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PREMIÈRE PARTIE : FLEUVES, BASSINS ET MILIEUX

1.2. Le facteur climatique 1. Les données de l'actuel

Parmi les facteurs de l'écoulement fluvial, le climat a une influence fondamentale dans la mesure où il influe sur le bilan hydrologique et où il détermine le régime des cours d'eau (Pagney 1988, 78 et 107-109). Dans notre zone d’étude, ce lien est particulièrement étroit (Pagney 1988, 165-182). Les cours d'eau méditerranéens puisent en partie leur alimentation dans les montagnes périphériques, notamment au niveau des bassins supérieurs. Les pluies et l'évaporation ont également un impact important sur le bilan hydrique (Pagney 1988, 78).

D'après G. Jalut, en Méditerranée septentrionale, la mise en place du climat méditerranéen, caractérisé par sa sécheresse estivale, est effectuée à partir du Subboréal et durant le Chalcolithique (Jalut et al. 1997, 328). D'autre part, il semblerait que le climat méridional n'ait pas varié de façon manifeste depuis le Néolithique (Vernet 1988).

Dans la région qui nous occupe, le climat actuel est globalement marqué par des étés chauds et secs, mais tempérés sur la côte par la présence de la mer. Les hivers sont plutôt doux, mais les températures tendent à décroître dans l'intérieur des terres plus montagneux. Des nuances sont cependant à apporter car dans les zones de relief (Pyrénées, Garrotxa, Montagne Noire, Cévennes…), le climat est davantage montagnard, tandis qu'il devient plutôt aquitain à l'ouest de Carcassonne, entre le Lauragais et la plaine de Castelnaudary. La façade maritime peut connaître des coups de froid sévères mais secs en raison principalement des vents d'ouest et du nord-ouest. L'abondance relative des pluies, supérieures en Ampourdan par rapport au Languedoc-Roussillon, apportées surtout par les vents marins (sud-est et est), notamment en hiver et aux changements de saisons, ne résout pas pour autant le problème de la sécheresse estivale et plus généralement de la rareté de l'eau dans ces régions.

Comme pour les trois exemples présentés ci-dessous, les valeurs comparatives des débits pour chaque mois de l’année montrent une irrégularité annuelle, néanmoins variable selon les cours d’eau. Le minimum hydrologique de l'été, et en particulier les basses eaux de juillet, d'août et de septembre, s'explique d'une part par la quasi absence des précipitations et d'autre part par le rôle prépondérant de l'évaporation. Durant la saison froide, les débits d'hiver sont soutenus en raison d'un apport pluvial non négligeable. En automne, le régime est pluvial : la saison est marquée par des grande averses et une baisse du phénomène d'évaporation. Un maximum hydrologique printanier, de type pluvio-nival, survient à la suite de la fonte des neiges, jusque-là retenues sur les sommets.

janv. février mars avril mai juin juillet août sept. oct. nov. déc.

a 38,2 34,6 38,2 40 40,3 27,9 13,5 8,4 7,8 15,8 15,5 37,4

b 97,4 100,4 93,1 81,6 73,2 43,5 17,2 10 16,3 61,6 31,7 90,3 Moyennes mensuelles des débits de l’Aude de 1960-1965 à 1972 en m3/s à Carcassonne (a) et à Moussoulens (près de Sallèles-d’Aude) (b) (d’après Amiel 1997 et Watel 1998, 37-38)

janv. février mars avril mai juin juillet août sept. oct. nov. déc.

a 8,7 9,8 10,8 13,4 26,4 22,4 9,6 6,3 8 6,6 6 7,5

b 9,3 9,4 11 13,6 21,2 18,2 5,9 2,1 5,1 5,2 4,2 14,2 Moyennes mensuelles des débits de la Têt à Rodès (a) et à Perpignan (b) en m3/s (Curt, Davy 1990, 160)

janv. février mars avril mai juin juillet août sept. oct. nov. déc.

a 7 7,4 9,2 10,5 15,6 14,6 8,9 6,9 7,3 9,5 10 8,2

b 9,8 11,7 14,5 13,3 19,1 17 10,4 6,9 6,4 11 11,2 11,6 Moyennes mensuelles des débits du Ter calculées sur 24 ans en m3/s à Ripoll (a) et à Gérone (b) (Junta d’Aiguës 1995, 48-51 et 114-117)

