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PREMIÈRE PARTIE : FLEUVES, BASSINS ET MILIEUX

2. Le Languedoc occidental 1. Le bassin de l'Hérault

3.3. Le bassin du Tech 1. Le bassin versant

3.3.1.1. Les limites du bassin

Le Tech peut être subdivisé en deux domaines principaux ; la montagne, d'une part, englobant le Vallespir, le Roc de France et les Albères ; la plaine, d'autre part, qui comprend les Aspres, collines faiblement ondulées et la plaine du Roussillon à proprement parler (Biscaldi 1964). Dans la haute vallée, le Vallespir délimite le bassin supérieur depuis sa source dans le massif de Costabonne jusqu'à Céret (fig. 54). Sur ce tronçon, le fleuve se définit comme une véritable torrent, aux crues violentes, et qui parcourt une vallée aride fortement soumise à l'érosion. Le Roc de France et les Albères, qui font communiquer l'Ampourdan et le Roussillon, limitent au sud le bassin versant. Au nord, le bassin du Tech et le bassin du Réart sont séparés par les collines pliocènes des Aspres. A partir de Céret, c'est la basse vallée, au sein de laquelle on distingue deux bassins. De Céret au Boulou, le fleuve demeure enserré entre des abrupts, parfois importants, appartenant au Pliocène et des terrasses bordant la rivière (annexe 10). En aval du Boulou, la vallée s'évase, mais en rive gauche, il ne subsiste que des lambeaux de terrasses démantelées par l'érosion et qui s'opposent aux terrasses fluviatiles fertiles de la rive droite. Enfin, le contact avec le milieu littoral est marqué par la plaine de la Salanque, formée d'alluvions récentes. La délimitation du Tech avec le bassin de la Riberette en rive droite est d'ailleurs imprécise car ce ruisseau est en rapport direct avec la nappe des alluvions récentes. C'est davantage le bassin de la Massane, cours d'eau indépendant qui délimite celui du Tech au sud. Sur l'autre rive, la séparation entre le bassin du Tech et celui du Réart est loin d'être franche. Leur interfluve est marqué par de nombreuses cuvettes hydro-éoliennes.

3.3.1.2. Le réseau hydrographique et les caractéristiques de l'écoulement Les affluents de la partie amont sont les plus remarquables avec en rive droite (fig. 54), la Candeille, la Manère, le ruisseau de Saint-Laurent, le Mondoni et la Pignadères. On trouve en rive gauche, la Coumelade, le Riu Farré et le Riu Ample. A partir de Céret, les affluents principaux ne concernent que la rive droite avec le Maureillas et le Tanyari. En rive gauche, les tributaires du Tech se limitent à quelques torrents descendant des Aspres, quasiment à sec toute l'année sauf au moment des fortes pluies.

Le réseau hydrographique du Tech connaît donc un certain déséquilibre entre le bassin supérieur et le bassin inférieur, ainsi qu'entre la rive gauche et la rive droite.

La source du Tech se situe à proximité du pic de Roque-Couloum à 2320 m d'altitude. Jusqu'à Cabanasse, en amont de Céret, le fleuve conserve un profil très encaissé, ce qui lui confère un caractère torrentiel. Son cours se régularise à son entrée dans les

formations plio-quaternaires, mais, même dans la plaine, la pente demeure importante avec un profil de 6‰ de Céret au Boulou, de 3‰ du Boulou à Elne et de 2‰ d'Elne à la mer.

Du fait de l'encaissement important du fleuve jusqu'à la hauteur de Château-la-Grange, le lit majeur et le lit ordinaire restent confondus sur ce tronçon. La distance entre les deux rives s'échelonne alors entre 200 et 1400 m. Au moment des basses eaux, le Tech serpente en formant un ou plusieurs chenaux d'écoulement. Le lit majeur s'élargit sur sa rive droite à partir de Château-la-Grange et sur sa rive gauche à partir d'Ortaffa. Sa largeur est estimée à 6 km à la hauteur de Latour-Bas-d'Elne. Le lit ordinaire conserve une largeur régulière jusqu'à la mer. Le fleuve creuse ici dans ses propres limons et se trouve encaissé à 2 ou 3 m au-dessous du niveau de la plaine (Biscaldi 1964, 18). La véritable plaine alluviale commence en réalité à Brouilla et atteint son extension maximum entre Latour-Bas-d'Elne et Argelès-sur-Mer. En bordure de mer, elle se raccorde aux plaines alluviales du Réart et de la Massane.

