• Aucun résultat trouvé

Le nouveau juge de Riama

3.5. Les femmes dans L’honneur de la tribu

Ce roman est le récit de l’inéluctable fin d’une tribu, longtemps préservée de l’effervescence du monde par son isolement géographique mais aussi par le

90

rigorisme des croyances de ses habitants. La brisure est signée par une brebis galeuse de la tribu : Omar El Mabrouk, fils du taciturne Slimane et petit-fils du terrible Hassane El Mabrouk, enfant impossible, il deviendra un indomptable voyou, très vite il quittera Zitouna pour le maquis. Son retour contraint parmi les siens hâtera la disparition d’un mode de vie ancestral.

C’est le protagoniste du roman autour duquel s’égrènent les évènements du récit qui se présenteraient comme suit, dans le schéma actantiel de Greimas :

Figure 9Schéma de Greimas dans L’honneur de la tribu

Omar sujet est un représentant de sa tribu qui, implicitement l’enrôle dans un projet à long terme qui est sa pérennité, lui rongé par ses envies et ses penchants irrépressibles pour les femmes ainsi que la haine qu’il voue aux siens, va fauter avec le seul être qui s’inquiète pour lui, sa sœur Ourida. Celle- ci occupe la fonction d’adjuvant, hélas elle ne pourra pas contenir la fougue de son indomptable frère, pire encore elle sera une de ses victimes. Résultat, elle meurt dans le reniement après un difficile accouchement chez le capitaine français.

91

Tout au long du roman, du moins dans sa plus grande partie, l’attention est focalisée sur Omar, même si au début, il est question de son grand-père et puis de son père qui en fait, justifient le tempérament ombrageux de leur indomptable descendant. Très jeune Omar, que rien ne brimera, agira à sa guise et en toute impunité à l’encontre des us et coutumes prônés par les sages de sa tribu. Il quittera les siens, mais quelques années plus tard, de retour à Zitouna promu préfet, loin de l’assagir, l’éloignement le transformera en une machine haineuse, virulente et insultante qui s’acharnera avec rage pour anéantir les êtres, l’ordre des choses et même la nature de Zitouna. C’est un personnage amoral et destructeur, c’est effectivement l’antihéros dans toute sa grandeur qui tronquera le héros.

Les femmes sont bel et bien présentes dans le récit, celles portant un nom très peu. En fait, les narrateurs hommes évoquent les femmes de Zitouna, les femmes en général, les femmes des lépreux ou encore les femmes des civilisés dans un discours masculin dominateur disposant gracieusement de leur être. Elles n’occupent pas le devant de la scène, elles apparaissent et disparaissent au gré du narrateur, par moments elles sont élément de comparaison, lieu d’impérieux désir charnel ou alors référent à tel ou tel organe procurant intense plaisir sensuel, c’est l’image de la femme objet sexuel que confortent les femmes des Beni Hadjer, expertes amantes tourmentant les hommes et conduisant à leur perte.

A l’opposé, il y a les femmes de Zitouna habillées d’une carapace d’honorabilité et de respectabilité que leur procurent les lois de la tribu. Les vierges sont valorisées, protégées, à l’abri des regards et du soleil elles doivent préserver la blancheur de leur teint, critère de beauté essentiel, point d’artifices, elles restent naturelles ne pouvant que porter des bijoux. Rapidement mariées en grande pompe, elles sont accompagnées par de valeureux cavaliers. Les hommes ou plus exactement les maris seront leurs protecteurs. Ces derniers doivent suivre la ligne de conduite de leurs ancêtres, ils cachent leur amour à leurs compagnes

92

garantissant ainsi leur sauvegarde, ils sont même appelés à les humilier quand besoin se fait sentir. Ourida mis à part le fâcheux incident avec son frère en est la représentante. Toutefois, il est permis aux veuves et aux divorcées de Zitouna de combler les envies déferlantes des jeunes gens aux prises avec leurs premiers émois, sans pour autant s’attacher ni donner naissance à des fruits de ces relations. Le rôle des femmes est clair, pas d’ambigüité, elles comblent d’abord les désirs charnels des hommes, puis assurent la pérennité du genre humain en enfantant. Par ailleurs, ce sont des êtres à l’esprit aussi impur que leur sexe, à la foi douteuse qui s’occupent de leurs foyers, procréent, élèvent les enfants mais ne les éduquent pas.

Une autre catégorie de femmes, celles des lépreux, originaire de Zitouna qui ont habité la ville et que la ville a reconduit à Zitouna. Celles-là, dévoyées par de nouvelles mœurs sont appâtées par le gain de l’argent, elles se retrouvent travaillant chez les femmes des civilisés et même acceptant l’aumône de ces dernières. Les femmes des lépreux, bien qu’étant originaires de Zitouna, la ville les a dénaturées, l’exemple frappant, en est la jeune vierge appâtée par la fortune de Georgeaud, chèrement concédée. Ce dernier fut poignardé par l’amant de sa femme qu’il a trouvé chez lui. La cupidité de ces femmes est telle, qu’un jour l’une d’entre elles se fait prendre pour le vol d’une chainette en or. Enfin les femmes civilisées, des citadines aux mœurs étranges, elles usent de médicaments pour ne pas tomber enceintes, n’aiment pas rester chez elles, très douées dans l’art du maquillage, elles sortent seules faire leurs courses à moitié dénudées offrant cheveux, bras et jambes au regard des hommes. Elles sont complètement corrompues par les mœurs des femmes occidentales.