Les précipitations peuvent souvent prendre un caractère très violent et transformer en quelques heures les lits secs des rivières et des ruisseaux en véritables torrents, ce qui justifie l’ampleur des ponts dans notre zone d’étude. Elles se produisent durant plusieurs jours et peuvent être d’intensités variables. En général, elles sont moins violentes au printemps qu’en automne, en particulier en Ampourdan (Barbaza 1966, 51). La montée des eaux est en général spectaculaire. Dans le bassin de l’Hérault, l’onde de crue peut se propager en moins de 24 h entre Valleraugue et Agde. Dans ce bassin, l’évolution des crues est rapide en raison de la faible dimension du bassin, des pentes, de l’encaissement dans les gorges ou entre les berges de la plaine. Certaines années peuvent connaître plusieurs crues ; l’Hérault en a connu 7 en 1907 (Loup 1974, 106-107). Des orages violents et répétés expliquent la crue de la Têt en mai 1977, sans qu’il y ait eu de signe annonciateur de grandes averses. Le débit a alors atteint rapidement 849 m3/s à Perpignan (Curt, Davy 1990, 166-170). Dans l’Aude, la crue de 1891 porte le débit du fleuve à 2230 m3/s à Carcassonne et 4000 m3/s à Moussoulens dans la basse plaine (Marquié, Viala 1995, 54). En Ampourdan, la Muga, le Fluvià et le Ter ont vu leur module de débit se multiplier respectivement par 106, 368 et 279 lors de la crue d’octobre 1940 (Barbaza 1966, 50). La violence du phénomène peut également toucher des petits fleuves ou des affluents modestes. Lors des inondations de novembre 1999, la Berre, petit fleuve côtier audois, à sec quasiment toute l’année, a détruit une partie de la cave coopérative de Durban-Corbières et a emporté au passage une des cuves en aluminium sur plusieurs kilomètres à l’aval. De nombreux ponts de pierre ont par ailleurs été endommagés ou détruits sur des petits affluents de l’Aude en Minervois.

La rapidité de l’écoulement provoque d’importants ravinements. Les pluies ont ainsi tendance à favoriser les phénomènes d'érosion. Les cours d’eau qui transportent de

grandes quantités de débris se transforment parfois en torrents de boue. A l’arrivée, les eaux stagnent dans les zones basses mal drainées durant plusieurs jours. Les inondations prennent alors une ampleur considérable, en particulier dans les plaines. Y. Barbaza (1966, 50) rappelle par exemple qu’en 1932, l’interfluve Ter-Fluvià fut tranformé « en lac par les crues conjuguées des deux fleuves » dans la plaine littorale.

1.2.2. Sédiments fluviatiles et variations du climat de la fin de l'âge du Bronze à l'époque romaine en Europe

Actuellement, la connaissance et la reconstitution de l'évolution du climat sont fondées, mais pas uniquement (Magny 1992, 32-36 ; Holzhauser 1992, 37 ; Richard 1992, 38-41 ; Orcel et al. 1992, 52-54 ; Lambert et al. 1992, 55-57 ; Magny 1995 ; Lopez et al. 2004), sur l'examen des sédiments fluviatiles, véritables archives du paysage (Bravard et al. 1992, 7-13). Ces sédiments permettent d'identifier des comportements fluviaux bien datés et de mettre en évidence les crises morphodynamiques d'un bassin versant, illustrant elles-mêmes les fluctuations climatiques. Cette approche nous intéresse particulièrement car elle permet d'appréhender l'histoire d'un cours d'eau. Cependant, « reste à connaître l'effet réel des fluctuations climatiques sur la dynamique des bassins versants » car il est pour l'instant difficile encore d'apprécier la part de l'impact anthropique dans la fragilisation et l'évolution des milieux (Bravard et al. 1992, 13).