A son embouchure, où il forme une sorte de delta, « ses alluvions obstruent presque totalement le lit ordinaire et l'écoulement des eaux à la mer est assuré par plusieurs chenaux dont la disposition varie à chaque grande crue » (Biscaldi 1964, 18). De 1919 à 1964, le Tech a connu au total 22 inondations. La plus importante fut celle de 1940 qui a laissé des traces dans le paysage actuel du fait d'une érosion intense. Le régime du Tech est comparable à celui des fleuves méditerranéens, mais est accentué par des pentes très fortes sur une grande partie de son tracé et un bassin versant dénudé. Son régime est donc irrégulier avec des débits d'étiage très faibles et des crues violentes et dévastatrices.

Le Tech est un fleuve à forte torrentialité, très encaissé même dans la plaine. Son réseau hydrographique est déséquilibré, avec une alimentation faible, sauf au moment des pluies.

3.3.1.3. Le bassin du Réart

Ce petit cours d'eau constitue une unité fluviale à part entière, mais son rattachement au bassin du Tech tient au fait que l'un et l'autre ont une évolution géomorphologique commune, le Réart ayant constitué, durant la glaciation du Würm, un affluent du Tech (Martzluff 1993, 27). De plus, il n'existe pas de limite nette entre ces deux bassins, dans leur partie située la plus en aval.

Le Réart prend sa source dans les Aspres ; jusqu'à Pollestres, il suit un tracé sud-nord puis s'infléchit ensuite vers l'est. Son cours demeure encaissé jusqu'à Villemolaque. A partir de là, il est bordé de part et d'autre de sa vallée par une ancienne terrasse fluviatile caillouteuse, beaucoup plus dégradée sur la rive droite par l'érosion (fig. 54). Au contact du littoral, son lit majeur s'évase pour rejoindre la plaine alluviale du Tech. Son cours est actuellement endigué dans la plaine. De même que dans le cas du Libron et de la Berre, le régime du Réart est celui des oueds avec un écoulement intermittent et un débit très irrégulier.

Par ailleurs, il ne peut être dissocié de l'étang de Canet qui forme son débouché naturel (annexe 2). Cette lagune peu profonde est en fin de comblement en raison des

apports du Réart qui édifie un delta au nord-est (Duboul-Razavet, Martin 1981, 72). Seul le grau des Basses assure une connection avec la mer.

3.3.2. L'hydrographie ancienne de la plaine alluviale 3.3.2.1. Les sources antiques

On sait par Athénée que Polybe (XXXIV, 10, dans Athénée, VIII, 332a) connaissait le nom des deux principaux cours d'eau sillonnant le Roussillon ; le Tech apparaît ici sous l'appellation Illeberis, qui désigne également une ville. Au début du Ier s. de n. è., Strabon (Géographie, IV, 1, 6) cite l'Ilibirris au côté du Ruscino, faiblement navigable et uniquement par le moyen de petites embarcations.

Le Tech est mentionné pour la première fois sous le nom de Ticis par Pomponius Méla, fleuve sujet à de fortes crues comme le Telis (Chorographie, II, 5, 84). Méla connaît aussi Eliberrae (Elne), réduite à l'état d'une bourgade. À la même époque, Pline l'Ancien évoque le Tecum, chez les Sordes, sans plus de détails (Histoire Naturelle, III, 32) et mentionne ausi la ville d'Illiberis.

Dans sa Géographie (II, 10), Ptolémée reprend un siècle plus tard les formes Illiberis pour donner à la fois les positions respectives de l'embouchure du fleuve et de la ville. Aviénus pour sa part, ne mentionne ni le Tech, ni Illiberis.

A quelques différences près, le Tech et la Têt sont rarement dissociés dans les sources antiques ; de ce fait, les descriptions où apparaît le nom du Tech sont les mêmes que celles qui font état de la Têt. Le Tech est associé à la ville d'Illiberis, sans qu'on sache si cette dernière était établie sur son cours. On remarquera qu'à l'heure actuelle, le Tech s'écoule à plus de 1,5 km au sud du cœur de l'agglomération d'Elne que l’on identifie à Iliberris. Enfin, le caractère torrentiel du fleuve est reconnu dès l'Antiquité, en conformité avec la situation actuelle.

