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PREMIÈRE PARTIE : FLEUVES, BASSINS ET MILIEUX

2. Le Languedoc occidental 1. Le bassin de l'Hérault

4.1. Le bassin de la Muga 1. Le bassin versant

4.1.1.1. Les limites du bassin

Le bassin de la Muga occupe une surface de 854 km2 (fig. 56), couvrant presque exclusivement la région du haut Ampourdan. Avec une longueur de 65 km, c’est le plus petite fleuve de notre zone d’étude. Sa source, à 1186 m d’altitude, se localise dans le Vallespir, au Pla de la Muga, non loin de la source du Llierca, un des principaux affluents du Fluvià. A partir de sa source, sur environ 8 km, la Muga fait frontière avec la France. Dans sa partie supérieure, les limites occidentale et méridionale du bassin sont données par les reliefs de la haute Garrotxa et par le bassin du Fluvià. Au nord, son bassin est déterminé par le bassin du Tech, par les reliefs granitiques aux versants abrupts du Vallespir où culmine le Roc de France, et surtout, jusqu’à la façade maritime, par le versant sud du massif des Albères. Dans la plaine, sa limite sud est formée d’une part par les piémonts de la Garrotxa et, d’autre part, par le bassin inférieur du Fluvià (Nogué Font 2000, 103-105).

Dans son bassin supérieur, de la source à Albanyà, le fleuve traverse d’abord les roches granitiques pyrénéennes, puis les terrains calcaires éocènes de la Garrotxa, où l’encaissement de la vallée est important. Entre Albanyà et Sant Llorenç de la Muga, la vallée s’élargit, mais traverse ensuite l’engorgement de Muga Torta. Plus à l’aval, une retenue d’eau barre la vallée à l’amont de Boadella. Après ce passage, la vallée s’élargit de nouveau. Enfin, Pont de Molins marque l’entrée de la Muga dans la plaine alluviale de l’Ampourdan. A Castellò d’Empùries, le fleuve circule entre l’ancien étang de Castellò et les terrains marécageux des Aiguamolls de l’Ampourdan, avant de finir sa course, 4 km en aval, dans le golfe de Rosas.

4.1.1.2. Le réseau hydrographique

Le réseau hydrographique de la Muga est complexe mais peu dense. On perçoit un déséquilibre entre la rive droite et la rive gauche, qui est la mieux drainée. En rive gauche, les premiers affluents importants apparaissent dès le cours moyen. Il s’agit des rivières de Major et de l’Arnera qui confluent chacune dans la retenue de Boadella. Ces cours d’eau drainent le massif des Salines dans le Vallespir. A la hauteur de Vilanova, dans le bassin inférieur, la Muga reçoit le Llobregat qui est son principal affluent. Il draine les eaux des Albères méridionales et une partie du massif des Salines. Ce tributaire recueille entre autres le Ricardell, l’Orlina et l’Anyet.

En rive droite, le seul affluent notable est le Manol, au régime torrentiel et dont le bassin alimente la haute Garrotxa. Il se jette dans la Muga un peu à l’aval de Vilanova, dans la plaine. Son tributaire principal est Alguema (Ventura Pujolar 2005, 108).

Le bassin inférieur de la Muga, comme c’est le cas pour une grande partie des plaines littorales de l’Ampourdan, est marqué par la présence de multiples étangs ou marécages situés dans de nombreux cas à une altitude inférieure au niveau de la mer. J. Matas (1986, 5) en comptabilise une trentaine, dont la majorité se concentre entre les basses vallées de la Muga et du Fluvià. Une bonne partie de ces zones humides a été convertie en pâturages, délimités par des canaux de drainage. A l’heure actuelle, ces secteurs constituent des zones fortement inondables. Leur assèchement, pour obtenir de nouveaux terrains agricoles ou pour des raisons de salubrité, a parfois débuté dès le Moyen Age pour ne s’achever qu’à l’époque moderne ou contemporaine (Matas 1986, 10-11). En ce qui concerne le bassin de la Muga, l’étang le plus important est celui de Castellò d’Empùries, sur la rive gauche du fleuve. Il constitue la partie septentrionale du vaste ensemble littoral des Aiguamolls de l’Ampourdan, qui s’étire entre la montagne de Rosas et l’embouchure du Fluvià. En rive droite, on trouve d’anciennes dépressions plus modestes dans le bassin versant du Manol à Vila-Sacra, Vilatenim, El Far et Vilamalla. A l’amont, l’étang le plus remarquable est celui de Lers, au sud de Pont de Molins.