En Europe, entre la fin du Bronze final IIIb et jusqu'au IIe s. de n. è., trois grandes phases climatiques ont été mises en évidence (Bravard et al. 1992 ; Magny, Richard 1992). L'extrême fin de l'âge du Bronze est marquée par un refroidissement climatique qui s'accompagne d'une plus grande humidité. Dans le domaine fluvial, on constate une forte activité des cours d'eau et une accumulation d'alluvions grossières, d'où une importante sédimentation et un exhaussement des lits. Il est difficile de déterminer précisément la fin de cette phase mais elle semble couvrir tout le premier âge du Fer et une partie du second jusque vers -500/-300. Une seconde phase, caractérisée par une plus faible dynamique fluviale, lui succède jusqu'au changement d'ère. Là, on remarque, dans les sédiments fluviatiles, une diminution du bilan hydrique. Le climat apparaît donc moins humide et les cours d'eau plus stables. De la fin du Ier s. av. n. è. jusqu'à la deuxième moitié du IIe s. de n. è., une nouvelle péjoration climatique est perceptible en divers points de l'Europe. Cependant, elle apparaît moins accentuée que celle mise en évidence pour le premier âge du Fer et, en ce qui concerne les régions méditerranéennes, cette crise hydrique apparaît de façon beaucoup moins évidente dans les enregistrements sédimentaires fluviatiles. Un retour à un climat plus favorable et à un calme hydrologique se produit dans les premiers siècles de notre ère. Il est analogue à celui qui a touché le milieu et la fin du second âge du Fer.

Les études réalisées en plusieurs points de la France (moyenne vallée du Rhône : Bravard et al. 1997, 188-190 ; basse Provence : Provansal 1992 ; Alpes du Sud), mais aussi

en Grèce, en Espagne (Aragon) et dans les pays Rhénans, montrent des convergences (Bravard et al. 1992). A partir de là, on peut raisonnablement penser que le Languedoc, le Roussillon et l’Ampourdan sont concernés par ces mêmes variations. Mais l'analyse de leur impact sur les milieux naturels dans la région concernée présente des difficultés. Il faut en effet tenir compte de l'élévation du niveau marin, consécutive à la déglaciation depuis -10000. Elle a entrainé la transformation fondamentale du paysage littoral durant l'Holocène.

1.2.3. Le remplissage des basses plaines languedociennes et l'évolution hydrologique du Tardiglaciaire à l'Antiquité

Avant la remontée rapide du niveau des mers qui débute vers 14 000 BP et qui correspond sur nos côtes à une phase d'ingression marine, avec un ralentissement de la tendance au début de l'Holocène, le niveau marin se situe 120 m plus bas que le zéro NGF. Dans ce contexte, les fleuves se présentent comme de véritables canyons dans leur partie située en aval. La phase d'ingression se poursuit jusqu'à l'Atlantique récent (Néolithique moyen), puis une période de relative stabilité se met en place. Les étapes des variations et de stabilisation du niveau marin après sa phase de remontée rapide varient néanmoins en fonction des secteurs étudiés (Palli 1976 ; Aloïsi et al. 1978 ; L'Homer et al. 1981 ; Riba 1981 ; Morhange et al. 1996).

Ces événements ont eu une incidence d'une part sur le profil très encaissé des cours d'eau car il y a eu tendance au remblaiement en raison du ralentissement des écoulements. Ils ont affecté d'autre part le paysage littoral dans la mesure où le ralentissement de l'écoulement fluvial a provoqué des dépôts sédimentaires dans les basses plaines deltaïques. Dans cette phase de progradation deltaïque, la terre gagne sur la mer par colmatage, gommant progressivement les microreliefs littoraux. D'une manière générale, ces phénomènes de sédimentation sont aujourd'hui bien reconnus dans les basses plaines du Languedoc-Roussillon et de la Catalogne, mais les étapes successives du comblement sont rarement mises en évidence, faute de pouvoir dater les séquences.