3.3.2.2. Anciens tracés du Tech

Le cours actuel du Tech s’écoule d’ouest en est, au sud d’Elne. Il suit un tracé plus ou moins rectiligne jusqu’à son embouchure, à quatre kilomètres au nord d’Argelès-sur-Mer. Des fouilles réalisées dans les années 1990 nous renseignent sur ce tracé durant le Néolithique (Martzluff et al. 1994-1995, 7-16). Une occupation épicardiale récente (vers – 5000 ans) a été localisée au sud-est d’Elne, à 4,5 km de la côte, de part et d’autre du fleuve (fig. 55). Le site dit des « Berges du Tech », qui se trouve donc en partie immergé, a été coupé par le lit actuel, ce qui suggère que le cours du fleuve n’occupait pas exactement le même chenal au moment de l’installation préhistorique. Celle-ci s’est vraisemblablement faite sur une terrasse proche du cours d’eau. Le gisement a été découvert sous plusieurs mètres d’alluvions. Il est encore aujourd’hui fréquemment inondé. La stratigraphie présente des niveaux supérieurs sableux épais, ainsi qu’une couche de

galets et de graviers correspondant à une crue. Les vestiges anthropiques reposaient sur un niveau compact noir. Cette couche se trouvait elle-même sur un niveau de galets qui correspondrait à un ancien chenal. Un tracé du fleuve semble donc avoir existé au sud-est d’Elne antérieurement au Néolithique ancien et il semble qu’il ait connu jusqu’à nos jours quelques variations.

En ce qui concerne l’existence d’un éventuel tracé au nord d’Elne, le dépouillement minutieux des archives médiévales réalisé par C. Puig (2003) a permis de mettre en lumière un ancien lit du Tech dans la basse plaine. Le nom du fleuve Danubium apparaît en 1174 sur les territoires situés entre Ortaffa et Bages et en 1195, il est associé au nom du Tech, dans le secteur d'Ortaffa également, ce qui montre qu'il s'agit de deux tracés distincts à la fin du XIIe s. En 1336, le Tech est à nouveau indiqué sur le territoire de Corneilla-del-Vercol, c'est-à-dire au nord du tracé actuel, sous le nom de Techum d'Elne, qui peut vraisemblablement être assimilé au Danubium. Ce cours d'eau passe donc d'une part entre Bages et Ortaffa et d'autre part entre Elne et Corneilla-del-Vercol (Puig 2003). A la fin du XIVe s., l'hydronyme Tech est encore cité sur le finage de Corneilla mais avec la mention Vell (vieux), ce qui indique que ce bras du Tech est désormais asséché. Dans la mesure où ce chenal n'est pas mentionné entre la fin du XIIe s. et le XIVe s., C. Puig (2003) fait remarquer qu'il pourrait s'agir d'un ancien cours du Tech, et peut-être celui de nos sources antiques, en eau uniquement lors des crises climatiques, le cours méridional, celui que nous observons aujourd'hui, constituant le principal écoulement durant le Moyen Age. Sur la carte IGN (fig. 55), le tracé de ce Danubium ou Tech d'Elne s'observe depuis Ortaffa où il semble longer la route D 40 et les terrasses de la rive gauche jusqu'à Elne, puis contourner la ville par un vaste méandre. Ce tracé semble confirmé par la mention, au début du XVe s., d'une chapelle Notre-Dame-du-Pont à Elne, qui devait se localiser au croisement des chemins d'Elne à Bages et d'Elne à Llauro (Kotarba 1991). De plus, la disparition du tracé de la Via Domitia entre Elne et Saint-Cyprien sur environ 300 m pourrait correspondre à l'emplacement de l'ancien lit du fleuve. Lors de la recherche du village disparu de Mousseillous (Kotarba 1991), entre Elne et Alenya, des prospections ont été l'occasion d'observer dans le secteur proche du Mas Armangau, un sol très sableux pouvant correspondre à un ancien cours du Tech (fig. 55). Un texte de 1330 fait en effet état, sur les terres de Mousseillous, de débordements du fleuve. En 1343, un autre document atteste son passage entre Elne et Saint-Cyprien (Kotarba 1991). Enfin, une étude géophysique visant à évaluer les potentialités en eau souterraine au nord d'Elne, montre le passage d'un cours d'eau stable au nord d'Elne et de Saint-Cyprien. Un tracé plus septentrional du Tech est alors proposé, avec une embouchure dans la partie sud de l'étang de Canet et Saint-Nazaire (Kotarba 1991).

Compte-tenu de cette documentation, un bras du Tech, connu dans les sources sous le nom de Danubium, semble donc avoir sillonné la plaine à l'est et au nord d'Elne au Moyen Age et peut-être même antérieurement. Ce tracé pour la Protohistoire reste néanmoins à vérifier. Durant l’époque néolithique, un bras méridional du Tech existait

déjà. Pour la période qui nous concerne, il y a de fortes chances pour que ce tracé ait également parcouru la plaine située au sud d’Elne. Son ou ses embouchures passées sont inconnues et, actuellement, on peut juste observer au nord du fleuve le toponyme Bocal del Tech qui peut faire allusion à un débouché du cours d'eau dans ce secteur de la côte.

