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Les femmes qui se distinguent par un métier

3.3. Les femmes dans Le fleuve détourné

Le fleuve détourné a pour héros un homme sans nom et sans papier qui prendra la parole depuis une institution gardée pour nous raconter comment il y a échoué. Il rencontrera beaucoup de femmes, seule Houria sa femme et la mère de son enfant comptera.

Notre narrateur sans nom, est souverainement héros, même si d’autres personnages masculins qui partagent la même « institution » viennent greffer leurs récits à ses péripéties. Le processus narratif est un va et vient incessant entre« l’institution » c’est-à-dire le moment présent, sa jeunesse dans son douar, sa brève contribution à la guerre de libération au maquis, son amnésié à l’hôpital, son retour à son village, et enfin sa périlleuse quête en ville. Selon le schéma actanciel de Greimas, le récit narratif se présenterait comme suit :

67 Figure 4Schéma de Greimas dans Le fleuve détourné

La suprématie de notre héros narrateur est évidente il occupe trois majeures fonctions, il est destinateur, sujet et destinataire, Houria sa femme est l’objet de sa quête mais en même temps elle s y oppose c’est justifiable, elle a été laissée pour compte sans explication ni même raison juste après leur mariage. Alors qu’il ne se souvenait de rien et cultivait son jardin, elle affrontait seule un monde de loups. Dans le camp des opposants, on retrouvera également la matrone qui pour vivre, est dans le même créneau que Houria. La femme voilée, adjuvant, travaillant sous les ordres de la matrone va indiquer l’adresse de Houria à notre héros. Dans la fonction d’adjuvant, on retrouve la souriante infirmière qui découvrit le narrateur sans nom inconscient près d’une rivière.

Selon la typologie de V. Jouve, notre narrateur, loin d’être exemplaire ni porteur d’une quelconque idéologie, a délaissé Houria quelques temps après leur

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mariage parce que des hommes portant des kachabias lui ont demandé de les suivre au maquis pour leur fabriquer des chaussures ! Ou alors le mépris dont il faisait objet par tous les siens, à cause de son choix pour l’indigne Houria, était trop pesant ! a fait qu’il monte au maquis. Enfin, son seul mérite serait d’avoir tué les détenteurs de sa femme. Mais comme « il occupe le devant de la scène, c’est

sur lui que se focalise l’attention du lecteur »41, Selon la typologie de V. Jouve, c’est le héros concave protagoniste ou « le cobaye ».

Du côté féminin, comme Houria et son fils sont la quête propre du narrateur, on est tenté de dire que c’est l’héroïne mais on se rend compte très vite que c’est l’objet sexuel de différents hommes, elle n’a aucune volonté, elle ne fait que se soumettre à la volonté de ceux-là, soumission qui annihilera son essence humaine.

Houria

Houria est un prénom d’origine arabe qui en premier lieu fait référence aux houris du paradis, ce sont de très belles femmes pures, par ailleurs Houria veut dire aussi liberté. En effet, elle est « belle comme un rêve ». Ce qui lui a valut d’être, dès sa puberté, souillée par « un mâle en force de l’âge »comme elle habitait chez ce même mâle, ce dernier ne peut être qu’un père, un grand-père, un beau père, un grand frère ou alors un oncle. Tout le douar est au courant de cette relation incestueuse et c’est bien sur Houria cette « putain » de tentatrice, qui en est responsable. Et ce fut notre narrateur qui l’épousa au détriment du mécontentement de son père et de tout le douar. Il ne pouvait délaisser la très belle Houria, qui fut la compagne de jeu de son enfance. Le mariage se fit sans invités, sans chants et sans youyous, « nulle femme n’accepta de chanter les

41 Vincent Jouve, Le héros et ses masques, Colloque international. Le personnage romanesque. 14, 15, 16 Avril 1994.Textes réunis par Gérard Lavergne. Cahiers de narratologie n°6 Université de Nice-Sophia Antipolis publications de la faculté des lettres, arts et sciences humaines. P.249-250.

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louanges de la fille déflorée. » C’était un homme sans honneur à qui on n’adressait pas la parole. Peu de temps, après on vint le chercher, il n’eût pas le courage d’affronter le poids du déshonneur, il confia Houria enceinte à son père et monta au maquis avec comme dernier souvenir une Houria en larmes derrière les buissons.