Sur les côtes languedociennes, les recherches diachroniques récentes effectuées autour de Lattes, et notamment à Port-Arianne, ont permis d'approfondir les données sur l'évolution de la basse plaine du Lez, qui est, à ce jour, la seule bien connue en Languedoc-Roussillon (Jorda 2000 et 2002). Au Tardiglaciaire, le fonctionnement du fleuve est torrentiel et montre un style en tresses pour un lit mineur très large. Le début de la progradation deltaïque, peut-être en rapport avec un ralentissement de la remontée marine autour de 6000 BP, s'effectue à partir du Chasséen. Cette phase se caractérise par des apports fluviatiles fossilisant les formations palustres mises en place du Dryas récent. Au Néolithique moyen, le fleuve passe d'un style en tresses à un style anastomosé témoignant d'une phase d'incision et de retour à l'équilibre. Par ailleurs, le niveau marin moyen se stabilise (3-4 m sous le 0 NGF). Jusque vers -3000/-2500, le colmatage est important car les apports sont réguliers. A partir du Néolithique Final et jusqu'au Bronze final, il apparaît

que les flux détritiques (apports de sédiments) sont moindres, d'où une extension des zones humides dans le secteur. On assiste ensuite, à partir du Bronze Final, à une stabilisation hydrosédimentaire, longue de 1500 ans, avec une incision du chenal fluvial qui se caractérise par un style à méandres. La phase suivante marque pour le Lez une accélération de la sédimentation autour de Lattes, en raison d'une emprise agricole plus forte qui montre, à ce moment, l'impact important de l'homme comme agent d'érosion par rapport à la période précédente.

C. Jorda (2000, 31) insiste cependant sur le fait que la phase allant du Bronze final jusqu'à l'Antiquité, caractérisée par l'absence de crises, ne trouve pas de comparaison ailleurs en Méditerranée. Si pour le début de la période, la stabilité peut être mise sur le compte d'un calme hydrosédimentaire d'origine climatique, pour le second âge du Fer et l'Antiquité, l'auteur s'interroge sur l'impact anthropique dans le maintien de l'équilibre des milieux (Jorda 2000, 31 ; Jorda, Jung 2002). Le cas du Lez peut sembler spécifique sur ce point, mais des convergences sont constatées à présent pour le Vidourle où l'on parle d'une phase de stabilité sur une période plus courte (Jorda, Berger 2003 : communication orale à la table-ronde de Lattes du 2 avril 2003 sur les littoraux languedociens de la Protohistoire au Moyen Age. Une crise alluviale touche également le Vidourle à partir de l'époque romaine, avec une style en tresses et un régime torrentiel).

D'autre part, les données palynologiques analysées par G. Jalut (Jalut et al. 1997, 331) pour Capestang dans la région de Narbonne-Béziers, mettent en évidence plusieurs phases de variation climatique dans ce secteur. De 9500 à 4200 BP, les étés étant humides, le climat n'est pas méditerranéen. De 4200 BP à 2900-2800 BP, le climat apparaît variable avec des phases subméditerranéennes temporaires. A partir de 2900-2800 BP jusqu'au changement d'ère, le climat devient subméditerranéen, ce qui se traduit par une sécheresse estivale irrégulière. A l'intérieur de cette phase, vers 2500-2400 BP, l'auteur discerne un changement important dans la présence des pollens qu'il met en relation avec un impact anthropique plus soutenu. La crise de la fin de l'âge du Bronze et du premier âge du Fer, ne semble donc pas non plus perçue ici. La phase suivante qui débute vers 2200-2000 BP marque l'avènement d'un climat plus franchement méditerranéen.

En Ampourdan, autour de l’ancien étang d’Ullastret, cette phase se manifeste par une hausse du niveau du plan d’eau et une plus grande humidité entre le IXe et le VIIIe s. Néanmoins, il semble qu’on assiste à une répartition de la pluviosité annuelle assez équilibrée (Burjachs et al. 2000, 34). A la fin de la période, le retour à une phase plus sèche marque une régression du niveau de l’étang au Ve s. av. n. è. (Blech, Marzoli 2005, 57).

La période de péjoration climatique qui touche l'Europe entre le Bronze final et le premier âge du Fer, n’a donc pas encore été identifiée sur le littoral languedocien. Il paraît cependant difficile de penser qu’un tel phénomène climatique n’ait pas concerné cette partie du Midi. Ceci est d’autant plus étonnant que de l’autre côté des Pyrénées, cette phase est bien reconnue en Catalogne (Burillo et al. 1986 ; Gutiérrez, Pena 1992 ; Lopez et al. 2004). Toutefois, en Espagne, la péjoration ne se serait pas partout manifestée par une plus grande humidité, mais plutôt par une baisse notable des températures (Lopez et al. 2004, 20).

1.3. Rôle et place du couvert végétal