3.3.2.3. Le Réart et l'étang de Canet et Saint-Nazaire

L'embouchure actuelle du Réart est le résultat d'un endiguement qui a dévié son cours naturel vers le nord de l'étang de Canet et Saint-Nazaire. Aucun document ne fait état de modification historique de son chenal. Toutefois, à deux reprises, au Moyen Age, apparaît le projet non abouti d'un détournement du fleuve sur le territoire de Villeneuve-de-la-Raho pour que celui-ci se jette dans l'étang du même nom (Puig 2003), formé dans une ancienne cuvette hydro-éolienne, asséchée puis récemment remise en eau grâce à une retenue.

C'est le débouché du Réart dans la lagune de Canet et Saint-Nazaire qui achève aujourd'hui le colmatage de l'étang. Des carottages profonds réalisés dans celui-ci ont permis de recouper les différents niveaux de son remplissage sédimentaire qui correspondent aux dernières divisions de l'Holocène (de -3000 à nos jours). Les différences de vitesse de remplissage s'expliquent en fonction des variations climatiques et paléomorphologiques, mais des fluctuations locales sont dues au Réart. La période subboréale (du Néolithique final au Bronze final) est caractérisée par une forte sédimentation, tandis que dans le Subatlantique (entre l'âge du fer et nos jours), le remplissage présente une sédimentation beaucoup plus faible (Duboul-Razavet, Martin 1981, 74-76). Cependant, à l'intérieur de cette tranche chronologique, les analyses polliniques de N. Planchais (1985, 117-127) font apparaître un hiatus sédimentaire considérable compris entre le Néolithique et le XIIIe s., d'où l'impossibilité d'avoir une vision précise de l'évolution de cette lagune pour la période qui nous intéresse.

3.3.2.4. Les dépressions humides fermées de l'interfluve Tech-Réart

Le bassin du Réart et son interfluve avec le Tech sont marqués par la présence de dépressions fermées, très faiblement salées (une nappe salée est actuellement décelée sous 2 m de limons et de vases, comprises principalement dans un triangle déterminé par les villes de Ponteilla, Canohès et Elne (Martzluff 1993, 29).

Leur origine serait conjointe à celles des dépressions humides du bassin de l'Aude ou de l'Hérault (Bousquet 1997). Il peut s'agir de cuvettes d'origine éolienne mises en place lors des glaciations quaternaires ou d'affaissements anciens dus à la dissolution des éléments carbonatés des molasses pliocènes (Martzluff 1993, 28-29). Ces cuvettes sont en eau au Moyen Age, au moins pour celles de Ponteilla, Bages, Villeneuve et Canohès (Puig 2003). Leur assèchement, dans le but d'aménager de nouvelles terres agricoles, débute au XIIe s. et se poursuit jusqu'au XIVe s. La crise climatique de cette dernière période

entraîne quelques échecs (Puig 2003). La volonté de les faire disparaître de façon définitive du paysage roussillonnais reprend à l'époque moderne.

C. Puig dénombre au total une trentaine d'étangs ou marais pour l'ensemble du Roussillon, signalés dans les sources médiévales ou encore détectables grâce à la topographie ou à la toponymie sur les cartes au 1/25000. Toutefois, certains plans d'eau signalés au Moyen Age ne sont plus repérables. Ce sont ceux que les documents localisent sur les rives des cours d'eau et qui ont pu, selon toute vraisemblance, disparaître avec la crise alluviale qui débute au XIIIe s. entrainant un remplissage sédimentaire important (Puig 2003). Sur la rive gauche du Réart, on localise ces anciens marécages dans le secteur de Canohès-Pollestres, mais c'est sur la rive droite qu'on trouve les plus vastes avec celui de Bages, ainsi que l'étang de Villeneuve, les Estanyots, la Colomina et le Malairon, moins visible.

Si on sait que leur mise en place est très ancienne à l'échelle géologique, le caractère inondé de ces cuvettes n'est connu que pour les époques médiévales et modernes grâce aux archives qui font largement référence à ces étendues d'eau. Pour la Protohistoire et l'époque romaine, on ne sait rien de leur état, ce qui ne permet pas pour autant d'écarter l'hypothèse que ces dépressions étaient en eau à ces périodes, même s’il nous manque les forages susceptibles de le prouver.

4. L’Ampourdan

4.1. Le bassin de la Muga