4.1.1.3. Les caractéristiques de l'écoulement du fleuve

De sa source à Albanyà, dans son bassin supérieur, la Muga se caractérise par une pente très raide. Sur une distance de 10 km, le dénivelé passe d’environ 1200 m à 400 m. Ensuite, la déclivité tend à s’atténuer. Elle est interropue par la retenue d’eau de Boadella. Mais le fleuve conserve une forte pente et poursuit son cours dans une vallée encaissée jusqu’à Pont de Molins qui marque son entrée dans la plaine. Sur une distance d’environ 15 km, dans une vallée élargie, sa pente se réduit alors à 2‰. Finalement, son profil ne s’aplanit véritablement (1‰) qu’à 7 km en amont de son embouchure.

Le régime de la Muga est très influencé par l’effet régulateur du barrage de Boadella, qui vise en partie à contrôler les inondations du fleuve dans la plaine. Il bénéficie des apports de ces deux principaux affluents, le Llobregat et le Manol au printemps et en hiver. Son régime est pluvial méditerranéen. Cela signifie qu’il est peu touché par l’influence nivale. Son débit est faible toute l’année.

A Boadella, la moyenne du débit, calculée sur 78 ans, atteint à peine 2,4 m3/s. Dans son bassin inférieur, cette moyenne sur 18 ans ne dépasse pas 3 m3/s. Les maxima se situent en janvier et février. De juillet à septembre, le fleuve est quasiment à sec avec un débit moyen inférieur à 1 m3/s (Junta d’Aigües 1995, 54-57 et 152-155).

4.1.2. L’évolution du paysage dans la plaine alluviale 4.1.2.1. Les sources antiques

Les textes anciens se rapportant à la Muga sont peu nombreux et offrent peu d’indications sur son allure ancienne. Ils présentent cependant quelques difficultés d’interprétation. La première mention provient de Pomponius Méla (Chorographie, II, 6, 89-90) qui évoque le fleuve Ticis près de Rhodè. De son côté, Pline (Histoire Naturelle, III, 22) situe le Ticer après Emporion, en remontant en direction des Pyrénées. Ces mentions incitent à penser que le Ticis correspond à la Muga qui s’écoule à proximité de la colonie de Rhodè. Pourtant, de même qu’en Roussillon le Telis et le Ticis constituent les formes anciennes de la Têt et du Tech, l’hydronyme Ticer pourrait davantage se confondre avec le nom du Ter, situé au sud d’Emporion, comme l’a défendu P. Negre Pastell (1946, 190). En effet, ce dernier émet l’hypothèse que les géographes anciens aient confondu la Muga et le Ter. Le Ter serait mentionné par Ptolémée sous le nom Sambroca (Géographie, II, 6). Cependant, pour P. Negre Pastell, Sambroca est le nom ancien de la Muga dont on suit l’évolution entre le IXe et le XIIe s. à travers de nombreux documents médiévaux mentionnant cet hydronyme sous la forme fluvium Sambucae, qui devient Samuga puis La Muga (Negre Pastell 1946, 194-195).

Aviénus apporte d’autres précisions sur le paysage proche de Rhodè (Ora Maritima, v. 535-543). Alors qu’il vient de décrire la baie de Rosas, il mentionne la présence du Tonon au pied des Pyrénées, marais qu’il est possible d’associer à l’ancien étang de Castellò, situé entre la Muga et la Serra de Rosas. Ce nom aurait perduré au moins jusqu’à l’époque médiévale puisqu’aux IXe s. et Xe s., le Castro Tolon semble désigner Peralada ou un bourg voisin. Dans la toponymie actuelle, on le retrouverait dans le nom de Tonya (Negre Pastell 1946, 188-189). Aviénus cite également le mont Tononien à travers lequel dévale de manière torrentielle le fleuve Anystus. Il s’agit du seul témoignage dans lequel cet hydronyme apparaît. C’est également le seul cours d’eau cité par Aviénus dans cette partie de la Catalogne. Le mont Tononien peut désigner soit le massif des Albères, soit la Serra de Rosas, qui dominent tous les deux le marais évoqué plus haut. Dans les deux cas, le fleuve Anystus semble pouvoir être assimilé sans difficulté à la Muga (Schulten 1922, 124 ; Berthelot 1934, 110-111). P. Negre Pastell (1946, 186-187) a proposé de le rapprocher du nom de la rivière Anyet qui descend des Albères et se jette dans la Muga. On aurait ici un autre exemple de confusion de nom entre un cours d’eau principal et un de ses affluents. Selon l’hypothèse de M. de Montoliu (1922, 25), il est possible qu’Anyet dérive de amnis ; Anystus aurait ainsi la même étymologie.