Quelques années plus tard, après une laborieuse recherche, il la retrouve dans une belle villa en dehors de la ville, en une inconnue citadine, les cheveux coupés, maquillée et habillée à la française. Impassible, en le voyant elle lui jeta à la face « alors tu n’es pas mort. » Froidement, elle refusa de retourner avec lui à leur village pour qu’il revive du moins sur les papiers. Et c’est alors que se déchaine la docile Houria dans un éloquent discours décrivant son parcours depuis le jour où elle alla réclamer la pension qu’elle lui était due en tant que qu’épouse de martyr jusqu’à sa présente situation de femme subissant la perversité d’ivres bureaucrates toutes les nuits. La femme n’est conçue que dans le but de« la renverser sur le dos, c’est un être second, source et objet de plaisir. La

naissance d’une fille est une tare qui vient frapper la famille » p 178. Excédée par sa vie de femme qui, depuis sa naissance est un fardeau. « Fruit tentateur, elle est élevée

dans de sombres alcôves comme une fleur d’ombre sans jamais voir le soleil(…) elle ne reste qu’une chimère furtivement aperçue dans l’entrebâillement d’une porte, ou d’un volet de

fenêtre. Son apparition est un scandale. Accourent les mâles aux désirs débridés. » p. 178. On

la cache au monde et surtout à son adolescence pour qu’elle ne débride pas les désirs des hommes. Belle est « une circonstance aggravante » elle aguiche les hommes qui la violent la conscience tranquille. Les femmes de martyrs, comme elle, seront trainées au gré d’infâmes bureaucrates pour recevoir leur pension. Houria, belle femme a vécu tous les moments de sa vie en payant à chaque fois de son corps.

Houria est recherchée parce qu’elle est la femme du narrateur, mais aussi pour lui permettre de récupérer son identité. Elle symbolise probablement cette liberté que recherche tant le narrateur, même si elle a été souillé bien avant qu’il

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ne la perde, elle continuera à être malmenée jusqu’à ce qu’elle perde sa raison de femme mère. On jauge une société par la qualité de la vie de ses femmes, ce n’est pas pour dévaloriser l’homme mais parce que le monde est à ses origines féminin. La société du « Le fleuve détourné » a dévié son chemin et a perdu ses normes inhérentes à sa constitution, la société décrite par le narrateur a perdu les valeurs assurant sa continuité, elle sacralise la matière inanimée. Comme ce fleuve qui contre sa nature se détourne de son séculaire chemin sculpté sur terre. Houria de même, éculée usée par sa condition de femme à corps désiré, conciliante, soumise et docile ne voit en son enfant qu’un homme en mal d’amour à qui elle satisfait son désir désacralisant ainsi la relation mère-enfant. C’est un corps, objet sexuel par excellence.

Fatima

Fatima est la cousine du narrateur, son prénom signifie jeune chamelle en arabe, cette jouvencelle effrontée, avait demandé au narrateur de lui faire vivre ce qu’il faisait subir à l’ânesse en proposant son corps à la place de celui de la bête. Donc, pour elle, il n’y avait pas de différence entre elle et l’animal du moment que les deux femelles assouvissaient leur besoin naturel. Ce n’est qu’une relation sexuelle qui a duré jusqu'à ce qu’elle tombe enceinte et le narrateur de disparaitre avant qu’il n y eut un bain de sang. C’est la femme à l’instinct primitif débridé.

Mauricette

Mauricette, secrétaire de l’administrateur dont le prénom provient du latin « maurus » et qui veut dire maure, ancien peuple habitant l’ancienne Mauritanie, c’est peut-être ce qui explique la présence de cette belle femme dans une ville algérienne. Sa beauté est ternie par l’odeur nauséabonde de ses excréments et l’aspect dégoutant de ses excrétions nasales. C’est aussi le fantasme et/ou

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l’amour de Rachid le sahraoui. Dans Une paix à vivre, les femmes françaises avaient une bonne image par rapport aux autochtones, Mauricette au physique de rêve est déchue de son statut d’être parfait par une réalité naturelle.

Hamida

Hamida, amie de cœur du jeune Omar, Hamida signifie agréable ou celle qui loue Dieu, elle est décrite telle une sirène aux cheveux longs envoutant Omar en s’offrant complètement à lui. Ce dernier, charmé se laissait chavirer au gré de la marée Hamida jusqu’au jour où la douleur aidant, il déversa toute sa bile sur Hamida qui s’enfuit en sanglotant. C’est le genre de femme faisant don total de soi, mais qui étouffe par son trop d’amour qu’Omar a rejeté.