FERMES EN FONCTION DE L’AGE (52)
Marche et équilibre sont intimement liés. La marche du sujet vieillissant est caractérisée par un raccourcissement du pas entrainant un ralentissement de la vitesse. Le sujet âgé lève moins les pieds, les écarte un peu plus, suit une trajectoire moins régulière, balance moins les membres supérieurs. Il passe plus de temps en appui sur les deux pieds et raccourcit la durée du passage du pas. Ces modifications vont dans le sens de la recherche d’une plus grande stabilité (50). Anomalies de démarche et chutes sont corrélées (Tinetti M.E. et al, 1988 (51). Les causes de troubles de la marche sont d’origine multifactorielles :
-‐ Des affections neurologiques (syndromes extra-‐pyramidaux, polyneuropathies, atteintes cérébelleuses, atteintes du nerf poplité, myopathies, états lacunaires, ataxie) -‐ Des affections ostéo-‐articulaires (arthrose, arthrite, séquelles post-‐opératoires,
-‐ Des régressions psychomotrices et des syndromes post-‐chutes secondaires à une première chute
-‐ Des déficits visuels
-‐ Des troubles cognitifs (démence Alzheimer, autres démences, maladie de Parkinson) -‐ L’utilisation de médicaments du système nerveux entrainant un sédation
-‐ Un environnement inadapté (sol glissant, encombré)…
Les troubles de la marche ont des conséquences graves chez la personne âgé, car ses capacités de compensation sont souvent défectueuses : augmentation des chutes avec leurs complications, perte d’autonomie, restriction des activités avec ses conséquences psychosociales. (53)
d. Atteintes visuelles :
La baisse de la vision est une des déficiences neurosensorielles les plus fréquentes chez le sujet vieillissant. Le système visuel associé au système vestibulaire et à la proprioception est, comme on vient de le voir, essentiel dans le maintien de l’équilibre.
L’âge retentit sur les principales fonctions visuelles : le diamètre pupillaire se rétrécit, la dynamique du réflexe photo-‐moteur se modifie, le myosis sénile diminue l’éclairement rétinien, l’adaptation à l’obscurité diminue nettement, on observe également une baisse de l’acuité visuelle. (53)
Le vieillissement pathologique de l’œil entraine une déficience visuelle qui peut comprendre différentes atteintes :
-‐ Une atteinte de la vision centrale ou scotome (lignes déformées, tache noire centrale) -‐ Une atteinte de la vision périphérique ou vision tubulaire
-‐ Une vision floue
-‐ Une amputation de la moitié du champ visuel ou hémianopsie -‐ Diminution de la vision.
Plusieurs pathologies peuvent entrainer une basse vision : -‐ Des atteintes du cristallin, notamment la cataracte -‐ Des baisses de l’accommodation Des glaucomes -‐ Des rétinopathies
-‐ Des neuropathies optiques
-‐ Des conséquences de pathologies tels que des AVC (54).
La déficience visuelle est un facteur de risque significatif indépendant de chutes et de fractures chez les sujets âgés (Ivers R.Q., Cumming R.G et al., 1998(55), Coleman A.L. et al., 2004 (56), Withmore W.G., 1991 (57).
e. Dénutrition :
La dénutrition protéo-‐énergétique résulte d’un déséquilibre entre les apports et les
besoins de l’organisme. Ce déséquilibre entraine des pertes tissulaires, notamment
musculaires, qui ont des effets fonctionnels délétères sur l’organisme.
La prévalence de la dénutrition augmente avec l’âge. Suivant les études, on considère que 5 à 30% des personnes âgées vivant à domicile sont dénutries, 15 à 40% des personnes institutionnalisées, et 30 à 70% des personnes hospitalisées. Ces taux augmentent chez les personnes présentant une perte d’autonomie. (58)
La dénutrition reste toutefois largement sous-‐diagnostiquée.
Chez le sujet âgé, le diagnostic de dénutrition diffère du diagnostic chez le sujet jeune. Il repose sur la présence d’un seul ou plusieurs de ces critères :
-‐ Une perte de poids supérieure ou égale à 5% du poids du corps en 1 mois -‐ Une perte de poids supérieure ou égale à 10% du poids du corps en 6 mois -‐ Un IMC inférieur à 21
-‐ Une albuminémie inférieure à 35g/L (à corréler à la CRP)
Une diminution du statut nutritionnel chez le sujet âgé traduit une fragilité et une résistance
moindre à une pathologie ultérieure.