A propos de l’embouchure du fleuve, Aviénus indique qu’elle « divise les flots salés ». Il reste à déterminer si le poète fait référence à la mer ou bien au marais Tonon, c’est-à-dire à l’ancien étang de Castellò qui a pu servir de débouché à la Muga.

4.1.2.2. L’ancien étang de Castellò

Les données concernant la sédimentation holocène de ce secteur ampourdanais sont limitées car les études géomorphologiques ont surtout concerné le Bas Ampourdan. Les travaux de J. Bach (1986, 195-203 ; 1989, 33-50 ; 2005, 13-23) ont néanmoins permis de fournir une vision globale de l’évolution de la plaine littorale, qui apparaît très proche de celle qui caractérise le Roussillon.

J. Bach (1989, 43) distingue nettement l’étang de Castellò, qui appartient au domaine palustre, des Aiguamolls qui appartiennent eux aux marais littoraux et qui se situent derrière la ligne de côte. L’étang de Castellò est une dépression intérieure de faible profondeur dont l’apparition au cours du Quaternaire n’est pas datée avec précision. En tout cas, la dernière glaciation marque l’étape finale de sa formation (Bach 1986-1987, 197-199 ; Bach 1989, 38-49). Cette dépression est limitée par de faibles reliefs. Les graus de Santa Margarida et des Salins le faisaient communiquer avec la mer (Bach 2005, 16). Récemment, des sondages ont permis de mettre en évidence plusieurs étapes de remplissage qui demeurent pour l’instant non datées. Une première phase se caractérise par une ambiance marine. On passe progressivement vers un milieu plus fermé correspondant à une lagune littorale salée. Enfin, la phase la plus récente marque la transformation de la zone en étendue d’eau moins saumâtre, alimentée par des apports fluviaux (Bach 2005, 16).

A l’heure actuelle, la toponymie et l’hydromorphie du milieu témoignent de cette ancienne lagune. Les étangs de Vilaüt et de Tec, en eau toute l’année, au pied de la Serra de Rosas, en constituent les dernières traces. D’autres zones sont immergées seulement quelques mois dans l’année, comme ceux de Mornau, de Pau, de Palau ou de Sant Joan Sescloses (Bach 1989, 39). Dans le détail, pour la période historique, l’essentiel de ce que l’on connaît du paysage provient d’archives de l’époque médiévale. En dehors du poème d’Aviénus, qui fait état de l’existence de l’étang de Castellò durant l’Antiquité, un document daté du IXe s. mentionne la présence d’un étang dans ce secteur de l’Ampourdan (Compte i Freixanet 2000, 99). Au siècle suivant, les documents sont suffisamment nombreux pour révéler une image assez précise de ce que fut la zone palustre de Castellò au Xe s. (fig. 57). Son nom, stagnum Castilionis, apparaît alors dans des archives relatives à la donation de l’étang par le Comte d’Empùries au monastère de Sant Pere de Rosas et à leur droit de pêche (Vaqué et al. 1989, 149-150). Un texte, transmis par Pierre de Marca au XVIIe s., précise les contours de celui-ci en 955 (Vaqué et al. 1989, 150). Au nord-est, il est limité par les territoires de Pedret, de Vilaut et des Torroelles jusqu’à Santa Margarida sur la côte. A l’ouest, il s’étend jusqu’à Castellò d’Empùries et englobe Sant Joan de Sescloses ainsi que Montmajor. Sa limite littorale s’étirait peut-être jusqu’au lieu-dit Can Niceto (Compte i Freixanet 2000, 101). Telle est l’image la plus ancienne que nous possèdons de l’étang. En fait, son étendue, telle qu’elle est décrite au Xe s. correspond à la courbe de niveau des 10 m et à l’emplacement actuel de la partie nord du parc naturel des Aiguamolls. Les documents postérieurs témoignent d’une réduction progressive de la surface de l’étang de Castellò. Plusieurs campagnes d’assèchement entre le XIIe s. et le

