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Le nouveau juge de Riama

3.6. Les femmes dans Une peine à vivre

D’entrée, un « je » monopolise le récit, l’heure est grave c’est l’aube, « je » mis en joue attend son exécution, rigide, profondément tiraillé par une peur instinctive animale et un ultime soulagement d’une vie accablante. « Je » ressens et comprend la jubilation de ses détenteurs et dans une effroyable lucidité, il nous fera voyager depuis sa naissance jusqu'à la présente minute.

Il ressort de cette mosaïque romanesque que le héros est le représentant d’une particulière caste de la société, celle qui gouverne sans partage. Elle est détentrice de tous les pouvoirs dans un pays qui a connu les affres de la colonisation. Pays pourvu d’importantes richesses naturelles, notamment le pétrole. Ce roman se caractérise par l’absence de noms : noms des lieux mais également noms des personnages. Tout se construit à partir d’un narrateur omniscient mais aussi omniprésent qui nous livre son monde, sa vie et sa fin. Le narrateur est le point de focalisation, d’où émergent des lieux et où se tissent des liens avec des personnages qu’il côtoiera. Les personnages seront désignés par leurs filiation et leurs liens avec le narrateur directement tels que : père, mère,

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amis, collègues, supérieurs et subalternes, mais aussi des liens indirects qu’entretiennent les personnages avec autrui.

Le personnage principal traversera deux périodes distinctes, sa représentation narrative, selon la théorie de Greimas, comportera deux schémas correspondant à deux tranches dissemblables de sa vie. Schéma premier :

Figure 10Schéma de Greimas dans Une peine à vivre

La lecture de ce schéma montre que le héros est en quête de la réussite et du pouvoir. Il comprend rapidement qu’il ne peut accéder à cette aptitude qu’en s’enrôlant dans l’armée. Heureux choix, puisqu’à force de bonne volonté et de beaucoup de magouilles, il réussit son parcours pour arracher de force son titre de Maréchalissime. Bien que dans ce schéma les femmes n’y figurent pas car elles seraient perçues comme obstacle, elles sont néanmoins bien présentes dans l’ensemble du roman mais elles ont un rôle d’objet accessoire.

Notre héros atteint son but, devenu premier homme du pays et connaissant sur parfaitement les rouages du pouvoir, il se fixe un autre but qui bouleversera un état précaire durement acquis que représente le schéma suivant :

97 Figure 11Schéma de Greimas dans Une peine à vivre

Devenu Maréchalissime, le narrateur, sa première quête atteinte, voudra reconquérir une femme avec qui, il avait eu une aventure, La femme de l’auberge. Celle-ci inaccessible puisqu’il ne retient d’elle qu’un prénom de femme réalisant son doctorat sur un architecte italien, une image d’elle que le temps a forcément changé et un agréable sentiment persistant. Il remuera tout le service sécuritaire qui fera des recherches sur les femmes du pays correspondant à l’approximatif portrait réalisé par un artiste. Elle est objet d’un fol désir du Maréchalissime, qu’il obtiendra par la force puisqu’il la kidnappera mais elle ne lui cédera à aucun moment jusqu’à sa chute. En ce sens, elle est la quête du sujet mais selon le schéma de Greimas, on la retrouve aussi parmi les opposants.

Le Maréchalissime, narrateur omniscient et omniprésent est certainement héros concave protagoniste dans sa quête du pouvoir. En effet c’est l’acteur principal et moteur des événements du roman. C’est aussi l’homme des différentes situations qui tire les ficèles des autres ne laissant rien au hasard c’est un homme dangereux. Son talon d’Achille est la femme de l’auberge, au moment où il décide de la reconquérir, il se métamorphose sournoisement en preux chevalier pour avoir le rôle de l’héros convexe protagoniste.

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Comme nous l’avons déjà souligné, les femmes dans ce roman n’ont pas de nom au même titre que tous les personnages présents. Elles sont désignées par leur affiliation aux hommes en qualité de mère, d’épouse ou de filles. Ou alors désignées par leur rôle de maitresse et enfin par leur métier, telles : la gouvernante, la soubrette, la journaliste et la ministre. Il y a la femme rencontrée à l’auberge qui sera la seule femme, à qui le Maréchalissime accordera réel intérêt, temps, énergie, respect et révérence du fait qu’il fasse d’elle l’invitée de marque du palais.

Toutes les femmes du roman, hormis la femme de l’auberge, sont les jouets des hommes du pouvoir à commencer par la veuve. Cette dernière de gré ou sous la contrainte, devint la maitresse du sergent de la caserne où vivait le narrateur. Elle admet aisément que sa fille ainée et elle se partagent le sergent, ce dernier se croyant en terrain conquis, voulu s’approprier la fille cadette, cette tentative lui coûta la vie. La veuve est une femme facile et une mère indigne, sa fille cadette est une insurgée.

Ensuite il y a la belle sirène femme de l’intègre avocat, bien que très amoureuse de son homme, elle céda au désir déferlant nourri par les fantasmes du commandant de la caserne, sous les menaces inavouables du narrateur qui l’offrit au commandant contre son entrée à la prestigieuse école militaire.

La troisième femme du Maréchalissime destitué, bien que jeune, belle instruite et issue d’une famille aisée et connue, accepta de s’allier en qualité de troisième épouse au vieux et gros Maréchalissime.

L’inconnue de la rue ressemblant légèrement à la femme de l’auberge que le Maréchalissime ordonna qu’on kidnappe et qu’on attire pour son plaisir, docile, elle se donne naturellement à son maitre pour être remerciée cavalièrement le lendemain.

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Les jours de réception, le palais regorge de femmes telles les papillons de nuit, rivalisant de beauté, aveuglés par les lumières de la réussite et enivrés par les essences du pouvoir dansent avec frénésie autour des lampadaires risquant de fatales meurtrissures. Ce genre de femmes est disponible dans le palais, prêtes à défiler au bon vouloir du maréchalissime qui chaque jour élit femme dans son harem tel schahrayar des mille et une nuit.

Les femmes qui travaillent bénéficiant d’une certaine autonomie financière, n’échappent pas au redoutable magnétisme des hommes du pouvoir. La femme ministre en est un exemple, elle accepte sans ciller que le Maréchalissime discute, de tout et de rien, en aparté avec elle, interrompant les réunions ministérielles. Par ailleurs, la vieille et respectable gouvernante engagée pour l’éducation des enfants d’un des occupants du palais, après sa déchéance se voit devenir la« pourvoyeuse de culs » du palais. Enfin, la coquine femme de ménage qui, au premier signe du Maréchalissime saute dans son lit, deviendra ses yeux et ses oreilles dans les couloirs du palais. Incontestablement, toutes ses femmes ont un prix.

Les femmes aristocratiques, belles, aériennes, parfaites créatures terrestres élevées dans le culte de la femme idéale, sont non seulement inabordables, parce qu’évoluant dans des sphères closes, mais surtout parce que réservées à des hommes étrangers ou du même rang social. Ces femmes sont incapables d’aimer autre personne qu’elles-mêmes. Cependant leur présence, plongent les hommes dans d’effroyables émois. C’est des femmes de pouvoir.

Toutes ces femmes sont complètement obnubilées par le monde mirifique et féroce du pouvoir.