Les femmes procurant le plaisir ne sont pas absentes de ce récit qui se passe dans un coin perdu, Omar compte s’installer confortablement à Zitouna et

93

ramener de la ville toutes les Messaline 42 qui se sont refusées à lui, loin des lumières de la ville, elles brilleront telles les étoiles tout feu tout flamme pour assouvir ses besoins. Les femmes, Omar, ne le sait que trop bien sont fatalement attirées par les hommes de pouvoir.

Les femmes qui portent un nom sont :

Meriem

Meriem est la très jeune tante de Slimane, cette pucelle aguicheuse dont les œillades restaient inopérantes sur Slimane, sut convaincre sa mère, de dissuader son père qui voulait la marier à Slimane, car elle était amoureuse d’un autre, mais c’est surtout son lien familial qui mit fin au projet de mariage souhaité par son père. C’est la femme rusée.

Ourida

Ourida est un prénom d’origine arabe qui signifie petite rose, sœur d’Omar El Mabrouk est l’incarnation de la perfection « ange échappé du paradis » belle, désirable, irréprochable et vertueuse, elle incarne le bien contrairement à son frère dont le comportement heurte la décence des siens, il franchira l’irréversible pas, en violant sa sœur, brisant ainsi l’indéfectible lien familial et en même temps bafouillant les lois sacrées de sa tribu. Avilie l’impure Ourida, gardant son terrible secret pour elle, se terrera de son propre gré chez le lieutenant français, travaillant comme femme de ménage, elle deviendra sa maitresse. Hassan informé de la condition de sa petite- fille, voudra un soir tuer le lieutenant pour délivrer sa petite-fille et c’est Ourida qui l’en empêchera, en s’interposant entre les deux hommes. On n’entendra plus parler d’elle à Zitouna et puis un jour Ourida mourut. De retour à Zitouna, Omar ne demanda pas des

42 « Impératrice romaine (morte en48), femme de Claude, mère d’Octavie et de Britannicus, elle fut exécutée sur ordre de l’empereur à cause de ses débauches » (Dixel Le dictionnaire illustré Le Robert.2011).

94

nouvelles de sa sœur, et le jour de sa confrontation avec l’avocat mais aussi produit de sa relation incestueuse, il nia son existence pour après renier la « chienne qui s’est jetée dans les bras du lieutenant français ». C’est la belle vierge angélique souillée par le mal qui ronge son frère Omar. C’est la victime du sourd malaise de son frère.

Suzanne

Suzanne provient de l’hébreux « susan » qui signifie le lys, cette autre fleur à l’opposé d’Ourida incarne la laideur et la disgrâce, c’est le laideron qui se donne impunément à Omar, que ce dernier, rien ne rebute quand il s’agit des femmes ni la laideur ni même le lien sacré du sang, il violera Ourida et montera au maquis. Susan est objet sexuel.

L’honneur de la tribu se perçoit comme la fin d’une légende qui a survécu aux temps modernes, en effet le valeureux passé de la tribu s’effrite à devenir poussière que soulève et emporte le vent de la rébellion d’Omar, rattrapé par la tornade des nouvelles réalités. La femme reste dans tous les cas le maillon faible de la chaîne qu’un rien brise à jamais, Ourida digne petite fille d’Hassan El Mabrouk, belle, vertueuse mais surtout vierge se livre au capitaine pour le servir, dès suite de son viol qui restera secret, elle n’eut pas à attendre la sentence de sa tribu, elle s’infligera la punition des impures pour s’éteindre discrètement.

Encore une fois, le corps de la femme reste un enjeu déterminant de sa condition dans la société aussi bien rurale que citadine.

Ce récit aborde la difficile transition de la société algérienne rurale en majorité, en société citadine. Plus qu’un constat, c’est un réquisitoire du modernisme que traduisent les femmes du roman. En effet, les paysannes sont conditionnées dès leur tendre enfance à remplir un rôle, une fonction bien précise. Pour se faire, elles cultiveront, beauté, pureté et sagesse à l’abri des regards. Nubiles, elles devront combler leur mari et fonder des familles. Ce

95

processus est fondamental pour la garantie de l’honneur de la tribu. Ce dernier est mis à rude épreuve, lorsqu’une partie de la tribu s’aventurera loin des siens. De retour à Zitouna, ces enfants prodigues seront surnommés les lépreux et leurs femmes : les femmes des lépreux. Ces dernières perverties par la ville, acquerront des vices que ne connaissent pas leurs femmes préservées. Elles sont cupides, voleuses et volages. Quant aux citadines, leur habits font d’elles des impudiques, travailleuses, elles délaissent maris et enfants, fourbes et trompeuses, elles se maquillent pour cacher leurs imperfections, mais plus grave, elles n’accomplissent pas leur rôle de femmes en prenant des pilules pour ne pas enfanter. Dans cette fatale transition, la femme focalise tous les regards, aux yeux des hommes, elle a plus à perdre qu’à gagner.