XVIIe s., pour aménager des terres cultivables et des pâturages, expliquent en partie cette évolution (Palet Martinez, Gurt Esparraguerra 1998, 44 ; Compte i Freixanet 2000, 101-104). Il apparaît enfin que l’écoulement de la Muga a eu des incidences sur le remplissage de l’étang en raison des apports alluvionnaires. Au XVIIe s., les eaux du fleuve sont détournées pour accélérer le processus de sédimentation.

4.1.2.3. Le tracé de la Muga au contact de l’étang

A l’heure actuelle, à l’aval de Castellò d’Empùries, le cours de la Muga est canalisé jusqu’à son embouchure. Ce tronçon se localise au sud de l’ancien étang (fig. 57). Son tracé exact durant l’Antiquité n’est pas connu mais quelques témoignages apportent des précisions sur ses liens avec l’ancien étang de Castellò aux époques médiévale et moderne. Au XIIe s., un texte indique qu’avant de déboucher dans la mer, la Muga forme un grand étang proche de Rosas (Vaqué et al. 1989, 150). Dans la première moitié du XVIIe s., un témoignage donne la même description mais fait également état de deux embouchures à la mer. Un autre texte précise que l’étang est divisé en deux parties (Vaqué et al. 1989, 151-152 ; Compte i Freixanet 2000, 102-103). Il est possible que ces documents fassent allusion au fait que la Muga passe au milieu des étendues d’eau qui se trouvent de part et d’autre de son cours, comme on peut encore l’observer. La partie septentrionale est celle qui est occupée par l’ancien étang de Castellò (fig. 57). La partie sud est celle des Aiguamolls. Cette situation ne semble pas très éloignée de celle que nous livre le poète Aviénus, en dehors du fait qu’il ne mentionne qu’une seule embouchure divisant « les flots salés ».

Aujourd’hui, on suppose l’existence de deux bras, celui de la Muga actuelle et celui de la Mugueta qui se situe plus au nord à partir de Castellò d’Empùries (fig. 57). Ce dernier débouche dans la mer par le Rec des Salins. Un autre bras de la Mugueta, au pied de la Serra de Rosas, aurait débouché au grau de Santa Margarida (Bach 1989, 52-53 ; 2005, 16). Il apparaît sur la Carte du Gouvernement de Rosas, datant de 1668, au pied de la Citadelle de Rosas, alors que sur une carte de 1775, son tracé est plus méridional (Marzoli 2005, 26). A Compte i Freixanet (2000, 106) considère que le tracé actuel de la Muga a été le bras principal du fleuve dans la basse plaine au moins du Moyen Age jusqu’au XVIIe s. A cet égard, il fait valoir plusieurs témoignages d’activités commerciales et fluviales sur ce parcours jusqu’à Castellò d’Empùries. A partir de 1612, un projet prévoit de dévier les eaux de ce bras vers le cours secondaire de la Mugueta, afin de permettre, grâce à l’apport d’alluvions, l’assèchement définitif de l’étang de Castellò qui ne couvre plus, à ce moment là, que la frange nord-est de sa surface initiale (Matas i Balaguer 1986, 40-41). Ces travaux s’achèvent dans la seconde moitié du XVIIe s. Un document du XVIIIe s. fait état de cette déviation et de la diminution de l’étendue d’eau (Vaqué et al. 1989, 152). La Muga ne récupèrera son cours initial qu’au XIXe s (Matas i Balaguer 1986, 41).

On retient que l’étang de Castellò occupait au Xe s. une vaste surface au pied de la Serra de Rosas. Ses limites et son aspect antiques ne sont pas connus mais l’existence de ce

marais est attestée par le témoignage d’Aviénus. Il semble également probable que le cours de la Muga a été assez similaire à celui que l’on connaît aujourd’hui.

4.2. Le bassin du Fluvià