Quels sont les facteurs de risque de dénutrition ?
• Le postulat répandu selon lequel les besoins énergétiques sont diminués avec l’âge.
• Une baisse de l’appétit ainsi qu’un défaut de régulation en fonction des besoins de l’organisme entrainant un apport journalier insuffisant
• Une réduction des réserves nutritionnelles
• Un besoin alimentaire augmenté par hypercatabolisme dans certaines situations comme les maladies infectieuses et inflammatoires, les cancers, des atteintes d’organe, escarres. • Des facteurs psychologiques favorisant l’anorexie (deuil, dépression, conflits familiaux) • Des facteurs sociaux et environnementaux, tel que l’isolement, la baisse des revenus, une
baisse des capacités fonctionnelles à faire les courses et préparer le repas • Un mauvais état bucco-‐dentaire
• Une dysgueusie
• Des difficultés à se déplacer (arthrose, chirurgie) • Des troubles cognitifs
• La dépendance dans les actes de la vie quotidienne
• Des effets indésirables médicamenteux (anorexie, troubles digestifs, sédation, dysgueusie) (59)
La dénutrition augmente la morbidité et la mortalité. Les patients présentant un faible IMC présentent un risque plus important de chuter (Botwinick I., Jonhson J.H. et al., 2016 (60), Mazur K. et al., 2016 (61)., ainsi que des conséquences plus importantes en cas de chute, avec un risque de fractures et de décès plus important (Yamauchi Y., Yasunaga H. et al., 2016 (62), Solbakken S.M, Meyer H.E et al., 2016 (63).
f. Modifications pharmacocinétiques chez le sujet vieillissant :
Le vieillissement physiologique entraine des modifications pharmacocinétiques, qui associées à la polypathologie et la polymédication du sujet âgé, peuvent favoriser la survenue
d’accidents iatrogènes médicamenteux.
i. Modifications de l’absorption et de la biodisponibilité :
Le vieillissement digestif s’accompagne de (64, 65): -‐ Une augmentation du pH gastrique (66) -‐ Un ralentissement de la vidange gastrique (67) -‐ Une diminution de la motilité gastro-‐intestinale
-‐ Une atrophie de la muqueuse intestinale potentiellement responsable d’une mauvaise absorption (68, 69)
-‐ Une diminution du débit sanguin splanchnique (70).
Ces modifications peuvent potentiellement être à l’origine d’une modification de l’absorption des médicaments administrés par voie orale.
L’absorption des médicaments administrés par voie intramusculaire peut également être impactée, le vieillissement étant associé à une perte de masse musculaire.
A ce jour, les résultats des différentes études montrent des résultats contradictoires concernant l’influence des modifications digestives sur la biodisponibilité des médicaments chez le sujet âgé.
On peut ainsi retenir qu’en pratique le vieillissement de l’appareil digestif interfère peu avec
l’absorption.
Le foie est aussi impacté par le vieillissement : il y a une réduction de la masse hépatique et du débit sanguin.
L’effet de premier passage hépatique est ainsi diminué.
Les prodrogues nécessitant un métabolisme présystémique, comme les inhibiteurs de l’enzyme
de conversion, voient leur effet diminué.
Au contraire, les médicaments dont l’effet de premier passage hépatique conduit à une perte
de médicaments par formation de métabolites inactifs, comme les bêtabloquants, voient leur
effet augmenté.
ii. Modifications de la distribution et du transport :
La composition de l’organisme est significativement modifiée avec l’âge. On observe une diminution de la masse maigre, une augmentation de la masse grasse et une diminution de l’eau totale (64, 65).
Le volume apparent de distribution des médicaments en est impacté :
Pour les médicaments liposolubles, comme les benzodiazépines ou l’Amiodarone,
l’augmentation de la masse grasse est responsable d’une augmentation du volume de distribution entrainant à la fois un risque de sous-‐dosage, un risque de relargage tardif par augmentation de stockage et une augmentation du temps de demi-‐vie.
Pour les médicaments hydrosolubles, comme la Digoxine, la diminution de la quantité totale
d’eau de l’organisme entraine une diminution du volume de distribution entrainant un risque de surdosage et d’augmentation de la toxicité.
