. Ier, Tit. VII, Chap. Ier, Art. 312 et s. 325

Ibidem, Chap. III, Sect. Ire, Art. 331 et s.

B. L’adoption

L’adoption ou filiation adoptive permet en droit français de rattacher un enfant à une famille par l’effet d’une décision de justice327. Le code de 1804 la soumet à des conditions particulières tenant à l’adoptant mais aussi à l’adopté et lui confère des effets imitant ceux d’une filiation biologique. C’est évidemment autour de ces différents points que s’articulait le questionnaire étudié. Il s’agissait dans un premier temps de connaître de la reconnaissance ou non d’une filiation artificielle en droit coutumier, de dire, dans l’affirmative, les conditions dans lesquelles un enfant pouvait-il être adopté, sa qualité d’orphelin ou non, son âge, etc.

Quant à l’adoptant, le questionnaire s’intéressait à sa qualité, son sexe, les cas dans lesquelles il pouvait adopter, avant d’aborder le formalisme auquel il devait se soumettre pour ce faire. S’agissant des effets de l’adoption coutumière, le questionnaire s’interrogeait sur l’existence ou non d’une distinction faite entre l’adoption plénière et l’adoption simple à l’instar du code civil. Puis il cherchait à en établir les conséquences, à l’égard de l’adoptant, de l’adopté, des éventuels parents naturels et des tiers.

Il arrivait qu’un enfant à l’égard duquel une filiation était dûment établie soit soustrait de toute autorité parentale, suite au décès de ses parents, à la déchéance de leur droit de puissance paternelle, à leur absence ou encore à leur éloignement. Le code civil organisait dans ce cas, le régime dit « de la tutelle » à propos duquel les normes coutumières ont fait l’objet d’une autre analyse.

§4. Tutelle, émancipation et interdiction

Prévue aux articles 361 et suivants du code de 1804328, la tutelle vise à placer le mineur non émancipé et ses biens, sous l’autorité d’un tiers adulte, lorsque les titulaires de l'autorité parentale ne peuvent plus l'exercer. L’étude de ce lien juridique chez les indigènes consista donc à enquêter sur la minorité civile dans ces sociétés (A), avant d’aborder les questions tenant à l’émancipation et à l’interdiction dans les coutumes ivoiriennes (B).

327

Code civil des français…, op.cit., Liv. Ier, Tit. VIII, Chap. Ier, Sect. Ire, Art. 343 et s.

A. La minorité civile

Suivant l’article 388 du code précité, « le mineur est l’individu de l’un ou l’autre sexe qui n’a point encore l’âge de vingt-un ans accomplis »329. C’est l’état de l’individu qui, n’ayant pas encore atteint l’âge légal, ne peut être considéré comme pleinement responsable de ces actes. Il jouit certes des droits civils reconnus à toute personne, mais ne peut valablement exercer certains actes juridiques tels que disposer librement de son patrimoine ; on parle alors d’incapacité civile. En raison de cette incapacité, le mineur ne peut agir que par l'intermédiaire d'un représentant légal, notamment son père, sa mère, ou le cas échéant, son tuteur.

La tâche de la commission d’enquête consistait à :

- Définir l’acception et l’époque de la minorité dans la tradition indigène ainsi que les effets qui y sont attachés.

- Noter si à l’instar du droit romain, les normes africaines distinguent des degrés de minorité suivant l’âge des pupilles330, et établir à chaque stade, les droits civils qui sont reconnus à l’enfant.

- Rechercher si ces normes connaissent d’un régime de tutelle, et dans l’affirmative, le comparer avec celui du code civil, dans ses modes, formes, instances et acteurs. A cet effet l’enquête devait déterminer s’il existait dans le droit coutumier, une tutelle des survivants des père et mère, une tutelle testamentaire, une tutelle des ascendants et/ou tutelle dative, mettant à contribution le conseil de famille.

Le questionnaire abordait enfin : la responsabilité civile, les attributions, les droits et devoirs du tuteur (vis à vis de la personne de l’enfant et de ses biens) ; avant de s’interroger sur quand et comment la tutelle prenait-elle fin selon la coutume.

329 Ibidem, Liv. Ier, Tit. X, Chap. Ier, Art. 388.

330 MANGNIN A., Traité des minorités : tutelles et curatelles, de la puissance paternelle, des

émancipations, conseils de famille, interdictions, et généralement des capacités et incapacités etc., tome Ier,

B. L’émancipation et l’interdiction

En France, une fois l’âge légal de vingt et un ans accomplis, tout individu était réputé majeur, et donc capable d’effectuer seul tous les actes de la vie civile331. Dès lors, le mineur devenu majeur cessait d’être soumis à l’autorité parentale ou tutélaire, sauf « le majeur qui est dans un état habituel d’imbécilité, de démence ou de fureur »332, pour lequel la loi prévoyait le régime de l’interdiction. L’émancipation était tacite et s’opèrait de plein droit en France. Qu’en était-il dans les coutumes des colonies ? Comment les coutumes indigènes organisaient-elles l’état des individus aliénés, prodigues ou handicapées ?

A ce sujet, il fut demandé à la commission de chercher les périodes, modalités et effets de l’émancipation civile dans les tribus ivoiriennes. Le questionnaire la chargea de vérifier l’existence d’une incapacité civile coutumière, ses circonstances, et le cas échéant, d’identifier les personnes affectées à la gestion des biens du majeur interdit. Les effets de l’interdiction étaient-elles traitées aux titres de la responsabilité des torts et dommages causés par l’interdit à autrui ? Et quels étaient les résultats de la mesure coutumière d’interdiction quant au mariage, à la filiation, et aux biens ?

§5. Les biens

Les instructions concernant la théorie générale de la propriété chez les indigènes visaient à en établir l’origine et la nature. L’enquête allait dans un premier temps, établir pour chaque type de bien (terre, bois, champs, source, puits, mine…), le régime de propriété (collectif ou privé ou encore les deux à la fois), puis, dans un second temps, vérifier si un départ était fait entre les biens meubles et les immeubles, ou toutes autres qualifications que les enquêteurs devaient mentionner, avant de préciser si le droit coutumier de la propriété induisait les mêmes attributs que ceux de l’ancienne Rome et des législations européennes à savoir l’usus, le fructus et l’abusus.

331

Code civil des français…, op.cit., Liv. Ier, Tit. XI, Chap. Ier, Art. 488.

A l’image du Code civil, l’étude devait établir s’il existait dans les coutumes indigènes, des servitudes personnelles ou droits d’usufruit, d’usage et d’habitation333, dont elle devait dégager le régime juridique. Elle devait aussi enquêter sur les modes d’établissement, les causes d’extinction, et les droits octroyés par les servitudes réelles ou services fonciers334.

Le questionnaire renvoyait par ailleurs aux différents modes d’acquisition de la