Comme on l’a vu précédemment, le risque de dénutrition est plus important avec le vieillissement. Le taux de protéines, en particulier celui d’albumine, chute chez le patient dénutri.
Les médicaments de type acide faible, comme les anti-‐vitamines K, les Benzodiazépines ou les
Sulfamides hypoglycémiants, sont majoritairement liés à l’albumine. En cas d’hypoalbuminémie secondaire à une dénutrition ou une inflammation, la fraction de médicament lié à l’albumine diminue et la fraction libre augmente. Or c’est la fraction libre qui est pharmacologiquement active : il y a un risque de surdosage et d’augmentation de la toxicité.
Les médicaments de type base faible, comme les bêta-‐bloquants, sont majoritairement liés à
l’α-‐1 acide glycoprotéine ou Orosomucoïde. Sa concentration augmente en cas d’inflammation, la fraction libre peut ainsi diminuer. (65)
iii. Modifications de la métabolisation :
Le métabolisme hépatique peut être touché avec l’âge compte tenu de la diminution de la masse du foie, la réduction du débit sanguin, et une baisse relative des fonctions enzymatiques du foie.
Les capacités hépatiques du foie à métaboliser un grand nombre de médicament sont moins importantes. Cette diminution s’applique différemment d’un médicament à l’autre. Elle est soumise à des variations interindividuelles (facteurs génétiques, environnementaux, états pathologiques, dénutrition, polymédication).
Là encore, les données disponibles sont peu nombreuses. Néanmoins certaines études montrent une baisse du cytochrome P450 avec le vieillissement (Sotaniemi et al., 1997 (71). Le cytochrome P450 étant impliqué dans le métabolisme de nombreux médicaments, sa diminution peut entrainer de potentielles interactions médicamenteuses.
La réduction de la masse du foie et du débit sanguin permet d’expliquer une baisse de la clairance hépatique d’un grand nombre de médicaments chez les sujets âgés.
iv. Modifications de l’élimination :
Le vieillissement s’accompagne d’une diminution de la masse rénale, d’une altération fonctionnelle du rein par diminution du nombre de néphrons fonctionnels et du débit sanguin rénal, induisant une diminution du débit de filtration glomérulaire, de la réabsorption et de la sécrétion tubulaire (73). Ces modifications entrainent une diminution de l’excrétion rénale avec l’âge et ainsi une augmentation du temps de demi-‐vie des médicaments à excrétion rénale.
Cette diminution doit être prise en compte pour la prescription de médicaments à élimination rénale en raison du risque théorique d’accumulation.
Trois équations sont couramment utilisées pour mesurer la fonction rénale, bien qu’aucune n’est été validée par la Haute Autorité de Santé pour les patients de plus de 75 ans (74) :
-‐ La formule de Cockcroft et Gault, qui estime la clairance de la créatinine et tient compte de l’âge du patient, de son sexe, de son poids et de la créatinémie
-‐ La formule MDRD, qui tient compte de l’âge du patient, de son sexe et de la créatinémie
-‐ La forme CKD-‐EPI, qui estime le débit de filtration glomérulaire et tient compte de l’âge du patient, de son sexe et la créatinémie.
En raison de la réduction de la masse musculaire chez le sujet âgé, la créatinémie est un mauvais témoin de la capacité d’élimination du rein.
La Haute Autorité de Santé et la Société de Néphrologie française recommandent l’estimation du débit de filtration glomérulaire par l’équation CKD-‐EPI dans le diagnostic de l’insuffisance rénale chronique, méthode la plus performante. Toutefois cette formule n’est pas validée pour les patients de plus de 75 ans mais aussi pour les patients non caucasiens, les patients dénutris ou les patients de poids extrêmes.
La clairance de la créatinine par la formule de Cockcroft et Gault permet néanmoins l’adaptation des posologies de médicaments et de discuter le risque iatrogène ; en effet, les études pharmacologiques à l’origine des précautions d’emplois, des contre-‐indications et des adaptations posologiques contenus dans les résumés des caractéristiques de produits, utilisent encore la formule de Cockcroft et Gault.
Dans le but de limiter le risque iatrogène, la fonction rénale doit toujours être mesurée avant l’instauration d’un traitement afin d’adapter la posologie de ce médicament. Les adaptations
posologiques peuvent être de diminuer les doses ou d’espacer les prises.